Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à Radio Classique le 30 avril 2020, sur l'accès aux masques face à l'épidémie de Covid-19.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

GUILLAUME DURAND
Nous sommes avec Agnès PANNIER-RUNACHER, donc en direct au téléphone. Elle est secrétaire d'Etat à l'Economie. Nous retrouvons Dimitri PAVLENKO et David BARROUX après. Merci d'être avec nous, donc en direct ce matin, madame. Vous savez que cette affaire des masques, est une affaire, je vous parle franchement, qui plombe un peu la communication du gouvernement depuis le début, mais nous allons prendre ça dans l'ordre, parce qu'il y a masque et puis il y a masque. C'est-à-dire que vous avez des masques pour le grand public, des masques pour les entreprises, même si les gens travaillent, il y a les masques pour les profs, il y a des masques dans les transports, donc on va essayer d'y voir plus clair. D'abord, concernant les petites entreprises ou les entreprises moyennes, c'est-à-dire les entreprises de moins de 50 salariés, vous avez un certain nombre d'annonces à faire ce matin, qui passent par une plate-forme téléguidée ou en tout cas installée via LA POSTE.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, tout à fait, nous avons demandé à LA POSTE de se charger d'équiper les TPE et les PME qui auraient du mal à se procurer des masques, parce qu'elles n'ont pas les services achats structurés et parce qu'elles ne commandent pas de grandes quantités de masques, comme celles que nous vendons aujourd'hui sur la plateforme de l'Etat, du ministère de l'Economie « Stop Covid-19 », et parce qu'elles veulent des masques grand public, et vous savez que nous avons une plateforme que nous avons montée aussi avec CDiscount, pour les PME et les TPE, mais qui ne vend que du masque à usage unique. Donc à partir du 2 mai, les entreprises de 10 à 50 salariés pourront s'inscrire et commander des masques, et à partir du 4 mai, les entreprises de 0 à 10 salariés pourront s'inscrire et commander des masques. Et LA POSTE s'engage à leur livrer dans les 5 jours qui suivent, leurs commandes, lorsqu'elles sont en métropole, et un délai un peu plus long pour l'Outre-mer.

GUILLAUME DURAND
Donc tout ça, ça devrait fonctionner.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout ça devrait fonctionner, c'est… nous le faisons avec les Chambres de commerce et d'industrie et les Chambres de métiers et d'artisanat, pour s'assurer que ce sont bien les entreprises qui s'inscrivent, pour s'assurer que ces entreprises ont toutes un accès égal aux masques, parce qu'au fond aujourd'hui le sujet ce n'est pas la quantité de masques dont on dispose, c'est de s'assurer que les personnes qui en ont besoin, ont le bon accès, ont le bon réseau, et que ceux qui en ont moins besoin ne fassent pas des stocks de leur côté.

GUILLAUME DURAND
Alors, j'ai plusieurs questions à vous poser, qui sont importantes, car je le disais tout à l'heure, il faut être franc ce matin madame. Vous savez que cette affaire de masques a plombé une partie de la communication du gouvernement, tout le monde le sait, ça a été écrit, et d'ailleurs même le président de la République a reconnu qu'il y avait des ratés. Pour ce qui concerne le déconfinement, c'est-à-dire 7 et 11 mai, il faut que les Français disposent de combien de masques et combien de masques êtes-vous certaine de pouvoir leur donner ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Pour le déconfinement, à titre individuel, chaque Français a une consommation qui sera différente. Si ce sont des personnes vulnérables, il leur faut un masque, pas plus, parce qu'elles n'ont pas vocation à passer leur temps en dehors de leur domicile. Si ce sont des personnes qui travaillent et qui sont dans des situations où leur employeur n'est pas capable d'assurer une distanciation sociale, alors il leur faudra autant de masques que la durée de leur travail sur site. Si elles sont en télétravail, là aussi, un, deux masques, peut-être trois suffisent, puisqu'elles ne sortent que pour aller faire des courses, donc elles sont rarement plus de 4 heures en dehors de leur domicile.

GUILLAUME DURAND
Madame PANNIER-RUNACHER, ça fait combien de masque Est-ce que l'Etat actuellement les a ces masques, ou les aura à l'horizon du 7 ou du 11 mai ? Parce qu'autrement, vous vous avez entendu le Premier ministre évidemment, s'il n'y a pas de masque, il n'y a pas de test, il n'y aura pas de déconfinement, si la situation sanitaire s'aggrave, donc il faudrait quand même qu'on sache…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Soyons très clairs. Nous avons produit en France et importé 41 millions de masques jusqu'à lundi dernier. Cette semaine c'est 26 millions de masques additionnels. La semaine prochaine c'est 31 millions de masques additionnels, la semaine d'après 38 millions. Ces masques sont des masques en tissu, lavables, réutilisables, filtrants, filtrant 90% des particules de 3 microns ou 70% des particules de 3 microns. Ils sont le plus souvent réutilisables 20 fois. Donc si vous prenez par exemple le chiffre de la semaine prochaine, 31 millions, c'est l'équivalent, si je multiplie par 20, de 600 millions de masques à usage unique. Donc la quantité, que ce soit des masques grand public ou que ce soit d'ailleurs des masques à usage unique, type masques chirurgicaux, aujourd'hui la grande distribution, les buralistes, les pharmaciens, annoncent qu'ils vont vendre des masques. Certains annoncent des volumes considérables, moi j'écoute les annonces de CARREFOUR, les annonces d'INTERMARCHE, les pharmaciens. Donc la question encore une fois est moins le nombre de masques au plan macro, on en a beaucoup, que de s'assurer que toutes les personnes qui en ont besoin jusqu'au fin fond du petit village des Hautes-Alpes, a le bon volume de masques. C'est moins un sujet de quantité de masques, qu'un sujet de logistique de masques.

GUILLAUME DURAND
Oui, mais on se comprend, madame PANNIER-RUNACHER, ça veut dire qu'il faut des masques pour tout le monde, autrement il n'y aura pas de déconfinement. S'il n'y a pas de masques et s'il n'y a pas donc les fameux tests et il faut, il en faudrait 700 000 à partir du 11 mai, il ne peut pas y avoir de déconfinement, donc vous nous dites bien ce matin qu'il y aura, alors, ne prenons pas le chiffre, mais il y aura tous les masques nécessaires pour que le déconfinement ait lieu, vous en prenez l'engagement ce matin, y compris le ça passe par les réseaux de distribution, par les pharmacies.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait. Ce que je vous dis aujourd'hui c'est qu'on sait équiper les gens qui vont retravailler, qu'on sait équiper les fonctionnaires, qu'on sait équiper l'Education nationale. Il y a un réseau spécifique pour équiper l'Education nationale, et qu'on procurera des masques aux enfants, et qu'on fera 5 millions de masques dédiés aux personnes vulnérables. En revanche, il faut être très clair : je compte aussi sur la responsabilité de tout à chacun pour ne pas faire des stocks de masques. C'est comme les pâtes au début du confinement. Lorsqu'on vide les rayons, on ne rend pas service aux autres, et c'est tout l'enjeu de ce déblocage progressif des masques que nous organisons.

GUILLAUME DURAND
Alors, question, il semblerait qu'il y ait une cellule antifraude qui a été installée à Bercy justement pour lutter contre ce type de comportement. Est-ce que c'est vrai ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y a une cellule antifraude qu'a été installée, pas seulement à Bercy, c'est une cellule interministérielle, qui réunit la gendarmerie, la police, TRACFIN, les douanes, tout ce qui est en gros services de lutte contre la criminalité, la DGCCRF pour mes services, et qui est orientée sur les fraudes spécifiques à ce moment particulier du coronavirus. Cela va des fausses allégations sur des produits qui sont vendus en ligne, qui sont soi-disant, vous guérissent du coronavirus ou vous protègent du coronavirus, à toute la cybercriminalité qui a tendance à augmenter, même si le ministère de l'Intérieur fait un travail remarquable pour bloquer les attaques. En fait, toute l'invention et la créativité maline qui se développe en temps de coronavirus, et nous articulons.

GUILLAUME DURAND
J'ai deux questions, enfin je signale simplement à ceux qui lisent les journaux ce matin, que chez nos confrères du Parisien il y a une grande enquête qui montre que dans les pharmacies c'est quand même assez compliqué de s'en procurer ce matin, espérons que ça va s'améliorer dans les jours qui viennent. Mais Eric WOERTH, qui donne un entretien à ce matin, on va en reparler avec Dimitri PAVLENKO dans un instant, il dit que oui, sur le plan sanitaire, d'ailleurs il a voté le plan Edouard PHILIPPE, mais il considère que sur le plan économique, et vous êtes secrétaire d'Etat à l'Economie, le déconfinement prévu s'il a lieu est trop lent, c'est-à-dire qu'on est en train d'encaisser une telle décélération de l'économie, que si on rentre à ce rythme-là on n'y arrivera pas.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, c'est un choix qu'on a fait. On a fait le choix de la santé des Français. On peut nous reprocher des choses, on fait le choix de la santé des Français, et effectivement nous déconfinons de manière à assurer une reprise du travail, dans des conditions sanitaires irréprochables. C'est un choix assumé. Il faut redémarrer l'économie, il faut redémarrer l'économie parce que c'est ça qui va permettre notamment à l'Etat de financer et de soutenir des secteurs qui sont plus durablement bloqués, je pense au tourisme, je pense à la restauration par exemple, qui aujourd'hui sont fermés, à tout ce qui est culture.

GUILLAUME DURAND
Eh bien c'est une catastrophe.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Qui du coup perdent beaucoup d'argent, pour qu'on puisse continuer à les soutenir, sans créer une dette gigantesque. Il faut effectivement que d'autres compartiments de l'économie puissent reprendre, faire travailler les Français. Et l'enjeu c'est d'éviter une crise sociale massive, des suppressions d'emplois, parce qu'une économie qui est sous asphyxie, ça ne fonctionne pas, mais on le fait au bon rythme, en respectant les conditions sanitaires et de sécurité des Français.

GUILLAUME DURAND
Vous avez dit vous-même que c'était un choix, il y a des pays qui ont choisi de déconfiner plus tôt, donc nous restons sur cet engagement que vous avez pris ce matin. Pardonnez-moi de vous poser cette question avant de vous laisser, mais c'est quand même une question qui préoccupe les Français et qui explique d'ailleurs, disons, une certaine forme d'impopularité du gouvernement, c'est que cette affaire des masques, depuis le paradis perdu de madame BACHELOT, avec un milliard de masques et la situation au début de la crise où il y en avait à peine plus de 100 millions, les gens se posent la question des responsabilités. Comment se fait-il, puisque vous êtes quand même responsable de ça, je ne parle pas de vous à titre individuel, mais comment se fait-il que pendant tout le quinquennat de François HOLLANDE on n'ait pas réarmé le stock, et qu'au début du quinquennat d'Emmanuel MACRON, et à cette époque il y avait déjà Jérôme SALOMON qui était en responsabilités, on n'ait pas réarmé ce stock ? Ce qui fait qu'au départ, un certain nombre de ministres, de porte-parole, on dit absolument tout et n'importe quoi.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, je crois qu'Olivier VERAN avait été très clair dans la Conférence de presse qui avait été faite de mémoire début avril, sur cette situation des masques. Effectivement il y a eu des décisions qui ont été prises, dans un contexte où les éléments en mains de la décision, montraient et ils renvoyaient ça au mandat précédent, en l'occurrence, puisque le non-renouvellement de stocks de masques il date d'avant le quinquennat d'Emmanuel MACRON, c'est une décision de mémoire, je ne veux pas dire de bêtise, de 2011, qui a été prolongée en 2013. Donc ça fait un certain nombre d'années que des décideurs politiques ont pris cette décision, c'était que le scénario d'une crise où on manque de masques sur l'ensemble de la planète, l'ensemble de la planète, c'est de ça qu'on parle, et où on multiplie par 100 la consommation de masques, n'avait pas été anticipée.

GUILLAUME DURAND
Ça j'ai compris, mais madame. Mais quand madame BUZYN prévient le Premier ministre, puisqu'elle l'a dit dans un entretien au Monde, donc au début du mois de janvier, si elle le prévient ça veut dire que le réarmement du stock devait être pris en compte par le gouvernement à un moment.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, moi je vais vous dire une chose.

GUILLAUME DURAND
Je vous en prie.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il y a beaucoup de parleux, mais il n'y a pas beaucoup de faiseux. Il y a beaucoup de gens qui savent pertinemment comment il fallait gérer cette crise, et d'ailleurs ce qui est assez intéressant, c'est qu'ils disent des choses qui sont en contradiction avec ce qu'ils ont dit 2 mois avant sur "c'est évident, il fallait procéder comme ça". Il faut toujours se méfier de l'illusion rétrospective. Si effectivement 2 mois après on avait eu l'idée des consommations qui n'ont jamais atteint ce niveau de plus de 40 millions de masques/semaines, dans les hôpitaux, là où auparavant on devait être à 10 fois moins, et on avait un stock pour 20 semaines de consommation dans les hôpitaux. 20 semaines c'est 5 mois, donc on démarre la crise avec 5 mois de stock. Alors effectivement, cette pointe-là elle n'a pas été anticipée, nous ne l'avons pas anticipée, et nous l'avons dit en parfaite transparence, le Premier ministre l'a dit, Olivier VERAN l'a dit, dans leur Conférence de presse. Je crois qu'il faut être très humble par rapport à la situation, parce que quiconque dit qu'il a prévu comment ça allait se passer, je leur demande très simplement : eh bien expliquez-nous les prochains chapitres et comment il faut s'y prendre, ça m'intéresse.

GUILLAUME DURAND
Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat à l'Economie était notre invitée ce matin et elle a expliqué donc que ce qui allait être fait via une plateforme de LA POSTE, pour les entreprises les TPE et les PME, donc à la fois de moins de 10 salariés de 10 à 50 salariés, tout ça donc va fonctionner au début du mois de mai. C'était donc l'annonce faite.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 mai 2020