Entretien de Mme Amélie de Montchalin, secrétaire d’État aux affaires européennes, à Europe 1 le 18 mai 2020, sur la politique de l'Union européenne en matière économique et de santé.

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Q - Bonsoir, Amélie de Montchalin.

R – Bonsoir

Q - Merci d'être avec nous, en direct, ce soir, sur Europe 1. Alors, post-annonce de ce plan de relance de cinq cents milliards d'euros de dotations budgétaires, entre Emmanuel Macron et Angela Merkel. Bien sûr, ce plan de relance est conséquent, on va y revenir dans le détail, mais alors, ça y est, l'Union européenne va s'endetter pour la première fois ?

R - Surtout, ce que l'on voit, c'est que cette crise révèle notre interdépendance. Aucun pays n'a vécu le virus seul, aucun pays ne peut s'en sortir seul, et ce que la France et l'Allemagne disent, ce soir, c'est qu'il nous faut une solution qui puisse profiter à tous les Etats, c'est-à-dire qu'il faut que l'on puisse décupler, être beaucoup plus efficace que ce que chaque pays aujourd'hui fait, en termes de relance, de protection. Il faut que l'on puisse soutenir ensemble les régions, les secteurs les plus touchés dans chaque pays, et donc assumer que l'Europe soit utile, mais qu'elle agisse aussi rapidement. Et donc, c'est le sens de cette initiative, qui est décisive, qui est indispensable, et pour que l'Europe se relève ensemble et puisse repartir avec une économie que l'on espère prospère et une crise sociale que l'on espère la plus limitée possible.

Q - Alors donc, cinq cents milliards, dirigés vers les régions et les secteurs les plus affectés par la crise, c'est bien, mais est-ce suffisant pour protéger les pays européens de la récession, et rivaliser, par exemple, avec la Chine et les Etats-Unis ?

R - Ce qui est sûr, c'est que si on ne faisait pas cet effort-là, l'Europe ne peut plus compter. Quand on veut être une Europe puissance, il faut que l'on ait les moyens de notre crédibilité. Vous savez, il y a encore quelques semaines, ce qui a été annoncé ce soir semblait totalement inatteignable. On avait, avec huit pays, dès le mois de mars dernier, travaillé, essayé de faire avancer ce dialogue franco-allemand. Les Allemands partaient de très loin, n'étaient pas sur cette position au départ. Je crois que cette crise leur a montré deux choses : d'abord, que l'Allemagne dépendait, au fond, de ses voisins, de ses fournisseurs…

Q - de la France ?

R - Bien sûr que les entreprises allemandes savent que leurs fournisseurs, que leurs clients, sont partout en Europe, qu'ils sont en France, et que l'Allemagne ne pouvait pas redémarrer seule, et que si grands soient-ils, avec un plan allemand, la relance ne pourrait pas fonctionner parce que si les fournisseurs et clients de l'Allemagne, eux-mêmes, ne repartaient pas, cela ne marchait pas. Donc cette interdépendance, je crois, est visible. Ce que l'Allemagne a aussi vu, c'est qu'elle était comme les autres pays européens, dépendante vis-à-vis de la Chine, vis-à-vis d'autres pays pour ses masques, ses équipements médicaux. Et donc, cette interdépendance que l'on a entre nous fait que l'on a envie et on a besoin de repartir ensemble.

Q - Amélie de Montchalin, bien sûr ensemble, bien sûr, c'est très louable, et bien sûr c'est une première fois et c'est un transfert massif des ressources des économies les plus fortes en faveur des zones les plus touchées, bien sûr, mais il va encore falloir surmonter des réticences, notamment de certains pays du Nord, par exemple ?

R - Ce qui est sûr, c'est que quand la France et l'Allemagne se mettent d'accord,, cela ne veut pas dire que les vingt-cinq autres sont immédiatement d'accord. En revanche, ce qui est certain, c'est que si vous n'avez pas un accord entre la France et l'Allemagne, vous ne pouvez pas faire avancer l'Europe.

Q - C'est le point de départ.

R - C'est pour cela que c'est décisif, c'est pour cela que c'est un point de départ. On a quand même autour de nous construit beaucoup d'alliances, et donc il n'y a pas que la France et l'Allemagne qui sont d'accord là-dessus. Vous verrez, dans les prochains jours, que les uns et les autres vont apporter leur soutien. La proposition…

Q - Sur quel point la France ne négociera pas, Amélie de Montchalin, parce qu'il y aura une zone de latence, bien entendu, mais sur quoi on ne négociera pas, par exemple ?

R - Aujourd'hui, ce qui est clé pour nous, c'est que ce soit bien des transferts entre pays. L'Union européenne, ce n'est pas juste une banque qui fait des prêts et où chacun retrouve ce qu'on lui a donné avant. C'est une vraie solidarité concrète, comme dans un pays, en fait. En France, aujourd'hui, on aide les secteurs, on aide les régions les plus touchées. Eh bien, au niveau européen, on doit faire la même chose, mettre des ressources en commun, et vraiment aller dans cet esprit de solidarité concrète. Ça, on ne lâchera pas. On ne lâchera pas non plus cette idée de souveraineté. On ne peut pas, aujourd'hui, assumer d'être européen et se laisser ballotter entre les Etats-Unis et la Chine. On a besoin, sur certains secteurs industriels, bien sûr la santé, d'affirmer ce que nous sommes, les technologies que l'on veut choisir, et de produire chez nous des choses qui sont essentielles.

Q - Mais comment ? Bien sûr, on aimerait bien une souveraineté industrielle, aussi sur le plan de la santé être indépendant, mais comment rendre l'Union européenne autosuffisante ?

R - Il y a plusieurs choses, il faut d'abord avoir de la recherche, il faut que nous-mêmes nous ayons l'innovation qui nous permette d'être en avance et de ne pas dépendre des autres. Cela, c'est la première brique. La deuxième brique, c'est être capable de faire revenir de la production en Europe, cela veut dire qu'il faut que l'on regarde la fiscalité, il faut que l'on regarde la capacité à aider des entreprises à s'installer en Europe et cela demande de l'argent. Et une partie du plan des cinq cents milliards d'euros dont on parle servira à financer ce retour. Ensuite, il y a aussi des questions de protection de nos investissements, cela veut dire que l'on ne doit pas laisser, notamment des entreprises clés pour la santé ou clés pour certaines technologies, être achetées par des Américains, par des Chinois, ou je ne sais quoi encore. Donc, on doit protéger nos investissements stratégiques, on doit faire revenir la production, et on doit avoir de la recherche et de l'innovation.

Q - On a vu l'exemple, vous faites référence à Sanofi. On a vu l'épisode de toute la semaine dernière, ce dossier Sanofi qui a été beaucoup commenté, une entreprise au départ française, avec des actionnaires, de plus en plus, et ce qui a fait basculer, finalement, le dossier.

R - Dans l'accord franco-allemand, il y a cette idée que l'Europe de la santé doit exister. L'Europe de la santé, c'est-à-dire que l'on veut que sur certains traitements, sur certains vaccins, cela sorte des lois du marché. C'est un bien public mondial, on se bat, sur ce plan, avec le président de la République, avec beaucoup de partenaires d'ailleurs autres qu'européens, pour affirmer que dans certains domaines, oui, il faut de l'argent public, pour que les logiques capitalistiques, je dirais, les logiques de spéculation, ne s'appliquent plus. Et donc, cette initiative franco-allemande est là aussi pour signifier qu'au coeur de l'Europe les deux plus grands pays disent que nous sommes prêts à mettre de l'argent sur la table…

Q - Justement, Angela Merkel a parlé de modifier certains traités. Par exemple, qu'est-ce que cela pourrait être ? On n'a pas entendu Emmanuel Macron très clair là-dessus. Qu'est-ce que cela pourrait être, qu'est-ce que cela pourrait recouvrir ?

R - Il y a les questions de santé, aujourd'hui, ce n'est pas une compétence européenne, donc c'est vrai que si l'on veut que l'Europe fasse plus, il faut aussi lui en donner les moyens. Je ne sais pas s'il faut commencer par l'idée que l'on va tout de suite changer les traités. Ce qui est déjà sûr, c'est " qu'est-ce que l'on peut déjà faire avec les traités que l'on a ", voir le plus loin possible où l'on peut aller, et si les traités sont un obstacle, alors, dans ce cas-là, se poser des questions. Je pense que cette crise, il faut être lucide, il faut être honnête, il y a des choses que l'on n'a pas bien faites et qu'il faudra que l'on fasse beaucoup mieux, en termes de réaction, de prévention, d'anticipation. Il y a aussi des choses qui ont bien fonctionné, parce que, face à l'ampleur des défis, on a eu une réaction, je pense notamment économique, avec la BCE, avec beaucoup de choses utiles, cela veut dire qu'il faut que l'on construise, et peut-être que dans les traités, il faudra aller plus loin pour renforcer ce qui a bien marché et modifier ce qui nous a empêchés d'agir aussi vite que nécessaire.

Q - On a flirté avec le pire, Amélie de Montchalin ? J'entends par là que l'Union risquait de se disloquer si on n'avait pas, finalement, cette crise du COVID-19 qui a mis à jour, peut-être, un peu trop d'indifférence de la part de l'Allemagne, et qui risquait de jeter bas des partenaires dont son économie a le plus grand besoin. On a vu cela, cela nous a sauté aux yeux.

R - Il y a eu un moment de vérité très fort, c'est que c'était peut-être la première fois depuis des années où nous tous étions touchés par quelque chose dont nous n'étions pas responsables. Il n'y a pas de responsables, il n'y a pas de mauvaise politique pour expliquer que tel pays a reçu le virus de manière plus virulente que d'autres. Et donc, ce qui compte pour moi, c'est que, le moment de vérité, ce n'est pas de savoir si l'Europe existe ou pas, c'est avant tout de savoir si elle est utile. Est-ce qu'elle est capable de faire des choses qui sont utiles aux citoyens, utiles à l'emploi, utiles aux entreprises, utiles à notre santé. La bataille que l'on mène avec le président de la République depuis maintenant trois ans, c'est vraiment une bataille d'utilité. Quand on parle de souveraineté, on n'est pas dans une théorie, on est sur quelque chose de concret, comment on produit en Europe, comment les Européens peuvent consommer des biens européens, et comment on ne se fait pas ballotter entre la Chine et les Etats-Unis.

Q - Merci beaucoup, Amélie de Montchalin, secrétaire d'Etat, chargée des affaires européennes, d'avoir répondu, ce soir, à mes questions, sur Europe 1.


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 mai 2020