Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à CNews le 31 mars 2020, sur le retour possible des élèves dans les classes début mai et le lancement du projet "Vacances apprenantes".

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : CNews

Texte intégral

GERARD LECLERC 
Bonjour Jean-Michel BLANQUER. Merci d'être avec nous. 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Bonjour.  

GERARD LECLERC 
Les écoles, les collèges, les lycées sont fermés depuis le 16 mars. Il y a déjà eu une prolongation de 15 jours, il y en aura peut-être d'autres, est-ce que vous maintenez une reprise le 4 mai ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Ça n'est qu'un scénario, malheureusement, parce qu'on ne peut être sûr de rien. Vous le savez on est dépendant évidemment de l'évolution de l'épidémie et de l'analyse des Autorités sanitaires, donc la date va dépendre de cette analyse. Mais l'un des scénarios c'est le début du mois de mai. 

GERARD LECLERC 
Les dates des vacances de printemps sont maintenues, vous allez nous le confirmer pour les trois zones. Est-ce que ce n'est pas paradoxal de passer quasiment sans interruption du confinement, aux vacances ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, c'est sûr que la situation est très particulière. De toute façon c'est les vacances particulières, c'est des vacances à la maison, il faut d'ailleurs qu'on en tire quelque chose de positif, c'est pourquoi on a développé beaucoup de ressources éducatives pour ces vacances, de façon à ce que les élèves d'ailleurs, à la fois lisent davantage, peut-être, se déconnectent un peu des écrans, écoutent la radio aussi, écoutent de la musique, et donc on met toute une série de ressources pédagogiques et éducatives à disposition des élèves, comme des adultes. 

GERARD LECLERC 
Mais j'en reviens à ces vacances de printemps, donc les dates sont maintenues. Ce seront des vacances « normales », ou est-ce que vous allez essayer peut-être d'en faire des vacances apprenantes ? On parle de ça.  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui, on lance l'opération « Vacances apprenantes », ça signifie d'une part que les professeurs peuvent donner des devoirs avant le début des vacances, pour que les élèves puissent travailler pendant les vacances, de façon modérée d'ailleurs, parce qu'on a vu que les premières semaines parfois c'était très intense. Donc il faut respecter la notion de vacances. Mais enfin, du travail, ça dépend des classes aussi, il est évident que les élèves de 1ère et de terminale vont avoir plus le travail que les autres, mais surtout les vacances apprenantes, c'est aussi l'idée que l'on va donner des cours particuliers à distance, aux élèves les plus en difficultés, et gratuits bien sûr, parce que pendant les deux premières semaines, il a pu y avoir une accentuation des inégalités sociales, due aux contextes familiaux différents des enfants, bien sûr. Et il y a certains élèves que nous ne sommes en train de rattraper que maintenant, c'est-à-dire qu'ils ne donnaient aucune nouvelle, que nous sommes en train de retrouver, par tous les moyens, par LA POSTE, par le téléphone, et donc à ceux-là, lorsqu'ils sont en difficulté, on va proposer gratuitement de l'aide scolaire, grâce à des professeurs volontaires, qui seront en contact avec eux, soit par petits groupes, soit même individuellement. 

GERARD LECLERC 
Confirmez-vous que le bac aura bien lieu, avec un léger report d'une quinzaine de jours, aura lieu fin juin, avec une part plus importante du contrôle continu, vous confirmez tout ça ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, je donnerai vraiment le format général dans quelques toujours. Je le fais en consultant beaucoup, en écoutant par exemple tout au long de la semaine dernière, les organisations syndicales, encore maintenant, en écoutant les fédérations de parents d'élèves. Aujourd'hui j'écoute les lycéens, je vois les délégués lycéens en visioconférence deux fois dans cette journée d'aujourd'hui, et c'est à l'issue de toutes ces consultations que je pourrais façonner la solution à laquelle nous arrivons. Mais cette solution, j'ai quelques points de repère pour la définir. Premièrement, assurer qu'il y a bien un baccalauréat cette année, c'est-à-dire que les élèves de terminale ne seront pas lésés, qu'ils auront bien la possibilité de passer leur diplôme cette année. Deuxièmement il y aura forcément une part plus ou moins important de contrôle continu, pour tenir compte de la situation très particulière dans laquelle nous sommes. Et troisièmement c'est une formule qui devra garantir la qualité du diplôme donné. C'est à la croisée de tous ces critères qu'on va trouver la formule que je proposerai dans quelques jours. 

 GERARD LECLERC 
Le SNES-FSU souligne que les cours à distance, eh bien ça ne peut pas complètement remplacer les cours dans les lycées. A partir de là, ils demandent un allégement des programmes. Vous en pensez quoi ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, sur la première assertion, c'est tout à fait juste, les cours à distance ce n'est pas la même chose que les cours en présence. On est aujourd'hui beaucoup plus dans la consolidation des acquis, que donc de réels nouveaux apprentissages. Alors, cela dit, ce que tout le monde est en train de voir, c'est d'abord que la France est un pays qui a réussi le mieux son entrée dans l'enseignement à distance à l'occasion de cette crise, et notamment avec le dispositif « Ma classe à la maison », et puis avec nos environnements numériques de travail. Il y a eu des petites difficultés au début, sur le plan informatique, pour les environnements numériques de travail, parce qu'il y avait un certain nombre d'engorgements, mais maintenant ça marche. Et puis il y a des habitudes qui se prennent. Donc il y a des choses qui sont positives, y compris dans les relations entre les gens, les professeurs et les élèves, les professeurs et les parents aussi. Toute la société française se rend compte que professeur c'est vraiment un métier, que ce n''est vraiment pas facile d'être dans ce rôle à la maison. Donc tout ceci fait évoluer les mentalités, les techniques aussi, donc ça c'est l'aspect positif. Mais par contre il y a un aspect négatif, c'est que bien sûr on ne fait pas la même chose à distance que dans une classe. Donc c'est exact de dire qu'on doit prendre en considération cette réalité, pour notre manière de concevoir les différents examens, le baccalauréat mais aussi le brevet. Alors, je ne sais pas encore si ça passe par tel ou tel allègement, par exemple au baccalauréat de français, il peut y avoir peut-être un peu moins de textes à présenter, mais ce qui est important surtout c'est que l'on garantisse que la France ne va pas baisser son niveau. Vous savez que ma première priorité c'est quand même de hausser le niveau général des élèves, et je souhaite qu'on prenne en compte les réalités de la période actuelle, mais qu'on reste très attentif à la qualité de ce qui est transmis à nos élèves. 

GERARD LECLERC 
Alors, vous voulez donner plus de poids au contrôle continu, mais est-ce qu'il n'y a pas un risque d'inégalités ? Il y a des professeurs et des lycées qui notent plus sévèrement que d'autres. Est-ce qu'on ne risque pas d'avoir des bacs locaux plutôt qu'un bac national ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Non. Il faut évidemment faire attention à ce point, ce n'est pas, il y a des arguments pour dire ce que vous dites, mais vous savez, le contrôle continu ça existe déjà pour beaucoup de choses, c'est d'ailleurs une partie du brevet par exemple, certaines parties du baccalauréat, par exemple en éducation physique et sportive, le bac pro a une grande part de contrôle en cours de formation. A l'université, vous êtes noté beaucoup en fonction du contrôle continu dans vos travaux dirigés, et ça ne choque personne. Donc il faut qu'on s'habitue quand même à ce qu'une part de contrôle continu existe, ce qui d'ailleurs oblige à être peut-être plus attentif à la manière dont les établissements ont des politiques d'évaluation de leurs élèves. Ça aussi ça fait partie des choses qui évolueront dans le futur. Dans le nouveau baccalauréat, de toutes les façons, il y a 40 % de contrôle continu, et ça doit nous amener à objectiver du contrôle continu. Par exemple les élèves de première cette année, qui passaient des épreuves dans le cadre du contrôle continu, avaient des Commissions d'harmonisation, pour regarder à l'objectivité de la notation. Donc c'est ce type de dispositif que nous pourrons développer, pour nous assurer d'une certaine objectivité de ce contrôle continu. 

GERARD LECLERC 
Alors, vous l'avez évoqué brièvement tout à l'heure, est-ce que l'école à la maison, l'enseignement à distance, ne risque pas de creuser les inégalités ? C'est plus compliqué pour les élèves qui sont, disons, déjà un peu en difficulté, quand ils sont à l'école, les professeurs peuvent s'occuper davantage d'eux, quand ils sont tout seuls chez eux, en plus avec des milieux sociaux qui ne sont pas les mêmes, est-ce que tout cela ne risque pas de creuser gravement les inégalités ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Si, bien sûr. Il y a un grand risque, vous avez raison de le souligner, et c'est donc notre rôle que de venir compenser ce problème. 

GERARD LECLERC 
Et comment on peut compenser ? Comment on peut le compenser ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Nous faisons beaucoup de choses dans ce sens actuellement, que nous allons sans arrêt approfondir. Je vais vous donner plusieurs exemples. Premièrement, nous voulons faire un accord avec LA POSTE, qui va permettre à tout professeur d'envoyer, à partir de son ordinateur, un document imprimé, à un élève, qui par exemple n'a pas d'équipement numérique une qu'il n'a pas réussi à joindre autrement. Donc ça c'est une première mesure qui va avoir de l'impact pour aller chercher les élèves qu'on n'a pas pu avoir encore aujourd'hui.  On estime que c'est entre 5 et 8 % aujourd'hui, d'après nos premières évaluations d'élèves que nous avons en quelque perdus depuis deux semaines. Ensuite, deuxièmement, c'est l'équipement informatique, c'est-à-dire nous prenons des initiatives avec les collectivités locales, avec le monde associatif, pour qu'il y ait des distributions de tablettes, pour que le numérique arrive jusqu'à la maison. Ensuite, j'ai demandé aux chefs d'établissement qu'au travers des professeurs, notamment les professeurs principaux, et aussi les conseillers principaux d'éducation, eh bien les familles soient jointes, normalement une fois par semaine, et quand c'est une famille plus en difficulté, plusieurs fois par semaine, de façon à s'assurer qu'un suivi de l'enfant est fait, et que certaines explications sont données. Et puis enfin, il y a ce dispositif pendant les vacances, le soutien scolaire gratuit à distance. Et je développerai ça aussi a posteriori, pour que quand nous sortirons de cette crise, quand on reprendra tous une vie normale, cet été il y aura des colonies de vacances éducatives pour ceux qui le souhaitent, il y aura aussi des modules de soutien scolaire gratuits.  

GERARD LECLERC 
Et à quelle période ? Au début des vacances, au mois de juillet ou plutôt vers la fin ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors, le module de soutien scolaire gratuit, non, ça sera justement…ça peut être à plusieurs moments, ça reste encore à affiner, mais certainement en tout cas au moins pour la dernière semaine d'août, c'est-à-dire au moment où les élèves vont bientôt entrer à l'école, et où, puisqu'ils passent au niveau supérieur, il faut qu'ils aient leurs acquis bien consolidés. Donc c'est toujours très… on sait que c'est très pertinent de faire quelque chose à la fin du mois d'août, mais ça pourrait être aussi à certains autres moments, au début du mois de juillet. 

GERARD LECLERC 
Certains parents se plaignent d'une surcharge de travail pour les élèves, et de trop de pression sur les enfants.  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui, la première semaine on a eu, si vous voulez, un très grand élan, et c'est d'abord ça qu'il faut souligner, et je veux vraiment de nouveau remercier les professeurs et tous les personnels de l'Education nationale, et des chefs d'établissements par exemple, qui ont fait un travail exceptionnel. Ça a abouti parfois à ce qu'à certains endroits ce soit trop, à d'autres endroits pas assez, et donc dès la deuxième semaine on a un petit peu régulé ça. Je vois les recteurs en visioconférence tous les deux jours, pour faire cette régulation pédagogique, de façon à ce qu'on ne soit ni trop, ni pas assez, ce travail que l'on demande aux enfants, et puis qu'on puisse encore une fois à réussir à avoir tous les enfants dans ce que nous faisons. Donc oui, il y a ce problème, mais nous le voyons, et donc nous sommes en train de réguler cette question. 

GERARD LECLERC 
Alors, des problèmes on en découvre tous les jours, avec cette école à la maison, il y a les classes virtuelles, il y en a 120 000, et on dit qu'il y a, que s'est créé sur le sur Net des chaluts virtuels. C'est vrai ? Et qu'est-ce que vous faites ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui, je pense que malheureusement tous les bons et mauvais phénomènes de notre société se virtualisent quand on fait des procédés virtuels. Donc on a en effet ce phénomène, c'est-à-dire que c'est des élèves qui ont récupéré des adresses d'inscription dans une classe, et qui viennent, alors qu'ils n'appartiennent pas à cette classe, et qui chahutent, c'est-à-dire qu'ils écrivent des bêtises ou qu'ils… et donc nous avons fait un petit Vade-mecum pour les professeurs, qui est disponible justement sur le site de « Ma classe à la maison, pour qu'ils puissent évacuer un élève qui s'adonne à ce genre de chahut. 

GERARD LECLERC 
On termine avec le… Vous aviez promis qu'il n'y aurait pas de fermeture de classes en milieu rural, vous maintenez cet engagement ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Oui, vous savez que le président de la République s'était engagé l'année dernière à ce qu'il n'y ait pas de fermeture d'écoles en milieu rural, sans l'accord du maire. Comme nous sommes dans des circonstances exceptionnelles, que c'est normalement à cette saison que l'on annonce les fermetures et ouvertures de classes, mais je tiens à rappeler qu'à l'école primaire nous ouvrons plus de classes que nous en fermons, mais comme il y a des évolutions démographiques, là où il y a des baisses de nombre d'enfants, eh bien il arrive qu'on ferme des classes, c'est inévitable. Mais cette année, pour… dans ces circonstances très particulières dans lesquelles nous sommes, il nous est apparu vraiment impossible de pouvoir faire des fermetures de classes, alors même qu'on ne peut pas se voir, se rencontrer avec les maires, avec les équipes, pour expliquer pourquoi on prend telle ou telle décision. Donc, chaque fermeture dans une commune de moins de 5 000 habitants, de classes, je dis bien de classes, pas seulement d'écoles mais de classes, ne se réalisera qu'avec l'accord du maire, quand il y a l'évidence qu'il y a trop peu d'enfants pour maintenir une classe. Mais sinon, on les maintiendra, donc vraiment je confirme cette promesse, et dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants, on s'assurera que le solde ouverture/fermeture, parce qu'il y a souvent plus d'ouvertures que de fermetures, aboutit à une amélioration du taux d'encadrement. Ça veut dire qu'on a l'engagement que le taux d'encadrement dans chaque commune de France va s'améliorer à la rentrée prochaine. Je rappelle que depuis que nous sommes aux responsabilités, le taux d'encadrement à l'école primaire s'est amélioré, dans chaque département de France, rentrée après rentrée.  

GERARD LECLERC 
Merci Jean-Michel BLANQUER. Bonne journée. 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Merci à vous, très bonne journée.  

GERARD LECLERC 
Merci.   


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er avril 2020