Déclaration de M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, sur l'organisation du second tour des municipales et report des élections consulaires, à l'Assemblée nationale le 16 juin 2020.

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Circonstance : Commission mixte paritaire à l'Assemblée nationale

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, sur le rapport de la commission mixte paritaire, du projet de loi tendant à sécuriser l'organisation du second tour des élections municipales et communautaires de juin 2020 et à reporter les élections consulaires (no 3089)

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur.

M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur. Hier, l'Assemblée nationale et le Sénat sont parvenus à un accord sur le présent projet de loi. C'est évidemment une excellente chose : c'est la preuve de notre capacité à nous mettre d'accord sur le bon fonctionnement de nos institutions et de notre démocratie ; c'est l'assurance que nous nous sommes préparés ensemble à toutes les éventualités et que nous déployons tous les moyens pour accompagner au mieux le déroulement de la campagne électorale et de l'élection elle-même.

M. le rapporteur vient de le rappeler, le premier volet du texte concerne la tenue des élections municipales, sachant que 4 855 communes, secteurs et arrondissements doivent encore désigner tout ou partie de leur conseil municipal. Dans la loi du 23 mars 2020, vous aviez défini deux cas de figure : si la situation sanitaire permettait l'organisation du second tour avant la fin du mois de juin, celui-ci pourrait se tenir ; si la situation sanitaire ne le permettait pas, le premier comme le second tour devraient être annulés dans les communes concernées et, dès lors, reprogrammés ultérieurement.

Le 18 mai, le conseil scientifique a rendu son avis. Dans la foulée, des consultations se sont tenues sous l'autorité du Premier ministre ou la mienne. Au terme de celles-ci, le Gouvernement a décidé de convoquer les électeurs pour le second tour le 28 juin, en conservant néanmoins la possibilité de revenir sur cette décision au cas où l'état de l'épidémie sur le territoire l'imposerait. La semaine dernière, le conseil scientifique a maintenu sa position : rien ne s'oppose à l'organisation d'un second tour en métropole, sous réserve que les règles sanitaires soient strictement respectées lors de la campagne et des opérations de vote.

Fort de ces avis, le Président de la République a confirmé dimanche dernier que le second tour des élections municipales se tiendrait le 28 juin. Dès lors, nous avons été mus par deux grandes intentions, qui se retrouvent dans le texte : d'abord, assurer la sécurité des électeurs, des scrutateurs et des membres des bureaux de vote ; ensuite, permettre à chaque électeur de faire entendre sa voix dans les urnes. À cette fin, il nous fallait des dispositions permettant d'adapter l'organisation de la campagne électorale et des opérations de vote à la situation sanitaire du pays. Sous réserve de l'adoption définitive du texte par votre assemblée et par le Sénat, des décrets seront publiés très prochainement pour traduire les décisions prises par le Gouvernement en ce sens, et un guide sera diffusé à tous les candidats.

L'objet du texte sur lequel vous allez vous prononcer est aussi de rassurer les électeurs quant aux conditions de sécurité. C'est particulièrement important car, outre l'inquiétude, beaucoup éprouvent le sentiment qu'il n'y a pas d'élection le 28 juin. Il est donc essentiel de signifier qu'il y en a bien une, car la participation au scrutin doit être la plus forte possible.

Toutefois, il nous faut agir avec prudence, et la prudence consiste notamment à suivre toutes les préconisations du conseil scientifique. Dans ses avis des 8 et 14 juin, celui-ci a souligné que des risques élevés existaient. Nous devons donc recourir à tous les dispositifs et à tous les moyens requis. Au moment où je vous parle, toutes les préfectures ont en principe reçu du ministère de l'intérieur la totalité du matériel qu'elles devront distribuer aux mairies, à l'exception des visières, qui seront fournies dans les jours qui viennent. Je pense au matériel nécessaire aux opérations de vote et aux masques chirurgicaux pour les scrutateurs, mais aussi aux masques pour les citoyens qui viendraient voter sans en être équipés. Ce matériel est actuellement entreposé dans chacune des préfectures.

Le conseil scientifique a souligné en outre qu'un risque élevé existait à Mayotte et en Guyane, compte tenu de la circulation du virus, et que cette situation spécifique appelait une vigilance particulière.

Après avoir consulté notamment les élus locaux et les autorités sanitaires, le Gouvernement a décidé à ce stade de maintenir le second tour des élections municipales à Mayotte, tout en imposant des conditions de sécurité sanitaire maximale : les rassemblements seront limités à dix personnes lors de la campagne et le port du masque sera obligatoire.

En revanche, il a pris la décision de suspendre sans délai la campagne électorale en Guyane, dans l'attente de la promulgation de la loi, qui permettra d'annuler le second tour dans les sept communes où cela se révèle nécessaire. Pour cela, en effet, nous avons besoin du présent texte : lors de la première lecture, vous vous en souvenez, votre assemblée a adopté un amendement permettant au Gouvernement d'aller vite en suspendant la campagne dès lors que celle-ci pouvait être l'occasion d'une diffusion du virus.

Ce projet de loi est important, protecteur, nécessaire. Nous constatons aujourd'hui qu'il était tout à fait utile. Je suis heureux qu'il ait fait l'objet d'un accord en commission mixte paritaire et qu'il puisse, dès lors, entrer en vigueur rapidement. De la sorte, nous traiterons la situation spécifique de certains territoires, nous apporterons la plus grande sécurité à nos concitoyens, nous pourrons procéder aux ajustements nécessaires et, surtout, communiquer officiellement à propos de certaines mesures, dont la possibilité pour chaque électeur d'être porteur de deux procurations, afin de favoriser la participation de celles et ceux qui ne peuvent pas se déplacer.

Dans le même sens, des instructions ont été données aux préfets afin que le plus grand nombre possible de lieux soient organisés, en lien avec les élus locaux, pour y recueillir les procurations et que les officiers de police judiciaire désignent des délégués, dont ils contrôleront ensuite le travail. Il s'agit de faire en sorte que toutes celles et tous ceux qui renonceraient à voter, soit par crainte soit par empêchement, puissent le faire. Il ne leur sera pas nécessaire, pour cette élection, de fournir un justificatif.

Nous voulons faciliter au maximum le vote par procuration et, surtout, garantir une sécurité maximale à celles et ceux qui viendront voter le 28 juin. Le matériel sera là, et je sais pouvoir faire confiance à l'ensemble des candidats : je ne doute pas qu'ils veilleront à respecter, lors de la campagne, tous les gestes barrières et toutes les préconisations de protection émises par le conseil scientifique, qui s'imposent dès lors à nous. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)

(…)

M. le président. Le texte est adopté à l'unanimité. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM, MODEM, EDS, Agir ens et LT.)

La parole est à M. le ministre.

M. Christophe Castaner, ministre. Sans faire un discours, je voudrais répondre à quelques questions qui m'ont été posées : la pédagogie est d'autant plus nécessaire que les conditions d'examen du texte n'ont pas toujours permis d'en prendre bien connaissance.

Monsieur Naegelen, vous m'avez interrogé sur les différents modes de facilitation des procurations. Outre la double procuration, j'ai évoqué tout à l'heure la suppression de l'obligation de justifier la demande de procuration par un motif.

De plus, le fait d'avoir désigné, en lien avec les procureurs de la République, un grand nombre de délégués et de leur avoir permis par décret de tenir des permanences – non pas dans une mairie, mais dans une maison France services ou dans un autre lieu accueillant le public – peut être considérée comme une réponse à la préconisation que vous aviez formulée dans le rapport de la commission d'enquête sur la situation, les missions et les moyens des forces de sécurité.

Effectivement, pour les policiers et les gendarmes, ce sont des charges indues et difficiles ; mais il faut la garantie d'un officier de police judiciaire pour apprécier la capacité de celui ou de celle qui donne procuration. Par conséquent, on ne peut pas imaginer un système qui soit dématérialisé ou totalement intermédié.

Une fois arrêtée la méthode de contrôle, qui engage la responsabilité du délégué, l'officier de police judiciaire valide les procurations. Ainsi, dans un système sain – or, si la triche est possible lors d'une élection, elle est loin d'être répandue –, le système allège considérablement le travail des officiers de police judiciaire. Sans doute pourrons-nous diffuser ce prototype à l'avenir.

La seule réelle difficulté concerne le contrôle, qui demeure source d'incertitude. Une future identité numérique certifiée pourrait contribuer à la dématérialisation des opérations, mais un tel dispositif n'existe pas actuellement.

Quant au plafond de 5 %, il ne correspondait pas à un volume de communes où l'on aurait envisagé de procéder au report, mais visait simplement à fixer un niveau assez bas pour ne pas affecter l'élection dans son ensemble. En l'espèce, si tout va bien d'ici au 28 juin, ce dont je ne doute pas, ce n'est que dans sept communes guyanaises – soit une proportion des communes concernées bien inférieure à 5 % – qu'il pourrait être nécessaire d'utiliser l'article autorisant le Gouvernement à reporter l'élection par décret en conseil des ministres.

À ce sujet, le Premier ministre a annoncé aux responsables politiques guyanais que le Gouvernement comptait utiliser cette disposition, mais un problème de calendrier se pose : le décret ne pourra pas passer en conseil des ministres dès mercredi, puisque le texte de la CMP est examiné au Sénat mercredi après-midi ; il devra donc être pris le mercredi suivant, le 25 juin. Quoi qu'il en soit, le message politique est clair : il n'y aura pas de second tour des élections municipales en Guyane.

Mme Josso a évoqué l'importance de faciliter les procurations « sous le contrôle des maires ». Permettez-moi, surtout dans le contexte du moment, de bien préciser que les procurations sont déposées sous le contrôle de l'officier de police judiciaire. Lorsqu'il reçoit la procuration, le maire vérifie sur les listes électorales que son porteur n'en détient pas plus que le nombre autorisé, soit deux désormais.

Vous avez raison de souligner l'engagement des services communaux ; ils vérifient notamment la réalité des procurations, simples ou doubles.

L'État, avez-vous rappelé, financera les masques, et vous avez souhaité inscrire cette disposition dans la loi, ce qui allait dans le bon sens. Je m'étais engagé à cette prise en charge et le Gouvernement a déjà pris les dispositions nécessaires sans attendre le vote de la loi, puisqu'il a doté les préfectures d'un nombre significatif de masques afin qu'ils soient distribués aux communes.

Le rendez-vous électoral est désormais une certitude, monsieur Orphelin, mais, je l'ai dit, l'abstention demeure en effet un élément incertain. Nous devons marteler le fait que l'élection aura lieu le 28 juin, car ce scrutin est important.

Le volet du texte qui concerne les sénateurs n'est en réalité utile que pour les six sénateurs de la série 2 représentant les Français de l'étranger. Certes, le texte présenté en conseil des ministres prévoit l'hypothèse de l'annulation, mais celle-ci ne concerne que ces six élus. Sur ce point, le conseil scientifique a été très clair, comme sur la question des élections consulaires : la situation sanitaire mondiale ne permet pas d'organiser cette élection dans de bonnes conditions.

Comme d'autres, M. El Guerrab a salué à raison l'administration consulaire ; comme lui, pour qui le sujet revêt évidemment une importance particulière, je suis très attentif à la question des élections consulaires.

M. Peu a évoqué des « dispositions hypothétiques » : en effet, le Gouvernement a fait un pari législatif fondé sur un paradoxe. Le même jour, j'ai présenté deux textes en conseil des ministres : un décret fixant la date de l'élection municipale au 28 juin et un projet de loi prévoyant l'annulation de ladite élection. Nous avions besoin d'un texte de loi, y compris pour la double procuration. L'objectif était d'éviter d'avoir à légiférer dans l'urgence absolue, d'où cette situation quelque peu paradoxale qui vous conduit à voter pour et contre en même temps. Il fallait faire en sorte que les élections municipales puissent avoir lieu le 28 juin, un objectif que nous partageons tous – ou presque, certains partis politiques s'étant déclarés défavorables à la tenue de l'élection à cette date.

Quant au report de l'élection en Guyane, j'ai indiqué le décalage de la date du décret.

S'agissant du régime des procurations, si un flou a pu exister, ce ne sera plus le cas – je réponds ainsi à la question de la date – dès lors que la loi sera promulguée, ce qui devrait se faire jeudi, puisque les dispositions relatives aux procurations seront d'application immédiate. Je préciserai dans quelle situation se trouveront alors les personnes ayant déjà fait des démarches.

Il va de soi que je suis pleinement d'accord avec Sacha Houlié – sauf peut-être concernant son souhait d'encadrer les prérogatives de l'exécutif, mais je suis prêt à participer au débat… (Sourires.) Il a rappelé pourquoi les dispositions sur les élections sénatoriales étaient essentielles, comme je l'ai indiqué, s'agissant du report de l'élection des six sénateurs de la série 2 représentant les Français de l'étranger.

Je ne reviens pas, monsieur Schellenberger, sur l'explication du paradoxe de ce texte. Vous avez estimé que le Sénat avait effacé l'hypothèse de l'annulation : entre vous et moi, c'est le recul du virus qui y a contribué, et donc le comportement exemplaire des Français – mais je vous blague, comme on dit dans le Sud, car je comprends très bien le sens de vos propos, même si l'un de vos collègues est visiblement prêt à débattre des vertus du bicamérisme…

Vous m'avez posé des questions précises auxquelles je tiens à répondre. Qu'en est-il des doubles procurations déjà données ? La pratique est illégale, elle n'est pas prévue, mais, en réalité – sous réserve de vérification –, c'est au maire et à ses services qu'il appartient de s'assurer que les personnes à qui une procuration est faite n'en détiennent pas un nombre supérieur à celui qu'autorise la loi. Si d'aventure un maire avait déjà traité deux procurations adressées à une même personne – ce qui, d'expérience, me semble improbable – alors il aurait pu en refuser une. Si deux procurations ont été données à une même personne avant la promulgation de la loi et que le maire ne les vérifie qu'une fois la loi promulguée, alors il pourra les valider.

Quant aux procurations d'un an qui arrivent à expiration avant le 28 juin, elles ne sont pas valables. Nous n'avons pas prévu de prolonger leur validité de quelques jours, ce qui aurait pu se concevoir s'agissant de celles données pour les élections européennes de l'an dernier.

Parmi les outils de communication, j'ai annoncé la création d'un site dédié à la diffusion des circulaires obligatoirement applicables dans les communes de plus de 2 500 habitants ; près de 850 de ces circulaires ont déjà été publiées.

M. Petit a lui aussi abordé les vertus du bicamérisme – ou leur absence ; je n'entrerai pas dans le débat –, avant d'évoquer l'importance des élections consulaires et le rôle que jouent les agents consulaires ; je relaierai cette remarque que j'approuve entièrement, fort de ma modeste expérience en la matière.

Madame Pau-Langevin, je vous remercie d'avoir salué l'engagement de ceux qui préparent et accompagnent les opérations de vote. N'ayant pas remis mon mandat en jeu, je ne serai plus dans quelques jours conseiller municipal de la charmante commune de Forcalquier. J'ai été maire pendant seize ans et je suis conscient du travail considérable que représente la préparation d'une élection municipale. Je connais aussi l'engagement et la motivation des agents municipaux – la directrice générale des services de ma commune, par exemple – ainsi que l'importance de leur travail, qu'ils ont accompli lors du premier tour dans des conditions exceptionnelles, en lien avec les élus. Grâce à leur réactivité, et bien que la circulaire que j'avais adressée ne leur soit parvenue que quelques jours à l'avance, les opérations se sont bien déroulées. Je fais donc miens les propos que vous avez tenus à leur égard.

Enfin, vous avez évoqué les garanties qu'il faut apporter aux électeurs. Je vous le dis : j'ai pris l'engagement, que nous devrons tenir tous ensemble, que tous les besoins matériels des collectivités locales pour accomplir les opérations de vote dans le respect des préconisations du conseil scientifique seront pris en charge par le ministère de l'intérieur, entièrement mobilisé. Si une commune a besoin de gel hydroalcoolique, nous lui en livrerons.

La seule exception à cette règle concernera les panneaux de séparation en plexiglas, que nous ne livrerons pas car il appartient aux communes d'en déterminer les modalités techniques d'installation, mais dont nous rembourserons l'achat sur présentation des factures.

Ainsi, les contraintes sanitaires existantes lors des opérations de vote n'entraîneront aucun coût pour les communes, ni les petites, pour lesquelles ce coût serait lourd, ni les grandes qui en pâtiraient également puisqu'elles comptent de nombreux bureaux de vote.

Cet engagement est normal. Vous l'avez renforcé par la loi s'agissant des masques ; je ne serai pas bégueule, contrairement à ce que laissait entendre la remarque acerbe de Sacha Houlié (Sourires), et je ne réduirai pas l'engagement de l'État aux seules dispositions législatives. Il vaut naturellement, au-delà des masques, pour tous les dispositifs techniques nécessaires.

Je vous remercie du travail que vous avez accompli et de votre vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)


source http://www.assemblee-nationale.fr, le 23 juin 2020