Texte intégral
Après cinquante-cinq jours de confinement, nous faisons le constat que la chaîne alimentaire a tenu, de l'amont à l'aval, des producteurs aux transformateurs, jusqu'à la distribution. Une des priorités du gouvernement était d'éviter la pénurie. Il faut donc saluer les acteurs de la deuxième ligne pour ce succès. La crise a contribué à modifier les habitudes de consommation de nos concitoyens - consommation plus locale, de produits français, meilleure appréhension du rôle des agriculteurs dans la chaîne alimentaire, etc. Espérons que cela perdurera…
Nous avons travaillé avec tous les acteurs des filières. La chaîne a tenu car les uns et les autres ont réalisé beaucoup d'efforts. Ainsi, les producteurs et les agriculteurs français ont fait preuve d'inventivité, d'agilité et de modernité : drives fermiers, achats à la ferme, nouvelles modalités de distribution de leurs produits.
De son côté, le gouvernement a essayé de répondre présent : toutes les entreprises agricoles et de l'agroalimentaire ont bénéficié des mesures économiques - chômage partiel, prêts garantis, fonds de solidarité, etc. -, à hauteur de plus de 110 milliards d'euros.
Nous nous attelons désormais à des mesures plus ciblées pour certaines filières, en complément du plan de relance de l'économie. J'ai plaidé pour la réouverture très rapide de tous les marchés ; c'est maintenant le cas, dans le respect des mesures de distanciation et des règles sanitaires. Nous avons mobilisé les Français pour trouver de la main-d'oeuvre agricole : 300 000 personnes se sont inscrites sur la plateforme et 15 000 ont été appelées et ont travaillé avec les agriculteurs. Nous n'avons pu atteindre les 48 000 dont l'agriculture française avait besoin car certaines activités nécessitent des personnels formés : s'il est simple de ramasser des fruits et légumes, ce n'est pas le cas pour travailler sur des arbres ou dans des vignes. Désormais, nous devons remobiliser la main-d'oeuvre saisonnière.
Nous avons également trouvé des solutions conjoncturelles : au moment de Pâques, 100 % des agneaux abattus ont été vendus et consommés ; les fruits et légumes français ont été mis en avant dans les grandes et moyennes surfaces (GMS) ; nous avons cofinancé des campagnes de promotion des fruits et légumes français ou des fromages AOP.
Si l'aide de l'Europe a été plus importante qu'en temps normal, elle n'est pas à la hauteur de la gravité de la crise pour le secteur agricole. Elle l'a été pour la pêche : la Commission a répondu de façon rapide, forte et ambitieuse et un Plan pêche a pu être cofinancé par l'Europe, la France et les régions françaises. Le secteur est reparti et, depuis hier, les marins qui partent en mer pour plus de sept jours sont tous testés.
Pour l'agriculture, la Commission a fait preuve d'immobilisme. Que s'est-il passé depuis le 13 mars et les premières annonces sur les aides d'Etat, l'assouplissement des contrôles et le report des télédéclarations jusqu'au 15 juin sans pénalité ? Le Conseil des ministres de l'agriculture qui s'est tenu il y a un mois a été décevant pour tous les Etats membres. En effet, l'Union européenne s'est bornée à proposer différentes mesures, en donnant la possibilité aux Etats de les financer eux-mêmes. Ce n'est pas acceptable, alors que cette crise est sans précédent ! L'Union européenne doit répondre présente. C'est pourquoi, avec mes homologues espagnol, italien et allemand, nous avons organisé des réunions bilatérales par téléphone pour essayer de faire bouger les choses. Mi-avril, ma rencontre avec le commissaire européen s'est plutôt bien passée. J'ai pu évoquer nos demandes pressantes - on parle de la survie de certaines filières, et non d'une aumône !
Face à l'immobilisme de la Commission, le 17 avril, c'est inédit, les vingt-sept Etats membres ont publié une déclaration commune plaidant pour une action rapide de l'Union européenne, des mesures de stockage ou de maintien des marchés.
Suite au Conseil de ce jour, nous avons obtenu des mesures de stockage pour les filières animales : 25 000 tonnes et 26 millions d'euros pour la viande bovine, 36 000 tonnes et 1 million d'euros pour la viande ovine et caprine, 140 000 tonnes et 14 millions d'euros pour le beurre, 100 000 tonnes et 10 millions d'euros pour les fromages, 90 000 tonnes et 6 millions d'euros pour la poudre de lait. Le coût total des mesures s'élève donc à 76 millions d'euros. On est encore loin du compte, d'autant que nous ne disposons d'aucune indication sur les modes de paiement.
L'Union européenne ne peut pas uniquement être celle des contraintes. Elle doit aussi être celle du dynamisme et de la solidarité face à une crise sans précédent. Les mesures de marché sont indispensables. En outre, lors du Conseil des ministres, j'ai plaidé pour davantage de mesures de stockage privé pour le veau, la volaille et les pommes de terre, et des moyens pour les filières viticole, brassicole et sylvicole. Elles ne peuvent faire les frais de cette crise sans soutien direct de l'Europe. Il ne peut s'agir de redéploiement de crédits nationaux ! J'ai également continué à plaider pour un fonds de compensation pour la viticulture, suite aux taxes décidées par l'administration Trump à l'automne dernier. La France a également demandé un mécanisme spécifique pour l'horticulture, particulièrement touchée.
Au nom du gouvernement, j'ai annoncé que la France était opposée à l'utilisation de la réserve de crise que l'Europe nous a autorisés à utiliser. Cela reviendrait à faire financer les mesures d'urgence par les agriculteurs eux-mêmes ! Avec d'autres, j'ai réaffirmé l'importance de la stabilité du budget de la PAC. Comment expliquer aux agriculteurs, qui auront encore des difficultés de trésorerie en fin d'année, que les aides européennes risquent de diminuer de 4% ? L'agriculture et l'agroalimentaire doivent être inclus dans le plan de relance européen.
Il faut que l'Union européenne accepte que les contrôles au titre de la PAC soient effectués en mode dégradé, les contrôles sur place étant encore difficiles et nos administrations se focalisant sur les contrôles sur pièces.
Enfin, je l'ai répété à mes collègues et au commissaire cet après-midi : la France n'apprécie pas qu'en pleine crise, l'Union européenne continue à vouloir signer des accords avec le Mexique, la Nouvelle-Zélande et l'Australie. Nous devons d'abord réfléchir ensemble à l'avenir du commerce international. Ne faut-il pas mettre en avant l'exception agricole, comme l'a demandé le Président de la République ? Nous ne pouvons plus continuer à échanger des vaches ou des produits agricoles contre des voitures ou des fusées.
La politique agricole commune doit rester une politique européenne de premier plan, mais également devenir une politique alimentaire commune et plus verte, avec l'instauration d'écoschémas - ou ecoschemes -, obligatoires pour les Etats et facultatifs pour les agriculteurs. Je me suis félicité de la présentation, la semaine prochaine, de la stratégie européenne Farm to fork - de la ferme à la fourchette -, levier de notre souveraineté alimentaire, alors que certains pays et certains groupes du Parlement européen voulaient la repousser.
Bien sûr, le commerce international ne va pas disparaître, mais nous souhaitons réfléchir à cette question fondamentale : dans quels secteurs devons-nous tendre vers l'autonomie totale ? La crise a mis en lumière la dépendance de certaines filières. Le président de la République a évoqué les protéines végétales, qui devront faire l'objet d'un plan d'envergure. On peut également penser aux intrants au sens large, et peut-être à la volaille - nous en importons 50 %. Nous pourrions développer notre production de fruits et légumes : en début de saison, la France ne produit que 20% de sa consommation totale de fruits et légumes frais et, au pic de sa production, que 50% des fraises achetées par les Français. Nous devrions également analyser les différences entre importations et exportations hors Union européenne et au sein de celle-ci.
Il faut être pragmatique concernant le coût de la main-d'oeuvre et l'harmonisation sociale européenne. J'en parle souvent avec mes homologues, notamment mon ami et collègue espagnol : les salariés agricoles espagnols ont, tout autant que les nôtres, envie de salaires supérieurs. Mon ministère doit s'atteler à l'analyse des différentiels de prix des produits : ainsi, la différence de prix entre un concombre français à six euros et un néerlandais à deux euros trente est-elle liée au coût de la main-d'oeuvre ou à d'autres facteurs ?
La crise aura permis une prise de conscience et je n'ai aucun doute sur l'évolution : demain, il faudra sûrement produire et consommer différemment.
(Interventions des parlementaires)
Alors que l'on essaie de sauver des vies, d'alimenter nos concitoyens, de répondre à la crise sociale et économique, de promouvoir une souveraineté et une exception agricoles, il n'est pas acceptable de conclure des accords internationaux qui, demain, devront être modifiés. De toute façon, l'accord avec le Mexique devra entrer dans un processus de ratification. Il ne me semble pas raisonnable de continuer à discuter les accords avec la Nouvelle-Zélande et l'Australie.
S'agissant de la nouvelle PAC, aucune discussion n'a repris. Si la transition avant son application dure plus d'un an, de quel budget disposerons-nous ? En tout état de cause, nous souhaitons que le budget de la PAC soit égal à celui qui a été dépensé aujourd'hui et nous nous opposerons à toute diminution.
La France demande une réouverture plus large du règlement "OCM" - mesures de gestion du marché et organisation économique - et une transition agro-écologique la plus large possible.
Les agriculteurs bio bénéficient quant à eux d'aides plus importantes dans le cadre de la PAC.
Nous ne sommes pas autorisés, en l'état, à reporter les crédits d'une année.
Nous devons être encore plus vigilants en ce qui concerne les premier et deuxième piliers de la PAC et je suis opposé à l'utilisation de la réserve de crise européenne, car cela revient à faire baisser les aides directes aux agriculteurs. Un acte de solidarité serait certes possible mais si les agriculteurs gagnaient bien leur vie et si ce secteur était plus florissant.
Les marchés représentent 30 % des ventes des produits frais et doivent tous rouvrir dans le respect des recommandations sanitaires.
Ce n'est pas parce que la filière cidricole est modeste que nous l'oublions. Elle a obtenu l'intégralité des mesures horizontales mais nous travaillons également à des exonérations de charges à hauteur de 50%. Je ne veux pas, toutefois, de "passagers clandestins", qui bénéficieraient d'aides alors qu'ils n'en ont pas besoin. Nous avons fixé une clause de revoyure avec les petits producteurs dans quinze jours. Nous avançons ensemble, intelligemment, en fonction des situations.
Nous avançons également dans le secteur viticole bien que, s'agissant du Fonds de compensation, nous ne sommes pas suivis, les Allemands notamment considérant que les règles du marché doivent s'appliquer. Je continue à me battre.
La distillation de crise, en l'état, porte sur 2 millions d'hectolitres, avec un rachat par les Etats à 70 euros l'hectolitre. Je souhaite là encore une aide directe de l'Union européenne et nous nous bagarrons en ce sens.
Nous utiliserons 70 à 80 millions des crédits non utilisés dans le cadre de l'OCM vitivinicole.
Les paysans français ont besoin de la main-d'oeuvre saisonnière et nous sommes en effet dépendants de l'étranger. Il est certain que les travailleurs algériens, marocains et tunisiens ne pourront pas venir mais je travaille à ce que les saisonniers intra-européens puissent le faire et j'espère une réponse positive.
S'agissant de la filière de la canne à sucre, des arbitrages doivent encore être rendus mais la demande de notification est faite et l'aide de 38 millions sera versée.
(Interventions des parlementaires)
Il n'est pas possible de modifier le code des marchés publics pour instaurer la préférence locale. D'autres solutions existent. Ainsi, la plateforme Agrilocal, utilisée par une quarantaine de départements, permet d'acheter à des producteurs locaux pour la restauration scolaire.
La Commission européenne a inclus le respect de l'accord de Paris aux conditions résolutoires de ses accords commerciaux, à la demande de la France. C'est une excellente nouvelle, nous attendons maintenant de constater sa mise en pratique.
Je comprends et je partage le raisonnement de Valérie Gomez mais je m'en tiens aux arbitrages sur lesquels je peux intervenir.
S'agissant de l'éthanol betteravier, le gouvernement français est favorable au stockage d'alcool. La clause de sauvegarde est de la compétence de Bercy.
Nous avons décidé de mesures spécifiques pour la pêche, notamment des arrêts temporaires, pour échelonner les départs des bateaux. Avec les organisations de producteurs (OP), nous avons organisé des rotations pour le départ en mer des bateaux, ceux qui ne partent pas étant indemnisés à hauteur de 30 % de leur chiffre d'affaires.
Nous avons réactivé l'aide au stockage au bénéfice des OP et la compensation des pertes agricoles, et nous avons rouvert les parcours de pêche pour toute l'aquaculture et les entreprises piscicoles. Des plans de compensation ont été prévus dans les territoires ultramarins. Ces mesures ont été possibles car le Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) avait été peu utilisé.
La pêche est partie intégrante du mandat de négociation de Michel Barnier. Nous savons que les discussions seront très difficiles, mais la pêche ne peut être la variable d'ajustement. Il n'y a aucune raison pour que les Européens arrêtent de pêcher dans les eaux britanniques, et il ne peut y avoir d'accord sur la relation future sans un accord sur la pêche qui ne doit pas se résumer à un accès aux zones de pêche britanniques contre l'accès des poissons britanniques à notre marché. L'accord doit être global.
L'Europe n'a pas connu de pénurie alimentaire, ni même de rupture d'approvisionnement de certains produits. Mais la situation mondiale est préoccupante, notamment en Afrique. Le président de la République a proposé d'effacer la dette de l'Afrique pour lui donner tous les moyens de nourrir ses enfants. Notre aide passe par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), par l'Agence française pour le développement, et nous répondons aux demandes de nos amis africains pour les aider à organiser leurs filières agricoles.
Je suis favorable à la relance de la formation aux métiers de l'agriculture, c'est l'objet de l'opération "L'aventure du vivant". Il faut que ces métiers soient un premier choix pour les jeunes, car ils sont accessibles et permettent de plutôt bien gagner sa vie.
Le projet alimentaire territorial européen, c'est la politique agricole commune (PAC). Il faut qu'elle évolue vers une politique agricole et alimentaire commune, pour améliorer la traçabilité, l'étiquetage, les normes sociales et fiscales. Il faut aboutir à une norme commune à l'Union européenne. Les pays de l'est de l'Europe y sont très favorables, car le double standard leur est préjudiciable.
Les accords internationaux ne pourront continuer à se négocier en vertu de mandats définis dans les années 1990, les négociations doivent être conduites de manière plus démocratique, avec des orientations politiques plus claires.
Le cidre, comme les bières des microbrasseries, sont des produits périssables, et nous allons trouver des solutions pour utiliser ces productions
Les brigades mobiles d'intervention "Loup" n'empêchent rien. Nous sommes favorables à la biodiversité, mais il faut la réguler.
La France est favorable à ce que la réserve de crise sorte du premier pilier pour constituer un budget indépendant des paiements directs. L'Espagne est favorable à l'utilisation de cette réserve car elle ne la consomme pas intégralement, mais la France utilise la totalité des crédits.
Avant de nous attacher à préciser les modalités d'accompagnement financier, nous devons trouver un accord sur les orientations. La réponse de l'Europe à la crise ne peut consister à réaffecter certaines lignes budgétaires, il faut des décisions politiques. La Commission a changé de position sur la pêche, elle peut aussi le faire en matière d'agriculture.
Q - Mme Liliana Tanguy. Le Royaume-Uni s'oppose à l'inscription dans le futur accord commercial d'une clause imposant le respect des accords de Paris. Comment parvenir à un accord sur la pêche dans ce cas ?
R - Les négociations sur le Brexit viennent de reprendre après trois mois entièrement consacrés à la gestion de la crise du Covid-19, comme celles sur le cadre financier pluriannuel. Le gouvernement en suivra l'avancement avec la plus grande attention.
Q - M. Gilles Lebreton, membre du Parlement européen. Je me félicite de votre condamnation de la finalisation hâtive du traité de libre-échange avec le Mexique, qui pourrait porter un coup très dur à nos éleveurs bovins. J'espère que vous lui barrerez la route, ainsi qu'au traité de libre-échange avec la Nouvelle-Zélande.
Le programme "de la ferme à la fourchette" va imposer de nouvelles contraintes à nos agriculteurs. Quelles mesures préconisez-vous pour les aider ?
R - Le Parlement européen et le Parlement français seront amenés à se prononcer sur l'accord de libre-échange avec le Mexique. Je n'ai pas de doute sur le vote que vous exprimerez. J'ai clairement fait connaître mon opposition au calendrier retenu, et mon souhait d'insérer une exception agricole dans ces accords.
Le programme "de la ferme à la fourchette" sera un axe fort de la Commission européenne. C'est une évolution conforme aux aspirations des citoyens. Le monde agricole est lui aussi favorable à la transition agro-écologique et à la fin de la dépendance aux produits phytosanitaires. Les plus âgés de nos agriculteurs n'ont pas cette culture. C'est la raison pour laquelle tout le programme pédagogique des lycées agricoles est revu. Il faut unir les agriculteurs et la société civile autour de cette évolution. Le programme "de la ferme à la fourchette" offrira un grand souffle. Demain, dans une économie décarbonée, l'agriculture sera plus durable. Evitons de dresser les uns contre les autres. Le programme "de la ferme à la fourchette" n'est pas une contrainte : c'est l'avenir de notre agriculture.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 19 mai 2020