Déclarations de Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice, M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, M. Édouard Philippe, Premier ministre, M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail et M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports, sur la stratégie nationale du plan de déconfinement dans le cadre de la lutte contre l'épidémie de Covid-19, au Sénat le 4 mai 2020.

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Circonstance : Débat interactif au Sénat

Texte intégral

M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif sous la forme d'une série de quinze questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à M. Xavier Iacovelli.

M. Xavier Iacovelli. Monsieur le Premier ministre, depuis le début de la crise sanitaire qui frappe notre pays, les maires et les élus locaux sont en première ligne pour protéger nos concitoyens et mettre en oeuvre les mesures d'urgence permettant de faire face à cette situation inédite.

En tout état de cause, celle-ci laissera des traces, tant elle a bouleversé notre quotidien, frappé celles et ceux qui nous entourent, fortement touché nos commerçants, artisans, indépendants et les familles les plus précaires.

Dans ce contexte, les maires sont au plus près des réalités du terrain et en contact permanent avec nos concitoyens pour répondre à leurs attentes et à leurs inquiétudes. Ils sont, et je reprends vos mots, monsieur le président, « à portée d'engueulade » de leurs administrés.

Ces mêmes élus locaux auront pour mission d'assurer la réouverture des écoles à compter du 11 mai prochain, telle qu'elle a été prévue par le Gouvernement.

Dans ce cadre, et vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la protection de nos enfants est la priorité. Les conditions de sécurité sanitaire doivent être scrupuleusement respectées, et nous pouvons compter sur le dévouement et le travail acharné des maires pour les mettre en oeuvre.

Cette priorité, selon nous, va de pair avec le renforcement de la protection juridique des maires et des élus locaux dans le cadre des opérations de déconfinement et, en particulier, dans le cadre de la réouverture des écoles.

Oui, vous l'avez rappelé, monsieur le Premier ministre, la loi Fauchon protège déjà les élus. Mais ils ont aussi besoin d'être rassurés par l'État. Il y va de la confiance et de la réussite de ce déconfinement.

C'est pourquoi la majorité du groupe La République En Marche a déposé un amendement allant dans ce sens et se félicite de l'adoption d'un amendement similaire du rapporteur.

Étant toutes et tous en lien avec les élus de nos départements, nous entendons leurs inquiétudes légitimes et sommes particulièrement déterminés à y apporter une réponse concrète.

Ma question est donc la suivante, monsieur le Premier ministre : quelles seront les réponses du Gouvernement face aux attentes des maires et des élus locaux, partenaires essentiels de l'État dans la crise que nous traversons ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Comme l'a rappelé M. le Premier ministre, votre préoccupation telle que vous l'avez exprimée, monsieur le sénateur, rejoint celle du Gouvernement : les maires doivent pouvoir prendre pour leur commune les décisions qui sont nécessaires au déconfinement, sans crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.

Ainsi que je l'ai rappelé la semaine dernière à M. le sénateur Bockel, les règles du code pénal qui sont prévues pour retenir la responsabilité pénale en cas d'infraction involontaire sont très restrictives. Elles reposent sur la recherche d'un comportement sciemment dangereux, d'une prise délibérée de risque, au mépris de la sécurité d'autrui.

Ces dispositions font en outre l'objet d'une approche très encadrée par la chambre criminelle de la Cour de cassation, qui retient la nécessité de prendre en compte les compétences propres à chacun des élus concernés, d'une part, et l'état des connaissances générales sur tel ou tel domaine, d'autre part, le tout pour apprécier in concreto l'existence d'une éventuelle faute.

Ce cadre juridique étant général, je ne vois pas comment un décideur, un élu qui donnerait des instructions afin d'assurer notamment le respect des dispositifs barrières pourrait voir sa responsabilité engagée.

Il nous appartiendra toutefois de vérifier si la codification de la jurisprudence est nécessaire. Il s'agirait, en opérant ainsi une clarification et une réaffirmation du droit, de prévenir une incertitude qui pourrait être préjudiciable à la prise des décisions qu'imposent les circonstances.

Dans ce cadre-là, nous sommes évidemment tout à fait décidés à conduire ce travail avec le Parlement.

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, la crise que nous traversons est sans précédent. Elle est sanitaire, mais aussi économique et sociale, et même simplement alimentaire.

La pandémie et le confinement ont rendu plus visibles que jamais les inégalités rongeant notre société. Pour les plus fragiles, l'épreuve traversée a été plus redoutable encore : enfants privés d'un repas à faible coût à la cantine, foyers confrontés à une quasi-famine, étudiants, migrants, mineurs non accompagnés, chômeurs, sans-abri, travailleurs précaires, familles monoparentales, pour qui il s'agit moins de vivre que de survivre !

Le déconfinement en soi n'effacera pas magiquement ces inégalités criantes ni ne corrigera leurs effets aggravés par cette crise. Il ne s'agit pas seulement de panser les blessures immédiates, de répondre à l'urgence, mais il convient, pour une fois, d'appréhender la question sociale et celle des inégalités dans leur globalité et sur le long terme.

Le déconfinement doit être accompagné d'un plan d'urgence sociale redonnant à l'État-providence tout son rôle.

Monsieur le Premier ministre, quelles mesures sociales concrètes et immédiates d'envergure comptez-vous mettre en oeuvre ?

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Madame la sénatrice, vous avez posé le diagnostic : la période de la crise et du confinement a été encore plus difficile pour les Français, surtout pour ceux qui connaissent des conditions de vie plus difficiles au quotidien. Nous partageons le même constat, dont vous avez cité quelques éléments : l'absence de cantine, la difficulté à joindre les deux bouts, avec l'absence d'activité complémentaire destinée à s'ajouter à des revenus déjà faibles ou, parfois, l'obligation d'aller faire les courses à la supérette du quartier dans laquelle les prix pratiqués sont plus élevés que ceux des grands distributeurs alimentaires discount.

Tout cela, madame la sénatrice, a été pris en compte, et le Premier ministre en a parlé dans son intervention. Au 15 mai, 4 millions de ménages en France, parmi les plus pauvres et les plus précaires, percevront une aide exceptionnelle. Les bénéficiaires du RSA et de l'ASS recevront chacun 150 euros, et 100 euros supplémentaires par enfant. Tous les bénéficiaires de l'APL toucheront 100 euros par enfant. Cette aide sera versée directement par les caisses d'allocations familiales (CAF) sans qu'il soit besoin d'effectuer la moindre démarche, car nous ne voulions pas introduire le risque de non-recours.

J'en viens au maintien de l'aide alimentaire.

Je suis allé en Seine-Saint-Denis, voilà une dizaine de jours, à la rencontre d'associations qui interviennent auprès des familles dans un département où la précarité est plus importante qu'ailleurs. L'aide alimentaire va faire l'objet d'un soutien de l'État à hauteur de 39 millions d'euros, et sera assortie de mesures territorialisées au travers de chèques alimentaires qui sont désormais versés aux familles, puisque le dispositif est opérationnel.

La continuité du travail social a été renforcée grâce au soutien de la plateforme en ligne mise en place par Gabriel Attal à destination des jeunes du service civique. Par ailleurs, le versement des aides sociales se poursuivra pendant toute la période, avec une prolongation de l'accès aux droits sans aucune démarche administrative. Enfin, nous avons organisé, avec Julien Denormandie, la mise à l'abri des personnes sans abri, avec le développement de nouveaux foyers et logements.

Je saisis cette occasion pour tirer un grand coup de chapeau à tous les travailleurs sociaux, qui n'ont pas chômé depuis le début de cette crise ; nous leur devons beaucoup !

M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa, pour la réplique.

Mme Esther Benbassa. Monsieur le ministre, vous avez l'air de connaître très bien la situation, mais vous comprendrez également que ce n'est pas avec des mesurettes comme les 150 euros versés aux allocataires du RSA ou les 200 euros en faveur des étudiants, alors que le loyer dans les cités universitaires est beaucoup plus élevé, que vous allez régler le problème de la famine et de la pauvreté. Honnêtement, ce n'est pas sérieux, et vous le savez bien ! Il faut repenser entièrement la question en vue d'élaborer un plan global d'urgence.

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus.

M. Emmanuel Capus. Dans cette crise, on remarque des acteurs clés, des organisateurs qui sont indispensables. Je parle des maires, dont je veux saluer ici l'action. Ils sont aux avant-postes, au contact direct de la population, et, comme l'a dit le Premier ministre, avec les préfets, c'est sur eux que repose le succès du déconfinement.

C'est grâce à eux que les déchets sont collectés, que l'eau est distribuée, que les repas sont servis aux plus fragiles. C'est aussi grâce à eux que, demain, les enfants retourneront à l'école avec le plus de sécurité possible. Le Gouvernement a raison de leur faire confiance pour organiser la réouverture des classes, qui est si indispensable à la reprise de notre pays comme à nos enfants.

Toutefois, la confiance n'exclut pas l'assurance ni la légitimité. Les maires, en première ligne, ont besoin d'être rassurés, vis-à-vis de leur responsabilité civile et pénale, bien sûr – ce sera l'un de nos sujets de discussion ce soir. Ils ont aussi besoin que leur légitimité soit renforcée.

À cet égard, dès lors que le déconfinement commence, pouvez-vous rassurer les maires sur la date prévisible d'installation des conseils municipaux qui ont été élus au premier tour ? Monsieur le Premier ministre, puisque vous avez anticipé fort justement l'avis du conseil scientifique qui devait être rendu le 23 mai, ma question est encore plus précise : quand peut-on espérer que cet avis sera rendu ? Et après quel délai l'installation des conseils interviendra-t-elle ? Concrètement, ceux-ci pourront-ils être installés dans les quinze jours, en tout état de cause avant la fin du mois de mai ? (Applaudissements sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Excellent !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Monsieur le sénateur, le plus tôt sera le mieux, je ne peux pas vous le dire autrement, car l'installation des conseils municipaux qui ont été définitivement élus au premier tour est non pas un impératif, mais présente une utilité évidente, je l'ai dit, du point de vue démocratique et économique.

Il a été jugé collectivement que, pendant la période de confinement, ce n'était pas possible, car non approprié, nonobstant le souhait de certains. Si nous avons fixé cette date du 23 mai, ce n'est pas par fétichisme, c'est parce que nous étions le 23 mars et que nous voulions attendre deux mois. Heureusement, le Parlement a écrit : « au plus tard ». Par conséquent, dès lors que nous avons pris la décision de procéder au déconfinement à partir du 11 mai, si nous saisissons le conseil scientifique et qu'il peut rendre un avis rapide, le rapport que j'aurai à remettre au Parlement sera relativement simple à écrire, et nous serons en mesure, je l'espère, d'installer le plus vite possible ces conseils municipaux.

Tout le monde en est parfaitement conscient ici, ce n'est pas tant l'installation des conseils municipaux élus au premier tour qui est problématique, que les conséquences de celle-ci sur les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) et la coexistence, au sein des EPCI, de conseils municipaux, donc de représentants des communes élus au premier tour, et de conseillers communautaires qui n'ont pas été définitivement élus au premier tour et dont la légitimité, bien que n'étant pas contestable, puisque la loi a prévu la prorogation de leur mandat, les place dans une situation différente, de surcroît lorsque la liste sur laquelle ils figuraient a été battue au premier tour.

Nous allons trouver les moyens de surmonter cette difficulté, mais je le redis, mon objectif, comme celui du Gouvernement, est de faire en sorte que les conseils municipaux élus au premier tour soient installés d'ici… disons, le plus rapidement possible ! (Sourires.) J'ai bon espoir que nous y parvenions avant la fin du mois de mai.

M. le président. Nous sommes le 4 mai, donc il vous reste quelques jours, monsieur le Premier ministre !

La parole est à Emmanuel Capus, pour la réplique.

M. Emmanuel Capus. Je souhaite juste vous remercier, monsieur le Premier ministre, de cette réponse si précise ! (Rires.)

M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.

Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le Premier ministre, à la suite de l'annonce par le Président de la République du retour à l'école, le Sénat, constructif, a pris ses responsabilités. La commission de la culture a créé en son sein un groupe de travail pour évaluer les enjeux de cette reprise. Animé par notre collègue Jacques Grosperrin, ce groupe, dont je salue l'excellent travail, a émis onze préconisations, lesquelles ont été rendues publiques, sur le fondement de deux prérequis : l'avis de la communauté scientifique sur la situation sanitaire et ses recommandations, l'urgence d'une concertation avec les acteurs de terrain, notamment les collectivités territoriales.

Interpellé par le refus de plusieurs maires, et pas uniquement dans les départements rouges, et après avoir écouté les familles et des enseignants, le groupe Union Centriste veut des réponses précises, d'abord sur les risques épidémiologiques, les services pédiatriques dans toute la France se faisant l'écho d'un nombre anormalement élevé de pathologies cardiaques affectant des enfants, lesquelles pourraient être liées au Covid-19. Avez-vous des études sur ce sujet, mais aussi sur la contagiosité des enfants ?

Quel suivi sanitaire et médical, y compris du personnel, sera mis en place localement, compte tenu de l'état de notre médecine scolaire ?

Les maires ne se cachent pas derrière leur petit doigt. Un certain nombre d'entre eux acceptent souvent de s'organiser, avec les moyens du bord, mais la question de leur responsabilité pénale et juridique est en effet posée. Sur l'initiative d'Hervé Maurey, notre groupe a d'ailleurs le premier soulevé ce sujet. J'ajoute que certains maires se sentent fragilisés par une élection municipale non achevée.

Le bon sens veut en effet que le déconfinement se fasse de manière progressive et qu'il soit totalement adapté aux contextes locaux. Il faut donc bien clarifier les obligations et les responsabilités du scolaire et du périscolaire, la question des surcoûts. Il vous reste à nous dire comment traiter le mieux possible les ruptures d'égalité entre les enfants qui iront à l'école et ceux qui resteront à la maison. Quid également des enfants en situation de handicap ?

Le flottement du début a laissé place à un peu plus de méthode, mais nous avons tous le sentiment d'avancer à marche forcée, avec le 11 mai en ligne de mire. Il reste à peine quatre jours ouvrés pour mettre en oeuvre le protocole sanitaire discuté vendredi. Avec quels moyens humains et financiers ?

De quelle souplesse disposons-nous pour adapter le calendrier ? Les maires d'Île-de-France, mais pas uniquement eux, ont demandé un sursis, certains, trop prudents ou réalistes – à vous de nous répondre, monsieur le ministre – allant même jusqu'à réclamer une réouverture des écoles en septembre. N'était-ce pas d'ailleurs l'avis du conseil scientifique ? Nous aimerions le savoir. (Mme Sophie Joissains et M. Hervé Maurey applaudissent.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

M. Jean-Michel Blanquer, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. Votre question en comprend en fait plusieurs, madame Morin-Desailly.

Votre première question s'adressait plutôt au ministre des solidarités et de la santé. Nous évoquons ensemble très régulièrement ce sujet afin de suivre en détail la situation sanitaire.

Le Premier ministre a répondu à votre deuxième question dans son discours. Le régime de responsabilité ne doit pas susciter d'inquiétude de la part des maires. Nous nous emploierons bien entendu à les rassurer sur ce point, si c'est nécessaire.

Tout ce que nous faisons, nous le faisons ensemble. J'observe que la reprise de l'école suscite certes de nombreuses polémiques – elles sont sans doute inévitables –, mais aussi que beaucoup de maires sont passés à l'action, y compris d'ailleurs certains de ceux qui ont signé la pétition, ce que je trouve un peu étonnant. Je préfère de toutes les façons qu'ils agissent, et c'est ce qu'ils font.

Sur ce sujet, comme sur d'autres, je me demande pourquoi ce qui est faisable dans un endroit ne l'est pas dans un autre. Aujourd'hui, ceux qui se sont mis en route démontrent que la reprise de l'école est faisable.

Comme l'a dit le Premier ministre, le protocole sanitaire est très exigeant, mais si tel n'était pas le cas, on nous le reprocherait. Donc oui, le protocole est exigeant. Il nous appartient, tous ensemble, de le faire respecter.

J'ai participé ce matin à une visioconférence avec les représentants des médecins scolaires : ils travailleront évidemment avec les communes sur ces sujets, comme d'ailleurs d'autres corps de métier de l'éducation nationale. Il faut faire preuve d'un esprit d'équipe dans ce genre de circonstances, c'est d'ailleurs ce qui se passe dans la majorité des cas.

Vous dites qu'il y a un problème de méthode. En réalité, nous faisons face, comme tous les pays, à un problème considérable. Les autres pays sont attentifs à notre protocole sanitaire et, de façon générale, regardent plutôt favorablement ce qui s'est passé en France en matière d'éducation pendant la période de confinement. Nous comptons par exemple moins de décrocheurs que l'Allemagne. Il y a toujours des comparaisons avec l'Allemagne dans les situations dans lesquelles nous pensons être moins bons qu'elle, mais personne ne s'y intéresse quand nous sommes meilleurs.

Mon propos n'est pas de nous adresser des compliments. Ce qu'il faut, c'est faire preuve d'un esprit d'équipe, ce qui n'exclut pas la critique.

Sur le protocole sanitaire, comme sur les sujets pédagogiques, nous avançons en faisant preuve d'un esprit d'équipe, avec les élus locaux en particulier.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Philippe Bas. Monsieur le Premier ministre, vous avez rappelé que, le 11 mai, c'est dans un peu plus de six jours – personne ne le contestera. Pour ma part, je m'interroge : les Français seront-ils suffisamment préparés le 11 mai pour le déconfinement ? Leurs écoles, leurs entreprises, leurs administrations seront-elles prêtes ? Vous-même, serez-vous prêt ?

Vous avez dévoilé votre stratégie de déconfinement. Elle s'inspire d'une philosophie que je ne conteste pas. Vous avez annoncé un certain nombre de décisions, mais pas toutes les décisions. Il reste de mon point de vue trop de flou pour que le compte à rebours qui va nous conduire dans quelques jours au 11 mai soit suffisant pour que tout soit prêt ce jour-là. Cela m'inquiète.

Je poserai trois questions.

Singulièrement, personne en France ne sait quelles conséquences juridiques s'attacheront au fait qu'un département sera classé rouge. Le confinement sera-t-il maintenu dans les départements de cette catégorie ?

Le système d'information que vous nous demandez de vous permettre de mettre en oeuvre sera-t-il prêt le 11 mai ? J'en doute !

Ma troisième question porte sur les transports en commun, notamment en Île-de-France. Allez-vous demander à nos concitoyens de se munir d'une attestation justifiant leur présence dans les transports en commun afin d'éviter leur saturation et la propagation de l'épidémie du fait de la promiscuité ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Catherine Deroche. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Vous posez trois questions, monsieur le président Bas.

Quel est l'effet juridique d'un classement en vert ou en rouge ? J'ai indiqué que, de façon certaine, la réouverture des collèges, des classes de sixième et de cinquième, ne serait pas engagée dans les départements rouges, qu'elle ne serait possible que dans les départements verts. De même, les parcs et jardins resteront fermés dans les départements rouges, mais pourront être ouverts dans les départements verts. Pour l'instant, ce sont les seules différences qui ont été décidées.

À l'évidence, un certain nombre des décisions que prendront les préfets et les maires, les adaptations de certaines règles qu'ils prévoiront dépendront du fait qu'ils sont ou non dans un département rouge, où le virus circule plus vite et où il faudra être encore plus prudent, sachant qu'il faut être prudent partout.

Prenons un exemple. De mon point de vue, dans les départements verts, le travail effectué entre les mairies et l'éducation nationale doit permettre de rouvrir partout les écoles primaires, dans des conditions parfois un peu différentes de celles qu'on aimerait avoir, soit des conditions dégradées, c'est vrai, mais partout.

Dans les départements rouges, comme j'ai déjà eu l'occasion de l'indiquer en réponse à des questions qui m'ont été posées au Sénat la semaine dernière, lorsqu'un maire, comme Mme le maire de Mulhouse par exemple – j'en parle, car c'est la ville qui a malheureusement connu un embrasement, la première vague –, nous dira : « Compte tenu de ce que nous avons connu, compte tenu du fait que nous sommes toujours en rouge, je vous garantis qu'il ne va pas être possible de rouvrir les écoles », nous examinerons la situation. Le classement teintera forcément la capacité d'appréciation du maire et du préfet.

Je suis en train de dire non pas que les écoles ne doivent pas rouvrir dans les départements rouges, mais que la qualification rouge ou verte donne à ceux qui doivent prendre des décisions une indication du sens dans lequel ils doivent aller s'ils ont des hésitations. C'est, me semble-t-il, utile.

Par ailleurs, à partir du 2 juin, lorsque nous gravirons la deuxième marche, lorsque, je l'espère, nous aurons relancé notre économie, rouvert notre pays, et que nous aurons montré notre capacité à maîtriser l'épidémie, la distinction entre vert et rouge pourra donner lieu à d'autres différenciations. Au fond, cet indicateur, qui nous permet de savoir si les choses sont parfaitement sous contrôle ou si la menace reste très présente, nous permettra de différencier au fil du temps les mesures qui peuvent être prises dans les départements verts et celles qui ne peuvent pas l'être dans les départements rouges.

Vous avez ensuite évoqué le système d'information. Notre objectif est évidemment qu'il soit prêt. La vérité, et vous le savez très bien, c'est que nous faisons face moins à une difficulté technique pour créer le fichier qu'à un problème juridique, lié aux droits d'accès. Alors que ce fichier contiendra des données à caractère médical, la question est moins de savoir si nous saurons le faire fonctionner, mais qui pourra y avoir accès. La vérité, c'est que l'on a prévu l'article 6 non pas parce que nous voulons créer un fichier, mais parce que nous avons besoin de permettre à des gens qui ne sont pas médecins d'avoir accès à des données médicales. Tel est l'objet de cet article.

Techniquement, je n'ai pas de doute sur le fait que le système fonctionnera. La question est de savoir si, juridiquement, il pourra fonctionner. Le Parlement autorisera-t-il ce mécanisme qui permet efficacement de remonter les chaînes de contamination ? C'est pour cela que le vote de l'article 6 sera de mon point de vue important.

Enfin, l'attestation pour les transports en commun n'est pas un sujet. Nous avons simplement dit, là encore afin de faire preuve du plus grand pragmatisme, que si les autorités organisatrices de transport avaient besoin d'un certain nombre de mesures pour mieux réguler la demande, là où elles doivent augmenter l'offre, nous étions prêts à en discuter avec elles. Peut-être nous demanderont-elles dans certaines agglomérations de les aider, par exemple, à mieux réguler les arrivées dans les transports ou les horaires de travail ? Nous essaierons de le faire, dans la limite des instruments juridiques à notre disposition. Il n'est en revanche pas prévu à ce stade – je n'en ai parlé ni à l'Assemblée nationale ni au Sénat – une quelconque attestation pour avoir accès aux transports publics.

M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour la réplique.

M. Philippe Bas. Je m'attendais, monsieur le Premier ministre, à ce que vous me répondiez aussi sur le maintien éventuel du confinement dans les départements rouges. J'interprète votre réponse ainsi : le confinement ne sera pas maintenu dans les départements rouges.

M. Édouard Philippe, Premier ministre. Bien sûr !

M. Philippe Bas. Par ailleurs, je trouve qu'il y a beaucoup trop d'incertitudes concernant l'organisation des transports. Je vous mets en garde sur les risques de contamination, notamment dans les transports parisiens, si des mesures plus sévères ne sont pas prises.

M. le président. La parole est à Mme Laurence Rossignol.

Mme Laurence Rossignol. Ma question s'adresse à Mme la ministre du travail, un peu à M. le ministre de l'éducation nationale et peut-être aussi à Mme la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Elle porte sur les effets des annonces de Mme Pénicaud sur la dégressivité du chômage partiel à partir du 2 juin.

La ministre a annoncé que, à partir du 2 juin, le dispositif de chômage partiel serait moins « généreux ». Je ne sais pas si j'aurais employé ce mot si j'avais été à sa place et je ne sais pas si les Français ont eu l'impression de bénéficier d'une générosité quelconque quand ils ont été mis au chômage partiel, mais bref… Cette remarque est incidente.

La ministre a également dit que les parents devront fournir une attestation lorsqu'ils seront contraints de continuer à garder leurs enfants.

Ces déclarations soulèvent plusieurs questions.

Mes premières questions portent sur l'attestation : qui devra la fournir ? l'école ? le maire ? à qui devra-t-elle être remise ? à l'employeur ?

Ma deuxième question porte sur la dégressivité du chômage partiel. Vous considérez qu'en baissant les indemnités de chômage, les gens sortiront de chez eux pour reprendre le travail et fournir les efforts nécessaires. Je vois que la logique et la philosophie qui sont bien ancrées depuis le début au sein de ce gouvernement – ce sont elles qui ont prévalu lors de la réforme de l'assurance chômage – sont également à l'oeuvre dans le traitement de la crise sanitaire !

Dans l'hypothèse où le nombre d'enfants qui se présenteraient à l'école serait supérieur aux capacités d'accueil des établissements, sachant en outre que certains maires envisagent que les enfants ne puissent être accueillis qu'une ou deux demi-journées par semaine afin de permettre une rotation des élèves, qui fera le tri entre ceux qui pourront aller à l'école et les autres, et selon quels critères ?

J'ai posé la question récemment lors d'une conférence téléphonique que le représentant de l'État organise chaque semaine et j'ai obtenu deux réponses spontanées différentes. On m'a d'abord dit que seraient accueillis les enfants dont les parents travaillent, puis que seraient d'abord pris les élèves décrocheurs. Il se trouve malheureusement que les enfants décrocheurs ont plus souvent des parents au chômage de longue durée qu'au chômage partiel.

Quel message adressez-vous aux maires, aux enseignants et aux parents salariés concernant le système de chômage partiel que vous comptez mettre en place dès le 2 juin ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Madame la sénatrice Laurence Rossignol, vous posez plusieurs questions.

Premièrement, le dispositif de chômage partiel doit-il continuer indéfiniment tel qu'il existe actuellement ? Le Premier ministre et moi-même l'avons déjà dit, il nous semble normal, dès lors que l'activité économique reprendra de l'ampleur, que le dispositif décroisse afin d'accompagner la reprise. Nous envisageons, mais rien n'est décidé – la discussion est en cours avec les partenaires sociaux –, que le remboursement à l'employeur de la totalité du chômage partiel, comme c'est le cas actuellement – 100% du coût lui est remboursé par l'État, jusqu'à 4,5 fois le SMIC – soit moindre. J'indique qu'on autorisera la poursuite du chômage partiel pour les salariés dont le contrat de travail ne sera pas tout de suite réactivé.

Deuxièmement, vous m'interrogez sur les parents. Jusqu'au 1er mai, lorsqu'ils ne pouvaient pas faire garder leurs enfants, faute d'école ou de crèche, les parents bénéficiaient d'un arrêt de travail et d'indemnités journalières. Nous avons remplacé ce système par le dispositif de chômage partiel afin de leur éviter de voir leurs revenus passer de 90% à 66% de leur salaire, ce qui aurait impliqué une grosse perte de pouvoir d'achat.

Pour maintenir les revenus à hauteur de 100 % pour les salaires au niveau du SMIC et de 84% au-dessus, le meilleur système est le chômage partiel. Les parents ont donc basculé au chômage partiel depuis le 1er mai.

Troisièmement, vous posez également la question de la transition. Évidemment, nous ne changerons rien au mois de mai, car la reprise des écoles sera progressive. Elle est, on le voit, un élément de construction de la confiance générale afin de permettre le retour au travail de tous. Dans ce contexte, il n'y aura pas de changement en mai. Un parent qui ne souhaite pas ou qui ne peut pas mettre son enfant à l'école, quel que soit le motif, continuera à bénéficier du chômage partiel.

Ensuite, en fonction de la situation générale, que nous évaluerons à la fin du mois, il est possible que l'on demande aux parents de fournir une attestation de l'école. Mais nous verrons cela fin mai.

M. le président. La parole est à Mme Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin. Monsieur le Premier ministre, monsieur le ministre des solidarités et de la santé, notre pays fait face à une crise inédite, inédite par sa soudaineté, sa gravité, et du fait de notre méconnaissance du virus.

La prolongation pour deux mois de l'état d'urgence est une mesure de prudence nécessaire, car le déconfinement – il faut le rappeler ici – n'est pas synonyme de fin de l'épidémie, une deuxième vague n'étant pas à exclure.

Ces derniers jours, un débat s'est engagé au sein de la société et de notre assemblée sur la ligne de crête qui existe entre la protection des libertés individuelles et la protection de la santé publique. L'efficacité du traçage des cas contacts dépendra en effet de multiples facteurs, dont l'adhésion de la population et des professionnels de santé de première ligne. Or des questions restent encore aujourd'hui en suspens concernant le respect de la vie privée, la protection des données individuelles et du secret médical pour les médecins.

Pour ma part, je m'interroge sur la cohérence du discours des pouvoirs publics : d'un côté, la restriction de certaines libertés publiques est présentée comme indispensable pour lutter contre le Covid-19, de l'autre, l'extension du port obligatoire du masque, justifiée médicalement, est laissée dans le flou.

D'autres pays ont diffusé des messages clairs à ce sujet. Je pense par exemple au Luxembourg, où le masque est depuis aujourd'hui obligatoire dans toutes les situations – transports en commun, magasins –, partout où une distance de 2 mètres ne pourra être respectée.

En France, ce message me semble brouillé. Le masque est recommandé, mais pas obligatoire, sauf dans les transports publics et dans les commerces qui le demandent. Or on sait qu'une information précise conditionnerait le respect des consignes et apaiserait les tensions dans l'espace public. On sait aussi que l'efficacité d'un masque porté, retiré, puis reporté, potentiellement avec des mains n'ayant pu être lavées, décroît considérablement.

Aussi, ma question est la suivante : pourquoi ne pas rendre obligatoire le port du masque dans tous les lieux publics, au besoin exclusivement dans les zones rouges si vous préférez une mesure plus restreinte, conformément aux recommandations du conseil scientifique et de l'Académie de médecine, et comme le demandent de nombreux élus ? (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci pour votre question, madame la sénatrice Guillotin.

Les recommandations sont claires : le port du masque est recommandé en population générale dès lors que les gestes barrières et la distanciation physique ne sont pas applicables. Le pays que vous avez cité le recommande dès lors que la distanciation physique n'est pas possible.

Le port du masque est recommandé dans les magasins, parfois sur le lieu de travail. Il sera rendu obligatoire dans les transports en commun, où il sera plus difficile qu'ailleurs de faire respecter la distanciation physique. On sait également qu'il sera difficile pour les enseignants de faire respecter les règles de distanciation à l'école, car on ne peut pas garantir que les enfants, qui courent partout, les appliqueront en toutes circonstances. En outre, un enseignant pourra être amené à intervenir auprès d'un enfant et à se rapprocher de lui. Pour ces raisons, le port du masque sera donc obligatoire. Dans les autres situations, il sera recommandé, conformément aux préconisations, qui ont beaucoup évolué, je le rappelle, depuis le 1er avril, et que nous avons suivies tout à fait naturellement. Le port du masque fait partie de l'arsenal que nous mettons en oeuvre pour lutter contre une reprise épidémique.

Permettez-moi de vous poser une question. Imaginons que l'on rende le port du masque obligatoire dans la rue pour tous les Français : cela signifie qu'un mécanisme de sanction devra être prévu pour ceux qui ne le porteront pas. Or la distanciation physique, le lavage des mains, le fait de tousser dans son coude, de ne pas mettre dans sa poche un mouchoir usagé afin de pouvoir le réutiliser plus tard si on venait à en avoir besoin, sont des gestes barrières absolument essentiels, dont on sait, depuis le début, qu'ils fonctionnent. Pour autant, nous n'avons pas rendu leur application obligatoire dans la sphère publique. Personne ne se verra infliger une amende parce qu'il aura toussé dans sa main sans faire attention ou parce qu'il se sera touché le visage.

Nous sommes aujourd'hui dans la même logique d'accompagnement des Français. Nous leur faisons confiance et nous comptons sur leur sens des responsabilités. Cela étant, vous avez raison, les consignes doivent être claires, y compris concernant l'usage du masque. Nous aurons l'occasion d'y revenir auprès du grand public dans les jours qui viennent, en prévision du 11 mai.

M. le président. La parole est à M. Olivier Henno.

M. Olivier Henno. Monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, en un seul semestre, notre pays aura connu trois périodes totalement distinctes, et ô combien singulières : celle d'avant le confinement, où on ignorait à peu près tout du Covid-19 ; celle du confinement, à partir du 17 mars, où, à juste titre, l'impératif sanitaire l'a emporté sur toute autre considération ; puis, à partir du 11 mai, la période que nous appelons, un peu vite sans doute, celle du déconfinement, période inédite durant laquelle notre pays devra conjuguer cette fois l'impératif sanitaire et l'impératif économique et social.

Il faut le dire avec gravité, nous abordons des terres inconnues. Les amortisseurs et les dispositifs d'aide publique ont permis d'éviter l'effondrement de notre appareil productif. À présent, il faut impérativement favoriser la meilleure transition pour qu'une majorité de salariés passe du chômage partiel au travail, sans passer par la case Pôle emploi.

C'est un enjeu considérable, qui exige la confiance de tous, celle des Françaises et des Français, celle des entrepreneurs et celle des partenaires sociaux. Il s'agit d'éviter à tout prix une augmentation massive du chômage et une crise sociale sans précédent, un véritable drame. Hervé Marseille l'a dit avant moi, rien n'est plus fragile que la confiance.

Madame la ministre, quelle méthode de dialogue social envisagez-vous avec les partenaires sociaux ? Les sujets à aborder sont nombreux : l'Unédic, les secteurs à l'arrêt – je pense au tourisme, à la culture, aux intermittents du spectacle, aux cafés et aux restaurants – et la participation – pourquoi pas ? –, car il faudra aussi donner des perspectives aux futurs salariés, lorsque la croissance reviendra. Enfin, ne pensez-vous pas que l'ampleur des sujets à aborder mérite l'organisation d'une conférence sociale de sortie de crise ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Monsieur le sénateur Olivier Henno, oui, nous vivons des moments que nous n'avons jamais connus auparavant et que nous ne pouvions pas imaginer il y a quelques mois.

Je pense que nous pouvons nous réjouir pour la France et pour les Français que nous ayons collectivement décidé de mettre en place un dispositif de chômage partiel profondément rénové, élargi, amplifié et massif. Ce matin, 11,7 millions de Français et 911 000 entreprises étaient protégés par le chômage partiel. Sans cette mesure, on peut dire que des centaines de milliers de personnes, probablement des millions, auraient déjà perdu leur emploi, comme c'est le cas aux États-Unis pour 30 millions de personnes.

Le dispositif de chômage partiel massif, que nous avons étendu à toutes les catégories et rendu universel jusqu'à 4,5 fois le SMIC, ce qui n'était pas le cas dans le système précédent, nous permet certainement d'éviter dans cette première phase ce que nous avons connu en 2008-2009, c'est-à-dire des licenciements assez massifs et immédiats.

Maintenant, il faut réussir la deuxième phase, comme vous l'avez dit. Il faut une reprise de l'activité plus importante – elle est aujourd'hui en baisse de 36 % – et progressive en fonction des secteurs. Évidemment, l'hôtellerie, les bars, les restaurants redémarreront plus tard, une partie du secteur du tourisme et de la culture aussi, mais il faut repartir.

Pour cela, le dialogue social est la clé, à tous les niveaux. Il est essentiel dans les entreprises, où l'on discute partout aujourd'hui des conditions de la reprise et de l'organisation du travail lors du déconfinement. Hier, nous avons publié un protocole national de déconfinement pour les entreprises, qui complète les cinquante et un guides métiers déjà produits – d'autres seront réalisés. C'est très important, car il faut se mettre d'accord au sein des entreprises sur les modalités de reprise.

J'ai, deux ou trois fois par semaine, une conférence téléphonique d'une heure et demie avec les partenaires sociaux à l'échelon national. Tous les sujets que vous avez évoqués, notamment le partage de la valeur, mais d'autres également – je pense à la formation – sont à l'ordre du jour. Étape par étape, nous construirons ensemble, après le confinement, le déconfinement, puis la relance.

M. le président. La parole est à M. Alain Milon. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Alain Milon. Monsieur le ministre, vous connaissez sûrement Mary Mallon, cette Américaine porteuse saine de la fièvre typhoïde au début du XXe siècle, qui, pour avoir dénié de manière persistante la maladie dont elle était atteinte, a contaminé plus de cinquante personnes et provoqué la mort de trois d'entre elles.

Vous savez aussi, vous en avez entendu parler, que la maladie de Kawasaki touche actuellement pas mal d'enfants sur le territoire national. La semaine dernière, 23 enfants atteints de cette maladie avaient été hospitalisés en Île-de-France. Cette semaine, ils étaient 60 sur l'ensemble du territoire national, selon les spécialistes de l'hôpital Necker, qui se sont réunis ce midi et m'ont transmis leur rapport tout à l'heure. On ne sait pas exactement si la maladie de Kawasaki qu'ils présentent est liée directement au Covid-19, mais les risques que tel soit le cas sont élevés.

Le texte du Gouvernement prévoyait le confinement et l'isolement obligatoire, ces mesures ont été supprimées à la suite de la réunion du Gouvernement samedi. Pourquoi ?

Par ailleurs, est-il nécessaire de prévoir l'ouverture des écoles, sachant que la maladie de Kawasaki est en train de s'installer sur l'ensemble du territoire national ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Merci, monsieur le président Alain Milon, pour votre question.

Vous l'avez dit vous-même, Mary Mallon, cette Américaine, était porteuse de la maladie et l'a transmise sans le savoir et sans le vouloir.

Pour notre part, nous prônons une quatorzaine ou un isolement systématique des personnes malades. Cela signifie que nous allons informer ces personnes qu'elles sont malades, qu'elles sont potentiellement contagieuses, et leur dire qu'elles prendraient le risque, si elles sortaient, de contaminer des êtres chers de leur entourage ou des inconnus qu'elles pourraient croiser.

Le Gouvernement ne fait pas le choix de la méfiance a priori. Les personnes à qui l'on annoncera qu'elles ont le Covid-19 savent pertinemment aujourd'hui ce qu'est l'épidémie. Elles seront prises en charge, protégées, appelées à rester chez elles. Dès lors, il ne nous semble pas indispensable de mettre en place des mesures contraignantes pour sanctionner tout manquement à ce que je considère être à la fois du civisme et du bon sens sanitaire. (M. Alain Milon s'exclame.) Monsieur le président Milon, c'est le choix qui a été fait, et nous l'assumons.

Les Français ont fait preuve à notre égard de la même confiance que celle que nous leur portons. Ils respectent de façon remarquable le confinement depuis bientôt huit semaines.

Vous m'interrogez par ailleurs sur la situation de plusieurs dizaines d'enfants en France, atteints de la maladie de Kawasaki. Ce nombre augmente parce que, à ma demande, les autorités de santé ont lancé un appel à toutes les unités de réanimation pédiatrique de France afin qu'elles fassent remonter tous les cas qui pourraient être apparentés à cette maladie et impliquer le coronavirus.

Une enquête est en cours au jour le jour. Je me tiens informé, directement ou par mon cabinet, notamment auprès des réanimateurs pédiatriques de l'hôpital Necker ou d'autres afin de tenter de comprendre les tenants et les aboutissants. Le problème n'est pas franco-français, il touche aussi l'Italie, l'Espagne, la Grande-Bretagne.

Les pédiatres nous disent que cette maladie apparaît de temps en temps après des épidémies virales, qu'il s'agit d'un mécanisme réactionnel. J'attends de disposer d'éléments plus étayés, des résultats des recherches phénotypiques sur l'ARN du virus. Je n'entrerai pas dans les détails, au risque que M. le président me coupe le micro – et il aurait raison, car j'ai été bien trop long –, mais nous aurons peut-être l'occasion de revenir dans quelques heures sur votre question.

M. le président. La parole est à M. David Assouline.

M. David Assouline. Monsieur le Premier ministre, lors de votre conférence de presse du 19 avril, vous avez énuméré tous les secteurs d'activité, sauf la culture, que vous avez oubliée.

Pourtant, je sais que si je vous disais que la culture n'est pas un supplément d'âme, mais qu'elle est notre âme, vous seriez d'accord.

Si je vous disais que la culture dans sa diversité est ce qui nous permet de rêver, d'imaginer, de connaître, de nous rencontrer, de nous projeter, de chercher du sens et d'en donner, vous seriez d'accord aussi.

Si je vous disais que tout cela s'est particulièrement démontré pendant cette crise, où les artistes, professionnels et amateurs, celles et ceux qui nous informent, nous apprennent ou nous divertissent ont été indispensables à notre vie confinée pour tenir ensemble et individuellement, vous seriez encore d'accord.

Permettez-moi d'être direct. Vous consacrez 45 milliards d'euros au sauvetage de l'économie. Si vous êtes d'accord avec tout cela, combien allouez-vous à la culture, qui est au bord du chaos ? Si l'on ramenait cette aide globale à la part de la culture dans le PIB, qui est de 3,2 %, il faudrait lui destiner plus d'un milliard d'euros tout de suite. La culture est aussi un secteur économique vital, qui représente sept fois la valeur ajoutée de l'automobile et 1,5 million d'emplois directs.

C'est pourquoi je vous demande, a minima, d'accorder en urgence, pour faire face à cette année noire, une année blanche aux intermittents du spectacle, qui, pour certains, n'arrivent déjà plus à se nourrir. Prolongez les droits des intermittents d'une année au-delà des mois où toute activité aura été impossible.

Je vous demande également des mesures d'urgence pour tous les travailleurs en contrat court, qui ne se verront proposer aucun des emplois que les secteurs d'activités culturels offrent en temps normal, afin de maintenir leurs droits d'indemnisation et leurs moyens d'existence.

M. le président. La parole est à M. le ministre de la culture.

M. Franck Riester, ministre de la culture. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le président Assouline, vous avez raison, les acteurs de la culture, notamment les artistes, jouent un rôle considérable dans notre pays et pour nos compatriotes. Ils ont joué un rôle considérable pendant le confinement et ils vont jouer un rôle considérable pour la sortie de crise.

Je ne peux pas vous laisser dire que le Gouvernement a oublié le monde de la culture. Le Premier ministre a rappelé les dispositions qui ont été prises en urgence pour que les mesures transversales qui bénéficient à toute l'économie bénéficient aussi au secteur culturel : les prêts garantis par l'État, l'accès au chômage partiel, le report des charges sociales et fiscales, sans compter tous les dispositifs spécifiques que le ministère de la culture, notamment au travers de ses opérateurs – le Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC), le Centre national du livre (CNL), le Centre national de la musique (CNM), le Centre national des arts plastiques (CNAP) – a mis en place en urgence pour accompagner les acteurs de la culture dans la crise.

Toutefois, vous avez totalement raison sur un point : tout cela ne suffit pas pour l'avenir. Cela ne suffit pas pour assurer que les techniciens, les artistes, les artistes-auteurs, les producteurs et l'ensemble des membres du réseau de la culture, ô combien importants dans notre pays, puissent continuer de proposer ce qu'ils proposent et qui est si utile à nos compatriotes.

C'est la raison pour laquelle, depuis plusieurs jours, ma collègue Muriel Pénicaud et moi-même, en lien avec nos collègues du ministère de l'économie et des finances et sous l'autorité du Premier ministre, bâtissons des solutions d'avenir pour nous assurer que cet écosystème si important puisse être sauvé et que nous puissions continuer de nous appuyer sur ces acteurs de la culture.

Les solutions sont complexes. Elles devront être à la hauteur et elles devront être pérennes. Mais vous pouvez compter sur l'engagement du ministère de la culture dans sa diversité et du Gouvernement tout entier pour faire en sorte que les intermittents du spectacle, les artistes-auteurs et l'ensemble des PME, PMI et TPE qui constituent le réseau culturel de notre pays puissent continuer de proposer leurs oeuvres à nos compatriotes.

M. le président. La parole est à M. David Assouline, pour la réplique.

M. David Assouline. Monsieur le ministre, je vous ai posé une question précise. Je sais que vous êtes suspendu à la parole du Président de la République, mais nous sommes au Parlement, et je ne doute pas que vous savez aujourd'hui si vous allez accorder cette année blanche aux intermittents qui la réclament à juste titre.

Permettez-moi de vous interpeller sur une autre question : il faut absolument transposer très vite la directive européenne sur les services de médias audiovisuels (SMA) pour les droits d'auteur. J'estime qu'il faut aussi assurer une sanctuarisation de nos actifs, notamment dans le secteur du cinéma et de l'audiovisuel, car des acteurs étrangers sont déjà à l'affût de nos entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Sophie Primas. Monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dès la fin du mois de mars, la commission des affaires économiques attirait déjà l'attention du ministre de l'économie sur un point qui est vite apparu comme essentiel pour réussir la reprise économique, à savoir la responsabilité des chefs d'entreprise.

Au regard du peu de certitudes que nous avons sur le Covid-19 et sa propagation, force est de constater que le risque de contamination sur le lieu de travail pourrait encore exister malgré le respect des consignes sanitaires. Les chefs d'entreprise et les salariés devront « vivre avec », selon votre expression, monsieur le Premier ministre.

Nous appelons bien sûr à la reprise de l'activité économique, et nous affirmons ici que la protection des salariés est prioritaire, mais la confiance des employeurs pourrait aussi être entamée si, en dépit des efforts fournis, de la bonne application des consignes et de la concertation avec les partenaires sociaux, leur responsabilité pouvait encore être engagée.

Je vous ai bien entendus, madame la garde des sceaux, monsieur le Premier ministre, mais, avec la loi Fauchon, il existera toujours une possibilité qu'un juge considère que toutes les mesures nécessaires n'ont pas été mises en oeuvre, puisque cette loi précise que ces personnes seront pénalement responsables si elles ont commis une faute caractérisée. Il faut donc bien que le juge caractérise cette faute ; or vous savez que, en la matière, la jurisprudence a fait des allers et retours.

À la demande des syndicats, le ministère du travail a publié hier un manuel général de déconfinement. Ce manuel est bienvenu, mais il n'est qu'indicatif, car, à moins que vous nous disiez le contraire, il n'a pas de caractère juridique avéré de nature à protéger les chefs d'entreprise. Sa stricte application s'avérera d'ailleurs parfois impossible dans certaines entreprises, ouvrant le champ de l'interprétation sur le terrain.

Enfin, les patrons de PME, de TPE et de commerce sont souvent seuls pour mettre en place ces prescriptions et n'ont donc aucune autre sécurité juridique que celle de leur bon sens. Seuls, ils sont juridiquement plus vulnérables.

Madame la garde des sceaux, quelle est la valeur juridique de ces guides ? S'ils sont pris devant la représentation nationale, vos engagements pourront nourrir la future jurisprudence.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Sophie Primas. Quelles réassurances allez-vous mettre en place pour l'ensemble des acteurs économiques ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la sénatrice Primas, la reprise d'activité liée au déconfinement suscite effectivement des inquiétudes. Les employeurs craignent de voir leur responsabilité civile engagée par manquement aux règles de protection si par hasard l'un de leurs salariés était atteint par le Covid-19.

Comme M. le Premier ministre l'a rappelé, le Gouvernement est très attentif à la sécurisation juridique de la reprise d'activité. Il considère que cette inquiétude des chefs d'entreprise peut être légitime et qu'il convient d'y répondre.

Vous avez justement rappelé que la nature de l'obligation de sécurité de l'employeur a pu susciter des hésitations jurisprudentielles et doctrinales. Toutefois, depuis l'arrêt rendu par la Cour de cassation en 2015 dans une affaire impliquant Air France, la jurisprudence est stabilisée. Elle a d'ailleurs été confirmée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation en 2019.

Il est désormais jugé de manière constante que l'employeur qui a pris les mesures de prévention obligatoires respecte ses obligations légales et peut s'exonérer de sa responsabilité civile. Le droit actuel pose donc déjà le principe, non pas d'une obligation de résultat, mais d'une obligation de sécurité ou de moyens renforcée.

L'employeur qui respecte ses obligations de sécurité vis-à-vis des salariés ne peut voir sa responsabilité civile engagée. En revanche, l'employeur qui ne prendrait pas les mesures imposées par la législation commettrait une faute susceptible d'engager sa responsabilité.

Ce cadre juridique est désormais bien établi. Il permet d'assurer, d'une part, la protection des salariés et, d'autre part, la sécurité juridique des employeurs.

M. le président. Il faut conclure.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. Toutefois, comme M. Le Premier ministre l'a indiqué précédemment, nous sommes prêts à accompagner le débat sur ce point et s'il faut clarifier cette question dans la loi, nous sommes en mesure de le faire.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain.

M. Jérôme Durain. Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mes chers collègues, ma question porte sur la responsabilité des élus locaux.

Dans le cadre de l'examen du projet de loi prorogeant l'état d'urgence sanitaire, les sénatrices et sénateurs du groupe socialiste et républicain ont déposé plusieurs amendements visant à répondre aux inquiétudes des maires à la suite des décisions et déclarations parfois chaotiques du Gouvernement.

Qu'il s'agisse de la réouverture des écoles ou des transports publics, les élus locaux n'ont pas été associés à la définition des grandes orientations prises par l'État, dont la faisabilité n'a fait l'objet d'aucune concertation.

Dans mon département, la Saône-et-Loire, les élus, pris en étau entre des injonctions gouvernementales multiples et complexes et une absence criante de moyens et d'accompagnement pour les mettre en oeuvre, s'interrogent sur l'opportunité de rouvrir les écoles. Ils en décident en lien avec la population, mais parce qu'ils sont en première ligne, le risque est réel que pèse sur eux une responsabilité qui ne correspond ni à la part qu'ils ont prise dans la décision ni aux moyens dont ils disposent.

Nous considérons que des clarifications et un cadre juridique protecteur sont indispensables. Il est de votre responsabilité de soutenir et d'aider celles et ceux qui ont décidé de vous faire confiance et de vous accompagner dans le déconfinement.

C'est pourquoi notre groupe propose que, à compter de la déclaration de l'état d'urgence sanitaire et jusqu'à trois mois après sa cessation, tout acte accompli par un élu local ou un agent public ayant reçu délégation visant à mettre en oeuvre une décision prise par l'État dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire engage exclusivement la responsabilité de l'État.

À l'inverse de ce que le Premier ministre a suggéré dans sa déclaration, il ne s'agit pas d'exonérer les acteurs publics de leur responsabilité, mais de situer la responsabilité à son juste niveau. Or en l'espèce, puisque c'est l'État qui décide de tout et tout seul, il ne peut reporter sa responsabilité sur les élus locaux.

Ma question est donc simple : le Gouvernement apportera-t-il son soutien à ces amendements ?

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Ainsi que je viens de l'indiquer, monsieur le sénateur Durain, le Gouvernement est très attentif à ce que les employeurs privés, les élus locaux, mais aussi les décideurs publics, qui vont devoir prendre des décisions souvent « engageantes » dans le cadre du déconfinement ne le fassent pas dans la crainte de voir leur responsabilité pénale engagée.

Toutefois, nous le savons aussi, toute décision politique emporte une part de responsabilité qu'il n'est pas question de nier. Il nous appartient donc de trouver un point d'équilibre.

Comme j'ai pu le rappeler devant votre chambre, le code pénal, depuis la loi Fauchon, pose un cadre très strict qui limite la possibilité d'engager la responsabilité des employeurs publics pour mise en danger de la vie d'autrui ou bien pour des infractions involontaires. Ces mises en cause, je le redis, reposent sur la recherche d'un comportement sciemment dangereux, d'une mise en danger délibérée de la vie d'autrui.

La responsabilité pénale ne peut alors être recherchée que dans deux hypothèses : soit sur la base d'une faute délibérée, c'est-à-dire de la violation délibérée d'une norme existante qui impose une obligation particulière, soit, en l'absence de norme, sur la base d'une faute caractérisée. Sur ce point, ainsi que je l'ai dit tout à l'heure, la Cour de cassation exige une appréciation in concreto de cette éventuelle faute.

Au regard de ce cadre juridique, il me semble donc difficile que les élus locaux ou les employeurs qui donneraient les instructions nécessaires en matière de dispositifs liés à la sécurité sanitaire puissent voir leur responsabilité engagée. Nous apprécierons toutefois ensemble si une codification ou une clarification de ces dispositions peut apporter un élément de réassurance supplémentaire. Nous serons prêts à accompagner les travaux du Parlement en ce sens.

M. le président. La parole est à M. Jérôme Durain, pour la réplique.

M. Jérôme Durain. Madame la garde des sceaux, le Premier ministre a demandé de l'adhésion au processus de déconfinement. En contrepartie de cette adhésion, il vous faut lever les doutes sur la responsabilité.

Ces doutes remontent de partout sur le terrain, au sujet des écoles de campagne dont les locaux sont exigus et qui n'ont pas de salle supplémentaire pour faire manger les enfants, mais aussi sur la question des transports scolaires. Ces doutes s'expriment aussi au Parlement, puisque plus de cent cinquante parlementaires ont signé une tribune pour protéger les maires juridiquement.

Vous voulez de l'adhésion ? Nous, élus sur le terrain et parlementaires, voulons de la responsabilité. Il faut nous écouter.

M. le président. La parole est à M. Jacques Grosperrin. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Jacques Grosperrin. Je souhaite associer à ma question mon collègue Max Brisson ainsi que tous les sénateurs qui ont travaillé sur le confinement à l'école, mission qui nous a été confiée par la présidente de la commission de la culture, Catherine Morin-Desailly.

Monsieur le Premier ministre, je n'ai pas pu écouter le Président de la République qui s'exprimait au même moment que vous le faisiez ici, au Sénat. Vous avez annoncé aux Français que les écoles ouvriraient le 11 mai.

L'argument tiré de la nécessité de remettre les décrocheurs sur le chemin de l'apprentissage est louable. Cependant, il perd beaucoup de force lorsque le retour à l'école est fondé sur le volontariat, ce qui revient à rendre ce service public facultatif. Ce ne sont pas les décrocheurs qui seront les plus volontaires, mais ceux des classes à examen – terminale, première, troisième. Je le regrette.

Les conditions dans lesquelles se fera la réouverture des écoles sont un enjeu de taille pour la santé des élèves et de leurs familles, d'autant que le conseil scientifique et le conseil de l'ordre des médecins ne sont pas favorables à leur réouverture. Vous avez pris vos responsabilités ou, plus exactement, vous demandez aux maires d'assurer cette responsabilité en leur laissant ce grand pouvoir de décision : ouvrir leurs écoles ou les maintenir fermées.

Vous accompagnez votre décision d'un guide de 54 pages de prescriptions claires qui pèsent désormais sur leurs épaules. On comprend le désarroi de nombreux maires auxquels échoit cette responsabilité, tant le protocole est difficile à mettre en place. Comme l'indiquait le président Retailleau, il s'agit sans doute d'une usine à gaz.

Permettez-moi de donner un exemple parmi tant d'autres : comment les maires pourront-ils garantir qu'une distanciation d'un mètre est assurée dans la cour de récréation, dans les couloirs, dans les sanitaires ? C'est pourtant une indication qui les engage et que vous avez inscrite dans le protocole. Plus il y a de normes, puis il y a de risques de voir un parent d'élève dont l'enfant sera infecté par le Covid-19 saisir les tribunaux et faire inculper ainsi nos élus.

Monsieur le Premier ministre, il n'est pas possible de laisser les maires seuls face à ce risque. Ils ont montré leur totale implication pour être à vos côtés dans cette crise sanitaire sans précédent. Ne décidez pas avant la concertation. Nous devons les rassurer, les protéger. Dans le futur projet de loi, aucune disposition ne permet de clarifier les responsabilités des élus dans cette période si singulière.

Je vous ai entendu, monsieur le Premier ministre. Nous vous avons senti ouvert à la discussion. J'espère que vous ferez un accueil favorable aux propositions du président de la commission des lois, Philippe Bas, pour protéger nos élus locaux corvéables à merci, car le déconfinement, c'est demain, et nous ne pouvons pas attendre. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, monsieur le sénateur Grosperrin, j'entends les mots qui surgissent sur toutes les travées de cette assemblée. Ils expriment des interrogations, des doutes, du désarroi, des questionnements. Associé à ces mots, celui de responsabilité est également très présent.

J'ai indiqué à l'instant que le régime juridique en matière de responsabilité me semble assez stabilisé. Il repose à la fois sur la jurisprudence de la Cour de cassation et sur l'ensemble des dispositions existantes.

Par ailleurs, pour répondre à une observation de M. le sénateur du Haut-Rhin ou de Mme la sénatrice Primas, je ne suis pas certaine qu'un régime juridique, quel qu'il soit, permette d'empêcher des procédures pénales. Quelle que soit la précision de la loi, il se trouvera toujours un administré ou quelqu'un d'autre pour engager une procédure qui entraînera des jugements. Il faut avoir cela en tête.

En toute hypothèse, nous ne cherchons pas ici à atténuer la responsabilité des élus – M. le Premier ministre l'a dit –, mais au contraire à clarifier les choses. S'il vous apparaît nécessaire de clarifier la jurisprudence et de la repréciser, nous pourrons y travailler ensemble. Nous pouvons adopter un dispositif de soutien, de réassurance, de confiance politique, mais j'estime qu'il ne faut pas envisager quelque chose de plus vaste.

Enfin, monsieur le sénateur, je ne crois pas que nous devions prendre des dispositions propres aux élus locaux. Il me semble que la problématique qui a ici été soulevée concerne non seulement les élus, mais également les employeurs privés et les décideurs publics. Cette problématique étant générale, elle appelle une réflexion globale. C'est toute la complexité de cette situation.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Patrick Chaize. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à bien des égards, le lundi 11 mai nous semble une échéance lointaine. Elle nous semble lointaine parce que le confinement a peut-être altéré notre rapport au temps.

Mais si cette échéance nous semble si lointaine, c'est aussi parce que les interrogations sur la levée du confinement, notamment s'agissant des transports, sont encore trop nombreuses. Sommes-nous prêts, monsieur le secrétaire d'État ?

Mon intervention pourrait se limiter à cette simple question tant elle synthétise toutes les préoccupations des Français. Par bienveillance, et surtout par souci d'intelligibilité, je vais tout de même reformuler cette question et vous demander des précisions.

Dans un courrier du 30 avril, nous apprenions que les principaux opérateurs de mobilité – SNCF, RATP, Keolis, Transdev, pour ne citer que ces derniers – vous informaient que le respect des règles de distanciation physique d'un mètre entre passagers n'était pas réalisable.

Pour faire simple, le respect des règles de distanciation veut que le nombre d'usagers dans les transports en commun soit compris entre 10 % et 20 % de la normale. Lundi prochain, il sera de 30 %. Comment allez-vous procéder pour assurer le respect des règles de distanciation ?

Vous prévoyez aussi que les masques seront obligatoires dans les transports en commun, et vous avez raison. Néanmoins, comment allez-vous contrôler l'effectivité de cette mesure ?

Vous avez précisé qu'il serait possible de réaliser des contrôles grâce aux forces de l'ordre et aux opérateurs de sûreté. Concrètement, quelle sera votre méthode ou stratégie pour que la mesure soit pleinement appliquée ? Mais surtout, en l'absence d'agents pour réaliser les contrôles, un chauffeur de bus, par exemple, pourra-t-il refuser l'accès de son véhicule à une personne sans masque ? Vous avez semblé hésitant à ce sujet dans une précédente intervention.

Enfin, quel est votre plan pour distribuer les masques promis il y a encore quelques jours ?

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des transports.

M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur Chaize, je vous remercie pour cette question importante, qui porte sur le déconfinement progressif dans le secteur des transports à compter du 11 mai.

Nous abordons ce déconfinement avec un objectif et une stratégie. Notre objectif est évidemment que les transports se déroulent dans de bonnes conditions sanitaires le 11 mai et les jours suivants. Pour ce faire, notre stratégie repose sur trois piliers.

Le premier consiste à mettre à la disposition des usagers le maximum d'offre de transport possible. Les chiffres ont déjà été indiqués : 70 % de l'offre à la RATP – davantage sur certaines lignes –, et entre 50 % et 60 % de l'offre sur les trains du quotidien à la SNCF. Tel est le premier élément : le plus d'offre possible.

Le deuxième pilier consiste à faire en sorte qu'il y ait le moins de voyageurs possible au même moment, notamment aux heures de pointe où l'engorgement est le plus important. Pour cela, nous préconisons et nous organisons le recours au télétravail, ainsi que l'étalement des heures d'embauche et de débauche dans les entreprises.

Enfin – c'est le troisième pilier –, nous organisons les flux de manière à ce que la sécurité sanitaire soit au rendez-vous. Tel est l'objectif de l'obligation de port du masque.

Nous travaillons actuellement en lien très étroit avec les élus et les opérateurs sur le sujet de la distribution. Nous travaillons également à la mise en oeuvre des procédures de contrôle, et le cas échéant, de sanction – je le confirme ici. Enfin, nous travaillons à l'organisation des transports. Chacun comprendra, singulièrement dans cet hémicycle, que la régulation des flux dans un bus à Limoges ou sur la ligne 7 du métro parisien ne relève ni des mêmes pratiques ni des mêmes procédures.

En tout état de cause, monsieur le sénateur, si nous rencontrons des difficultés opérationnelles d'ordre public ou d'ordre sanitaire, nous n'hésiterons pas à fermer telle ou telle ligne de bus, de tramway ou de métro. C'est bien la sécurité sanitaire des voyageurs qui prévaut.

M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour la réplique.

M. Patrick Chaize. Monsieur le secrétaire d'État, je peine à comprendre que les principaux opérateurs de notre pays, dont l'actionnariat est plutôt public, soient obligés de vous envoyer un courrier le 30 avril pour vous demander les modalités de déconfinement au 11 mai.

Ces opérateurs publics indiquent qu'il faut 100% du trafic habituel pour transporter 20% à 30% de la population, ce qui, vous l'avez reconnu, n'est pas compatible avec les chiffres que vous nous annoncez. Nous sommes dans l'incertitude,…

M. le président. Il faut conclure.

M. Patrick Chaize. … or il faut de la clarté pour chacun puisse prendre les transports en confiance.
M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. René-Paul Savary. Dans ce moment critique où vous avez dit qu'il fallait jouer la transparence pour gagner la confiance, monsieur le Premier ministre, je souhaite revenir sur le nuancier départemental. En effet, les critères retenus ne vont pas sans poser un certain nombre de questions, d'autant qu'ils évoluent.

Le code couleur devait dépendre de la circulation du virus ; or certains départements sont classés rouges, alors qu'ils ont une circulation virale particulièrement diminuée.

Il devait ensuite être déterminé en fonction de la capacité initiale en lits de réanimation, c'est-à-dire sans tenir compte des lits créés depuis le début de la crise. Or des départements où le taux d'occupation des lits de réanimation est nettement inférieur à 50 % de cette capacité antérieure sont en rouge.

Il devait enfin prendre en compte la capacité des départements à effectuer des tests à partir du 7 mai, mais vous nous dites maintenant qu'il s'agira non pas de la capacité de tester, mais de celle d'interpréter les tests.

Par ailleurs, ces critères sont-ils départementaux – pardon de vous froisser, monsieur le Premier ministre – ou sont-ils régionaux ? Il est important de le savoir, car cela risque de discriminer certains départements. De plus, la responsabilité des présidents de département, qui auront à décider de l'ouverture des collèges, pourra être mise en cause.

Je ne suis pas rassuré non plus par vos derniers propos, monsieur le Premier ministre. Cette couleur va servir d'aide à la décision, notamment peut-être pour l'ouverture des écoles. Va-t-on fermer les écoles d'un département qui passerait au rouge ? Les entreprises ne pourraient-elles voir leur responsabilité mise en cause si elles sont ouvertes alors que leur département est en rouge ?

Nous avons besoin de clarté, monsieur le Premier ministre. Quel est le rôle exact de ce nuancier ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le sénateur, je comprends votre question : pourquoi le Gouvernement parle-t-il de logique départementale, alors qu'il existe des indicateurs départementaux et régionaux, mais que tous auront un impact départemental ?

Certains indicateurs sont à proprement parler départementaux, par exemple des indicateurs de circulation active du virus, c'est-à-dire la vitesse à laquelle il circule. Ceux-ci sont fondés sur plusieurs indices ou sous-indicateurs : l'indicateur principal – le pourcentage de patients admis aux urgences dans un département donné en lien avec une suspicion de coronavirus – et ce que l'on appelle des signaux faibles – le recours aux médecins généralistes, les remontées des réseaux sentinelles, le nombre d'admissions en réanimation, le nombre de tests positifs réalisés par département. À cela s'ajoute l'indicateur de saturation, le taux d'occupation des services de réanimation des hôpitaux et des cliniques en lien avec des malades du coronavirus. Cet indicateur est fondamental. En effet, quand bien même le virus circulerait peu, il faut tenir compte du fait que les services de réanimation sont extrêmement saturés et que les équipes ne seraient pas en mesure d'accepter du jour au lendemain plus de malades.

Qu'avons-nous constaté pendant la phase d'ascension de l'épidémie ? Dans la région Grand Est par exemple, on a parlé des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, parce que c'était là que le virus circulait le plus, mais on a parlé de la région Grand Est dès lors que l'on parlait de la saturation et du taux d'occupation des hôpitaux. Ce sont en effet toutes les capacités hospitalières de la région qui ont été mobilisées et même au-delà, puisque plus de 600 évacuations sanitaires ont été organisées d'abord vers les territoires, départements et régions voisins, ensuite parfois à l'étranger.

Ce bloc régional de saturation des services de réanimation est celui dont nous devons tenir compte pour déterminer si, oui ou non, un territoire est prêt à être déconfiné dans les mêmes conditions qu'un territoire avec peu de malades à l'hôpital et peu de circulation virale.

Enfin se pose la question de l'adaptation et de la capacité de réaction de notre système en tests, en traçages et en isolement. Nous aurons l'occasion d'en débattre dans quelques minutes à l'occasion de l'examen du projet de loi.

Comprenez bien que, si la logique est départementale, l'indicateur ne peut être que régional, car il n'aurait pas de sens à l'échelle du département. Les réanimateurs des régions Grand Est, Île-de-France, Bourgogne-Franche-Comté ou Hauts-de-France vous répondront la même chose que moi.

M. le président. La parole est à M. René-Paul Savary, pour la réplique.

M. René-Paul Savary. Les règles du jeu évoluent au fil du temps. Attention aux répercussions ! Il faut que les choses soient claires, parce que les présidents de conseil départemental, au même titre que les maires, auront à prendre des responsabilités, notamment en ce qui concerne l'ouverture des collèges.

La discrimination d'un département par ce code couleur est somme toute péjorative et peut entraîner des mises en cause de responsabilité qui risquent d'être préjudiciables au développement de ce département. Je souhaitais vous alerter sur ce point, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. le président. Nous en avons terminé avec le débat interactif.


Source http://www.senat.fr, le 11 mai 2020