Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre de la transition écologique et solidaire, à Europe 1 le 27 avril 2020, sur le respect des règles sanitaires dans les transports en commun, le plan d'aide pour Air France et la transition écologique.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK 
Bonjour Elisabeth BORNE. 

ELISABETH BORNE 
Bonjour. 

SONIA MABROUK 
Et merci d'être avec nous en direct sur Europe 1. Dans votre portefeuille ministériel, il y a le domaine crucial des transports, première question, quand aura-ton les masques dans les transports et en quantité suffisante ? 

ELISABETH BORNE 
Alors, vous savez que le Premier ministre présentera demain, à  l'Assemblée nationale le plan de déconfinement, qui sera un plan global, cohérent, parce que beaucoup de choses sont liées, concernant les transports, l'enjeu, c'est de permettre la reprise d'activité en assurant la sécurité sanitaire pour les usagers, donc ça veut dire qu'il va y avoir des principes qui vont être donnés par le gouvernement qui devront être mis en œuvre par les opérateurs, par les collectivités locales en charge des transports. Le principe, c'est à la fois de remonter au maximum l'offre de transport, aujourd'hui, on est entre 10 et 30% de l'offre normale dans toutes les villes en Ile-de-France et en région, et donc, il faut remonter au maximum cette offre de transport, et puis, en même temps, il va falloir s'assurer qu'on n'a pas trop d'affluence dans les transports, donc ça veut dire maintenir du télétravail, ça veut dire aussi que les entreprises adaptent leur organisation pour étaler la pointe du matin et du soir, et puis, bien sûr, il y a des règles sanitaires qui vont être définies sur la désinfection des bus, des métros, des tramways, sur la mise à disposition de gel hydro-alcooliques, et puis, on précisera, demain, le Premier ministre précisera demain la doctrine sur les masques. 

SONIA MABROUK 
Mais avant demain, des élus et des présidents de région se sont organisés eux-mêmes, ainsi la présidente de la région Ile-de-France, Valérie PECRESSE, prépare la distribution gratuite dans les transports publics de la région francilienne, ces élus pallient les insuffisances de l'État en réalité ? 

ELISABETH BORNE 
Ecoutez, je pense qu'on peut le présenter comme ça, on peut aussi se dire que ce déconfinement, sa réussite, la réussite du 11 mai, c'est un enjeu collectif qui nous concerne tous, et chacun peut se mobiliser, les opérateurs de transports, l'État, bien sûr, qui a fortement augmenté la production des masques sur notre territoire, on est maintenant à 25 millions de masques grand public produits par semaine, et puis, les collectivités qui jouent aussi leur rôle, surtout quand elles ont la responsabilité d'organiser les transports. 

SONIA MABROUK 
Encore faut-il, madame la Ministre, en disposer de ces masques, est-ce que vous confirmez, est-ce que vous assurez que le 4 mai, ces masques grand public seront disponibles ? 

ELISABETH BORNE 
Oui, alors Agnès PANNIER-RUNACHER, vous savez, qui pilote ce chantier sur les masques, fera un point presse tout à l'heure, mais je vous confirme que, vraiment, on a mobilisé toutes les capacités de production française, et moi, je voudrais saluer la mobilisation de toute notre filière textile pour produire des masques en tissu qui seront réutilisables, et ça permettra effectivement que ceux qui en ont besoin puissent disposer de masques. 

SONIA MABROUK 
Vous avez dit en début d'entretien : respecter les règles sanitaires dans les transports, une question concrète : la distanciation dans les transports est-elle la même que celle dans la rue, il faudra au moins 1 mètre, 1,50 mètre notamment dans les rames de métro par exemple ? 

ELISABETH BORNE 
Ecoutez, tous ces points seront tranchés dans la présentation que fera le Premier ministre demain à l'Assemblée nationale, c'est clair qu'il faut assurer la plus grande sécurité sanitaire pour les voyageurs. Il faut aussi permettre à tous ceux qui en ont besoin de se déplacer, donc les transports publics, c'est quelque chose de très important, vous savez qu'on encourage aussi l'utilisation du vélo, c'est un mode de déplacement qui a beaucoup de qualités en temps normal, et là, dans la crise que l'on connaît, eh bien, c'est un mode de déplacement qui permet de respecter les gestes barrières, donc c'est aussi une très bonne solution. 

SONIA MABROUK 
Mais justement les maires, là encore, ont pris l'initiative, de plus en plus de maires dans différentes régions de France, mettent en place des pistes cyclables temporaires, je suppose donc que vous les soutenez et vous voulez accélérer ces projets dans plusieurs villes ? 

ELISABETH BORNE 
Alors, je vous confirme que je soutiens tout à fait toutes les collectivités qui prennent ces initiatives. Mes services ont publié un guide technique pour ces pistes temporaires, et moi, je suis en train de regarder comment on peut soutenir les associations au vélo qui veulent notamment réparer des vieux vélos qui n'étaient pas utilisés, donc vraiment, que ce soit les collectivités, que ce soit les associations vélo, elles ont tout mon soutien, et puis, j'aurai l'occasion de redire, parce qu'il y a parfois eu des malentendus, aux préfets, que le vélo, c'est un mode de déplacement à part entière, c'est vrai toute l'année, et c'est vrai spécifiquement dans la crise que l'on connaît. 

SONIA MABROUK 
Alors, Elisabeth BORNE, l'autre moyen de transport, c'est l'avion avec un plan d'aide massif pour AIR FRANCE, 7 milliards d'euros pour éviter la faillite, c'est tout à fait normal, il s'agit de sauver la compagnie, et puis, les emplois, mais cet argent, c'est aussi l'argent des Français, on aurait été en droit d'avoir des contreparties notamment environnementales, pourquoi avoir signé un chèque en blanc ? 

ELISABETH BORNE 
Alors, je vous confirme qu'il n'y a aucun chèque en blanc, moi, j'ai eu l'occasion de le dire, Bruno LE MAIRE l'a également dit, et puis, maintenant, c'est inscrit dans la loi, les aides de l'État pour nos entreprises stratégiques, et je pense que chacun comprend qu'il faut soutenir ces entreprises, je rappelle que AIR FRANCE a permis de ramener sur notre territoire près de 150 000 Français qui étaient en voyage à l'étranger, je rappelle aussi qu'AIR FRANCE participe au pont aérien qui nous permet de ramener du matériel sanitaire donc de Chine… 

SONIA MABROUK 
Et tout le monde salue ces initiatives, mais… 

ELISABETH BORNE 
Donc il faut sauver cette compagnie… 

SONIA MABROUK 
Mais est-ce que vous avez formalisé, Elisabeth BORNE, des contreparties exigeantes, au-delà de l'urgence, qui est évidente, économique, il y a aussi l'urgence environnementale ? 

ELISABETH BORNE 
Ah mais je vous le confirme, et moi, je suis plus mobilisée que jamais sur l'urgence écologique, moi, j'ai eu un entretien dès la semaine dernière avec les dirigeants d'AIR FRANCE pour acter les engagements écologiques qui seront pris par la compagnie, c'est à la fois réduire les émissions de CO2 par passage, c'est réduire de 50% les émissions de CO2 sur les vols domestiques d'ici 2024. Ça passe par un renouvellement de la flotte pour avoir des avions qui polluent moins, ça passe aussi par l'utilisation de biocarburants, évidemment, que je soutiens, et puis, ça passe par une réflexion sur le réseau en France, d'AIR FRANCE, en particulier, quand il y a des alternatives ferroviaires de moins de 2h30. Donc tous ces engagements écologiques, ils sont évidemment essentiels, il ne peut pas y avoir effectivement un soutien de l'État avec l'argent des Français, comme vous le soulignez, sans engagement écologique de la part de la compagnie. 

SONIA MABROUK 
Restons sur ces engagements écologiques, Elisabeth BORNE, le MEDEF vous a envoyé un courrier pour obtenir un moratoire d'environ 6 mois sur les normes environnementales en raison de l'impact très significatif sur les entreprises, quelle est votre réponse ? 

ELISABETH BORNE 
Ecoutez, je pense que c'était une erreur, et moi, j‘ai bien sûr refusé cette demande de moratoire, vous savez, plus largement, je pense que, opposer écologie et économie, c'est une vision qui est à la fois dangereuse et dépassée… 

SONIA MABROUK 
Qui l'a fait ? 

ELISABETH BORNE 
Et dire l'écologie, on verra plus tard, c'est dangereux, parce que plus tard, il sera trop tard, et puis, c'est dépassé, parce que la transition écologique, c'est la meilleure réponse, c'est une solution de croissance. Donc clairement, moi, j'ai dit non à ce moratoire, il y avait notamment une demande de moratoire sur notre stratégie en matière d'énergie et de réduction des émissions de gaz à effet de serre, eh bien, le décret, les décrets ont été publiés la semaine dernière, il y avait aussi une demande de moratoire sur les zones à faible émission, la consultation sur ces zones a repris, voyez, moi, je comprends bien que les entreprises peuvent être dans des situations compliquées en ce moment, donc on peut ajuster des calendriers de consultation, et c'est ce qu'on va faire sur un certain nombre de sujets… 

SONIA MABROUK 
Ah, il y a donc quand même des ajustements, une première, certains disent : attention aux ajustements, ça pourrait être un premier pas vers une remise en question des objectifs et des mesures écologiques du gouvernement. 

ELISABETH BORNE 
Je vous le dis très clairement, l'urgence écologique est toujours là, et ma détermination à agir aussi, donc, il ne peut pas y avoir de pause dans la transition écologique, et moi, je pense que ce sera la meilleure stratégie, à la fois de protection et de croissance au sortir de la crise, et puis, je voudrais le dire aussi, vous savez, on ne peut pas avoir à choisir entre protéger les emplois ou protéger la planète, évidemment, il faut faire les deux, et c'est bien ce à quoi on va s'employer… 

SONIA MABROUK 
Mais ce sont des mots, Madame la Ministre, certains vont vous dire : ça, c'est de l'incantation… 

ELISABETH BORNE 
Non, non, c'est des choses très concrètes, vous savez, mais je pense que c'est aussi important, parce que beaucoup se souviennent que, après la crise de 2008, il y a eu finalement très peu d'investissement dans la transition écologique, et puis, on a vu un rebond des émissions de gaz à effet de serre. Je crois que c'est important de se dire que nous ne sommes pas en 2008, en 2008, il y a 10 ans, la voiture sans émission, la voiture zéro émission, c'était un prototype, aujourd'hui, nos constructeurs par exemple ont investi des milliards pour faire des voitures électriques qui peuvent aujourd'hui produire massivement, il y a 10 ans, l'éolien coûtait trois fois plus cher qu'aujourd'hui, ou le photovoltaïque, sept fois plus cher, aujourd'hui, c'est une solution qu'il faut déployer à grande échelle et qui va créer beaucoup d'emplois, donc je pense que les temps ont changé… 

SONIA MABROUK 
Oui, mais qui reste quand même cher, oui… 

ELISABETH BORNE 
Non, mais je pense que les temps ont changé, que la transition écologique a fait la preuve qu'elle peut soutenir l'emploi, qu'elle peut soutenir l'emploi même pour tous et dans tous les territoires, et donc pour toutes les centaines de milliers de petites entreprises ou de grandes entreprises qui sont engagées dans la transition écologique, évidemment, on ne va pas changer de cap… 

SONIA MABROUK 
Justement, Elisabeth BORNE… 

ELISABETH BORNE 
On va continuer… 

SONIA MABROUK 
Au sujet de vos objectifs, le 30 juin, on doit fermer le deuxième réacteur à Fessenheim, est-ce que vous maintenez de calendrier, il serait peut-être prudent, est-ce qu'il serait prudent de le fermer pendant cette crise ? 

ELISABETH BORNE 
Enfin, vous savez, je pense qu'aujourd'hui, il y a beaucoup d'incertitudes de la part des entreprises, si, en plus, on change de pied, on change de cap, je pense que ça ne va rien arranger. Donc je crois que c'est… 

SONIA MABROUK 
Donc vous maintenez donc le calendrier ? 

ELISABETH BORNE 
Je vous confirme que c'est très important de maintenir le cap vis-à-vis de toutes les entreprises qui sont engagées dans la transition écologique, de leur dire : on ne va pas changer de feuille de route, on continue, et c'est ce que j'ai voulu faire la semaine dernière avec la publication des deux décrets qui donnent notre vision de la politique énergétique et de la réduction des émissions de gaz à effet de serre. 

SONIA MABROUK
 Elisabeth BORNE, on va conclure avant les questions de nos auditeurs, tout à l'heure, dans le journal, on entendait une députée qui fait partie de ces 110 députés qui sont pour et qui demandent la réouverture des restaurants dès la mi-mai, avec, bien sûr, un label et une réouverture progressive par département, vous avez demandé aux Français justement un tourisme patriotique de rester cet été en France, est-ce que vous rejoignez cette initiative des députés, il serait logique, eh bien, d'ouvrir les restaurants si vous demandez aux Français de rester ici ? 

ELISABETH BORNE 
Ecoutez, je pense qu'on peut attendre demain pour avoir la présentation du plan global par le Premier ministre. Moi, je ne vais pas m'exprimer sur des sujets qui ne sont pas les miens, je pense que… certains trouvent qu'on va trop vite, d'autres pas assez vite, il y aura un débat demain à l'Assemblée, et ça sera l'occasion de répondre à ces questions. 

SONIA MABROUK 
Un débat vraiment, l'opposition et même certains pensent que vous allez trop vite, et que le Parlement est une chambre d'enregistrement en ce moment. 

ELISABETH BORNE 
Oui, enfin, vous savez, je pense qu'il y a en même temps beaucoup de Français, beaucoup d'entreprises, beaucoup de collectivités qui attendent précisément qu'on donne le cap, chacun attend cette stratégie de déconfinement pour pouvoir aussi se préparer. 

SONIA MABROUK 
Merci Elisabeth BORNE. Merci d'avoir répondu à mes questions. Place à présent aux questions et interpellations de nos auditeurs avec vous Matthieu. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 avril 2020