Interview de Mme Frédérique Vidal, ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation, à France Culture le 23 avril 2020, sur les modalités d’évaluation des étudiants, la recherche du vaccin contre le Covid-19 en France et la mobilisation du secteur scientifique.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Frédérique Vidal - Ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation

Média : France Culture

Texte intégral


GUILLAUME ERNER 
Bonjour Frédérique VIDAL. 

FREDERIQUE VIDAL  
Bonjour.  

GUILLAUME ERNER 
Vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'innovation. La saison des examens universitaires devrait battre son plein, mais les étudiants et les enseignants ne reprendront pas de sitôt le chemin des amphithéâtres. Comment essayer de maintenir une continuité pédagogique dans ce contexte, n'y a-t-il pas un risque, Madame la Ministre, que de profondes inégalités entre les étudiants et les universités, se creusent ?  

FREDERIQUE VIDAL  
Alors, c'est tout le travail qui a été mis en place, de façon remarquable, par l'ensemble des établissements, qui vise justement à faire en sorte que bien sûr, dans des conditions très différentes des conditions normales, il puisse y avoir une continuité pédagogique. Ça a été fait dans le primaire, dans le secondaire, dans le supérieur aussi. Vous y participer au travers des livres que vous conseillez, il y a des initiatives locales, des « chats & books. Voilà. Ce qui est important c'est que l'ensemble de la communauté des enseignants et des enseignants-chercheurs, s'est mobilisée pour que dans cette période exceptionnelle, il puisse y avoir néanmoins continuité pédagogique. 

GUILLAUME ERNER
 Mais sur les inégalités entre étudiants, comment tenter de les amenuiser ? Il y a des étudiants qui sont dans des situations de grande précarité aujourd'hui, Madame la Ministre. 

 FREDERIQUE VIDAL 
 Bien sûr, c'est la raison aussi pour laquelle nous avons travaillé avec les établissements, avec ses CROUS, de manière à ce que les étudiants puissent avoir de l'aide. De l'aide qui s'est concrétisée, soit pas du prêt de matériel informatique, soit par des dons d'ordinateurs, des achats de clés 4G. Donc l'ensemble des étudiants ont pu… 

GUILLAUME ERNER 
Combien d'ordinateurs ont été fournis, est-ce qu'il y a eu une aide financière qui est fournie à des étudiants qui parfois ont des difficultés à se nourrir, en ce moment ? 

FREDERIQUE VIDAL  
Absolument, une aide financière aussi pour pouvoir se nourrir, la distribution de paniers repas, nous avons travaillé à la distribution aussi de Ticket Restaurant… 

GUILLAUME ERNER 
Combien d'étudiants sont concernés par ce dispositif, Madame la Ministre ?  

FREDERIQUE VIDAL  
Alors, autant d'étudiants que nécessaire, j'allais dire, puisque tous ces dispositifs sont prévus pour l'ensemble des étudiants, autant que nécessaire, pas seulement pour les étudiants boursiers, nous avons souhaité que l'ensemble des étudiants puissent en bénéficier, puisque nous savons que les petits jobs étudiants, les emplois étudiants, parfois les gratifications de stages, ont été supprimés en ces périodes, et donc c'était très important pour nous que les étudiants puissent être accompagnés, y compris financièrement pour leurs besoins essentiels.  

GUILLAUME ERNER 
Est-ce que vous redoutez la rentrée ? Il y a Parcoursup, il y a donc la période de sélection des étudiants dans les universités, est-ce que la période particulière que nous traversons va modifier cette procédure, Frédérique VIDAL, Madame la Ministre ? 

FREDERIQUE VIDAL  
Alors, la procédure de Parcoursup n'est pas modifiée, puisqu'elle est entièrement dématérialisée, donc c'est ce qui nous a permis de la maintenir. C'est ce qui nous permet d'espérer que la rentrée se fasse, dans des conditions normales et aux dates normales. Bien sûr, il y aura potentiellement un peu de remise à niveau, un accueil de l'ensemble des nouveaux bacheliers, et les établissements sont déjà en train de s'y préparer. Ce sera une rentrée que nous espérons la plus normale possible, mais aujourd'hui personne n'est capable de dire ce qui va se passer dans les semaines à venir. Donc c'est très important que nous soyons préparés sur tous les scénarios.  

GUILLAUME ERNER 
Est-ce que la manière particulière dont va se dérouler le bac, cette année, peut modifier la procédure ? Là aussi on a beaucoup de craintes qu'il y ait des bacheliers, des lycéens, qui soient les victimes collatérales de cette période de confinement, Madame la Ministre.  

FREDERIQUE VIDAL  
Alors, sur le baccalauréat, Jean-Michel BLANQUER a eu l'occasion de le dire, ce sera du contrôle continu, mais il y aura néanmoins des jurys qui se réuniront, et évidemment nous sommes tous conscients que c'est une période très particulière, et l'ensemble du corps enseignant, du corps professoral, veillera bien sûr à ce que les étudiants soient le mieux possible pris en charge et accompagnés. Nous vivons une période qui est exceptionnelle et nous allons mettre en place des moyens exceptionnels pour accompagner au mieux l'ensemble de nos concitoyens et les étudiants, 

GUILLAUME ERNER 
Madame la Ministre, le président de la République, le 19 mars, a annoncé 5 milliards de crédits supplémentaires pour la recherche. Concrètement, ils vont aller où ces crédits ?  

FREDERIQUE VIDAL  
Alors, ces crédits, ils vont permettre d'une part de rendre plus attractives les carrières scientifiques, et donc la première mesure qui a d'ores et déjà été annoncée, c'est le fait que plus aucun jeune chercheur enseignant-chercheur, ne sera recruté en-dessous de deux SMIC. C'est aussi une revalorisation de l'ensemble des salaires qui est prévue dès l'année 2021, et qui montera en puissance pendant toute la durée de la loi de programmation de la recherche. Et c'est aussi bien sûr des financements pour le fonctionnement de la recherche, le soutien aux projets de recherche, la mise en place de contrats d'objectifs moyens avec les organismes, pour que… 

GUILLAUME ERNER 
Ces 5 milliards, ils vont être dépensés dans quel horizon, combien d'années vont-ils avoir la possibilité de voir donc les salaires des chercheurs, si je vous suis bien, augmentés par cet ensemble ?  

FREDERIQUE VIDAL  
Oui, chercheurs, ingénieurs, techniciens, l'ensemble des personnels de la recherche. Alors, ce qu'il faut comprendre c'est qu'en réalité aujourd'hui le budget de la recherche est de 15 milliards par an, et notre objectif c'est que dans 10 ans ce budget soit de 20 milliards par an, ce qui signifie que dans les 10 prochaines années c'est 25 milliards d'euros qui vont être injectés dans la recherche. Il y aura aussi une place particulière notamment pour les doctorants, nous allons augmenter le nombre de contrats doctoraux, et d'ailleurs je voulais aussi profiter de ce passage sur votre antenne ce matin, pour dire aux doctorants qui sont actuellement en thèse, que dans cette période particulière, j'ai décidé d'autoriser les organismes et les établissements à prolonger la durée de thèses, à prolonger les contrats doctoraux et leur financement. Ce sera le cas aussi pour les contrats postdoctoraux, pour tous les chercheurs, ingénieurs, techniciens, qui sont actuellement sous contrat à durée déterminée. Et puis il y aura aussi prolongation des financements de l'ANR, de manière à ce que l'on puisse limiter au maximum l'impact de cette crise sur la recherche en général. Vous savez, on parle beaucoup de la recherche sur le Covid en ce moment, on ne se rend peut-être pas compte, mais c'est bien toutes les disciplines qui participent à cet effort pour nous aider à sortir de cette crise, mais la recherche c'est du temps long, et il faut faire attention que l'ensemble de la recherche puisse continuer à être soutenu dans cette période particulière.  

GUILLAUME ERNER 
On parle bien de tous les doctorants, Madame la Ministre ? 

FREDERIQUE VIDAL  
Absolument.  

GUILLAUME ERNER 
Y compris les doctorants de première année. Sur la question du budget de la recherche, vous évoquez la recherche contre la Covid et on en comprend évidemment l'utilité, par exemple l'ANR l'Agence Nationale de la Recherche, a lancé un appel à projet, doté de 25 millions d'euros. Les projets ont déjà été sélectionnés, 25 millions d'euros, c'est une somme évidemment, mais c'est très modeste par rapport aux 5 milliards, les chercheurs ont l'impression depuis de nombreuses années, non seulement d'être abandonnés, mais aussi de ne pas voir l'argent qui leur est promis par la puissance publique, et vous-même l'avez reconnu, Madame la Ministre. Pourquoi cette annonce de 5 milliards d'euros serait-elle différente des précédentes, qui n'ont pas été suivies d'effets ?  

FREDERIQUE VIDAL  
Eh bien parce que le principe c'est que cette annonce, elle va s'inscrire dans un projet de loi pluriannuel pour la recherche. Un projet de loi pluriannuel, c'est une loi budgétaire qui en fait engage le gouvernement, de manière annuelle et échelonnée sur des investissements dans la recherche. Et c'est ça qui est particulier, c'est que cet engagement il se traduira, au travers de cette loi budgétaire, et il garantira donc chaque projet de loi de finances annuel verra les financements consacrés à la recherche augmenter, c'est 25 milliards d'investissement au total pour que dans 10 ans nous soyons à 20 milliards par an, consacrés à la recherche en France, au lieu de 15 milliards actuellement. Pour vous donner un ordre d'idée, l'augmentation du programme recherche au sein du ministère, ça a été 50 millions d'euros entre 2012 et 2017, c'est sur l'année 2021, 400 millions d'euros. 

GUILLAUME ERNER 
Est-ce que le crédit impôt recherche compte dans cette enveloppe ? Parce que bien souvent il va à des entreprises et on est bien loin souvent de la recherche fondamentale. Est-ce qu'il est inclus dans cette somme et si oui que représentent-il ?  

FREDERIQUE VIDAL  
Alors, non, en réalité là il s'agit bien d'un investissement budgétaire, sur le budget de l'Etat, ce dont je suis en train de vous parler, c'est uniquement de cela. Notre objectif… 

GUILLAUME ERNER 
Oh, le crédit impôt recherche c'est aussi un investissement dans le budget de l'Etat.  

FREDERIQUE VIDAL  
Non, mais pardon, je finis. Notre objectif c'est que nous puissions atteindre, alors c'était 3 % du produit intérieur, brut et ça, ça se décompose en un tiers de budgétaire, c'est-à-dire d'argent frais qui va arriver dans les laboratoires, pour l'ensemble des personnels de la recherche, et puis 2/3 qui sont constitués par la recherche et le développement, qui est fait par des investissements privés, dans la recherche. Et le Crédit impôt recherche compte dans cette partie-là de la structuration du financement de la recherche globalement. Donc là on parle… 

GUILLAUME ERNER 
Donc, ça veut dire qu'il pourra…  

FREDERIQUE VIDAL 
 … bien de 25 milliards d'euros, exclusivement dédiés à l'attractivité des carrières, au fonctionnement des laboratoires, aux équipements. On sait qu'on a des disciplines qui ont besoin d'avoir de très gros équipements, aux contrats CIFRE aussi, au soutien des partenariats entre les laboratoires, et vous savez qu'on a besoin de cette chaîne de l'innovation, donc plus d'ingénieurs, pour pouvoir passer d'une idée, d'une connaissance, à quelque chose qui va pouvoir être utile à la société. Voilà, cet argent est consacré uniquement à ça et il s'agit bien d'un investissement massif, que ce gouvernement et le président de la République ont décidé de faire pour la recherche.  

GUILLAUME ERNER 
Mais alors, pardonnez-moi, parce que je n'ai pas compris quelle était la part de financement privé, puisque vous l'avez mentionnée il y a quelques instants, qui n'irait pas à la recherche fondamentale, et on voit aujourd'hui que s'il n'y a pas une recherche fondamentale par exemple celle sur les coronavirus a été abandonnée, alors c'était il y a de nombreuses années, vous n'y êtes pour rien, mais on voit aujourd'hui à quel point il est terrible qu'en France on ait abandonné la recherche sur les coronavirus.  

FREDERIQUE VIDAL 
Alors, heureusement on ne l'avait pas complètement abandonnée, ça c'est plutôt une bonne nouvelle, parce que sinon effectivement nous aurions été en difficulté. Mais c'est vrai que néanmoins la recherche a besoin d'être beaucoup plus financée. Donc, excusez-moi si je n'ai pas été claire, en réalité, quand on parle de l'investissement dans la recherche d'un pays, cet investissement se décompose en deux parties : ce qu'on appelle l'investissement direct de l'Etat, c'est là que nous allons porter cet effort de 15 à 20 milliards, et pour cela nous mettons 25 milliards d'euros supplémentaires sur les 10 prochaines années, pour atteindre 20 milliards de par l'Etat de financement de la recherche,  ce qui signifie qu'en parallèle, eh bien si l'Etat a investi 20 milliards, la partie privée, la recherche et développement qui se fait dans le privé, eh bien investira 40 milliards, la répartition étant de 1/3 de financement Etat, 2/3 pour la R&D, qui se fait dans les entreprises. Quand vous avez l'idée d'une molécule, toute la partie développement de cette molécule, pour en faire un médicament, c'est compté dans le budget global de la recherche. Mais ce dont je vous parle, les 5 milliards supplémentaires dans le budget de la recherche, les 5 milliards d'investissements c'est de l'argent qui ira aux laboratoires, qui ira au personnel de la recherche, qui ira pour soutenir des infrastructures de la recherche.  

GUILLAUME ERNER 
Merci beaucoup Frédérique VIDAL. Je rappelle que vous êtes ministre de l'Enseignement supérieur, de la recherche et de l'Innovation. 
 

source : Service d'information du Gouvernement, le 27 avril 2020