Interview de M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, à France Info, le 29 mai 2020, sur le décrochage scolaire d'environ 4% des élèves en France et la déscolarisation à l'échelle européenne et mondiale.

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Média : France Info

Texte intégral

MATTEU MAESTRACCI 
Bonjour Renaud DELY. 

RENAUD DELY 
Bonjour Matteu. 

MATTEU MAESTRACCI  
Bonjour Jean-Michel BLANQUER. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Bonjour. 

MATTEU MAESTRACCI 
Merci d'être avec nous, Ministre de l'Education nationale. Edouard PHILIPPE a donc présenté hier la deuxième phase du déconfinement, elle commencera mardi, le 2 juin. Il a souligné que la situation sanitaire était bonne, meilleure même que prévu à cette date. Une série de réouvertures notamment des bars et restaurants en zone verte a été annoncée. Est-ce que c'est une libération ? Est-ce que ça signifie pour autant que l'épidémie est vaincue, Jean-Michel BLANQUER ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Non, elle n'est pas vaincue et nous savons bien qu'il faut avancer pas à pas et c'est ce que nous faisons en regardant de près les indicateurs sanitaires. Mais il est certain que nous franchissons maintenant une étape importante et où le mot-clé est quand même celui de liberté et ce n'est pas un petit mot et il faut s'en réjouir. 

MATTEU MAESTRACCI  
C'est un est un équilibre délicat à trouver pour vous, gouvernement, pour les élus, pour les commerçants, pour les citoyens eux-mêmes de retrouver cette liberté. En plus il fait beau presque partout, on a envie de sortir, on a envie d'en profiter. Mais le virus est encore là, il faut être libre en restant prudent. Voilà, c'est le casse-tête à respecter. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Tout à fait. Donc finalement libre et responsable parce qu'il y a d'une certaine façon, une bonne définition de la condition humaine, mais libre et responsable c'est ce que l'on doit être et ça doit reposer beaucoup plus sur le civisme que sur des aspects trop comminatoires.  

RENAUD DELY 
Parmi les nombreuses réouvertures, il y a certes les bars et les restaurants mais il y a aussi évidemment l'élargissement de la réouverture des établissements scolaires. Vous avez annoncé, on va y venir Jean-Michel BLANQUER, que les écoles et les collèges seraient rouverts dans l'ensemble du pays, que les lycées rouvriraient dans les zones vertes, qu'en zone orange seuls les lycées professionnels rouvriront. Surtout à quelle date… 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
En zone orange, les lycées généraux et technologiques ouvrent aussi simplement pour des accueils individuels et donc ils ouvrent moins fortement. 

RENAUD DELY 
Pour des entretiens individuels mais pas pour des cours. Il n'y aura pas de cours en classe pour l'instant en tout cas. Mais à quelle date précisément, Jean-Michel BLANQUER, rouvriront ces lycées ? Est-ce que tout sera prêt partout en France mardi, le 2 juin ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
L'objectif est celui-là. Après il peut y avoir des exceptions. Il peut y avoir par exemple des prérentrées avec uniquement les professeurs mardi. Il y a toutes sortes d'organisations. Donc à chaque fois c'est le lycée qui prévient la famille sur les modalités d'organisation, mais en tout cas c'est le début de la semaine prochaine qui, par principe, sonne le début de cette ouverture qui est de nouveau une ouverture progressive. Il faut le reconnaître. 

 RENAUD DELY 
Des proviseurs disent d'ores et déjà qu'ils ne seront pas prêts mardi prochain. Dans ces cas-là, ces réouvertures n'auront pas lieu dès mardi. Les lycées qui ne peuvent pas ne seront pas… 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
La plupart des proviseurs seront prêts puisque ça fait un mois que nous disons qu'il est fort possible que nous ouvrions le 2 juin. C'était une probabilité donc la plupart ont fait le travail. Il peut y avoir des exceptions mais dans la plupart des cas, vous aurez une prérentrée. Ça pourra se traduire parfois par le fait que les lycéens n'arriveront que le lendemain, le 3 juin, ou le surlendemain le 4, mais chaque lycée dira aux familles ce qu'il en est. 

MATTEU MAESTRACCI 
Une réouverture a minima, on l'a dit, dans les lycées généraux. Par exemple en Ile-de-France qui est encore en zone orange, il y aura des entretiens individuels. Les lycées pro vont rouvrir mais finalement, pour faire quoi, sachant qu'on est quand même très proche de l'été ? Comment est-ce qu'on va occuper, construire et remplir ces semaines à venir avec si peu de présence et de cours finalement ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Non mais il y a de quoi faire justement. C'est-à-dire d'abord les lycées professionnels, et je le dis depuis le début, sont une grande priorité puisque c'est là qu'on a constaté le plus fort taux de décrochage, et puis ensuite parce que beaucoup nécessitent justement un retour au lycée pour des certifications. C'est pourquoi la priorité est à la classe de Terminale et aux classes de CAP, pour des validations parfois de stage, pour des validations de tous ordres qui permettent d'avoir son bac pro ou d'avoir son CAP. 

RENAUD DELY 
Vous avez en revanche renoncé à organiser donc l'épreuve de français, l'oral de français à la fin de la classe de 1ère. Pour quelles raisons ? Pour des raisons sanitaires ? Pour des raisons d'équité entre les candidats ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui. C'est surtout pour des raisons d'équité qui avaient trait au fait que les candidats n'étaient pas en situation d'égalité suffisante dans la préparation de cet oral. Vous savez, je tenais beaucoup à ce que les élèves puissent être au travail jusqu'au bout, et je le souhaite encore, jusqu'au 4 juillet –n'oublions pas que les vacances, c'est le 4 juillet – et il me semblait que l'oral était une bonne motivation. Néanmoins pour les classes de 1ère qui vont rentrer tout au long du mois de juin, et il y en aura dans toute la France, il est important que le français soit particulièrement étudié, que les textes continuent à l'être d'autant plus que, vous le savez, dans le cadre de la réforme du baccalauréat l'oral a beaucoup d'importance. Et par ailleurs il y a des ponts à faire entre ces textes de français et la philosophie que feront les élèves l'an prochain. 

RENAUD DELY Donc là, c'est la note moyenne des deux premiers trimestres de ces élèves qui comptera comme notre du bac français. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Absolument. 

RENAUD DELY 
Et vous disiez travailler jusqu'au bout, les vacances ce n'est que le 4 juillet, mais il y a d'ores et déjà beaucoup d'établissements qui ont organisé, en tout cas certains, les conseils de classe du troisième trimestre. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Alors ça peut arriver mais l'objectif, c'est quand même de les organiser le plus tard possible. 

RENAUD DELY
 C'est ce que vous souhaitiez et tous ne l'ont pas fait visiblement. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui, c'est un peu hétérogène. Il peut y avoir des circonstances locales qui le justifient mais l'objectif, encore une fois, c'est de travailler le plus tard possible et c'est aussi finalement, dans ces circonstances particulières, chacun voit bien qu'il faut travailler en continu et que la note c'est une chose mais que, finalement, ce n'est pas ce qui compte le plus. Ce qui compte le plus, c'est ce qu'on a appris. Je crois que la période de confinement a été instructive de ce point de vue-là et que la situation actuelle est aussi intéressante. J'ai beaucoup de dialogue avec les élèves, par exemple les représentants des lycéens que j'ai vus dans le cadre du Conseil national de la vie lycéenne avant-hier, pour finalement prendre la décision sur l'oral de français. Ce qui est intéressant, c'est de voir comment beaucoup ont intégré l'idée que d'abord on travaille pour soi, on ne travaille pas pour la note. Et beaucoup doivent travailler actuellement pour tout simplement être au bon niveau l'an prochain dans la classe supérieure dans laquelle ils se trouveront. 

MATTEU MAESTRACCI  
On parlera évidemment des décrocheurs dans quelques instants, mais un mot des collèges. Si on a bien compris, les élèves de 4ème et 3ème de zone orange, c'est-à-dire l'Ile-de-France, Mayotte, la Guyane, ils ne retourneront pas en classe avant septembre ; c'est ce qu'il faut comprendre ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Non. Enfin, chaque cas est particulier donc un collège qui peut, en respectant les règles sanitaires, commencer à faire rentrer les 4ème et 3ème, le pourra en discussion avec le rectorat mais ça reste possible et notre objectif, c'est que tout élève de collège, même en zone orange, ait de nouveau eu un contact avec son collège physique et peut retourner au collège pour des entretiens individuels là aussi avant le départ en vacances. Donc nous ne voulons qu'il n'y ait aucun élève, que ce soit au collège ou au lycée et bien entendu a fortiori à l'école primaire, qui se retrouve en situation d'être sans lien physique avec l'école entre le mois de mars et le mois de septembre. 

MATTEU MAESTRACCI 
Et pour en revenir à la question, pour reposer la question de Renaud DELY tout à l'heure, les chefs d'établissement, lycée, qui vous disent là pour mardi 2 juin c'est trop juste, vous les entendez ? Vous les écoutez et vous leur permettez de s'adapter ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui, bien sûr. Vous savez, depuis le début du confinement et du déconfinement, nous avons une philosophie de pragmatisme, de souplesse pour tenir compte de réalités locales. Pour les écoles, nous avions accepté que par exemple certaines n'ouvrent pas dès le 11 mai ou même dès le 12 mai ; certaines ont ouvert le 18 mai. Nous faisons pareil pour les lycées, pour tenir compte des circonstances. Ce sera moins le cas pour les lycées puisqu'il y a eu plus de temps de préparation de cette réouverture depuis le début du mois de mai. (…) 

RENAUD DELY 
Jean-Michel BLANQUER, il y a les annonces de réouverture progressive et plus large, et puis il y a la réalité du terrain, souvent les capacités d'accueil des établissements. Vous avez annoncé que l'ensemble des écoles, 100 % des écoles seraient rouvertes la semaine prochaine et que d'ores et déjà, je crois, plus de 80 % selon vous sont d'ores et déjà ouvertes dans le pays. Mais de nombreux témoignages de parents qui veulent mettre leurs enfants à l'école, qui sont volontaires nous reviennent selon lesquels il n'y a pas de place, on ne peut pas accueillir leurs enfants.  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui, ça n'est pas contradictoire. Nous n'avons jamais dit que ce serait 100 % des élèves qui seraient accueillis tous les jours ; ça, nous savons bien que c'est impossible au mois de mai et au mois de juin. 

RENAUD DELY 
Mais la règle, c'était le volontariat et là il y a des parents volontaires qui se heurtent à un refus. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Bien sûr, je le sais bien. Encore une fois, le mois de mai et le mois de juin sont anormaux - nous le savons tous - et donc on ne peut pas s'étonner de ce qui arrive. Ce qui est important, c'est le progrès jour après jour. Vous savez, reportez-vous à ce qui a été dit il y a trois semaines. Il y a trois semaines, on me disait : c'est impossible, vous n'ouvrirez pas. Beaucoup me reprochaient même le simple fait de rouvrir. Il a fallu beaucoup lutter. Souvenez-vous des pétitions que j'ai eues pour m'empêcher d'ouvrir. Certaines communes affirmaient qu'elles n'ouvriraient pas. Madame HIDALGO avait signé une pétition comme ça, finalement elle ouvre, c'est un peu laborieux puisqu'il n'y a pas toujours les personnels municipaux non plus. A Paris, c'est plus difficile qu'ailleurs, je le note d'ailleurs. 

RENAUD DELY 
Pourquoi c'est plus difficile à Paris qu'ailleurs ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Parce qu'il n'y a pas la mobilisation de tous les personnels municipaux dans beaucoup de cas, et donc il y a parfois même des informations qui sont données aux parents pour leur recommander de ne pas envoyer leurs enfants. Evidemment je lutte contre cela. 

RENAUD DELY 
C'est de la responsabilité de Madame HIDALGO ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Là en l'occurrence à Paris, oui, je crois. C'est la maire que je sache. Donc vous avez des situations qui sont différentes d'un endroit à l'autre. Mais si je prends par exemple la Dordogne ou Bordeaux en région verte, vous avez plus de la moitié des élèves qui vont en classe. 

RENAUD DELY 
Mais qu'est-ce que vous dites aux parents qui ne réussissent pas aujourd'hui à renvoyer leurs enfants à l'école alors qu'ils le souhaiteraient ? Et est-ce que vous invitez les chefs d'établissement, qu'il s'agisse des écoles primaires ou des collèges à partir de la semaine prochaine en particulier, à organiser des roulements de classe de façon à ce que tous les élèves aillent au moins une fois ou deux fois par semaine à l'école ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui, voilà, c'est ça l'objectif. C'est d'avoir au moins des rotations et de permettre aux élèves d'être dans une sorte de mi-temps à l'école, au collège en l'occurrence, mais nous organisons aussi parfois des temps d'étude donc lorsque les parents travaillent. Vous pouvez très bien avoir un élève qui est à la fois en petit groupe au collège avec de vraies classes ; ensuite il peut être en temps d'étude. Il peut être aussi, cet élève, dans le système 2S2C que nous commençons à développer avec les communes : sport-santé et culture-civisme, cela veut dire. Autrement dit des activités sportives et culturelles qui correspondent justement à des progrès que nous voulons pour l'école, autrement dit la possibilité d'avoir pour les enfants, surtout en cette sortie de confinement, des activités d'épanouissement.  

MATTEU MAESTRACCI 
Justement ce dispositif doit être organisé par les mairies avec du personnel communal, avec le soutien financier de l'Etat sauf que peu de communes pour l'instant l'ont mis en oeuvre. Est-ce que le ministère ne se - passez-moi l'expression - décharge pas un peu sur les communes faute justement d'un accueil suffisant en classe, ce dont on parlait à l'instant ? Une capacité d'accueil suffisante ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Ce n'est pas du tout que l'on se décharge, c'est au contraire un travail de partenariat et c'est donc une convention à chaque fois entre la commune et l'Education nationale. Comme vous le disiez, il y a un soutien financier de l'Etat. Il y a aussi parfois des personnels et de l'Education nationale et de la commune donc c'est vraiment un travail de partenariat. Vous avez des villes, par exemple Vincennes à côté de Paris, qui ont commencé à le faire très bien. Là aussi c'est pareil, je ne dis pas que ça existe partout du jour au lendemain. Enfin il faut se rendre compte de là d'où nous venons, nous repartons de zéro. Si je compare à ce qui se passe dans les pays européens voisins, nous sommes un pays qui est parmi ceux qui réussissent le plus le déconfinement quantitativement. Mais je dis depuis le début que c'est un travail très difficile que de revenir à la normale. C'est la première fois dans son Histoire que l'Education nationale a à faire une chose pareille.  

MATTEU MAESTRACCI 
Sur l'accueil à l'école, on en parlait, il y a des parents qui ne veulent pas remettre leurs enfants. C'est leur droit, ils n'y retourneront pas avant l'été. Il y a ceux qui sont volontaires, qui ne peuvent pas parce qu'on leur dit : votre profession ou le niveau de votre enfant n'est pas prioritaire ; il y a ceux qui vont faire deux demi-journées par semaine. Est-ce qu'on peut imaginer que ce protocole d'accueil, que cet accueil s'amplifie dans les semaines à venir et comment faire pour l'amplifier avec ce protocole sanitaire tel qu'il est en place actuellement ? Est-ce qu'il faut imaginer l'alléger ou l'assouplir, ce protocole ? C'est un vrai casse-tête. 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Alors il est exact de dire que c'est le protocole sanitaire qui nous empêche d'accueillir tous les enfants à la fois, bien entendu. Mais en même temps, ce protocole sanitaire il était indispensable et il l'est encore au mois de juin pour les raisons que vous avez dites en commençant cet entretien. C'est-à-dire que nous pilotons la sortie de la situation épidémique et ça suppose qu'on fasse très attention au respect des gestes barrières, au fait qu'il y ait des petits groupes etc. Donc je pense que chacun peut comprendre en responsabilité que nous sommes dans un équilibre entre notre volonté d'avoir les enfants qui retournent à l'école et, en même temps, d'avoir ces garanties de santé. Donc c'est cela la situation.  

RENAUD DELY  
Il n'est pas question d'alléger ce protocole sanitaire même si la situation sanitaire est meilleure que prévu comme le disait Edouard PHILIPPE. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Si nous l'allégeons, ce sera pour la rentrée de septembre puisque, vous savez, il a été établi il y a trois semaines - je sais qu'aujourd'hui trois semaines, c'est un siècle puisqu'encore une fois, souvenons-nous des débats d'il y a trois semaines, le type de reproche qui était fait lorsque je parlais d'ouverture des écoles - donc j'entends qu'il y a trois semaines on me reprochait de vouloir rouvrir les écoles, que maintenant on me dit que ça ne va pas assez vite, pas assez loin. Nous avançons et ce que je dis, c'est que le mois de mai a été un mois d'amorce avec forcément des imperfections, et que le mois de juin est un mois de consolidation. Et le but, c'est que tous les enfants soient scolarisés. Donc nous travaillons au cas par cas, je sais qu'il y a des situations qui sont anormales : je les vois, j'y travaille tous les jours mais nous allons les normaliser au fur et à mesure du mois de juin. Et moi je comprends les parents qui parfois sont un peu frustrés de ne pas pouvoir voir les enfants à l'école ; il y a aussi les professeurs qui font un travail remarquable en ce moment pour cela, les maires aussi. Il peut y avoir des exceptions à ce que je suis en train de dire. 

MATTEU MAESTRACCI  
Concrètement Jean-Michel BLANQUER, vous dites ce matin sur Franceinfo que d'ici au 4 juillet, date officielle des grandes vacances scolaires, le protocole d'accueil dans les écoles ne va pas changer. On va rester à des demi-groupes, des groupes de quinze élèves maximum, personnels masqués, distance physique, gel hydroalcoolique etc.  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui, bien sûr et c'est tout à fait normal. Nous sommes encore en situation épidémique, il faut rester rigoureux en matière de respect des règles sanitaires. C'est aussi de nature à rassurer les parents puisqu'un de nos défis, c'est aussi de faire venir les enfants à l'école. Il y a deux situations symétriques, vous l'avez dit. C'est-à-dire d'une part des parents qui voudraient envoyer leurs enfants, et parfois c'est difficile, et de l'autre des places qui existent et des parents qui n'envoient pas leurs enfants. L'exemple typique, c'est les CP, CE1 à douze en réseau d'éducation prioritaire. Ça concerne 300 000 enfants et un des grands défis que nous avons maintenant, c'est de faire venir les enfants concernés en classe parce que c'est leur intérêt d'aller à l'école. Tout mon discours consiste à dire que l'école, c'est indispensable pour les enfants, a fortiori quand ils sont de milieux défavorisés. 

RENAUD DELY 
C'est indispensable mais pour l'instant, c'est sur la base du volontariat des parents. Ça, il n'est pas question au mois de juin de remettre en cause la question du volontariat des parents. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Mai et juin sont des situations exceptionnelles. Encore une fois, le déconfinement est quelque chose hors du commun. Le volontariat ne signifie pas que l'instruction n'est pas obligatoire : l'instruction est obligatoire. Ça signifie que quand un enfant n'est pas à l'école physiquement, c'est l'enseignement à distance qui doit se réaliser et donc c'est ce que nous nous efforçons de faire avec ces enfants. Maintenant il y a du décrochage scolaire, c'est-à-dire des familles qui ne donnent pas de nouvelles, des enfants qui ne viennent pas et c'est tout notre travail avec les assistantes sociales, avec les professeurs aussi qui se donnent à cela, les chefs d'établissements d'appeler les familles et de convaincre de renvoyer les élèves. 

RENAUD DELY
 En septembre le retour à l'école sera obligatoire ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Bien entendu, bien entendu. Nous allons travailler aussi, et en fonction de l'évolution de la situation épidémique, à un allègement du protocole sanitaire. Et puis je lance une grande concertation au mois de juin avec les parents, les organisations représentatives, les élus mais aussi les élèves pour réfléchir à cette façon d'organiser la rentrée de septembre, pour que là cette fois évidemment tous les élèves puissent aller à l'école.  

MATTEU MAESTRACCI 
Un élève décrocheur qui ne serait pas revenu en classe, qui aura donc passé cet été près de six mois sans école, ce serait un échec de l'Education nationale ? Ce serait un échec des parents ? Ce serait de leur responsabilité ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Vous savez, chaque enfant qui ne va pas à l'école dans les jours d'école, c'est un échec, et chaque enfant qui va à l'école, c'est une réussite. Et c'est un principe qui vaut hors crise, qui vaut encore plus en crise. Là le problème que vous évoquez, c'est un problème qui n'est pas français : c'est un problème mondial. Il faut se rendre compte de la dimension catastrophique de la déscolarisation de dizaines de millions d'enfants dans le monde entier et même de centaines de millions. C'est un sujet qui me préoccupe même à une échelle européenne et mondiale. Il ne faut pas avoir les yeux centrés uniquement sur nous car ça prépare d'éventuelles catastrophes futures quant au décrochage tout simplement de la société. Donc j'y suis très attentif, y compris dans le cadre européen et dans le cadre mondial. Et dans le cadre français nous avons fait plutôt mieux que les autres pays, mais néanmoins avec beaucoup de problèmes, et j'y suis donc très attentif et je ne minimise pas ce sujet-là. (…) 

RENAUD DELY 
Vous évoquiez à l'instant le sort des décrocheurs qui est évidemment un drame, de ces élèves décrocheurs Jean-Michel BLANQUER. On sait que l'enseignement à distance n'a pas permis de maintenir le contact avec tous les élèves. Vous dites que la France a plutôt fait mieux que d'autres mais quelle est votre évaluation en France ? Quelle est la proportion d'élèves dont les enseignants ont perdu le contact au cours de cette période ? Et est-ce que pour ces élèves-là, vous prévoyez des dispositifs particuliers d'aide, de soutien pendant l'été ou en septembre ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Oui, beaucoup d'éléments dans votre question. D'abord l'enseignement à distance a été plutôt mieux réussi en France qu'ailleurs parce que nous avons une institution nationale, le CNED. Nous nous préparions depuis deux ans à ce type de crise, c'est-à-dire à un système d'enseignement à distance et le système Ma classe à la maison a regroupé 2,8 millions foyers. 

RENAUD DELY 
Mais vous avez perdu contact avec combien d'élèves ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Les professeurs ont été très mobilisés aussi. Nous avons perdu le contact avec, nous calculons, 4 %. C'était 8 % au début du confinement, 4 % à la fin ; ça fait environ 500 000 élèves. C'est beaucoup. Nos voisins parfois font plus de 10 % ou 15 % de décrochage. Donc on a, d'après les premières évaluations qu'on a qu'il va falloir consolider dans certains endroits, c'est beaucoup plus que 4 %. Parfois on me dit : 4 %, vous sous-estimez mais c'est parce qu'effectivement dans tel territoire ça va être 20 % ou 30 %. Dans le domaine des lycées professionnels, c'est plus que 4 % ; parfois à l'école primaire c'est 1 % dans certaines zones. Donc en moyenne, ça fait 4 %, 500 000 élèves c'est beaucoup sur nos 12 millions et demi d'élèves.  

RENAUD DELY 
Il y a des territoires prioritaires pour vous aujourd'hui pour ces élèves, là où ça atteint 15 ou 20 %.  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Bien sûr. Ça coïncide avec les territoires les plus défavorisés, d'où l'urgence de réouvrir les collèges par exemple dans la zone qu'on appelait rouge jusqu'à hier et orange aujourd'hui. Nous avons une urgence sociale de ce point de vue-là. Et alors pour l'autre aspect de votre question, oui, il y aura du rattrapage scolaire aussi tout au long de l'année prochaine mais même pendant les vacances. Nous allons organiser du soutien scolaire gratuit et aussi ce qu'on appelle les vacances apprenantes, c'est-à-dire une série de dispositifs qui vont permettre d'organiser les choses. On va aussi organiser quelque chose qu'on appelle Un été pro pour que des lycées professionnels puissent être ouverts cet été pour des ateliers.  

MATTEU MAESTRACCI 
Vous avez salué la mobilisation des enseignants, vous venez de le refaire d'ailleurs sur les décrocheurs. On sait que le personnel soignant a également été salué ; ils en ont profité pour dire au président : mais attendez, ça fait des mois et des années que nous sommes en crise donc on leur a promis une revalorisation salariale. On sait que c'était en discussion aussi pour les enseignants, rapport à la réforme à venir des retraites qui pour l'instant est suspendue. Est-ce que vous avez l'intention d'augmenter les enseignants bientôt en France ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER
 Il y a déjà une augmentation de la rémunération qui est prévue pour 2021. Nous y travaillons actuellement dans le cadre de la préparation du budget. Je vais reprendre les négociations aussi sur ce sujet-là avec les organisations syndicales. Nous savons que nous avons un problème de rémunération des professeurs en France, d'attractivité du métier et c'est particulièrement vrai pour les plus jeunes. Donc je vais évidemment continuer les efforts dans ce sens et ça va se voir dès 2021. 

RENAUD DELY 
Tout ce qui était prévu dans le cadre des discussions liées à la réforme des retraites est maintenu pour les enseignants en termes de revalorisation ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Evidemment il y avait certaines corrélations. Il y avait des choses qui étaient dépendantes de la réforme des retraites et puis d'autres qui étaient indépendantes de la réforme des retraites. 

RENAUD DELY 
Comme la réforme est enterrée… 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
On doit reprendre les discussions pour avancer mais le constat reste toujours le même. Nous avons besoin d'augmenter cela. Vous savez, la fonction de professeur elle est fondamentale dans la société et je crois que tout le monde s'en est bien rendu compte pendant la période de confinement. On a bien vu que c'était un métier, que c'était d'ailleurs un métier difficile, et qu'une société qui prépare son avenir de façon moderne doit valoriser ses professeurs. C'est une conviction que j'ai depuis fort longtemps. Et qui n'est pas toujours facile ensuite à développer dans ses conséquences concrètes, mais c'est ce que nous faisons.  

RENAUD DELY 
Le premier objectif, c'était 500 millions dès le budget 2021 ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Tout à fait. 

RENAUD DELY 
C'est maintenu ça ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Vous savez le budget, par définition, il est voté par la représentation nationale à la fin de l'année, donc tant que ça n'est pas fait, ça n'est pas fait. Mais en tout cas, c'est mon hypothèse de travail aujourd'hui. 

MATTEU MAESTRACCI  
Le chômage a fait un bond record de 22 % au mois d'avril, 840 000 chômeurs de plus en un mois, c'est du jamais vu. On parlait justement du budget, de la situation du marché du travail, de l'attractivité. Les jeunes qui vont arriver sur ce marché du travail, pour eux la situation économique liée à cette crise du Coronavirus va être très difficile et on entend beaucoup notamment de restaurateurs ou de professionnels du spectacle qui nous disent encore ce matin sur Franceinfo : on a été soutenu pendant, il faut qu'on soit soutenu maintenant et après qu'on accompagne notre activité. Est-ce qu'on va vers une génération sacrifiée ou est-ce qu'on peut imaginer qu'il y ait un dispositif spécifique d'accompagnement maintenant et à l'avenir ? 

JEAN-MICHEL BLANQUER  
Nous allons devant une situation économique qui va être très dure, nous le savons tous, et là aussi, c'est vrai, à une échelle mondiale. Il ne faut pas que la jeunesse soit sacrifiée. Vous savez, je suis aussi ministre de la Jeunesse en plus de ministre de l'Education nationale. Ça signifie qu'il y a toute une série de dispositifs que l'on prendra dans les temps à venir pour accompagner cette génération. Il ne faut pas qu'elle se sente sacrifiée. C'est vrai par exemple pour l'apprentissage où avec Muriel PENICAUD on doit travailler sur le fait de soutenir justement le monde de l'entreprise pour qu'il puisse y avoir le plus d'apprentis possible qui rentre sur le marché du travail. 

RENAUD DELY 
Des primes à l'embauche des jeunes ?  

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Ce n'est pas à moi de vous faire ce type d'annonce aujourd'hui, mais en tout cas il faut avoir évidemment une vision de ce qui arrive à nos jeunes aujourd'hui, que ce soient ceux qui vont avoir le baccalauréat, ceux qui vont sortir des études supérieures, ceux qui doivent rentrer en apprentissage, ceux qui sont en lycée professionnel et qui ont besoin de stages alors même que le tissu économique est fragilisé par ce qui s'est passé. Nous devons évidemment avoir une approche très unie, très solidaire de ça.  

RENAUD DELY 
Mais il y a une urgence, il va y avoir une urgence dès l'automne, dès la fin de l'année. 

JEAN-MICHEL BLANQUER
 Bien sûr. Je vous dis, nous sommes très conscients du sujet, nous y travaillons, c'est interministériel et l'objectif… Vous savez, sur ce sujet comme sur tous les autres, on y arrivera parce qu'on sera un pays uni, parce qu'on prend des mesures qui tout simplement nous unissent, par exemple avec les collectivités territoriales de façon à prendre en compte notamment notre jeunesse. Vous savez, tout ce qu'on a fait c'était beaucoup pour protéger les plus fragiles de notre société, notamment les plus âgés au travers du risque. Maintenant il faut que cette société soit très concentrée sur sa jeunesse pour lui préparer un avenir et pour préparer donc l'avenir du pays. 

MATTEU MAESTRACCI 
Merci Jean-Michel BLANQUER d'être venu en studio ce matin à Francinfo. 

JEAN-MICHEL BLANQUER 
Merci à vous.  


Source : Service d'information du Gouvernement, le 2 juin 2020