Déclaration de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur la politique commerciale commune, à l'Assemblée nationale le 8 juin 2020.

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  • Jean-Baptiste Lemoyne - Secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères

Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Deux points sont inscrits à l'ordre du jour du Conseil des ministres des affaires étrangères qui se tient demain : la situation de l'OMC et les conséquences de la crise sanitaire sur la politique commerciale de l'Union européenne.

Le panorama du multilatéralisme commercial n'incite pas à l'optimisme. Outre les guerres commerciales et la rivalité stratégique entre les Etats-Unis et la Chine, l'OMC rencontre des difficultés - son organe d'appel est, en raison du veto américain, inopérant depuis le 11 décembre et les négociations multilatérales progressent très peu -, difficultés qui l'empêchent de jouer son rôle de médiation. Qui plus est, la crise sanitaire a conduit à l'annulation de la plupart des échéances du printemps et au report à 2021 de la 12e conférence ministérielle de l'OMC, ainsi qu'à une prolifération de mesures de restrictions commerciales - tendant notamment au contrôle des exportations de produits de santé - et au ralentissement des travaux de l'organisation. Enfin, le directeur général de l'OMC a annoncé qu'il quitterait son poste le 31 août ; son successeur doit, en principe, être désigné par consensus - même si un vote est possible. L'OMC est à un moment de vérité : elle doit être réformée et les règles commerciales actualisées.

Lors du Conseil des ministres, je plaiderai, d'une part, pour que l'Union européenne défende une position unique de manière à favoriser la désignation d'une personnalité attachée au multilatéralisme et à la réforme de l'organisation et, d'autre part, pour que le calendrier soit resserré, car nous ne pouvons pas nous permettre le luxe d'un intérim trop long. Des noms d'Européens et d'Africains circulent ; les candidatures doivent être déposées avant le 8 juillet.

La Commission proposera, demain, un nouvel ordre des priorités de notre agenda de discussions à l'OMC. Nous souhaitons insister sur le renforcement de la transparence des pratiques commerciales et sur les enjeux de développement durable. Les Européens entendent ainsi conclure la négociation en cours sur les subventions à la pêche et obtenir une déclaration sur le développement durable lors de la prochaine conférence ministérielle. La Commission a également apporté des réponses concrètes au blocage de l'organe d'appel en concluant un arrangement intérimaire d'appel avec vingt et un autres membres de l'organisation représentant environ 50% des membres parties à des litiges à l'OMC.

J'insisterai sur la nécessité pour cette dernière de surveiller les mesures prises en lien avec l'épidémie afin de lutter contre tout protectionnisme indu et prévenir les distorsions de concurrence, ainsi que sur les enjeux de développement durable. Il importe également que l'Union européenne fasse preuve de leadership politique s'agissant de l'équité des conditions de la concurrence, du règlement des différends et de la réforme du traitement spécial et différencié. La France appuiera la proposition de l'Union européenne de lancer à l'OMC une négociation plurilatérale sur le commerce des biens médicaux essentiels, afin que chaque pays ait accès aux produits nécessaires pour lutter contre les épidémies.

Second point : les conséquences de la crise sanitaire. Dans un premier temps, les Européens ont instauré un régime d'autorisation des exportations d'équipements de protection personnelle hors de l'Union européenne et suspendu les droits de douane à l'importation de produits de première nécessité dans la lutte contre l'épidémie. Ces mesures d'urgence dérogatoires, qui ont permis de soutenir l'effort d'approvisionnement, étaient transparentes et temporaires. L'Union européenne a ainsi progressivement réduit le champ de son régime d'autorisation, qu'elle a retiré fin mai.

Au sein de l'Union européenne, le commerce international devrait diminuer de 15% ; ce ralentissement pèsera sur les exportations françaises, alors même qu'elles ont contribué à réduire notre déficit commercial en 2019.

Pour remédier à la fragilisation de nos systèmes d'approvisionnement en période de crise, nous devrons probablement, au plan européen, développer une politique de stockage, maintenir des capacités de production des biens sanitaires essentiels et soutenir la réponse multilatérale à l'OMC que j'évoquais. Il convient également que les entreprises diversifient leurs approvisionnements afin de sécuriser les chaînes de valeur. C'est pourquoi je suis favorable à une forme de régionalisation : Europe et Afrique constituent, par exemple, un fuseau cohérent au plan économique et logistique.

Il nous faut poursuivre nos efforts pour apaiser les tensions commerciales, mais cela prendra du temps. Aussi les Européens doivent-ils renforcer ceux de leurs outils qui permettent de garantir les conditions équitables du commerce. À cet égard, la nomination d'un "procureur commercial" au sein de la Direction générale commerce est un signe encourageant.

La crise ne doit pas remettre en cause nos efforts pour adapter la politique commerciale de l'UE à une plus grande durabilité, au contraire. Ainsi, mon homologue néerlandaise et moi-même avons formulé des propositions conjointes pour renforcer la cohérence entre la politique commerciale et le développement durable : consolidation des chapitres consacrés à ce thème dans les accords commerciaux, meilleure évaluation de l'impact socio-économique et environnemental de ces derniers, extension des clauses essentielles à l'accord de Paris, instauration d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières. Cette initiative commune montre que, sur ces enjeux, nous pouvons dépasser les différences d'approche habituelles de la politique commerciale de l'Union européenne. Gouvernements et parlements nationaux ont un rôle à jouer dans le cadre de la révision anticipée du cadre stratégique de politique commerciale de la Commission.

S'agissant du Brexit, M. Barnier n'est guère optimiste sur l'issue du round de négociations en cours ; la situation est plutôt préoccupante.

Sur l'accord avec le Mexique, la communication de la Commission a été maladroite : il s'agit simplement d'une mise à jour. Il nous faudra, avant d'arrêter une position définitive, analyser l'impact de cet accord, qui prévoit de supprimer les droits de douane sur un certain nombre de produits alimentaires et permet de protéger plus de 300 indications géographiques européennes.

Le président de la République a érigé le secteur du tourisme en cause nationale. Le plan de sauvetage de 18 milliards doit permettre de développer le tourisme durable et de ré-internaliser de la valeur ajoutée dans le digital. Nous nous donnons ainsi les moyens de conserver notre première place. Notre objectif était d'accueillir 100 millions de voyageurs internationaux, mais ne soyons pas fétichistes en la matière : mieux vaut privilégier les recettes touristiques plutôt que la fréquentation.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Il me semble que nous devrons repenser ce type d'objectifs, afin de privilégier le qualitatif plutôt que le quantitatif.

R - C'était le sens de ma remarque : il faut privilégier les retombées économiques dans les territoires, donc le panier de dépenses. Dans ce domaine, la France est moins bonne que l'Espagne, par exemple.

(Interventions des parlementaires)

Depuis le plan d'action relatif au CETA, l'accent a été mis sur l'application des accords ; la nomination d'un "procureur commercial" européen est une première victoire. En matière environnementale, la proposition d'étendre les clauses essentielles à l'accord de Paris a progressé. Les Etats européens qui partagent nos préoccupations sont de plus en plus nombreux, mais certains pays dont l'économie est très tournée vers l'exportation sont réticents. Il serait donc utile que la diplomatie parlementaire conforte celle de l'exécutif. Quant à la Commission et au Conseil, ils évoluent, comme en témoigne la feuille de route volontariste qu'Ursula von der Leyen a adressée aux commissaires chargés du commerce.

Face à la désindustrialisation, il faut un sursaut national et européen. La France et l'Allemagne travaillent main dans la main pour développer les filières des batteries et du cloud et entraînent d'autres Etats européens. En matière industrielle et commerciale, l'Europe ne peut plus être naïve, elle l'a compris et sait se montrer volontariste. Au plan national, les plans sectoriels en faveur du tourisme, de l'automobile ou de l'aéronautique témoignent également d'une prise de conscience.

S'agissant du Brexit, les Britanniques ont toujours affirmé qu'ils ne souhaitaient pas que la période de transition soit étendue. Si aucun accord n'est trouvé, ce sont les règles de l'OMC qui prévaudront ; cette situation ne serait pas satisfaisante. Le ministre Le Drian est très mobilisé sur le sujet majeur de l'accès des pêcheurs français aux eaux britanniques. De leur côté, les Britanniques ont besoin de débouchés pour les produits de la pêche qu'ils transforment. Les négociations n'ont pas avancé jusqu'à présent, mais une nouvelle réunion doit avoir lieu avant le Conseil européen des 18 et 19 juin.

Faut-il que l'Union européenne ait son propre candidat à la présidence de l'OMC ? Son intérêt, en tout cas, est que le prochain directeur général défende sa vision d'une OMC réformée et qu'il favorise le dialogue. Ne perdons pas de vue les autres échéances, comme la nomination d'un nouveau secrétaire général de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Il faut avoir une vision globale des nominations à venir.

En matière d'autonomie stratégique et de souveraineté industrielle, les actes parlent pour nous. Je pense aux plans de soutien à l'industrie et au volontarisme franco-allemand dans certains secteurs, qui permettra de diminuer notre dépendance vis-à-vis de l'Asie ou de l'Amérique. Les politiques publiques nationales et européennes peuvent s'harmoniser ; ce que l'on maîtrise moins, c'est le comportement des consommateurs, qui choisissent souvent les produits les moins chers. C'est donc à nous de plaider pour les produits tricolores et européens et de favoriser les comportements civiques et patriotiques.

La Commission a présenté une stratégie pour la biodiversité. Dans les accords commerciaux, le respect de la convention sur la diversité biologique est une exigence. La France a par ailleurs défini une stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée et la Commission a annoncé une initiative législative sur ce sujet pour 2021. La stratégie "De la ferme à la fourchette" va dans le bon sens, mais il faut davantage de volontarisme. En matière d'information des consommateurs, par exemple, la Commission et très offensive sur la question de l'étiquetage nutritionnel, beaucoup moins sur celle de l'origine des produits, qui est pourtant cruciale.

La France n'a fait que répondre à l'instauration d'une quatorzaine par le Royaume-Uni. Nous travaillons à sa levée par la voie diplomatique et nous avons bon espoir d'y parvenir. Il serait opportun que fin juin ou début juillet, les flux de voyageurs reprennent, car les Britanniques sont la première clientèle étrangère en France. Je suis intervenu dans les médias anglais pour leur dire qu'ils étaient les bienvenus en France - dès que leur gouvernement aura levé la mesure de quatorzaine.

On a constaté, lors du dernier Conseil des ministres de l'intérieur, une convergence vers une levée début juillet des restrictions appliquées aux Etats ne faisant pas partie de l'espace Schengen. Nous avons un plan de remontée en puissance des vols vers et depuis le Maghreb. En matière de coordination frontalière, l'Europe a eu du retard à l'allumage. Aujourd'hui, on note une grande convergence entre les Etats membres, autour d'une levée des contrôles le 15 juin.

Afin de promouvoir un tourisme plus qualitatif et plus durable, nous sommes en train de définir une feuille de route avec le comité de la filière tourisme. La France est première, sinon en matière de recettes, du moins en matière de fréquentation. Elle doit conserver son leadership à l'heure de la réinvention du tourisme.

(Interventions des parlementaires)

Sur l'enseignement français à l'étranger, le troisième projet de loi de finances rectificative comprend des éléments budgétaires qui permettront d'abonder les plans présentés le 30 avril. En outre, une partie de la réserve de précaution sera mobilisée, et des redéploiements auront lieu au sein de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger. Nous pourrons faire face aux besoins.

S'agissant du processus post-Cotonou, une réunion ministérielle doit se tenir vendredi avec la commissaire européenne aux partenariats internationaux et le négociateur pour les Etats d'Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP). Certains sujets restent en discussion, ayant trait aux droits de l'homme, aux droits sexuels, aux migrations... Nous souhaitons qu'un accord puisse aboutir.

Sur les exportations de masques, la Commission a mis en place un système de contrôle le 15 mars, renouvelé en avril et qui s'est achevé fin mai, quand l'ensemble des Etats membres ont indiqué qu'ils avaient sécurisé leur approvisionnement.

Souveraineté ne signifie pas autarcie : la Corée du Nord n'est pas notre modèle ! C'est grâce aux débouchés que nos produits ont à l'extérieur que nous avons des excédents. Avec les accords de nouvelle génération, la France et l'UE arrivent à poser des règles : le respect des indications géographiques protégées fait ainsi partie des nouveautés. Et ce n'est pas parce que nous n'avons pas d'accord commercial avec un pays que nous ne sommes pas envahis par ses produits - regardez, par exemple, les produits chinois ! Le volontarisme français permet d'aboutir à des accords plus équitables et équilibrés.

S'agissant de l'accord avec le Canada, les exportations françaises ont augmenté de 400 millions et notre excédent commercial avec ce pays s'est considérablement accru, passant de 438 à 709 millions. La France y a donc gagné.

Les assurances ont porté leur effort en faveur du secteur du tourisme à un milliard. Mais les attentes des professionnels demeurent, car tous les versements prévus dans les contrats souscrits n'ont pas été effectués. Certains restaurateurs ont actionné le levier juridique ; une décision a déjà été rendue à leur avantage. Je n'exclus pas que les assurances contribuent davantage à la relance ; c'est en tout cas un combat que je mène.

Le manque à gagner dans le tourisme est important, avec des pertes de recettes jusqu'à 15 milliards d'euros par mois de confinement. Depuis le 2 juin, l'offre touristique est largement rouverte et j'ai bon espoir que la phase trois permettra une réouverture totale. Il est indispensable de ne pas faire une croix sur la saison et je m'efforce d'encourager le maintien d'une clientèle européenne significative. Les aéroports ont établi des protocoles en vue de la réouverture des frontières, avec prise de température des passagers.

Il n'y a pas à ce stade de progrès sur la question des élèves des établissements non homologués et je le regrette.

Le commissaire européen Thierry Breton souhaite que 20% du plan de relance européen soient dédiés au tourisme, ce qui a du sens en raison des effets de ce secteur sur l'amont et l'aval. Il a également demandé qu'un sommet européen du tourisme se tienne à l'automne pour tirer les leçons de la saison et envisager le tourisme de demain.

Le réseau d'instituts culturels et d'Alliances françaises s'est adapté à la situation mais la crise l'a fragilisé. Un tiers d'entre eux est dans une situation difficile, un autre tiers a besoin d'une surveillance accrue, le dernier tiers a fait preuve d'une résilience budgétaire. Nous souhaitons aider le réseau à surmonter la crise. Les besoins paraissent absorbables.

Quand le président de la République dit, à propos du Mercosur, que le compte n'y est pas, c'est une parole forte et c'est une façon de dire aux négociateurs européens que désormais l'on ne négociera pas à n'importe quelle condition, et ce afin que les accords de demain soient de meilleure qualité.

Le Conseil fédéral suisse a annoncé que le pays rouvrirait ses frontières avec les Etats de l'espace européen le 15 juin ; je pense que la situation des travailleurs frontaliers sera formalisée à cette échéance.

Je n'ai pas eu à connaître de la question de la norme Euro 5 et y apporterai donc une réponse écrite dans les jours à venir.

(Interventions des parlementaires)

Dans les accords mixtes, les Parlements nationaux sont conduits à s'exprimer sur les composantes politiques et d'investissement. La partie commerciale relève quant à elle de la compétence de l'Union européenne et entre en vigueur de façon provisoire dès approbation par le Conseil et le Parlement européen. Mais, tant que les parlements ne se sont pas prononcés, c'est un provisoire qui peut durer...

Le soutien au commerce extérieur sera un axe structurant du plan de relance. Des mesures ont d'ores et déjà été prises : flexibilité des assurances prospection, prorogées d'un an, augmentation de la garantie du risque exportateur, services proposés tout au long de la crise par Business France...

Sur la bi-bancarisation, j'apporterai une réponse écrite.

Q - Vous avez indiqué compter sur la clientèle européenne mais, si ces pays adoptent le même patriotisme touristique que nous, de quelle manière pourrons-nous attirer nos voisins en France cet été ?

R - Nos paysages sont si divers que l'on peut faire un tour du monde en faisant un tour de France. Tous les pays ne bénéficient pas d'une telle situation. Davantage d'Européens resteront certes dans leurs pays cet été, mais beaucoup souhaitent venir en France ; comme ils étaient inquiets à ce sujet, j'ai tenu à les rassurer sur notre capacité à les accueillir. Il y a beaucoup d'amoureux de la France en Europe, et ce n'est pas pour rien qu'un dicton allemand dit : "Heureux comme Dieu en France".

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Merci, Monsieur le Ministre, de vos réponses.

Il faut vraiment que vous nous entendiez quand nous vous disons que nous avons besoin de changements : il importe de garder ce qui doit l'être mais aussi de changer ce qui doit l'être. Avec la crise, nous avons vu ce qui marchait et ce qui marchait moins bien. Qu'il s'agisse du commerce international ou du tourisme, une réelle évolution sera nécessaire. Peut-être parviendrons-nous à réconcilier les opinions publiques et la direction politique de l'Europe si nous, Européens, sommes les premiers à contribuer à un monde plus juste, moins inégalitaire, dans lequel les échanges seraient plus loyaux.

R - Nous menons le combat. Plus les parlements nationaux pèseront, plus nous aurons de chance de le gagner. Toutes les énergies, tous les engagements politiques doivent être mis à contribution pour cette cause, qui nous rassemble, d'un commerce plus durable, plus équitable et mieux accepté par nos concitoyens.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 juin 2020