Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à Europe 1 le 25 mars 2020, sur les mesures mises en place pour sauver la filière française des agriculteurs en manque de main-d'oeuvre durant l'épidémie de coronavirus.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK  
Bonjour Muriel PENICAUD. 

MURIEL PENICAUD  
Bonjour Sonia MABROUK. 

SONIA MABROUK  
Merci d'être avec nous à distance ce matin sur Europe 1. Un appel a été lancé pour aider nos agriculteurs, c'est le ministre de l'Agriculture qui a demandé de participer aux travaux agricoles. Est-ce que la ministre du Travail demande aussi aux salariés en activité partielle à rejoindre une exploitation agricole ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors, c'est une opération que l'on monte depuis quelques jours avec Didier GUILLAUME, Bruno LE MAIRE et bien sûr la FNSEA, tous les exploitants agricoles. Je crois que dans les activités indispensables des semaines qui viennent, il y a évidemment toute la filière alimentaire, les Français ont besoin d'être nourris, et donc nous avons monté cette opération, puisque c'est la saison maintenant des fruits, des légumes, des semis, qui arrivent, et il y a 200 000 personnes sont attendues dans les champs pour les quelques semaines qui viennent. D'habitude il y a beaucoup de travailleurs détachés qui viennent en renforts, cette année il n'y aura pas ce renfort, et donc on fait un appel, évidemment sur volontariat, pour des demandeurs d'emploi ou des salariés qui sont en chômage partiel et qui sont à l'inactivité forcée, ou des indépendants qui ont dû fermer leurs restaurants, leurs bars, et qui sont prêts à venir, en étant évidemment rémunérés, et protégés, car j'y veille beaucoup, qu'il y ait toutes les conditions de protection, de la santé et de la sécurité, qui viennent aider des agriculteurs, pour les quelques semaines critiques, pour nourrir les Français. Je crois que c'est aussi une manière solidaire d'agir. 

SONIA MABROUK  
Mais concrètement, Muriel PENICAUD, tout à l'heure, nous étions avec le président national des producteurs de légumes de France, il demande trois éléments, qu'est-ce que vous lui répondez ? Défiscalisation des heures supplémentaires, dérogation sur le temps de travail et prêt de salariés entre entreprises.  

MURIEL PENICAUD  
Alors, tout ça, ça a été étudié avec les professionnels. Donc on a déjà mis en place les dispositifs, ils vont être opérationnels dans quelques heures avec les ordonnances et les décrets qu'on met en place. Donc on pourra par exemple cumuler le chômage partiel et cumuler une autre rémunération, quand on est en train d'aider un agriculteur, ce qui n'est effectivement pas du tout classique, mais là ça nous paraît important. De toute façon, toutes les charges sociales, pour toutes les entreprises qui le souhaitent, sont reportées, tout ce qui est fiscalité aussi, sur simple demande tout est reporté, donc en fait, si on met l'ensemble de l'arsenal possible, pour oui, sauver notre agriculture, mais aussi permettre d'être certain que les Français vont être nourris dans les semaines qui viennent, avec des produits frais, et pas simplement des pâtes qui sont stockées à la maison.  

SONIA MABROUK  
Bien sûr, Muriel PENICAUD, on en comprend la nécessité, mais il faut en même temps limiter nos déplacements, et puis en même temps se déplacer dans les exploitations agricoles. Mais où est la cohérence en cette période troublée ? Où est la cohérence de vos consignes ?  

MURIEL PENICAUD  
La cohérence, je crois que c'est très important qu'on en parle beaucoup, pour bien tout cela à comprendre. La cohérence c'est que, ce n'est pas tout ou rien. Il faut bien sûr que tout le monde reste chez soi, s'il n'a pas une activité qui est nécessaire, dans le contexte actuel. Ça veut dire quoi ? D'abord toutes les personnes vulnérables restent chez elles, tous, un parent sur deux pour garder ses enfants, ça fait déjà beaucoup de monde. Et pour ceux qui n'ont pas de garde d'enfants, ceux qui ne sont pas vulnérables, et évidemment qui ne sont pas malades, la question qu'on doit se poser, c'est entreprise par entreprise. A avec les partenaires sociaux on en a discuté, on s'appelle tous les un ou deux jours, et la majorité sont d'accord sur la démarche suivante : on appelle toutes les entreprises à discuter, dans l'entreprise, avec leurs salariés, avec leurs syndicats, qu'est-ce qui peut attendre, qu'est-ce qui ne peut pas attendre. Parce que souvent c'est dans la même entreprise, il y a des choses qui peuvent attendre, qui ne sont pas urgentes, et c'est mieux d'être moins nombreux dans l'entreprise, et donc il faut faire… 

SONIA MABROUK  
Certes, mais vous comprenez Muriel PENICAUD… 

MURIEL PENICAUD  
Oui, mais sinon ça veut dire quoi, vous voulez qu'il n'y ait pas de soignants… 

SONIA MABROUK  
Vos appels sont peut-être contradictoires. 

MURIEL PENICAUD  
Non, Sonia MABROUK, est-ce que quelqu'un raisonnablement peut penser qu'on peut se passer des soignants, de l'agroalimentaire, de l'électricité de l'énergie, d'une eau de qualité ? Il y a beaucoup beaucoup de métiers en cascade qui sont concernés. Parce que l'agroalimentaire qu'on va ramasser, les asperges, là, les légumes, derrière il faut évidemment du conditionnement, il faut des emballages, il faut des transporteurs, il faut des chauffeurs routiers, il faut que les chauffeurs routiers quand ils vont sur l'aire d'autoroute, ça soit nettoyé, parce que sinon ils ne peuvent pas faire leur pause et se laver les mains. Et ensuite il faut qu'il y ait la grande distribution, les entrepôts, la logistique et le petit commerce alimentaire, puissent fonctionner. C'est une chaîne de solidarité économique, c'est ça le service économique minimum. Par contre il y a des choses où on peut attendre, on n'est pas obligé de fabriquer plein d'automobiles, là demain matin.  

SONIA MABROUK  
Muriel PENICAUD, bien sûr… 

MURIEL PENICAUD  
Mais c'est dans chaque entreprise qu'il faut réfléchir sur ce qu'on peut reporter, et ce qu'on ne doit pas reporter dans l'intérêt de tous, et je salue tous ces salariés qui vont travailler, en étant protégé, et là je serai intraitable sur les protections que doivent mettre en place les entreprises, parce qu'on ne jouera pas avec la santé et la protection des salariés… 

SONIA MABROUK  
On va en parler justement. Parlons des entreprises… 

MURIEL PENICAUD 
 … Mais ils travaillent pour tous les autres, il faut les remercier, ils travaillent pour tout le monde ces salariés. 

SONIA MABROUK  
Parlons des entreprises, et parlons si vous le voulez bien des entrepreneurs, des auto-entrepreneurs, des artisans, de ceux qui en temps normal ont beaucoup de problèmes de trésorerie. Ils vous écoutent ce matin, ils doivent faire leurs paies à la fin du mois, est-ce que vous leur dites clairement qu'il n'y aura pas de durcissement des conditions du recours au chômage partiel ? C'est ce vendredi que vous publiez l'ordonnance.  

MURIEL PENICAUD  
Oui oui, c'est même… oui c'est ce vendredi qu'on publie l'ordonnance. Non, il n'y aura aucun durcissement, il y a juste l'application logique du chômage partiel. Le chômage partiel c'est quoi ? Le salarié ne travaille pas, il ne  perd pas son contrat de travail, il n'est pas au chômage, c'est important de le savoir, il n'est pas au chômage, il a un contrat de travail suspendu, c'est-à-dire qu'il ne travaille pas, mais il touche 84 % de sa rémunération nette ou 100 % s'il est au Smic, et toutes ces sommes-là sont remboursées par le ministère du Travail à l'entreprise, jusqu'à 4 fois et demie le Smic, enfin, avant c'était beaucoup moins, mais disons que ce qu'on va mettre dans les ordonnances ça on va être ça, on va avoir un système beaucoup plus producteur qu'avant, même le plus protecteur d'Europe. Simplement, il y a une vérification avant qui est faite, c'est si le personnel les personnes peuvent travailler en télétravail, il n'y a pas tellement de raisons que ça soit la solidarité nationale qui paie. L'autre jour, j'avais dans une de la Défense, un grand cabinet que je ne nommerai pas, qui veut mettre tout son personnel, qui peut travailler en télétravail, en chômage partiel. Ça, il n'y a pas de raison. Si on peut travailler en télétravail, on télétravaille.  

SONIA MABROUK  
Mais attendez, Muriel PENICAUD, on le comprend, là, vous parlez… 

MURIEL PENICAUD 
 Et là, il y en a… 

SONIA MABROUK  
Là vous parlez d'un grand cabinet, mais je vous prends l'exemple, pardonnez-moi, des petits entrepreneurs, des auto-entrepreneurs, des artisans… 

MURIEL PENICAUD  
Ah mais attendez, ceux-là ils sont tous droit au chômage partiel pour leurs salariés, si l'activité ne peut pas continuer, ce qui est la grande majeure partie des cas. Tous les bars, les restaurants, tout ce qu'on a fermé, évidemment ils l'ont automatiquement, et toutes les petites entreprises qui n'ont plus de fournisseurs, qui n'ont plus de clients, bien sûr que le chômage partiel, là est fait pour eux. D'ailleurs dans les 37 000 entreprises qui ont déjà fait la demande, pour 730 000 salariés, il y en a 50 %, ce sont des moins de 10 salariés. Donc bien sûr. Et je voudrais le dire aux artisans, aux commerçants, aux indépendants, c'est dès le premier salarié, vous avez un salarié, le chômage partiel marche, et un apprenti aussi, ça marche aussi pour les apprentis, pour le vos CDD, pour vos intérimaires. Donc ne licencier personne, on va tout prendre en chômage partiel, pour tous ceux qui, à part quelques exceptions un peu aberrantes, font évidemment appel à la solidarité nationale. 

SONIA MABROUK   
Bien sûr, si je fais ma demande, Muriel PENICAUD, en combien de temps, eh bien j'ai une réponse pour l'acceptation de ce recours au chômage partiel ?  

MURIEL PENICAUD  
Alors, comme vous avez vu, la demande explose par rapport au temps normal, c'est logique, et du coup ce que j'ai annoncé, c'est une chose et une autre que je vais annoncer, une que j'ai annoncée, c'est déjà on a 30 jours pour faire sa demande et on est remboursé après coup, donc pas de stress si on ne l'a pas fait le jour même. Et deuxièmement, je vais annoncer, je vous annonce maintenant, mais ça va être dans les textes dans quelques heures, que la réponse est dans les 48 heures, si dans les 48 heures vous n'avez pas de réponse, c'est accepté. Et donc, et vous êtes remboursé 10 jours plus tard, les banques se sont engagées à faire l'avance là pour la fin de mois, puisque 10 jours, à la date où on est, c'est le moment où on va faire les paies. Donc si vous n'avez pas… Ceux qui ont demandé la première partie du mois, ils sont déjà remboursés, mais ceux qui sont en train de le demander… 

SONIA MABROUK  
C'est important, Muriel PENICAUD… 

MURIEL PENICAUD  
… et toutes les banques doivent faire l'avance de vos salaires, si vous avez fait une demande de chômage partiel, et vous recevez le remboursement dans quelques semaines.  

SONIA MABROUK  
Muriel PENICAUD, si on n'a pas de réponse sous les 48 heures, si on n'a pas de réponse, ça vaut acceptation, c'est clair. 

MURIEL PENICAUD  
Ça vaut acceptation.  

SONIA MABROUK  
Muriel PENICAUD, dans une large majorité, il y a des entreprises… 

MURIEL PENICAUD 
Des contrôles seront faits a postériori. 

 SONIA MABROUK  
Bien sûr. Il y a des entreprises responsables, et il faut le souligner, mais il y a aussi ceux qui font pression sur leurs employés. Des employés de certains sites d'AMAZON se sont plaints du manque de précautions sanitaires. Qu'est-ce que vous leur dites ? D'aller quand même au travail ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors d'abord, moi j'ai appelé le directeur général d'AMAZON il y a quelques jours, en lui disant que manifestement il n'y avait pas les conditions de sécurité. Et dans l'entreprise ils ont travaillé sur les conditions de sécurité, donc de ce que je sais maintenant, les conditions de sécurité sont là. Par contre il faut être réaliste, dans le contexte de service économique minimum, on ne peut pas attendre les mêmes exigences, les mêmes productivités, la même rentabilité, que d'habitude. Il faut faire des équipes un peu moins nombreuses pour qu'ils ne se croisent pas, pas leur demander de faire ce qu'auraient fait leurs collègues, il faut donner de la souplesse, il faut être bienveillant. C'est pareil pour le télétravail, entre parenthèses… 

SONIA MABROUK  
Il faut, il faut, y'a qu'à… 

MURIEL PENICAUD  
… travailler en gardant ses enfants, c'est sportif. Et alors, donc, ça c'est en train de… Si ce n'est pas fait, je pense qu'il y aura un sujet, c'est qu'ils ne vont pas pouvoir continuer à fonctionner, parce que de toute façon, le dialogue social va pas permettre, le dialogue social est indispensable, ne va pas permettre que ça continue. Donc c'est l'intérêt des entreprises, d'abord à titre humain, mais aussi à titre de business, de respecter le dialogue social, de respecter les salariés, de baisser la pression. On ne sera pas très rentable dans les semaines qui viennent, ce n'est pas grave, on veut sauver des vies, et que les Français aient encore les services de base pour vivre. C'est ça qui compte. Donc il faut oublier pendant quelques semaines la rentabilité, la productivité, il faut travailler, mais de façon maximale, pour protéger les salariés, c'est ça la priorité absolue.  

SONIA MABROUK  
Muriel PENICAUD, je n'ai pas de doute que les auditeurs, dans quelques instants, vont vous posez beaucoup de questions sur les congés, etc. Moi je voudrais évoquer les chômeurs qui arrivent en fin de droits. Leur allocation chômage va être prolongée, on le sait, sa vaut en période de confinement, mais au au-delà ? Vous savez bien que la crise économique va être longue, peut-être un an, peut-être même 2 ans, est-ce que vous allez prolonger les droits de ces chômeurs au-delà du confinement ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors, d'abord j'ai, pour protéger les plus vulnérables parmi les travailleurs et les demandeurs d'emploi, pris cinq décisions qui arrivent là aussi, les textes en ordonnances ou en décrets arrivent tous cette semaine. D'abord, pour tous ceux, demandeurs d'emploi indemnisés, qui arrivaient en fin de droits, et donc qui auraient perdu tous leurs droits à l'assurance chômage, leurs droits à l'assurance chômage sont continués. Donc ensuite, on n'est pas en train de traiter juillet, août, septembre, on est en train de traiter l'urgence, on verra plus tard, mais en tout cas là ils n'ont pas d'angoisse à avoir, leurs indemnités continuent alors qu'ils ont épuisé leurs droits. La deuxième chose pour les saisonniers, il y a beaucoup de saisonniers qui ont dû arrêter plus tôt que prévu, qui ont du arrêter début mars, eh bien par décret nous avons décidé de considérer, pour l'Assurance chômage, que tous auraient travaillé jusqu'au 15 avril. Ce n'est pas le cas, mais ça permet les droits. Les CDD et les intérimaires sont compris dans le chômage partiel, là aussi il y a des mesures, les intermittents du spectacle avec mon collègue Franck RIESTER… 

SONIA MABROUK  
Des clarifications nécessaires, Muriel PENICAUD… 

MURIEL PENICAUD  
… les intermittents du spectacle, on la prolonge, et je suspends toutes les radiations, tous les contrôles des demandeurs d'emploi pendant cette période, puisqu'évidemment on ne peut pas reprocher à quelqu'un en période de confinement, de ne pas trouver un travail. 

 SONIA MABROUK  
C'est important bien sûr. Je vais vous laisser avec nos auditeurs. Matthieu BELLIARD, beaucoup de questions à suivre. Merci à vous.  

MATTHIEU BELLIARD  
Merci Sonia MABROUK, et Muriel PENICAUD, oui je vous garde, 39 21, le #radioouverte, vos questions pour la ministre du Travail, en direct, dans un instant.   


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 mars 2020