Entretien de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, à BFMTV le 18 mars 2020, sur les Français à l'étranger et la coopération européenne face à l'épidémie de Covid-19.

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Média : BFM TV

Texte intégral

Q - Bonjour Monsieur le Ministre,

R – Bonjour.

Q - Le président de la République a annoncé la fermeture des frontières extérieures de l'Union européenne, la France est en état de confinement. Est-ce que-vous pouvez nous confirmer, aujourd'hui, qu'effectivement les frontières européennes sont fermées ?

R - Oui, les frontières de l'espace Schengen et les frontières de l'ensemble de l'Union européenne sont fermées depuis la décision qui a été prise en Conseil européen hier, sur l'initiative d'ailleurs du président de la République. Donc, aujourd'hui, tout citoyen non européen n'est pas autorisé à rentrer sur l'espace ainsi défini.

Q- C'est une situation sans précédent…

R - Cela n'est jamais arrivé, mais c'est un principe de base, il faut éviter, au maximum, tout déplacement, parce que c'est le déplacement qui assure la propagation du virus. Et donc, l'application de la fermeture des frontières de l'espace Schengen et européen, c'est finalement la même chose que le confinement qui a été décidé par le président de la République pour la France, c'est limiter au maximum les déplacements. Donc, on ne rentre plus dans l'espace européen.

Q - Est-ce que l'on arrive à rapatrier les Français qui le demandent ?

R - On ne rentre plus si on n'est pas Européen. Les Français qui sont en vacances ou en déplacement à l'étranger sont évidemment en situation de pouvoir rentrer. Mais évidemment, cela pose énormément de difficultés puisqu'il y avait beaucoup de Français en déplacement, singulièrement dans certains pays. Ils marquent de l'impatience, je les comprends, ils ont parfois de l'angoisse, je les comprends, mais qu'ils sachent que toutes les situations nous sont connues et on essaie, dans toutes les situations, de trouver les moyens de permettre leur retour le mieux possible, le plus rapidement possible. Mais je sais qu'il faut de la patience.
Je prends un exemple : l'exemple du Maroc. Depuis vendredi soir, il y a eu quatre-vingt-dix vols sur le Maroc, dont beaucoup de vols spéciaux. Il y avait vingt mille Français qui étaient retenus au Maroc vendredi soir, il n'y en a plus aujourd'hui que six mille, sept mille, et le mouvement se poursuit.
Je le dis à nos compatriotes, c'est vrai que c'est difficile. C'est difficile pour tout le monde. C'est difficile pour vous, c'est difficile pour les Français qui sont en métropole, il faut donc tranquillement, sereinement, avec sang-froid, attendre son tour, si j'ose dire, pour que ce déplacement puisse avoir lieu le mieux possible.
C'est vrai pour le Maroc, où c'est le plus spectaculaire et le plus difficile sans doute aujourd'hui, mais c'est vrai aussi pour la Tunisie où il y a aujourd'hui quatre mille Français qui sont en déplacement et qui souhaitent rentrer. Une trentaine de vols vont être mis en place pour leur permettre le retour.
C'est vrai aussi en Algérie, c'est vrai aussi dans d'autres pays du monde mais nous suivons tous les cas, et dans toutes les situations en relation avec les autorités concernées, en relation aussi avec les compagnies aériennes, singulièrement Air France qui, je dois dire, fait un gros effort dans cette période. Nous essayons de trouver des solutions pour qu'ils puissent revenir chez eux. Parce que le sujet, c'est que chacun reste chez soi.

Q - Est-ce que tous ces Français bloqués actuellement pourront rentrer d'ici la fin de la semaine ?

R - Nous faisons tout pour que ce soit le cas.

Q - Parce que certains se plaignent de ne pas pouvoir joindre le consulat ou l'ambassade, les lignes sont saturées... la France n'en fait pas assez, disent-ils. Qu'est-ce que vous dites à ces Français ?

R - Je trouve que nos services, nos ambassadeurs, nos consuls, font tout ce qu'ils peuvent. Il se trouve qu'au Maroc le standard a explosé à un moment donné parce que les lignes n'étaient pas assez solides. Il faut aussi le comprendre. Nous sommes dans une situation exceptionnelle et chacun de nos compatriotes qui est bloqué aujourd'hui à l'étranger doit l'intégrer et sache que on fait tous nos efforts pour qu'il puisse être remédié à cette situation difficile pour eux.

Q - Donc patience ?

R - Patience et recherche de notre part de la meilleure efficacité. Sang-froid, le minimum de sérénité si l'on peut, en sachant que, je le sais, c'est parfois très angoissant.

Q - Alors il y a le cas aussi des Français qui vivent à l'étranger, les Français de l'étranger, il y en a près de trois millions. Quels conseils leur donnez-vous car beaucoup souhaitent rentrer en France ?

R - Nous pensons que, pour leur propre sécurité et pour lutter contre ce virus, il faut rester chez soi. Et si le "chez-soi", c'est à l'étranger, on reste dans son "chez-soi" à l'étranger pendant cette période difficile, sauf si leur condition sanitaire devait poser problème, à ce moment-là, il faut qu'ils s'adressent directement à l'ambassade ou au consulat pour envisager leur retour. Mais le principe de base, c'est que quand on est chez soi, on reste chez soi. Que l'on soit en France, que l'on soit en Europe, que l'on soit ailleurs dans le monde, on reste chez soi. Quand on est en déplacement, on revient chez soi. On essaye de faire en sorte que tous les moyens soient mis en oeuvre pour que ce soit le cas.

Q - En tout cas, c'est un test pour l'Europe. On peut dire aujourd'hui que l'Europe est en quarantaine. Est-ce que la coordination est suffisante ou pas, parce que jusqu'à présent, c'était plutôt du chacun pour soi ?

R - Il y a eu une coordination, un Conseil européen s'est tenu hier. Le président de la République a fait des propositions. Cela a entraîné une décision commune de fermeture aux frontières. Cela a entraîné aussi une décision commune de faire un effort particulièrement significatif sur la recherche. Cela a entraîné aussi une décision commune d'avoir un paquet financier très lourd pour aider les entreprises dans le moment. Cela a aussi entraîné le fait que l'on fermait la frontière mais que l'on respectait aussi les mouvements transfrontaliers. On respectait aussi le flux des marchandises, parce qu'il ne faut pas que tout s'arrête. Et tout cela est plutôt un bon signe. Il reste qu'il faut davantage encore se coordonner, et puis, il reste aussi que l'Europe est un peu au rendez-vous de son destin. Face à une crise que l'on n'a jamais connue, il faut qu'elle intègre tout ce que cela signifie d'être dans le même espace. En tout cas, ou il y aura une prise de conscience européenne, dans cette épreuve, ou alors l'Europe aura abandonné son destin.
Je voudrais faire observer aussi un élément important de solidarité. Puisqu'il y a un mois, lorsque la crise s'est déclenchée dans le Wuhan, nous avons apporté en Chine, nous avons apporté notre forme de solidarité à l'égard des autorités chinoises en livrant du matériel de protection. Les Chinois, qui commencent progressivement à sortir de ces difficultés, nous ont renvoyé la solidarité et aujourd'hui, s'est posé un avion chinois avec du matériel de protection. Il y en aura encore un autre demain. Je pense qu'il faut le souligner, ce sont essentiellement des masques, des gants, des outils de protection significatifs. Cela montre que la solidarité peut aussi s'exercer là, quand on fait un acte de solidarité à un moment, on peut avoir un retour. C'est un bel exemple.

Q - Il y a donc deux avions. Un qui s'est posé aujourd'hui, un deuxième demain ?

R - Ce matin, et il y a un deuxième qui se pose demain.

Q - Il y a combien de masques, quel matériel ?

R - Des masques, des gants. Il y a environ un million de masques. C'est un geste qu'il faut apprécier.

Q - Est-ce que la France pourrait à nouveau exporter des matériels médicaux vers d'autres pays, comme l'Italie par exemple ?

R - Pour l'instant, il faut développer la coopération entre les différents pays. Tout le monde se parle, les ministres de la santé, les ministres des affaires étrangères aussi, pour faire en sorte que les Européens prennent conscience qu'ils sont, j'allais dire, dans le même bateau, dans cette affaire. Donc, il faut en permanence se coordonner.

Q - Est-ce que cette crise sanitaire sans précédent marque la fin d'une époque et peut-être la fin de la mondialisation telle qu'on l'a connue ? Notamment, on s'est aperçu que l'on avait trop de dépendance à l'égard d'autres pays, pour, notamment, les médicaments. Est-ce que c'est vraiment la fin d'une époque ?

R - Je crois qu'il y a une prise de conscience qu'il y a des sujets sur lesquels on ne pourra pas déléguer à la mondialisation. On ne peut pas déléguer son autonomie alimentaire. On ne peut pas déléguer son autonomie de protection. On ne peut pas déléguer son autonomie de santé. On ne peut pas déléguer les services essentiels qui sont d'ailleurs en partie et doivent être hors du champ concurrentiel. Ces grandes questions sont posées par les actes, par la réalité de la situation. Bien évidemment, il faudra s'interroger, quand la crise sera finie, le plus vite possible, sur les conséquences qu'on en tire sur la nécessaire régulation, et sur ce que veut dire la souveraineté française et la souveraineté européenne.

Q – Merci.

R – Merci.


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mars 2020