Extraits d'un entretien de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d'État aux affaires européennes, à LCI le 17 mars 2020, sur la fermeture des frontières de l'espace Schengen en raison de l'épidémie de Covid-19.

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Média : La Chaîne Info

Texte intégral

Q - Nous retrouvons la secrétaire d'Etat chargée des affaires européennes, Mme Amélie de Montchalin, qui est avec nous en duplex. Bonsoir et merci (...) Quel regard portez-vous sur les premières heures de ce confinement, estimez-vous que le message du président de la République hier a été suffisamment entendu ?

R - J'étais au Quai d'Orsay toute la journée. De ma fenêtre, j'ai effectivement eu l'impression qu'il y avait déjà beaucoup moins de monde dans la rue. Maintenant, ce n'est pas seulement une journée qu'il faut tenir ces instructions, ce ne sera utile qu'au bout de dix ou quinze jours, quand la fin de cette période nous amènera à ce que ces contacts réduits limitent la propagation. Cet effort, c'est de s'adapter dans les prochaines heures à ce nouveau mode de vie qui est très contraignant, mais aussi à le tenir dans la durée, et je crois qu'il y aura là, un exercice vraiment collectif et solidaire à avoir. Nous apprendrons tous à avoir de nouvelles activités et c'est ce que nous avons de mieux à faire pour freiner cette maladie.

Q - Surtout, Amélie de Montchalin, Paris n'est pas la France, et peut-être que, ce que vous voyez depuis les fenêtres du Quai d'Orsay ne correspond pas vraiment à ce qui se passe dans les autres villes. Peut-être que Paris s'est vidée parce que les gens sont allés en province pour ceux qui ont des résidences secondaires, ou ceux qui ont pu être accueillis. Avez-vous de telles remontées au sein du gouvernement ou non ?

R - Là-dessus, il est normal qu'il y ait une période d'ajustement, après, et Olivier Véran l'a très bien dit, ce n'est pas parce que l'on s'éloigne d'une métropole ou que l'on s'éloigne de Paris qu'on est moins en risque, et ce n'est pas parce qu'on est plus loin que les mesures sont moins contraignantes. Là aussi, c'est sur tout le territoire que l'on doit faire un effort.

Ce qui est intéressant, c'est que, ce que nous faisons en France aujourd'hui, beaucoup de nos voisins européens le font aussi, sur tout le territoire en Espagne, sur tout le territoire en Italie. La Belgique prend des mesures qui sont proches. J'ai eu tous nos ambassadeurs de France dans toutes les capitales européennes cet après-midi et je peux vous dire que partout, il y a des mesures qui sont prises pour éviter les contacts et se dire qu'au fond, on peut, bien sûr, faire confiance à nos médecins, et on les remercie infiniment pour toute l'énergie qu'ils déploient déjà, mais que l'on a chacun une part de responsabilité sur tout le continent européen.

C'est aussi pour cela qu'il y a eu ce soir un Conseil européen important pour que l'on puisse coordonner nos mesures, parce qu'on voit bien que ce virus, on l'a vu depuis la Chine, il ne s'est pas arrêté aux frontières. L'effort est en France, mais il est aussi de tous les Européens contre cette maladie.

Q - Si le virus ne s'arrête pas aux frontières, pourquoi avoir fermé les frontières de l'Union européenne ?

R - Il y a deux choses ; il y a les frontières extérieures : les non-européens, les gens qui sont en Amérique du Sud, en Asie, aujourd'hui l'OMS nous dit que l'Europe est un foyer épidémique. Donc, nous avons besoin de nous occuper des personnes qui sont ici et nous avons aussi besoin de ne pas exposer des gens qui viendraient de loin à notre situation, puisque de fait, elle n'est pas bonne.

Nous avons également besoin de nous coordonner avec les autres Européens pour aider les Européens, qui sont coincés à l'autre bout du monde, à revenir chez eux pour qu'ils puissent aussi appliquer les mesures de confinement. C'est le premier objectif.

Il y a d'autres frontières dont on parle qui sont les frontières intérieures, celles que l'on a, nous la France, avec l'Espagne, l'Italie, la Suisse, l'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg. Le but n'est pas de fermer ces frontières parce que ce serait très dangereux, ça mettrait peut-être en risque notre capacité à nous alimenter, à recevoir des marchandises utiles à notre vie quotidienne. Là, nous devons en revanche faire des contrôles de cohérence. C'est-à-dire que si nous demandons à tous les Européens de rester chez eux, ce n'est pas pour qu'ils aillent se promener de l'autre côté de la frontière, sinon ce n'est pas efficace.

Ce soir, ce que les chefs d'Etat et de gouvernement ont fait, c'est qu'ensemble ils ont posé un acte. Pendant trente jours, on n'accueille pas de nouveaux non-Européens sur notre sol parce que ce serait, ni les protéger, ni aider notre système de santé. Et entre nous, et cela commencera dès demain, on aligne nos pratiques pour être le plus efficace, le plus cohérent, pour s'occuper des travailleurs transfrontaliers, pour s'occuper des flux alimentaires, des flux de marchandises. Et aussi pour aider tous ceux des Français qui par exemple, sont quelque part en Europe parce qu'ils sont partis en voyage d'affaires, parce qu'ils sont étudiants ou en visite, de pouvoir rentrer chez eux, pour que chacun soit chez soi et puisse ainsi arrêter le virus.

Q - Une précision un peu technique pour terminer, Amélie de Montchalin, considérez-vous les ressortissants britanniques comme des ressortissants européens ? Vu que la politique là-bas n'est pas du tout la même qu'ici, ne faut-il pas leur dire "Non, vous ne venez plus !" ?

R - Il y a deux choses à savoir : d'abord la politique au Royaume-Uni sur le Coronavirus évolue beaucoup. Chaque jour ils prennent des mesures qui ressemblent de plus en plus aux nôtres. Les personnes âgées sont confinées, les voyages non essentiels sont interdits, y compris au sein du Royaume-Uni. Donc, les choses évoluent.

Ce qui est certain, c'est que nous avons besoin, pour conserver des voyages essentiels entre nous, je pense notamment aux travailleurs, aux familles qui doivent rentrer, aux marchandises, il faut absolument que nos mesures soient les plus cohérentes possibles, qu'elles soient les plus similaires possibles. Ce sont des choses qui évoluent, et si elles n'évoluent pas dans le bon sens, effectivement, il faudra que nous en tirions des conséquences.

À ce stade, il est important que nous regardions la réalité de ce qui est fait. Le Conseil européen a d'abord cherché à créer de la cohérence vis-à-vis des Britanniques. Nous avons besoin qu'ils prennent toute la mesure de la situation. Je crois que c'est en train d'être fait, chaque jour qui passe il y a des mesures de plus en plus contraignantes, aussi pour les Britanniques, ce qui pourra nous permettre de conserver ces flux essentiels entre nous. Je dis bien " essentiels ", on ne parle pas de tourisme, on ne parle pas de visite, on ne parle pas de choses intéressantes à faire après, mais là d'abord, la bataille, c'est de freiner ce virus et donc, ne pas amener des flux nouveaux de personnes entre nos pays si on n'a pas besoin de cela.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mars 2020