Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur le plan de soutien à la filière aéronautique, à Paris le 9 juin 2020.

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Circonstance : Présentation du plan de soutien à la filière aéronautique

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,


L'industrie aéronautique française et européenne ne connaissait pas la crise.

Elle était habituée depuis près de 30 ans à la croissance : une croissance soutenue par une augmentation constante du trafic aérien, 6% en moyenne depuis 1994 (Etude PIPAME).

L'industrie produisait, elle employait, elle innovait. Les carnets de commandes d'Airbus étaient remplis pour de longues années. Et par conséquent celui de centaines de PME dans toute la France.

La crise a mis un coup d'arrêt à cette croissance.

Les aéroports de France, d'Europe et du monde entier ont fermé. Le trafic mondial s'est réduit au strict minimum, c'est-à-dire aux rapatriements. Les commandes d'avions ont été repoussées.

La crise du secteur aéronautique a été brutale. Et la reprise sera lente.

Le trafic aérien ne devrait pas revenir à son niveau de décembre 2019 avant 2 ou 3 ans.

Cet effondrement a une conséquence directe sur notre constructeur et ses sous-traitants : Airbus n'a pas eu d'autre choix que de réduire de 35 à 40 % les cadences de production de ses principaux programmes.

Cette réalité à des conséquences en cascade :

- Sur l'emploi, ce sont 300 000 emplois directs et indirects qui sont en jeu.
- Sur les compétences, ce sont 35 000 ingénieurs qui sont concernés et avec eux des compétences rares qui mettront une génération à être renouvelées.
- Sur des territoires entiers qui pourraient être appauvris par des faillites parmi les 1300 entreprises industrielles qui composent le tissu aéronautique français, en particulier en Occitanie et en Nouvelle Aquitaine.
- Enfin, ce sont 34 milliards d'euros par an d'excédent commerciaux qui pourraient être menacés.

Vous le voyez les enjeux sont considérables. Ils sont économiques sociaux, territoriaux et financiers.
Nous devons sauver notre industrie aéronautique et éviter tout décrochage vis-à-vis du géant américain Boeing et du géant chinois COMAC.

Il en va de la place de l'Europe dans l'industrie mondiale au 21ème siècle.

Il en va également de notre capacité à construire une industrie aéronautique décarbonée. Nos géants industriels - Airbus, Safran, Thalès, Dassault et leurs sous-traitants - en ont la capacité.

Nous voulons donc décréter ce matin l'état d'urgence pour sauver notre industrie aéronautique et lui permettre d'être plus compétitive et plus décarbonée au 21ème siècle.

Telle est l'ambition de ce plan qui représente un effort de 15 milliards d'euros de la Nation.

VOLET 1 : Sauver les emplois

Sans aucune aide publique, ce sont 100 000 emplois qui seraient menacés dans les 6 mois.

Les aides que nous apportons doivent permettre aux 4 entreprises, qui s'y sont engagés, de préserver au maximum les emplois en France.

Soyons lucides, il y aura des ajustements nécessaires, mais ils doivent se faire dans toute la mesure du possible sans départ contraint.

Cela passe d'abord par les garanties à l'export à hauteur de plusieurs milliards d'euros.

- Nous avons autorisé pour les compagnies aériennes un moratoire sur le remboursement de leurs crédits à l'export. Elles pourront reporter ces remboursements de 12 mois. Cela représente un gain de trésorerie de 1,5 milliard d'euros pour les compagnies.
- Nous avons également pris l'initiative de proposer à la Commission européenne de porter au sein de l'OCDE un assouplissement temporairement des modalités de remboursement des nouveaux achats d'avions Airbus.

Les compagnies pourront attendre jusqu'à 18 mois avant de commencer à rembourser leur crédit à l'export au lieu des 6 mois habituels.

Cela représente un effort d'au moins 2 milliards d'euros.

Cela passe également par la commande publique militaire, de la gendarmerie et de la sécurité civile. Nous engagerons 832 millions d'euros sur ce volet qui sera précisé par la ministre des Armées.

Cela passe enfin par l'activité partielle de longue durée qui permettra d'éviter les licenciements et la perte de savoir-faire.

Notre objectif est d'éviter tout départ contraint d'employés hautement qualifiés durant les prochaines années.

La chute des commandes ne doit pas détruire des compétences construites depuis des décennies.

La ministre du travail négocie les modalités de ces dispositifs d'activité partielle avec les partenaires sociaux à la demande du président de la République.

Elle précisera les contours de ce dispositif dans les prochaines semaines.

VOLET 2 : Transformation des PME

Notre objectif est d'accélérer la transformation des PME et des ETI, qui sont une des grandes forces de notre industrie aéronautique.

Elles font de la France un des seuls pays au monde à être capable de construire des avions civils, des avions militaires et des hélicoptères.

Pour cela nous mettrons en place deux fonds :

Un fonds pour l'investissement en fonds propres doté de 1 milliard d'euros et un fonds d'accompagnement pour la numérisation et la robotisation des PME et des ETI doté de 300 millions d'euros.

Le fonds d'investissement en fonds propres sera doté dès cet été de 500 millions d'euros. L'Etat apportera 200 millions d'euros et les industriels 200 millions d'euros également.

100 millions, au moins, seront fournis par le gestionnaire du fonds qui sera choisi par appel d'offre. Ces 500 millions d'euros permettront de lever au total 1 milliard d'euros.

Ce fonds permettra de renforcer les fonds propres des entreprises fragilisées et d'accompagner la consolidation du secteur.

Je souhaite qu'il soit opérationnel dès juillet. Il doit soutenir le plus vite possible les PME et les ETI aéronautiques.

Je tiens à remercier les dirigeants d'Airbus, de Safran, de Dassault et de Thalès pour leur contribution et leur engagement dans la préparation de ce plan.

La mobilisation des 4 industriels dans un fonds d'investissement pour soutenir la filière est une première.

Le deuxième fonds est un fonds d'accompagnement sera entièrement financé par l'Etat à hauteur de 300 millions d'euros sur 3 ans.

Il investira dans la numérisation, la robotisation et la diversification des entreprises de la filière.

Nous sommes en retard par rapport à nos voisins européens que sont l'Allemagne et l'Italie. Ce plan de relance est l'occasion de rattraper notre retard.

VOLET 3 : Décarbonation

Notre objectif est d'accélérer la décarbonation de l'industrie aéronautique française.

Nous nous fixons comme objectif de parvenir à un avion neutre en carbone en 2035 au lieu de 2050, notamment grâce au moteur à très haut taux de dilution et au recours à l'hydrogène.

La France peut être dans les années à venir le pays d'Europe où se concevront et où se produiront les avions de demain.

La France peut devenir le pays de l'avion décarboné. C'est la conviction que nous portons avec ce plan.

A cette fin, le Conseil pour la Recherche Aéronautique civile – le CORAC – recevra un soutien massif d'1,5 milliard d'euros sur 3 ans.

Ces aides permettront de développer en France les technologies de réduction de la consommation de carburant, les technologies d'électrification des appareils et les expérimentations de carburants neutres en carbone comme l'hydrogène.

Ces aides permettront également de garantir l'emploi des ingénieurs hautement qualifiés sans qui l'industrie aéronautique française n'aurait pas d'avenir.

Enfin, le soutien annoncé à Air France s'inscrit en cohérence avec l'ensemble du plan que je viens de vous présenter.

Nous apporterons à Air France un prêt direct de l'Etat de 3 milliards d'euros et une garantie de l'Etat sur des prêts bancaires pour 4 milliards d'euros

Nous répondons ainsi à l'urgence en fournissant la trésorerie nécessaire à Air France pour passer la crise, tout en lui demandant de devenir la compagnie aérienne la plus respectueuse de l'environnement de la planète.


Ce plan de relance sectoriel dédié à l'industrie aéronautique représente au total un soutien de 15 milliards d'euros.

Il est proportionné à la violence qu'a représentée la crise en ce début d'année et à son impact durable sur le trafic aérien.

Il répondra aux attentes immédiates du secteur et des salariés, aux demandes des élus locaux des régions touchées par la crise et aux ambitions de décarbonation de notre industrie aéronautique dans les années à venir.

Il suppose que les quatre grands donneurs d'ordre s'engagent pour le maintien de l'emploi et du tissu industriel dans les territoires.

A cette fin une charte a été signée pour la première entre Airbus, Dassault Safran, Thalès, Daher et Christophe Cador avec tous leurs sous-traitants. Cette charte est un engagement fort que je tiens à saluer.

Grâce aux engagements des donneurs d'ordre elle favorisera la compétitivité de l'offre française et permettra aux sous-traitants de maintenir leur production sur notre territoire.


Merci à tous.


Source https://www.economie.gouv.fr, le 10 juin 2020