Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à CNews le 27 mars 2020, sur la possibilité de travailler plus pour certains pour faire vivre l'activité économique pendant la crise sanitaire du coronavirus.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : CNews

Texte intégral

GERARD LECLERC 
Bonjour Muriel PENICAUD, merci d'être avec nous. Vous participez aujourd'hui à deux réunions. 

MURIEL PENICAUD
 Bonjour Gérard LECLERC. 

GERARD LECLERC
 L'une ministérielle avec Edouard PHILIPPE, l'autre autour du président de la République, des conférences, des visioconférences ou audioconférences avec les partenaires sociaux. Le gouvernement et les économistes annoncent un coup de frein brutal de l'économie. Est-ce que vous vous préparez à une flambée du chômage ? De quel ordre ? Combien de chômeurs y aura-t-il dans 3 ou 4 mois ? 

MURIEL PENICAUD 
Notre but, c'est justement d'éviter les vagues de licenciements et c'est pour ça qu'on a mis en place un système extrêmement protecteur de chômage partiel, beaucoup plus protecteur qu'avant, le plus protecteur d'Europe pour éviter ces vagues de licenciements. Ce qu'on souhaite, ce qu'on veut, c'est que pendant cette crise sanitaire, il n'y ait pas de licenciement. Le chômage partiel, du coup, a été amplifié et le résultat, c'est que l'appel a été entendu puisque hier, nous avons enregistré déjà 150 000 entreprises et un million 600 000 salariés qui sont déjà en chômage partiel, c'est plus 50% par rapport à la veille. Je crois que c'est la solution, on garde son contrat de travail, on a une rémunération, l'entreprise est remboursée et du coup, on sauve les emplois, on protège les salariés et aussi on protège les compétences pour repartir ; je crois que c'est vraiment un très bon investissement de la nation pour protéger du chômage et aussi pour permettre de repartir ensuite en évitant le maximum les licenciements.  

GERARD LECLERC 
Oui mais les PME se plaignent, s'inquiètent en tout cas du refus de certaines de leurs demandes, est-ce que toutes y auront droit ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors il y a 150 000 entreprises qui sont déjà en télétravail, il y a eu 32 refus, France entière, donc il y a très peu de refus c'est une légende qui court. Ce qui s'est passé, c'est qu'il y avait un système informatique qui était calibré pour quelques cas par jour, maintenant c'est des milliers par minute et donc on a changé les systèmes et donc à partir de ce week-end, il n'y aura plus de problème pour trouver ces fameux codes mais de toute façon je le dis, on l'a mis dans les ordonnances, les entreprises ont 30 jours pour le déclarer et elles sont remboursées à partir du premier jour où elles ont mis en chômage partiel leurs salariés. Donc pas de stress, les salariés seront protégés, les entreprises sont remboursées, on est tous solidaires, on va éviter les licenciements et les petits problèmes pratiques sont maintenant réglés. 

GERARD LECLERC 
Alors, il y a tous ceux quand même qui doivent travailler, qui doivent se rendre sur place et il y a tous les problèmes, les questions de protection des salariés, tout le monde réclame des masques, les caissières de supermarchés, les facteurs, les policiers qui menacent de faire jouer leur droit de retrait. Alors, qui a droit véritablement à des masques et comment vous allez faire ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors, d'abord tout le monde a le droit absolu à la santé et à la protection sur son lieu de travail. C'est la fameuse deuxième ligne dont a parlé le président de la République. La majorité est confinée, c'est ce qui permet à ceux qui doivent aller travailler de pouvoir travailler et aux soignants de pouvoir soigner nos malades mais pour ça, pour la deuxième ligne comme pour la première, il faut absolument que la santé et la protection soient assurées. En tant que ministre du Travail, mes deux priorités c'est préserver l'emploi, préserver la santé et la protection des salariés. Alors comment on fait ? On travaille avec les partenaires sociaux, j'étais quasiment un jour sur deux cette semaine et la semaine d'avant en discussion avec eux et on met en place des guides de bonnes pratiques par métier. Ce matin par exemple, nous allons publier qu'est-ce que ça veut dire faire les gestes barrières pour un chauffeur livreur, pour une caissière ou un caissier et pour un boulanger et comme ça tous les jours on va sortir des nouveaux guides qui vont permettre d'avoir exactement tous les gestes, tous les équipements qu'il faut, c'est pas toujours de masques, parfois il y a des solutions meilleures dans certains métiers mais là c'est ce travail pointu et extrêmement rapide – je voudrais saluer les partenaires sociaux et les entreprises qui s'engagent là-dedans parce que là, on va très vite et il le faut. Moi, je ne veux pas qu'il y ait de salariés qui aillent travailler sans être protégés et la solution, elle est là. Et puis vous savez, il y a aussi des solidarités auxquelles on ne s'attendait pas, par exemple les entreprises à but social, les entreprises d'insertion, les ESAT, ils ont demandé aussi à participer à l'effort général, à l'effort de solidarité et ils vont, une vingtaine d'entre eux, vont être homologués pour fabriquer aussi des millions de masques, ils vont contribuer alors qu'eux-mêmes sont finalement l'objet d'une solidarité, ils vont eux-mêmes contribuer et évidemment mon ministère soutient leur démarche. Donc il y a des entreprises textiles aussi qui vont fabriquer, tout le monde est sur le pont mais encore une fois la solution, c'est ces guides de bonnes pratiques qui disent exactement ce qu'il faut faire métier par métier pour protéger les salariés, ce qui est vraiment notre priorité.  

GERARD LECLERC 
Rapidement, je prends un exemple précis, c'est les tensions dans les entrepôts d'AMAZON. Il y a beaucoup d'absentéisme et les syndicats réclament la fermeture de ces entrepôts. Qu'est-ce que vous en dites ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors, il y a eu effectivement un conflit social chez AMAZON, j'ai appelé moi-même le directeur général d'AMAZON en considérant d'après les informations que j'avais que les conditions de protection n'étaient pas suffisantes. Le travail a été fait avec les partenaires sociaux parce qu'il faut discuter ça dans chaque entreprise avec ses syndicats, avec ses salariés. Ils ont mis en place les mesures de sécurité ; il y a encore un sujet qui est vraiment un sujet de discussion, c'est qu'on ne peut pas demander non plus les mêmes cadences, la même productivité, la même rentabilité dans cette période, il y a beaucoup de gens qui manquent parce qu'ils sont parents, parce qu'ils sont malades, parce qu'ils sont confinés, ceux qui restent ne peuvent pas avoir tout le poids sur les épaules et donc il faut être bienveillant, bienveillant avec ceux qui sont en télétravail s'ils ont des enfants, ils ne vont pas travailler comme d'habitude, bienveillant dans les entrepôts, dans les magasins, dans les usines. On ne travaillera pas au même rythme mais il faut continuer à assurer les besoins nécessaires à la vie quotidienne des Français, aux hôpitaux mais on ne travaille pas de la même façon, on protège encore plus les salariés et on prend des rythmes de travail, des organisations du travail qui ne sont pas comme d'habitude. Donc je crois qu'effectivement, il faut qu'il y ait encore des progrès chez AMAZON.  

GERARD LECLERC 
Alors on en vient aux ordonnances, notamment à trois ordonnances qui permettent davantage de flexibilité aux chefs d'entreprise pour justement éviter les faillites et notamment sur les horaires de travail jusqu'à 46, voire 60 heures hebdomadaires dans certains secteurs jusqu'en décembre ; c'est une hérésie, dit Force Ouvrière, c'est un scandale pour la CGT, c'est de l'esclavage moderne pour la sénatrice Esther BENBASSA. Qu'est-ce que vous répondez ? 

MURIEL PENICAUD 
Je réponds ce que j'ai évoqué avec les partenaires sociaux dans notre réunion téléphonique hier après-midi sur lequel j'ai compris que la majorité convergeait, qui est : ça n'est pas la dérégulation du code du travail en général, on parle là de quelques semaines de confinement, de crise sanitaire où il faut absolument que les soignants puissent avoir les médicaments et les équipements, que les Français puissent avoir de quoi se nourrir, avoir l'électricité, avoir les besoins de première nécessité dans tous les domaines et donc pour ça, je salue tous ceux qui vont travailler la fameuse deuxième ligne mais pour ce faire, il y a des entreprises critiques qui vont avoir peut-être un manque de main-d'oeuvre et un surcroît d'activité dans les semaines qui viennent. Alors oui si dans une usine qui fabrique des gels, des masques, de l'agroalimentaire, dans l'agriculture si dans les semaines qui viennent pour quelques semaines, il faut travailler plus évidemment en rémunérant plus, eh bien, je pense qu'il faut pouvoir le faire et c'est aussi une manière de contribuer à tout l'effort de la nation. Donc ça sera des décrets secteur par secteur pour une durée très limitée, vraiment nécessaire aux besoins et on revient à la normale juste après. Donc c'est une parenthèse mais on est sur le pont, c'est une guerre, il faut la gagner et il faut que les Français puissent continuer à avoir leur vie quotidienne, même confinés et donc il faut que certains soient confinés pour que quelques-uns puissent travailler et dans certains cas, on travaillera plus peut-être quelques jours, quelques semaines s'il y a des besoins de première nécessité.  

GERARD LECLERC 
Mais ce n'est pas jusqu'en décembre donc ? 

MURIEL PENICAUD 
Non, on a prévu jusqu'à décembre au cas où il y ait par exemple, j'espère bien sûr que ça n'arrivera pas, qu'il y ait un regain de pénurie de produits alimentaires en septembre, en décembre, on n'en sait rien. Mais je pense que l'essentiel sera dans les jours et semaines qui viennent et encore une fois, ça ne concernera que certains secteurs et certaines entreprises et vraiment, on fait du sur-mesure, du cas par cas pour être sûr que ce soit vraiment un besoin qui est absolument nécessaire. 
 
GERARD LECLERC 
Alors la fédération de la CGT … 

MURIEL PENICAUD 
Et je crois que beaucoup de salariés le comprennent parce que certains l'ont proposé. 

GERARD LECLERC 
La fédération CGT des services publics vous a écrit pour vous annoncer qu'elle déposait un préavis de grève couvrant tout le mois d'avril contre ce qu'elle appelle des mesures antisociales. Qu'est-ce que vous leur répondez ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors il y a une habitude de certaines organisations syndicales de déposer des préavis à l'avance qui couvrent tout un mois, toute une semaine pour se garder la possibilité de faire comme ils veulent. Moi, j'en appelle à la responsabilité de tout le monde. La responsabilité des employeurs publics et privés, c'est d'assurer la santé et la protection des salariés qui vont travailler. Mais la responsabilité de chacun, c'est aussi d'oeuvrer pour ça, de soutenir la première ligne, de soutenir les Français et pour ça, il faut que l'usine d'emballages mais aussi le service public qui est vital, il puisse s'assurer. Je vais prendre un exemple, Pôle emploi : Pôle emploi, bien sûr les salariés sont en télétravail mais vous imaginez qu'on n'amènerait pas l'indemnisation des demandeurs d'emploi là à la fin du mois ?! C'est ce week-end la bascule de l'actualisation ; tous les demandeurs d'emploi auront leurs indemnités chômage et même dans l'ordonnance, on prolonge tous ceux qui arrivent en fin de droits pour qu'ils ne soient pas dans la précarité financière, eh bien pour ça, il y a 54 000 agents de Pôle emploi courageux qui travaillent, eh bien, eux ils sont essentiels à la nation. Je prends cet exemple, il y en a beaucoup, beaucoup, beaucoup. Donc chacun prend ses responsabilités mais je pense qu'appeler à stopper le pays au moment où il y a besoin de solidarité, eh bien, franchement, ce n'est pas la bonne démarche.  

GERARD LECLERC 
Il y a des interrogations également sur les RTT, sur tous les congés avec l'idée que les chefs d'entreprise vont pouvoir imposer de différer, imposer ou différer les vacances des salariés ; c'est lui qui va fixer les dates ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors ça existe déjà dans le code du travail puisque dans le code du travail, en vie normale, un employeur peut déjà fixer les dates de congés, par exemple fermer au mois d'août mais il faut qu'il prévienne un mois à l'avance. Ce qu'on a changé dans les ordonnances, c'est que ça puisse se prévenir un jour à l'avance mais à une condition pour les congés payés, c'est un accord avec les syndicats et les salariés. Il y a beaucoup d'entreprises où les syndicats, les salariés, les chefs d'entreprises se sont déjà mis d'accord en disant : puisque là on est bloqué prenons une semaine de congés, c'est maximum une semaine de congés maintenant, d'accord, ce n'est pas des congés comme d'habitude mais c'est aussi une manière de dire « on fait un effort et puis ensuite on repartira » mais je suis claire. Il n'y a pas un seul jour de congé ou de RTT ou de compte épargne temps qui sera supprimé ; c'est juste, est-ce que on se met d'accord pour fixer la date des congés un peu plus tôt et puis l'employeur peut aussi mobiliser des jours de RTT, c'est-à-dire vous dire : là vous prenez des RTT en ce moment. Mais franchement nous, on a nos soignants qui sont, vous savez, eux, ils sont, ni en congé ni en RTT, ils sont tous là sur le front. Qu'on fasse les uns les autres un peu d'efforts pour prendre quelques congés maintenant avec l'accord des syndicats et des salariés, ça me paraît faire partie de cette France solidaire dont on a besoin dans les semaines qui viennent. 

GERARD LECLERC
 Je termine avec la CFDT qui appelle les grandes entreprises dans cette période de crise à ne pas verser de dividendes en pleine crise du coronavirus. Vous en pensez quoi ? Vous êtes d'accord ?  

MURIEL PENICAUD 
Eh bien, moi, je comprends la démarche de la CFDT et avec Bruno LE MAIRE nous pensons que pour commencer, pour les entreprises où l'Etat est actionnaire, même minoritaire, on va leur demander de ne pas verser de dividendes, en tout cas à des particuliers, à des individus parce que je crois que dans ce contexte, tout le monde doit montrer que le partage de la valeur, c'est aussi une solidarité et donc c'est la démarche que l'on va pousser, oui. 

GERARD LECLERC 
Merci Muriel PENICAUD, bonne réunion avec le Premier ministre et avec le chef de l'Etat. 

MURIEL PENICAUD 
Merci, bon courage à tous.

 GERARD LECLERC 
Bonne journée, merci. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 30 mars 2020