Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur l'évaluation des politiques publiques en matière d'accès à l'IVG.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement, avant que celui ne réponde à vos questions.
(…)
M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.
M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Il y a quarante-cinq ans, ici même, dans cet hémicycle, notre pays faisait un choix que l'on peut qualifier d'historique. Le droit à l'IVG restera un emblème des grands combats menés par le ministère de la santé. Il s'agissait de mettre un terme aux avortements clandestins qui avaient coûté tant de vies et de faire faire un progrès indéniable aux droits des femmes. Qui se souvient aujourd'hui de ces cintres devenus le symbole de la clandestinité ? Qui se rappelle les difficultés atroces que rencontraient un grand nombre de femmes contraintes d'aller avorter à l'étranger ? Je n'étais pas né,…
M. Maxime Minot. Moi non plus !
M. Olivier Véran, ministre. …mais les livres d'histoire le disent. Qu'il me soit donc permis de remercier ceux qui, au quotidien, rendent possible l'exercice de ce droit. Ils font de la loi ce qu'elle est fondamentalement : un droit au service des femmes, celui de disposer de son corps. Nous avons tous en mémoire les mots de Simone Veil à la tribune de l'Assemblée, nous avons tous à l'esprit la violence des attaques qu'elle a affrontées avec un courage exceptionnel. La loi du 17 janvier 1975, dite loi Veil, a quarante-cinq ans ; nous devons toutefois rester très vigilants car le droit à l'avortement est remis en cause dans de nombreux pays où il passait jusque-là pour définitivement acquis. Les menaces grandissent. Il faut nous mobiliser : comment ne pas voir le lien entre certaines tendances autoritaires et le refus du droit à l'avortement ? Même au sein de certaines démocraties, des recul doivent nous alerter ; je pense aux États-Unis ou encore, plus près de nous, à la Hongrie et à la Pologne. En France, en janvier 2020, une campagne anti-IVG a eu droit de cité dans les espaces publicitaires du métro parisien.
M. Maxime Minot. C'est une honte !
M. Olivier Véran, ministre. Ses promoteurs osaient afficher que revenir quarante-cinq ans en arrière constituerait un progrès pour la société.
M. Maxime Minot. Quelle horreur !
M. Olivier Véran, ministre. Je n'oublie pas non plus les contre-vérités, les discours tendant à culpabiliser les femmes et qui circulent à grande vitesse, notamment sur les réseaux sociaux. Je le dis comme je le pense : semer le trouble, aiguiser les doutes, harceler celles qui réfléchissent, ou qui ont pris leur décision, c'est insupportable. Dois-je mentionner les rassemblements réguliers qui, aujourd'hui encore, visent à dissuader les femmes de recourir à l'avortement ? On pourrait se contenter d'y voir un naturalisme paroxystique ou des simagrées un peu ridicules, mais ils témoignent de quelque chose de bien plus grave : une forme de rétablissement de l'emprise sur le corps des femmes, car le droit à l'avortement, c'est résolument celui des femmes à disposer de leur corps.
En 2018, 224 300 IVG ont été réalisées en France. Depuis 2001, leur nombre varie de 215 000 à 230 000 selon les années : il est donc relativement stable, ce qui va à l'encontre des idées reçues selon lesquelles l'avortement serait devenu un moyen de contraception comme un autre. Bien entendu, la crise sanitaire que nous venons de traverser, et dont nous ne sommes pas complètement sortis, n'a pas été sans conséquences sur l'exercice du droit à l'avortement, mais tout a été fait pour que ce droit demeure effectif et puisse être exercé dans les meilleures conditions. Le covid-19 n'a pas remis en cause nos valeurs les plus fondamentales.
Encore une fois, tout a été fait pour faciliter l'accès à l'IVG dans les délais. Les mesures nécessaires ont été prises pour préserver les femmes du covid-19 dans des circuits spécifiques et pour maintenir une prise en charge de qualité des IVG tout en ménageant les ressources hospitalières. Je pense à la priorité donnée aux IVG médicamenteuses en ville ou à domicile, que j'ai étendue jusqu'à neuf semaines d'aménorrhée au lieu de sept en temps normal. Les médecins généralistes et gynécologues, les sages-femmes de ville, les plannings familiaux se sont mobilisés de manière remarquable, notamment pour toute patiente présentant des difficultés psychosociales.
Alors que 5 % des avortements ont lieu durant les deux dernières semaines du délai légal, c'est-à-dire entre la douzième et la quatorzième semaine d'aménorrhée, entre la dixième et la douzième semaine de grossesse, nous avons développé des accompagnements particuliers pour ces IVG tardives ; des équipes spécialisées en assuraient la coordination. Toujours dans le but de garantir l'accès à l'IVG durant le confinement, la téléconsultation a fait la preuve de sa pertinence : elle a servi à mener certaines voire toutes les consultations qui structurent le parcours d'IVG médicamenteuse. Je le répète, nous avons alors autorisé les téléconsultations pré-abortive et post-abortive, mais aussi la distribution dématérialisée de la pilule abortive par envoi de l'ordonnance. Les femmes qui avaient besoin d'avorter ou qui souhaitaient avorter ont ainsi pu le faire sans devoir à aucun moment se rendre dans un cabinet médical. Le circuit du médicament a été aménagé pour leur permettre de se procurer les pilules abortives directement en pharmacie.
En ce qui concerne les délais, je sais que certains voulaient aller plus loin en période de crise, au motif légitime que les circonstances rendaient plus difficile le respect du délai légal.
M. Maxime Minot. Exactement !
M. Olivier Véran, ministre. J'entends cet argument et c'est pourquoi nous avons fait évoluer le délai pour l'IVG médicamenteuse à domicile, après avis de la Haute Autorité de santé.
M. Maxime Minot. Ce n'est pas suffisant !
M. Olivier Véran, ministre. La question du délai légal, c'est-à-dire de la date limite pour réaliser un avortement, ne pouvait pas se traiter au détour d'un amendement, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi, pêle-mêle avec des mesures portant sur le chômage partiel ou sur le Brexit.
Mme Elsa Faucillon. C'est pour cela que nous voulions adopter une mesure temporaire !
M. Olivier Véran, ministre. Encore une fois, madame Faucillon, j'entends ces arguments ; je ne suis pas fermé au débat,…
M. Pierre Dharréville. Cela n'a pas toujours été le cas !
M. Olivier Véran, ministre. …mais il doit avoir lieu devant les deux chambres.
Mme Elsa Faucillon. Le Sénat a rejeté la mesure !
M. Olivier Véran, ministre. Qui peut croire qu'une fois l'urgence passée, nous serions revenus sur ce délai en un claquement de doigts, sous prétexte, précisément, qu'elle était passée ?
Mme Sylvie Tolmont. L'urgence, c'est maintenant !
Mme Elsa Faucillon. C'est pour cela que nous souhaitions une mesure temporaire !
M. Xavier Breton. L'urgence sanitaire n'aurait été qu'un prétexte !
M. Olivier Véran, ministre. Il aurait été extrêmement compliqué de revenir sur cette mesure. Ne confondons pas le nécessaire ajustement des dispositifs en période de crise, alors que les services et les professionnels de santé sont soumis à des tensions particulières, avec le changement de régime d'une pratique qui aurait certainement beaucoup à perdre si elle n'était pas envisagée dans le cadre d'un débat démocratique, respectueux de toutes les sensibilités. D'autres auraient pu vous dire qu'ils étaient opposés à cette mesure : je ne dis rien de tel. Seulement, j'ai consulté des gynécologues, des plannings familiaux, des médecins militants qui réalisent des IVG, des sages-femmes, des associations en grand nombre. Je n'ai pas attendu la crise pour le faire ; le sujet me sollicite depuis longtemps. L'extension du délai de l'IVG est matière à débat, dont acte. Dans ce cas, le Parlement est libre de débattre.
M. Maxime Minot. Alors débattons !
M. Olivier Véran, ministre. Je n'ai pas vocation à clore ou à empêcher un débat sur ces questions : au nom de quoi le ferais-je ?
Mme Elsa Faucillon. Appelez Richard Ferrand, et nous pourrons en débattre dès demain !
M. Maxime Minot. Exactement, madame Faucillon !
M. Olivier Véran, ministre. Dans le cadre d'un texte portant sur l'état d'urgence sanitaire, au détour d'un amendement sénatorial, il était très compliqué de ne pas raboter le débat démocratique.
Mme Elsa Faucillon. C'est une blague !
M. Olivier Véran, ministre. Néanmoins, j'ai demandé une évaluation des mesures dérogatoires prises au sujet de l'IVG durant la crise sanitaire ; je saisirai de nouveau la Haute Autorité de santé afin de pérenniser celles dont l'efficacité et la nécessité auraient été démontrées, notamment la télémédecine ou l'allongement du délai de réalisation des IVG médicamenteuses à domicile. C'est important. Par ailleurs, je me suis prononcé en faveur de la reconnaissance du confinement comme motif psychosocial de recours à l'IMG, l'interruption médicale de grossesse. Si votre motivation, et que je crois sincère,…
Mme Elsa Faucillon. J'espère bien !
M. Olivier Véran, ministre. …est de s'assurer qu'aucune femme ne poursuivra une grossesse non désirée faute d'avoir pu bénéficier d'une IVG dans les conditions normales, et ce, en raison du confinement, allonger le délai de deux semaines ne résoudra pas le problème dans la majorité des cas qui pourraient être observés.
Mme Elsa Faucillon. Si !
M. Olivier Véran, ministre. Non. Augmenter le délai de deux semaines ne résoudra pas le problème.
Mme Elsa Faucillon. Il fallait le faire il y a quinze jours, alors ! Il y a trois semaines que nous vous l'avons demandé !
M. Olivier Véran, ministre. En revanche, il est possible de faciliter à titre dérogatoire l'accès à l'IMG.
M. Stéphane Peu. C'est ce que demandent tous les médecins !
M. le président. Chers collègues, je vous en prie ! Écoutez le ministre.
M. Olivier Véran, ministre. L'IMG n'est pas contrainte par le délai de douze semaines de grossesse. Il existe un risque psychosocial lié au confinement : la détresse, l'impossibilité matérielle de réaliser une IVG. Les gynécologues, les associations que j'ai interrogés me l'ont dit : cette mesure est de nature à remédier aux situations les plus problématiques. Encore une fois, vous êtes entièrement libres de débattre de l'extension du délai. Je suis tout sauf fermé sur les questions sociétales,…
Mme Elsa Faucillon. Avez-vous remarqué que nous faisons partie de l'opposition ? Le débat de ce soir est le seul moyen que nous ayons trouvé d'aborder cette question !
M. Olivier Véran, ministre. …et nonobstant le fait que l'amendement touchant à ce sujet n'a pu être inscrit dans la loi, mon ministère a pris les mesures permettant réellement l'accès à l'IVG avec une réactivité pour laquelle je remercie à la fois la Haute Autorité de santé et l'ensemble des administrations sanitaires qui sont intervenues sur ce point.
M. le président. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes sans droit de réplique.
La parole est à M. Pierre Dharréville.
M. Pierre Dharréville. Il semble, monsieur le ministre, que vous ayez été moins précautionneux pour certains sujets qui réclamaient pourtant un traitement d'urgence, notamment celui des moyens consacrés à garantir le droit à l'avortement, le droit de disposer librement de son corps. Nous avons besoin d'évaluer les politiques publiques en la matière. L'avortement ne doit pas être un sujet dont on ne parle pas, ou simplement en murmurant. Il faut au contraire en parler pour ce qu'il est : avorter sera toujours un choix complexe, douloureux, que nul ne songe à banaliser. C'est une raison de plus pour insister sur la qualité de l'accompagnement humain, qui suppose de porter une attention redoublée au maillage territorial des centres IVG. La succession des rendez-vous médicaux ressemble parfois à une course d'obstacles. Pour avorter, il faut bien un choix, une volonté, une décision, mais la multiplication des sites de détournement, qui trompent les femmes et les couples en quête d'informations, appelle une action vigoureuse.
Quelles sont les pistes envisagées par le Gouvernement pour mieux accompagner les femmes tout au long de leur parcours, depuis l'information à l'acte et à ses suites ? (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État auprès du ministre des solidarités et de la santé. Permettez-moi de m'associer à vos propos. Votre question en comporte plusieurs, concernant les difficultés d'accéder à l'IVG et de respecter le calendrier des différents rendez-vous médicaux. Rappelons que les sages-femmes ont été autorisées, depuis peu, à pratiquer des IVG par voie médicamenteuse. On ne le dit pas suffisamment mais cette possibilité représente un moyen supplémentaire d'accéder à l'IVG. Or seules 3 % des sages-femmes libérales réalisent aujourd'hui des IVG. Il est indispensable d'informer les femmes de la prise en charge possible par ces professionnels de santé. C'est une réponse à votre première question concernant l'attention portée au maillage territorial.
Vous soulevez par ailleurs le problème des sites qui font de la propagande sur les réseaux sociaux pour faire peur, pour intimider les femmes, les décourager de recourir à l'IVG. Au ministère des solidarités et de la santé nous surveillons l'activité des réseaux et veillons en particulier à ce que le site du ministère, en lien avec la page consacrée à l'IVG, soit bien référencé et soit le premier à apparaître à l'occasion d'une recherche sur le sujet.
Nous travaillons avec les professionnels de santé pour garantir l'accès à l'information, qui est notre objectif principal. J'en profite pour répondre à M. Lachaud qui a cité le cas d'un médecin refusant à sa patiente d'accéder à l'IVG. Une clause stipule qu'un médecin qui refuse de pratiquer une IVG doit automatiquement orienter sa patiente vers un médecin qui acceptera de le faire. Cette clause, en ce qu'elle prévient les conséquences d'un tel refus, permet, elle aussi, de garantir l'accès à l'IVG.
M. le président. La parole est à Mme Bérangère Couillard.
Mme Bérangère Couillard. Avorter : un choix légal, un droit humain, pour lequel nous nous sommes battus. Avorter doit être un choix, être simple, être sûr, et surtout être possible partout. Pourtant, l'accès à l'IVG peut être long, complexe et inégalitaire dans certains de nos territoires. Le délai moyen entre la demande et l'IVG est de 7,4 jours, chiffre qui varie de trois à onze jours selon les régions. Imaginez-vous : les femmes doivent parfois parcourir de longs trajets, passer de nombreux appels, avant d'obtenir un rendez-vous en urgence, car l'avortement est un soin d'urgence. Une femme sur trois aura recours à l'IVG au cours de sa vie. L'IVG a beau avoir été légalisée il y a quarante-cinq ans, il existe encore des territoires où cet acte médical peut relever du parcours du combattant. Le confinement aura eu des conséquences sur l'accès à l'IVG. La crise sanitaire ne doit pas remettre en question nos valeurs les plus fondamentales, celles de l'émancipation des femmes et de leur droit à disposer de leur corps.
Partout où une femme se trouve, quel que soit son âge, si elle ne souhaite pas poursuivre une grossesse, elle doit pouvoir l'interrompre dans de bonnes conditions, qu'elle vive en milieu rural ou urbain, dans le Nord ou dans le Sud. Aucune différence, aucune exception ne saurait être tolérée.
Le confinement a accentué un autre problème, celui de l'accès à l'information. Pour prendre une décision éclairée, les femmes doivent avoir accès à une information médicale neutre et sûre. Les Françaises ont pris l'habitude de se renseigner sur internet où, hélas, les messages s'apparentent parfois à de la désinformation. Des sites se retrouvent parfois référencés avant celui du Gouvernement et se targuent de délivrer une information éclairée. Vraiment ? Ces sites relèvent de la propagande anti-IVG.
Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous préciser les mesures que vous comptez prendre pour améliorer l'accès à l'IVG dans nos territoires et pour lutter contre la désinformation sur internet ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Vous posez une question centrale. Si le droit des femmes à disposer de leur corps est prévu par les textes, est-ce une réalité dans tous les territoires ? Chaque année, la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques, la DREES, remet une étude concernant l'IVG. Malgré des variations annuelles, le nombre d'IVG reste stable, comme l'a rappelé le ministre tout à l'heure : entre 210 000 et 230 000 actes par an, depuis vingt ans. Cependant, les taux de recours peuvent largement différer d'un territoire à l'autre. Ainsi, pour mille femmes, on dénombre onze IVG en Pays de la Loire contre vingt-deux en région PACA mais c'est dans les départements et régions d'outre-mer que les taux sont les plus élevés, jusqu'à trente-neuf IVG pour mille femmes en Guadeloupe.
Agnès Buzyn a lancé une enquête ponctuelle en 2019 auprès des agences régionales de santé. S'il n'existe pas, à proprement parler, de zones blanches pour l'accès à l'IVG, des territoires sont en tension au sein de chaque région. Nous les avons identifiés et nous avons demandé à chaque ARS de leur apporter des solutions. L'une d'elles est offerte par la possibilité, reconnue il y a quelques temps aux sages-femmes, de réaliser des IVG à domicile. J'en parlais à l'instant à votre collègue. Reste que cette pratique est encore trop méconnue.
Pour ce qui est, enfin, de la lutte contre la désinformation sur internet, vous avez raison, des organisations délivrent une information partielle ou fausse alors que les Françaises doivent pouvoir accéder à la véritable information. Le ministère des solidarités et de la santé doit donc tout mettre en oeuvre pour que le site ivg.gouv.fr soit parfaitement identifié et apparaisse en premier lors d'une recherche par mots clés.
M. le président. La parole est à M. Guillaume Gouffier-Cha.
M. Guillaume Gouffier-Cha. La crise que nous traversons dit quelque chose de notre société et, en préalable à ma question, j'aimerais en partager l'impression avec vous.
Cette période nous a conduits à prendre des décisions urgentes et légitimes pour nous adapter, protéger nos concitoyens, nos emplois, nos territoires, notre économie. Cependant, nous devons dresser un constat sévère de notre société en 2020. Alors qu'il ne nous aura fallu que quelques instants pour aménager les règles relatives à l'organisation légale du travail, ce qui était nécessaire, nous en sommes encore à devoir négocier avec le Gouvernement, dans le domaine de l'accès à la santé des femmes, pour qu'il garantisse totalement le droit de recourir à une interruption volontaire ou médicale de grossesse pendant la crise que nous traversons. Pourtant, l'urgence le justifiait – et le justifie toujours, d'ailleurs, car le planning familial, comme l'ont rappelé mes collègues, aurait enregistré une hausse de 184 % des demandes pour une interruption de grossesse hors délais, en raison du confinement.
Cette situation dit une chose de notre société : le combat pour l'égalité est encore très long, trop, malheureusement. Je tenais à partager ce constat avec vous, madame la secrétaire d'État, car je connais vos convictions. Qui plus est, Olivier Véran nous prête une oreille attentive et je sais que, sous son impulsion, il nous l'a répété tout à l'heure, des décisions fortes ont été prises.
Cependant, nous pourrions aller encore beaucoup plus loin.
M. Maxime Minot. C'est un appel du pied pour entrer au Gouvernement ? Gilles Le Gendre, sors de ce corps !
M. Guillaume Gouffier-Cha. Durant les deux dernières années de cette législature, vous trouverez sur les différents bancs de l'Assemblée des députés prêts à renforcer les droits des femmes contre ceux qui n'aspirent qu'à entretenir les conservatismes d'une société inégalitaire.
J'en viens à présent à ma question.
M. Maxime Minot. Il était temps !
M. Guillaume Gouffier-Cha. La validation d'une interruption médicale de grossesse est permise par une équipe comprenant notamment un médecin qualifié en gynécologie obstétrique membre d'un centre pluridisciplinaire de diagnostic prénatal, un CPDPN, ce qui complique l'accès à l'IMG. Aussi, afin d'améliorer la réactivité des équipes médicales, surtout en cette période, ne pourrait-on assouplir le droit actuel en remplaçant l'exigence d'un médecin membre d'un CPDPN, par un médecin d'un service de gynécologie obstétrique ou un médecin d'un centre visé à l'article R2212-12 du code de la santé publique, mieux placé pour évaluer la détresse et le péril pouvant résulter de la détresse psychologique encourue par ces femmes ? (Applaudissements sur quelques bancs des groupes LaREM. – M. Stéphane Peu applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. La différence est sans doute très claire dans votre esprit, mais permettez-moi tout de même, pour la clarté du débat, de bien distinguer l'interruption volontaire de grossesse, l'IVG, de l'interruption médicale de grossesse, l'IMG.
Vous l'avez rappelé, l'IVG est un droit fondamental qui résulte du seul choix de la femme, la loi fixant un délai de douze semaines de grossesse ou quatorze semaines d'aménorrhée. L'interruption médicale de grossesse fait quant à elle suite à des circonstances particulières, comme une malformation du foetus ou un risque grave pour la santé de la mère. Cet avortement n'est pas soumis à un délai légal mais la décision d'y recourir est collégiale. La précision est importante car l'interruption médicale de grossesse ne saurait être assimilée à une IVG hors délai.
Vous nous invitez, monsieur le député, à revoir la composition de l'équipe collégiale appelée à valider la décision de l'interruption médicale de grossesse, c'est-à-dire lorsque l'avortement est décidé parce que la femme est en péril, par exemple. Votre proposition de remplacer le médecin spécialisé en médecine foetale par un gynécologue obstétricien est intéressante. Je vous propose d'y réfléchir dans le cadre du prochain texte de révision de la loi relative à la bioéthique.
M. le président. La parole est à M. Sébastien Leclerc.
M. Sébastien Leclerc. Le sujet que nous abordons ce soir est bien compliqué, tout d'abord parce que le choix, pour une femme, d'avorter, est fort et psychologiquement marquant, ensuite parce que le droit à l'IVG, qui fut une avancée sociale majeure des années 1970 a conduit, selon les statistiques, à ce que 220 000 interruptions volontaires de grossesse soient pratiquées chaque année. Autrement dit, une femme sur trois aurait recours à l'interruption volontaire de grossesse durant sa vie.
L'enjeu de l'accès à l'IVG, à mon sens, n'est pas de voir évoluer ce chiffre mais de prendre des mesures en amont pour que les femmes qui ne désirent pas tomber enceintes puissent avoir d'autres solutions que de recourir, in fine, à l'IVG. L'éducation à la sexualité et l'accès aux moyens de contraception dans les établissements scolaires ne doivent pas être des sujets tabous.
Nous devons également poser la question des moyens alloués au planning familial. L'an dernier, dans de nombreux départements, une répartition différente des crédits a engendré une diminution des subventions allouées à ces structures. Nous devrions au contraire, pour limiter autant que possible le recours à l'IVG, renforcer le soutien dont elles bénéficient car elles mènent des actions de prévention. De nombreux témoignages montrent qu'y recourir n'est pas aussi facile que la loi ne le prévoit. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Vous posez la question de la prévention, tout comme votre collègue Xavier Breton précédemment. Le Gouvernement a lancé, dès 2018, un plan national priorité prévention, qui traduit l'engagement du Président de la République. L'un des axes importants de ce plan était ainsi la définition d'une stratégie nationale de santé sexuelle, pour trois ans, comprenant une consultation globale de santé sexuelle, afin de prendre en charge ces jeunes femmes, de les accompagner, quel que soit leur âge, et de leur expliquer la situation, les risques qu'elles encourent et les recours qui leur sont ouverts, en particulier l'IVG.
Pour ce qui concerne les subventions accordées aux plannings familiaux, rappelons que bon nombre des actes ne sont pas réalisés par ces structures. N'oublions pas les centres de consultation, la médecine de ville, ou encore la possibilité de pratiquer une IVG à domicile. Ce sont autant de lieux où la consultation est facilitée. Le délai de réflexion a été supprimé, ce qui ne signifie pas qu'il n'existe plus mais sa durée est adaptée à chaque cas par le professionnel de santé.
C'est bien en adaptant, au fil des années, le système d'accès à l'IVG que nous avons pu répondre aux besoins de nos concitoyennes et leur apporter de meilleures réponses. D'autres sujets restent ouverts, en particulier celui du maintien des mesures décidées pour faire face à la crise, une fois cette période achevée et leur évaluation réalisée. Le ministre a été très clair : une réflexion sera engagée à ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Maxime Minot.
M. Maxime Minot. Lorsque je me suis engagé en politique, je me suis toujours fait la promesse de rester fidèle à mes convictions, que cela plaise ou non à ma famille politique. Je l'ai prouvé lors du débat sur la PMA pour toutes. Ce soir, je risque d'être à nouveau en désaccord avec mes collègues car je pense, en effet, qu'il est essentiel d'allonger le délai légal de l'IVG.
Quarante-cinq après l'adoption de la loi Veil, l'accès à l'avortement en France ressemble encore, parfois, à un chemin semé d'embûches et d'obstacles techniques. La fermeture de centres médicaux pratiquant l'IVG, faute de moyens financiers et humains suffisants, allongent les délais de consultation.
Pendant la crise du coronavirus, l'activité des centres d'orthogénie a brutalement chuté ; beaucoup de patientes n'ont pas été vues et très peu d'IVG ont été réalisées. L'inquiétude porte aujourd'hui sur les femmes arrivant hors délai, faute d'avoir pu faire valoir leur droit à l'IVG dans les temps, c'est-à-dire avant douze semaines de grossesse. Craignant pour beaucoup de femmes, plusieurs associations, dont le planning familial, ont tiré la sonnette d'alarme.
La période de confinement a démultiplié les violences conjugales faites aux femmes : il y a eu cinq fois plus de signalements qu'en période normale sur la plateforme arrêtons les violences. Ces violences se traduisent parfois par des viols, et ces viols par des grossesses non désirées. À cela s'ajoutent la peur évidente d'en parler, mais aussi le problème des structures fermées ou débordées à leur réouverture ou encore des refus de prise en charge pour celles qui présentaient des symptômes du covid-19. Les raisons de ces dépassements sont multiples.
Alors qu'avec la crise sanitaire l'exception est devenue la règle, des modifications de délai légitimes ont été apportées à tout ce qui touchait à la vie quotidienne des Français, qu'il s'agisse de leurs libertés individuelles, du code du travail ou du droit fiscal ; comme l'un de nos collègues l'a rappelé tout à l'heure, on a même rallongé le délai de dépôt sa déclaration d'impôt ! En revanche, l'allongement du délai de l'IVG de douze à quatorze semaines a été balayé d'un revers de main.
Sans cet allongement, les femmes qui le peuvent et qui en ont les moyens iront, comme pour la PMA, avorter à l'étranger où les délais sont plus souples, augmentant ainsi les dangers liés à l'intervention et creusant davantage les inégalités sociales face à l'IVG. Quand comptez-vous gommer ces discriminations envers les femmes ? À quand le débat devant le Parlement, proposé par le ministre il y a quelques minutes ? (Applaudissements sur les bancs des groupes SOC, FI et GDR ainsi que sur plusieurs bancs des groupes LR, LaREM, MODEM, EDS et Agir ens.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Permettez-moi de souligner la réactivité des professionnels qui nous ont rapidement alertés sur les difficultés d'accès aux consultations dans le cadre de la crise du covid-19. Le ministre a donc pris l'attache de la Haute autorité de santé pour décider de mesures adaptées, comme la téléconsultation, l'allongement du délai de recours à l'IVG en médecine de ville – de sept à neuf semaines d'aménorrhée – et le maintien des consultations précédant ou suivant l'IVG, de façon à apporter dans l'urgence une réponse aux besoins des femmes. Les attestations de déplacement ont également été modifiées afin de permettre aux mineures de se rendre à leur consultation. Nous déterminerons, à l'issue de la crise, si ces mesures doivent continuer à être appliquées. Le ministre a été clair sur cet engagement.
En outre, les enquêtes des ARS indiquent que le délai moyen entre le premier contact avec les professionnels de santé et l'IVG est de sept jours : la prise en charge est donc rapide à partir du moment où la patiente a pris contact avec les professionnels, et seules 5 % des IVG ont lieu dans les deux dernières semaines du délai légal, à savoir entre douze et quatorze semaines d'aménorrhée. La prise en charge en France est donc bonne.
En réponse à nos interrogations, les ARS nous ont fait savoir qu'il n'existait pas de zones blanches, mais seulement des zones en tension.
M. Maxime Minot. Il ne faut pas écouter les ARS !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Nous leur avons demandé de travailler avec les professionnels et nous veillerons tout particulièrement, dans les cas où le médecin refuse de pratiquer l'IVG, à ce que la patiente soit systématiquement orientée vers un autre professionnel.
M. le président. La parole est à Mme Sarah El Haïry.
Mme Sarah El Haïry. Un droit n'est effectif que si les conditions matérielles nécessaires à son exercice sont réunies. La crise sanitaire que nous venons de vivre a entraîné de lourdes conséquences sur l'accès à l'IVG et a éprouvé le système en vigueur. Les craintes ont été nombreuses et légitimes car ce droit – ce droit des femmes – a pu être mis en danger, alors qu'il doit toujours être considéré comme une priorité.
Les délais légaux sont contraints et le ministre Véran a confirmé qu'une réduction inquiétante du nombre d'IVG avait été constatée durant cette dernière période. À la suite des inquiétudes exprimées par les professionnels de santé et par de nombreuses associations, l'allongement du délai d'interruption volontaire de grossesse a fait l'objet de discussions à l'Assemblée et sur la place publique et un arrêté du 14 avril en a adapté les modalités.
Cependant, madame la secrétaire d'État, j'irai droit au but : la crise sanitaire du covid-19 a-t-elle révélé des limites au dispositif d'accès à l'IVG ? A-t-elle accentué ces limites ? Certaines procédures actuelles pourraient-elles ouvrir la voie à des améliorations au quotidien ? Plus précisément, avez-vous des retours concernant la télémédecine, son potentiel et son efficacité, ou au contraire les risques qu'elle a pu engendrer ? Cette méthode a-t-elle fait ses preuves concernant l'IVG médicamenteuse ? Vous paraît-il possible et souhaitable d'en pérenniser l'usage pour faciliter l'accès des femmes à l'IVG en tout temps ? (Applaudissements sur les bancs du groupe MODEM.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Si la question posée est celle de savoir si la crise du covid-19 a entraîné des difficultés d'accès à l'IVG, la réponse est oui, de la même manière que, pendant le confinement, les Français ont moins consulté leur médecin, au risque de l'aggravation d'une pathologie chronique.
Pour faciliter l'accès à l'IVG, nous avons rapidement organisé le recours aux téléconsultations pour l'ensemble des consultations obligatoires. Nous avons également garanti le secret de l'avortement des jeunes filles mineures en modifiant les attestations de déplacement afin de leur permettre de se rendre à au rendez-vous sans autorisation parentale. Le délai de l'IVG médicamenteuse a été prolongé à neuf semaines d'aménorrhée. Enfin, des consignes strictes ont été données aux hôpitaux pour maintenir l'activité d'IVG dans des conditions de sécurité optimale.
Je le répète : durant le confinement, seules ont dû être différées les opérations reportables. Or nous avons clairement affirmé que les IVG n'étaient pas des opérations reportables et n'avaient donc pas à être déprogrammées. Nous avons été vigilants sur ce point.
Par ailleurs, les avancées liées à la crise seront évaluées et, si besoin, pérennisées.
M. le président. La parole est à Mme Sylvie Tolmont.
Mme Sylvie Tolmont. S'il a été rappelé que l'IVG faisait partie des interventions urgentes, nous savons que le droit à l'IVG, déjà difficilement et inégalement assuré sur le territoire national en temps normal, a été fortement restreint en conséquence de la crise et du confinement. Le ministre des solidarités et de la santé soulignait le 1er avril dernier que les remontées de terrain faisaient état d'une réduction inquiétante du recours à l'IVG, et il déclarait qu'il était hors de question que l'épidémie de covid-19 restreigne le droit à l'avortement.
Pourtant, seul le recours à l'IVG médicamenteuse a été facilité, au mépris de la définition intégrale du droit à l'avortement, laquelle emporte la liberté de choix, pour les femmes, de la méthode abortive, médicamenteuse ou instrumentale. De plus, cette déclaration a été contredite par le refus d'accorder un délai supplémentaire aux femmes qui, pour des raisons matérielles, n'ont pas pu faire valoir leur droit dans le délai imparti. Nous le savons, et je le répète : les demandes d'IVG hors délai ont explosé.
Les textes de loi visant à répondre à la crise ont prévu des reports légaux du délai d'exercice des droits dans de nombreux domaines. Et pourtant, pour un droit aux répercussions aussi graves et lourdes que celui-ci, le Gouvernement refuse d'intervenir sous prétexte que le sujet serait trop important pour être traité dans l'urgence. En revanche, il est tout à fait possible de le traiter dans l'hémicycle à cette heure tardive…
C'est justement l'urgence qui nous oblige : notre proposition d'allonger le délai d'accès à l'IVG durant l'état d'urgence et pour les trois mois suivants est à la stricte mesure de celle-ci. L'allongement serait consenti à titre exclusivement provisoire. Nous le savons, ces IVG hors délai se feront de toute manière, car les femmes exerceront leur droit à disposer d'elles-mêmes. J'ai dès lors, madame la secrétaire d'État, une seule question à vous poser : les femmes seront-elles contraintes, du fait de votre inaction, à les pratiquer clandestinement, au risque de leur intégrité physique et de leur vie ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR. – M. Maxime Minot applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Je ne peux pas vous laisser dire que nous n'avons pas agi et que nous n'avons pas adapté les mesures de prévention et la prise en charge de l'IVG.
Mme Sylvie Tolmont. Ce n'est pas ce que j'ai dit ! Vous ne m'avez pas écoutée, madame la secrétaire d'État !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Nous nous sommes au contraire montrés réactifs et avons donné suite aux demandes des professionnels et de certains parlementaires en adaptant le système de prise en charge des interruptions volontaires de grossesse, qu'elles soient pratiquées en ville ou, pour les IVG instrumentales, dans des établissements de santé. Je le répète : nous avons répondu à l'urgence de la crise sanitaire.
Mme Sylvie Tolmont. Pas en ce qui concerne les délais !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Le délai d'autorisation des IVG en médecine de ville ou à domicile a été allongé ;…
Mme Sylvie Tolmont. Le droit, c'est le choix !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. …les téléconsultations ont permis d'assurer l'ensemble des consultations obligatoires, et les professionnels ont été entièrement présents. À l'hôpital, les IVG ont été maintenues car elles constituaient des actes non reportables. Ces mesures ont été arrêtées par différents décrets élaborés en concertation avec les professionnels de santé et avec les parlementaires, à travers les textes de loi adoptés.
Vous me demandez s'il est question de revenir sur l'allongement, même temporaire, du délai d'autorisation des IVG, dans quelques semaines ou quelques mois.
Mme Sylvie Tolmont. Cette mesure a été réclamée par les professionnels le 31 mars !
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Comme l'a dit tout à l'heure le ministre, ce débat ne pouvait pas avoir lieu au détour d'un amendement à texte de loi portant sur le Brexit et l'assurance-chômage. C'est un débat de société qui nécessite du temps pour être approfondi.
M. le président. La parole est à M. Yannick Favennec Becot.
M. Yannick Favennec Becot. Dans ma région des Pays de la Loire, il semble que les interruptions volontaires de grossesse entre douze et quatorze semaines d'aménorrhée, c'est-à-dire durant les deux dernières semaines du délai légal, soient plus nombreuses que dans les autres régions de métropole. Une IVG n'est jamais facile à vivre pour la femme qui y a recours, a fortiori lorsque celle-ci a lieu à la fin du délai légal. Le confinement lié à l'épidémie de covid-19 a duré huit semaines, soit une grande partie du délai durant lequel il est possible de procéder à une IVG. Il est donc à craindre que cette période ait remis en cause le droit à l'avortement prévu par la législation, aussi je souhaite savoir si ce droit a continué d'être effectif pendant la période, et comment.
Par ailleurs, la question de l'interruption volontaire de grossesse renvoie à celle des différents modes de contraception existants, qui peuvent éviter des grossesse non désirée. La prévention est importante ; notre collègue Jeanine Dubié a eu l'occasion de le dire tout à l'heure. Se pose donc la question de la diversification des méthodes de contraception proposées.
Si la contraception féminine est développée, la contraception masculine, quant à elle, est réduite, voire confidentielle. Les hommes sont relativement déresponsabilisés sur le sujet qui commence tout juste à émerger au sein des couples. Or les femmes ne doivent pas être les seules à supporter la responsabilité et le poids de la contraception. Aussi, madame la secrétaire d'État, je souhaite savoir si vous prévoyez des mesures pour encourager, favoriser et développer la contraception masculine.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Pour répondre à votre première question, je rappelle que nous sommes toujours en état d'urgence sanitaire et qu'il est par conséquent trop tôt pour tirer un bilan du recours à l'IVG en période de crise. Nous comparerons les chiffres actuels avec ceux de l'année dernière pour mesurer l'évolution de l'accès à l'IVG durant l'épidémie de covid-19.
Votre deuxième question porte sur la contraception masculine qui, à l'heure actuelle, repose essentiellement sur le préservatif. La contraception hormonale masculine pose d'abord la question de l'autorisation de mise sur le marché d'un produit de santé. À ce jour, aucune demande n'a été faite pour une pilule contraceptive masculine, ni auprès de l'Agence nationale de santé du médicament, ni au niveau européen, et de telles pilules ne semblent pas être en cours de développement. À ce stade, le seul moyen de contraception pour l'homme est donc le préservatif.
M. le président. La parole est à Mme Caroline Fiat.
Mme Caroline Fiat. Je souhaite poser une question plus précise en matière d'accès à l'IVG, celle de la disponibilité des médicaments. En effet, pendant le confinement, une pénurie de médicaments de toutes sortes s'est fait sentir, pour certains du fait de leur grande utilisation, et pour d'autres de la rupture de la chaîne d'approvisionnement.
M. Maxime Minot. C'est vrai !
Mme Caroline Fiat. La progression des chiffres est exponentielle : 1 454 indisponibilités de médicament ont été constatées en 2019, contre 868 en 2018. Les médicaments permettant l'IVG ne sont pas épargnés, pas plus que les contraceptifs. Et le phénomène a commencé bien avant le confinement : pendant au moins six mois, certains contraceptifs ont été en rupture de stock, avec des risques de grossesses non désirées et d'avortements.
Les médicaments abortifs RU 486, Mifegyne et misoprostol sont la propriété d'un seul groupe pharmaceutique, Nordic Pharma, ce qui les rend vulnérables aux risques de rupture de production et d'approvisionnement : la production a été menacée par des actes de militants anti-IVG, et leur prix a été multiplié par dix.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 oblige désormais à stocker quatre mois de médicaments disponibles sur le territoire européen, mais ces dispositions ne seront effectives qu'à partir du 30 juin 2020.
Pour les droits des femmes, il est important que les pouvoirs publics s'assurent que l'ensemble des produits et médicaments nécessaires à la contraception et à l'avortement sont constamment disponibles. Aussi, ma question est simple : quand le Gouvernement exercera-t-il un véritable contrôle sur ces produits nécessaires pour le droit à l'avortement ? Quand, au vu de la crise d'approvisionnement, le Gouvernement relocalisera-t-il la fabrication des médicaments non rentables au sein d'un pôle public afin d'en garantir la production ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI, MODEM, SOC, GDR et sur plusieurs bancs du groupe LR.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Votre question sur la pénurie des médicaments, notamment des médicaments utilisés pour les IVG, est à la fois large et très ciblée. Tout d'abord, à ce stade, il n'y a pas de pénurie de médicaments liés à l'IVG. Permettez-moi de rappeler, même si vous le savez, que depuis qu'on s'est montré inquiet quant à une possible pénurie, le Gouvernement est très attentif à l'approvisionnement en médicaments. Des mesures fortes, notamment en matière de stockage et d'approvisionnement, ont été débattues ici et adoptées lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Tous ces sujets sont suivis de près et font l'objet de notre part d'un travail très précis.
Nous veillons attentivement, j'y insiste, sur l'approvisionnement de l'ensemble des médicaments. Durant la crise de covid, la seule tension que nous ayons constatée, car il ne s'agissait même pas d'une pénurie, a concerné les produits anesthésiants. Parce que nous avons été vigilants, nous avons choisi de reporter les opérations non urgentes. Mais nous avons veillé à ce que les IVG ne soient, elles, pas déprogrammées, de sorte que l'ensemble des Françaises qui le souhaitaient puissent effectivement y avoir recours.
Mme Caroline Fiat. Non, nous avons aussi observé des pénuries concernant plusieurs molécules que j'ai citées !
M. le président. La parole est à M. Guillaume Chiche.
M. Guillaume Chiche. Durant la crise sanitaire et singulièrement durant le confinement, le planning familial a appelé mon attention sur les difficultés d'accès des femmes à l'interruption volontaire de grossesse chirurgicale en milieu hospitalier – vous avez d'ailleurs pris la décision d'allonger les délais de recours à l'IVG médicamenteuse hors milieu hospitalier, et je tiens à vous en remercier.
Il n'en demeure pas moins que les femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse ne font pas systématiquement appel aux professionnels de santé et ne se rendent pas toujours dans les infrastructures habilitées. Il existe plusieurs raisons à cela : tout d'abord, la crise de covid et le confinement subi ont aggravé le sentiment de solitude de nombreuses femmes qui souhaitent interrompre leur grossesse. Recourir à l'IVG est un acte difficile et éprouvant pour toutes les femmes : dans un contexte de crise exceptionnel et hors malades atteints du covid, nombre de Français se sont détournés des professionnels de santé de peur d'encombrer les services ou de s'exposer au virus. Ils ont également dû faire face au manque de structures de proximité ouvertes, où ils auraient pu bénéficier d'aides ou d'un soutien psychologique fondamental dans le cas qui nous occupe.
Les difficultés ont été très nombreuses, singulièrement pour les mineures et les personnes souhaitant garder la confidentialité de leurs intentions. En effet, elles ne pouvaient pas recourir à une IVG médicamenteuse à domicile sans en parler à leurs parents, mari ou conjoint, ni accéder à des structures d'accueil sans devoir justifier leurs déplacements. Cela a donc représenté un grave obstacle à la liberté fondamentale de pouvoir librement disposer de son corps.
Cette situation inacceptable a donné lieu à une hausse des grossesses non désirées, une violence insupportable : l'avortement doit rester un choix, une liberté et un droit pour toutes les femmes. Pour l'ensemble de ces raisons, je réitère une demande, déjà exprimée à maintes reprises sur ces bancs, d'allongement du délai de recours à l'avortement par aspiration ou à l'IVG chirurgicale à quatorze semaines de grossesse, contre douze actuellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe EDS.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Durant la crise du covid-19, le Gouvernement a utilisé tous les leviers possibles pour faciliter l'accès à l'IVG. Je les ai déjà rappelés. Certains souhaitent aller plus loin et allonger le délai de recours à l'IVG, voire le supprimer. Cependant, l'allongement du délai légal de recours à l'IVG requiert un débat bien plus large, comme celui qui a bien évidemment eu lieu en 1975, lors de l'examen de la loi Veil, ou encore en 2001, lors du débat spécifique visant à allonger le délai de douze à quatorze semaines d'aménorrhée. À l'époque, le Comité consultatif national d'éthique avait été saisi avant le projet de loi.
L'allongement du délai légal est une revendication ancienne, quelque peu décorrélée de la gestion de l'urgence liée au covid-19 et de la crise que nous vivons, même si celle-ci a permis de ramener le sujet dans le débat public. Comme cela a été dit, nous devrons apprendre de la période récente et en tirer toutes les conclusions, notamment s'agissant de pérenniser ou de faire évoluer certaines mesures que nous avons assouplies, comme le recours à la téléconsultation et l'allongement du recours à l'IVG médicamenteuse en médecine de ville ou à domicile. La délégation aux droits des femmes a également publié un rapport, qui nous permettra sans doute de formuler des réponses plus avisées et éclairées. Nous pourrons donc travailler ensemble sur ce sujet.
M. le président. La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.
Mme Agnès Firmin Le Bodo. L'arrêté du 14 avril 2020 a autorisé la pratique de l'IVG médicamenteuse dans le contexte de l'épidémie de covid-19. Le parcours de l'IVG médicamenteuse a ainsi été modifié, de façon exceptionnelle et transitoire, afin d'en faciliter le recours pour les femmes pouvant en bénéficier. Ces mesures incluent l'extension du délai de réalisation de l'IVG jusqu'à la neuvième semaine d'aménorrhée, c'est-à-dire la septième semaine de grossesse, la possibilité de mener l'ensemble des consultations nécessaires aux IVG sous la forme de téléconsultations avec un médecin ou une sage-femme et la possibilité de délivrance des médicaments abortifs directement aux femmes concernées par le pharmacien officinal. L'ordonnance mentionne le nom de la pharmacie désignée par l'intéressée, et la copie de la prescription est transmise par le médecin ou la sage-femme par voie électronique. Les médicaments abortifs sont alors délivrés directement, sans frais et anonymement, à la femme concernée par l'officine qu'elle a désignée.
Il convient d'évaluer cette mesure exceptionnelle, tant en estimant la quantité d'IVG réalisées selon cette procédure, qu'en en évaluant les conséquences médicales et psychologiques. Ce modus operandi peut-il être amené à perdurer, tel quel ou avec des aménagements ? La téléconsultation est-elle une solution pour des femmes isolées, que ce soit parce qu'elles sont empêchées de sortir de chez elles par un conjoint violent ou pour des raisons géographiques ? L'accompagnement des pharmaciens a-t-il revêtu une part psychologique ?
Madame la secrétaire d'État, c'est donc bien une évaluation complète de ce dispositif qu'il conviendra de réaliser. Je vous remercie de nous indiquer ce qui est prévu à cet égard.
D'autre part, dans votre réponse à M. Gouffier-Cha, vous avez indiqué que le projet de loi relatif à la bioéthique pourrait revenir rapidement : la présidente de la commission spéciale et les députés qui sont présents jusque tard cette nuit aimeraient peut-être avoir un scoop sur la date de la deuxième lecture de ce texte dont nous n'entendons parler que par voie de presse ! (Applaudissements sur les bancs des groupes MODEM, LaREM, FI, GDR et EDS.)
M. Pierre Dharréville. Le Parlement souverain va en décider !
Mme Elsa Faucillon. Si la présidente de la commission spéciale pouvait avoir des informations, ce serait bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Comme vous le soulignez, dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, le Gouvernement a agi fortement, rapidement et de façon dérogatoire. Le passage de l'ensemble des consultations obligatoires sous forme de télémédecine a nécessité, vous l'avez rappelé, de changer le circuit de délivrance des pilules abortives accessibles en pharmacie. Je tiens ici à souligner le travail remarquable réalisé par les professions pharmaceutiques durant la crise sanitaire, notamment en matière d'accompagnement des femmes souhaitant avorter.
Je répète qu'une évaluation qualitative et quantitative des différents dispositifs dérogatoires sera réalisée. Toutes les mesures qui se seront révélées bénéfiques seront pérennisées, après une nouvelle saisine de la Haute autorité de santé et de l'Agence nationale de la sécurité du médicament et des produits de santé, en particulier pour ce qui concerne l'allongement du délai pour recourir aux IVG médicamenteuses à domicile.
En ce qui concerne le projet de loi relatif à la bioéthique, nous attendons que le Parlement reprenne son activité normale afin que députés et sénateurs puissent travailler avec le Gouvernement sur ce beau dossier.
Mme Caroline Fiat. Alors il ne faut pas prolonger l'état d'urgence sanitaire !
M. Xavier Breton. Il faut aussi que le droit de manifester soit effectif !
M. le président. La parole est à M. Sébastien Chenu.
M. Sébastien Chenu. En cette période marquée par le covid, et à titre dérogatoire, des adaptations ont été décidées pour permettre de maintenir un accès à l'IVG pour les femmes, en particulier en privilégiant la téléconsultation. Les prises en charges ayant diminué avec la fermeture des centres d'accès et des plannings familiaux, des mesures dérogatoires ont donc été prises. Il apparaît donc nécessaire de rappeler l'importance de l'encadrement de la procédure prévue par le code de la santé publique, qui devra rester la règle à la sortie de la crise.
En effet, le passage obligatoire à l'hôpital n'a évidemment pas pour but de contraindre les femmes, mais bien de s'assurer de leur consentement, de leur parfaite information et, probablement le plus important, de leur sécurité sanitaire. Dans le contexte que nous avons connu, le choix a été fait de généraliser la télémédecine et de privilégier la méthode d'IVG médicamenteuse. Nous pensons que cette solution ne doit pas devenir la norme.
En effet, la télémédecine ne peut se substituer au rendez-vous avec un praticien. Se posent en effet plusieurs questions : comment obtenir une datation fiable de la grossesse ? Comment s'assurer du consentement réel et sans pression extérieure de la patiente ? Comment gérer les éventuelles complications, qui peuvent être douloureuses, d'une femme isolée ? Nous l'avons tous dit, l'IVG ne sera jamais un acte anodin. Il ne faudrait donc pas que les mesures temporaires deviennent une norme, une sorte d'IVG low cost au détriment de la santé et de la liberté des femmes, ou un prétexte pour faire adopter en catimini un allongement des délais légaux. Nous y serons vigilants.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Christelle Dubos, secrétaire d'État. Permettez-moi tout d'abord de préciser que ce n'est pas le passage à l'hôpital qui conditionne l'accord pour le recours à l'IVG, mais simplement le contact avec un professionnel de santé lors d'une consultation. C'est la raison pour laquelle nous avons ouvert la possibilité de recourir à la téléconsultation et à la télémédecine.
Malgré l'épidémie de covid, nous avons souhaité maintenir et faciliter ce contact nécessaire. Je tiens à préciser que le recours à la télémédecine n'est pas une obligation, mais une possibilité utilisée à la demande de la femme ou du médecin : en cas de besoin, une consultation classique peut être proposée. Il s'agit donc bien de faciliter le contact entre un patient et ceux qui peuvent pratiquer des IVG, son médecin ou sa sage-femme.
Durant la gestion de la crise de covid, l'objectif était de s'assurer qu'un maximum de freins à l'accès à l'IVG soient identifiés et levés, afin d'assurer le meilleur accès possible à l'IVG dans le contexte de la crise. Enfin, je rappelle que l'IVG faisait partie des opérations identifiées comme prioritaires, et qui n'ont par conséquent pas été décalées ou déprogrammées.
M. le président. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 11 juin 2020