Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Les Républicains, sur la situation du logement et du bâtiment.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, pour le respect des règles sanitaires, il vous est demandé de n'occuper qu'un siège sur deux ou, à défaut, de porter un masque.
Je rappelle que l'hémicycle fait l'objet d'un nettoyage et d'une désinfection avant et après chaque séance, et que les micros seront désinfectés après chaque intervention. J'invite chacune et chacun à veiller au respect des distances de sécurité.
Je rappelle également que les sorties devront exclusivement s'effectuer par les portes situées au pourtour de l'hémicycle.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais remercier Mme Dominique Estrosi Sassone, ainsi que tout le groupe Les Républicains du Sénat, d'avoir été à l'initiative de ce débat.
Je voudrais aussi remercier Mme la présidente de la commission des affaires économiques du rapport fait par cette commission, que j'ai lu avec beaucoup d'attention. Je remercie enfin M. Jean-Marie Bockel, qui a également produit un rapport sur le sujet, remis en mai 2020.
J'ai lu tous ces documents avec beaucoup d'intérêt et je crois qu'il y a là matière à beaucoup de discussions.
Avant de revenir sur la situation actuelle et de répondre aux différentes questions que vous avez abordées, permettez-moi tout d'abord de poser un diagnostic, qui est, je le sais, partagé sur les travées de cet hémicycle, sur les effets de la crise sanitaire.
Cette crise sanitaire a d'abord mis en exergue les nombreuses inégalités : inégalités sociales, inégalités territoriales. On les connaissait, mais elles ont été une fois de plus mises très fortement en évidence, certains ménages, qui en avaient la possibilité, quittant les métropoles pour aller dans leurs résidences secondaires, d'autres vivant le confinement dans des endroits beaucoup plus exigus et, parfois, dans le mal-logement.
Le confinement et le télétravail ont aussi montré les difficultés de certains ménages face non seulement à la mauvaise qualité de leur logement, mais aussi, parfois, à leur mauvaise connexion. Le télétravail n'était pas une réalité pour tous nos concitoyens. Le facteur numérique, qui, nous l'avons souvent dit, était là pour résoudre les inégalités territoriales, bien souvent, trop souvent, et encore aujourd'hui, n'a fait que les accroître.
Quelles sont les conséquences que nous devons tirer de cette période ? Je voudrais axer mon propos sur quatre principaux points, répondant ainsi à un certain nombre de vos questions.
Le premier axe, c'est d'aller le plus loin possible sur la rénovation du bâtiment. Le rapport de la commission des affaires économiques met bien cet objectif en avant, soulignant que les Français sont inégaux face au logement ; dans cette inégalité, il y a la question de la rénovation des logements. Ce souhait ne vous étonnera pas venant de ma part, moi qui me suis présenté depuis trois ans autant comme le ministre de la rénovation que comme le ministre de la construction.
À cet égard, je me félicite des travaux très constructifs que nous avons menés dans cet hémicycle. Je pense à la lutte contre les marchands de sommeil. Quand je vois les décisions de justice qui sont en train d'être rendues sur Pierrefitte-sur-Seine, je me dis que ce qui a été voté commence à produire des effets. J'en veux aussi pour preuve toutes les discussions que nous avons menées et les décisions que nous avons prises sur la lutte contre l'habitat indigne, par exemple à Marseille.
Beaucoup a déjà été fait sur le plan législatif ; beaucoup a aussi été fait dans les actes. Il faut savoir que l'action de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH), agence qui dépend de mon ministère, a été multipliée par deux en deux ans. Dans le milieu des start-up, on dirait qu'il s'agit d'une « licorne ».
Je pense à l'ensemble des rénovations, et pas seulement aux rénovations énergétiques, même si, aujourd'hui, comme l'indique également le rapport que je mentionnais, la crise sanitaire ne doit en rien occulter la crise climatique qui est devant nous. Priorité doit donc être donnée à la rénovation énergétique des bâtiments. À cet égard, je suis convaincu que MaPrimeRénov', en activité depuis le 1er janvier, permet de répondre à un certain nombre de ces besoins. D'abord, parce qu'elle est très simple d'accès. Ensuite, parce que c'est une prime qui est sociale : sur les 50 000 dossiers déposés depuis le mois de mai, 67 % concernent les 20 % de ménages les plus modestes, alors que plus de la moitié du crédit d'impôt pour la transition énergétique concernait les 80 % les moins modestes.
Cette prime est donc beaucoup plus sociale, et elle marche, mais il faut aller plus loin. On va déjà élargir le nombre de personnes éligibles, puisque dès 2021 y seront éligibles les déciles de revenus 5 à 8, ce qui va dans le sens de votre proposition, même si je sais, pour en avoir discuté avec vous, madame la sénatrice, que vous souhaiteriez aller plus loin.
En tout cas, je note que la Convention citoyenne pour le climat a mis en avant que ce chemin était le bon, mentionnant MaPrimeRénov', mais qu'il fallait amplifier l'effort. Faut-il aller plus loin avec cet instrument ? Inutile de vous dire que c'est ma préférence, et je suis sûr que nous aurons de beaux débats sur le sujet lors des prochains textes financiers.
Le deuxième axe, c'est de soutenir le secteur de la construction. La priorité du Gouvernement en ce moment, comme vous le savez, c'est la question de l'emploi. Or le secteur de la construction, c'est plus de 2 millions d'emplois. L'objectif est clair : il faut poursuivre la construction de logements abordables. Pour ce faire, nous avons besoin de deux choses.
D'abord, et vous l'avez très justement dit, madame la sénatrice, il faut absolument soutenir les entreprises du bâtiment, sachant que le secteur du logement est un chaînon dont tous les maillons sont dépendants les uns des autres.
Ensuite, il faut éviter le trou d'air à l'automne. C'est ma préoccupation du moment. À cette fin, il importe d'inciter la commande sur les territoires. Le fait d'abonder à hauteur de 1 milliard d'euros la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) dans le prochain texte financier va dans ce sens, mais il nous faut aller plus loin. J'ai demandé, par exemple, à toutes les agences dont j'ai la responsabilité de mettre en oeuvre les projets d'ores et déjà décidés et de ne rien décaler. J'ai demandé également à l'ensemble de mes équipes d'être des facilitateurs. On sait, encore aujourd'hui, que ce qui relève de l'instruction des services de l'État met parfois trop de temps. Il faut donc être plus rapide.
L'envie, la dynamique de reprise sont là ! J'en veux pour preuve le dernier chiffre que j'ai annoncé : 93 % des chantiers ont d'ores et déjà repris sur l'ensemble de notre territoire.
Le troisième axe, c'est de prendre en compte le constat que le Covid va forcément modifier notre aménagement du territoire, et plusieurs d'entre vous l'ont souligné dans les différents documents que j'ai évoqués. Pour ma part, je pense que c'est très bien ainsi. À mon sens, la crise sanitaire intense que nous avons vécue ces derniers mois, et que nous vivons encore, a mis en évidence le rôle très important à l'avenir de ce que j'appelle les « villes de France », c'est-à-dire les villes de taille moyenne. Cela ne vous étonnera pas, ici, au Sénat. Nous avions fortement poussé ces villes avec l'opération « Action coeur de ville », et je crois qu'il faut aller encore plus loin.
Permettez-moi d'insister notamment sur un dispositif fiscal, qui s'appelle le « Denormandie dans l'ancien » et qui vise à rénover les logements dans ces villes moyennes. Aujourd'hui, près de 250 villes sont éligibles ; 400 autres en ont fait la demande. Avec ces opérations de revitalisation du territoire, je crois que nous avons créé une dynamique qu'il faut soutenir et pousser.
Je n'oublie pas non plus la réhabilitation des bureaux en logements ou la lutte contre les logements vacants.
Tels sont les trois axes, a minima, que j'ai fixés comme priorité d'action à mes équipes au lendemain de la crise sanitaire s'agissant des modifications de l'aménagement du territoire.
Enfin, puisque que le temps m'est compté, j'aborde un quatrième objectif : la réponse à la crise doit être évidemment sanitaire, d'abord, économique, ensuite, pour préserver les emplois, mais il s'agit aussi d'éviter une crise sociale. À ce titre, le logement a une part fondamentale dans tout ce que nous allons faire.
Nous allons d'abord accompagner les ménages qui en ont besoin pour payer leurs loyers. On pourra reparler du FSL, mais j'attire votre attention sur la décision des partenaires sociaux de créer une aide spécifique d'Action Logement, avec qui j'ai plaisir à travailler tous les jours, d'un montant de 150 euros par mois pendant deux mois pour les familles qui voient leur reste à charge profondément augmenter, s'agissant de leur loyer, soit parce que leurs revenus ont diminué, soit parce que leurs dépenses ont augmenté.
Il s'agit également d'accompagner la production de logements sociaux. Je n'entre pas dans le détail des mesures, qui portent sur la TVA ou d'autres aspects, mais nous aurons aussi ce débat lors des prochains textes financiers.
Soutenir la construction, c'est aussi mettre en oeuvre les plus de 10 milliards d'euros déjà conventionnés de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU). Près de 200 appels d'offres ont déjà été passés ; les chantiers ont déjà commencé ; plusieurs centaines d'autres appels d'offres sont en cours. Bref, les grues reviennent aujourd'hui dans nos quartiers.
Il faut également, et la commission des affaires économiques du Sénat l'a très bien dit dans son rapport, permettre la fluidité dans le logement, que ce soit dans le logement social, le logement intermédiaire ou le parcours dit résidentiel.
Par ailleurs, il importe de lutter contre la hausse des prix du foncier : ce sont les baux réels solidaires, les organismes de foncier solidaire (OFS), chers à beaucoup d'entre vous, mais j'ai une pensée particulière pour vous, madame Lienemann, puisque nous avons inauguré le premier OFS à Espelette voilà quelque temps.
Enfin, je pense aux personnes en très grande difficulté. Nous agissons là avec deux principaux objectifs : mettre à l'abri, j'y insiste, et favoriser, pour les personnes mises à l'abri, la sortie vers le logement grâce à la politique dite du « Logement d'abord ». Deux chiffres permettent de caractériser l'ampleur de ce que nous faisons. Hier soir, ce sont 178 000 personnes que l'État, les collectivités, les associations ont mises à l'abri. Ensuite, grâce à la politique du « Logement d'abord », en deux ans, 2018 et 2019, ce sont 150 000 personnes que nous avons sorties d'un logement très insalubre ou de la rue pour leur donner un vrai « chez-soi ».
Mme la présidente. Il faut conclure, monsieur le ministre. Vous avez très largement dépassé votre temps de parole.
M. Julien Denormandie, ministre. En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai que c'est évidemment avec grand plaisir que je travaillerai avec vous sur la simplification. N'oubliez pas que nous sommes même en en train de réécrire le code de la construction pour passer d'une simplification à une réforme totale, puisque nous ne mettrons que les objectifs, sans donner les chemins à parcourir. Je vous remercie une nouvelle fois d'avoir mis ce débat à l'ordre du jour. (Applaudissements sur les travées des groupes LaREM, Les Indépendants et UC.)
Mme la présidente. Nous avons une quinzaine de questions, monsieur le ministre ; donc vous aurez l'occasion de vous exprimer de nouveau.
- Débat interactif -
Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé. Si vous souhaitez répliquer, je vous incite à garder les yeux sur l'horloge.
Dans le débat interactif, la parole est à M. Philippe Dallier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ma question concerne l'impact de la crise sur les bailleurs sociaux, leur capacité à produire, mais aussi sur les communes, leur capacité à accompagner cette production en la finançant, en accueillant les nouvelles populations. Je pense notamment aux communes qui sont soumises à l'article 55 de la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou loi SRU.
Les préfets de région auraient dû réunir au printemps les commissions appelées à statuer sur le sort des communes qui n'ont pas atteint leurs objectifs ; on sait que, la marche devenant de plus en plus haute, elles devraient être plus nombreuses. Ces commissions ne se sont finalement pas réunies, mais elles devraient le faire prochainement.
Je voudrais savoir, monsieur le ministre, si vous allez donner des instructions pour que les préfets de région prennent en compte les situations dans lesquelles ces communes vont se trouver avec la baisse de recettes qu'elles vont subir en 2020, et peut-être ultérieurement.
Et puis, il y a la période triennale à venir, soit 2020, 2021 2022. Pour 2020, tout le monde l'a dit, on va avoir, si ce n'est une année blanche, en tout cas une année fortement impactée Qu'en sera-t-il les années suivantes ? Capacité des bailleurs à produire ; augmentation des coûts de la construction ; difficultés des locataires.
S'agissant des communes, comment leurs recettes évolueront-elles ? Quid de l'impact de la taxe d'habitation ? Il n'y aura alors plus que la taxe foncière comme levier fiscal, et, monsieur le ministre, les bailleurs ne le payant pas, vous allez vous trouver face à des communes auxquelles, je l'ai déjà dit de nombreuses fois ici, vous demandez de construire encore plus de logements, qui seront dans des situations extrêmement compliquées.
Monsieur le ministre, je ne vous parle pas des quelques communes qui « ont les moyens » de ne pas faire, parce qu'elles ne veulent pas faire ; je vous parle de toutes les autres. Nous savons tous ici que l'objectif de 2025 était déjà inatteignable pour beaucoup. Avec la nouvelle situation, cela va devenir mission impossible. Ne serait-il pas temps de remettre tout cela à plat et de voir comment, contractuellement, on pourrait accompagner toutes ces communes soumises à l'article 55 qui vont avoir beaucoup de difficultés à faire ce que la République leur demande de faire ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Dallier, avant de parler des communes, vous avez évoqué l'accompagnement des bailleurs sociaux. Nous avons beaucoup de discussions avec eux. Je vais d'ailleurs les réunir une énième fois ce vendredi pour mettre à plat l'évolution de leurs données financières. J'attire votre attention sur un dispositif dont on a beaucoup parlé ici, à savoir les titres participatifs, que Mme la sénatrice Estrosi Sassone a beaucoup défendus. Ils marchent incroyablement bien et ont été certainement l'un des instruments les plus pertinents qui soient dans la période récente, puisqu'ils ont permis de soutenir fortement les bailleurs sociaux, notamment en fonds propres, et non pas en trésorerie, comme vous le savez.
Sur la question de la loi SRU, je vous confirme effectivement que je n'avais volontairement pas donné instruction aux préfets de réunir des exécutifs locaux avant que les élections municipales ne soient terminées. J'ai signé la circulaire voilà tout juste quelques jours pour fixer un calendrier de réunion de ces commissions à partir du 30 juin. Effectivement, les délais vont être plus serrés que d'habitude, mais je pense que vous auriez fait la même chose à ma place : il n'était pas concevable de commencer à faire ses consultations avant les élections municipales.
Évidemment, dans cet échange contradictoire, j'ai demandé aux préfets de prendre en compte de manière pragmatique les situations locales. De manière plus générale, cela renvoie à la question suivante : faut-il ou non rouvrir les débats de la loi SRU, dont nous avons déjà beaucoup discuté ici ? Je me souviens notamment de l'illustre amendement Daubresse sur la question, qui a fait beaucoup débat, et qui a permis de faire une première évolution. Je pense également à ce que nous avions fait dans les communes d'Île-de-France.
Monsieur le sénateur, vous connaissez ma position. À mon sens, dès que l'on ouvre trop la loi SRU, on envoie un signal qui est souvent contre-productif. Il faut trouver un équilibre.
La question est la suivante : faut-il ouvrir le débat maintenant, sachant qu'il faudra de toute façon l'ouvrir un jour, car il y a 2025 en ligne de mire ? En ce qui me concerne, je préfère être pragmatique dans les instructions que je donne aux préfets sur le terrain. Il me semble que l'ouverture du chantier législatif tout de suite serait un mauvais coup porté à cet édifice. En effet, cela reviendrait à envoyer un signal négatif à beaucoup de communes où on a pourtant encore un énorme besoin en logements sociaux.
Monsieur le sénateur, je sais que cette réponse ne vous satisfait pas, mais je préfère aller en ce sens : pragmatisme du terrain, d'abord, et la loi, plus tard.
Mme Sophie Primas. Bonus à ceux qui font plus !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier, pour la réplique.
M. Philippe Dallier. Monsieur le ministre, effectivement, les préfets de région devront prendre en compte la situation des communes, dont beaucoup vont voir leur autofinancement chuter de manière dramatique. Comment construire et accueillir les nouvelles populations ? Il y a là une vraie question.
Depuis toujours, je plaide ici pour la contractualisation, et non pas pour exonérer ceux qui ne veulent pas faire et qui le revendiquent. Nous le savons tous, il s'ouvre une période de cinq ou six ans qui va être un fiasco. Nous serons tous obligés de constater que nous n'avons pas pu faire. Cherchons plutôt à voir comment accompagner les communes et les bailleurs sociaux plutôt que de les mettre dans un corner, parce que cela va décourager certains, qui avaient peut-être envie de faire et qui se diront : « Après tout, ce n'est plus la peine… » (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot.
Mme Annie Guillemot. Effectivement, il faut un plan de relance « logement-bâtiment » ambitieux et soutenir aussi nos concitoyens pour leur permettre de conserver leur logement, tant dans le parc privé que dans le parc public, d'ailleurs. Dominique Estrosi Sassone vient d'exposer les grandes lignes de notre rapport commun à la commission des affaires économiques, et je l'en remercie vivement.
Monsieur le ministre, il faut également réinterroger les politiques publiques à l'oeuvre, comme sur l'hébergement et les structures collectives, la rénovation énergétique, l'ambition d'une politique de société pour la politique de la ville, l'augmentation de la production de l'offre. Si le logement est au coeur de notre quotidien, il est aussi au coeur des inégalités, parce que c'est le logement qui plombe le pouvoir d'achat. Les dépenses de logement ne cessent d'augmenter davantage pour les plus pauvres, avec 30 % à 40 % de charges mensuelles.
La question du logement est donc au coeur des inégalités et votre politique interroge. Une politique du logement, c'est d'abord du sens, porter des convictions et, d'abord, celle de la réduction des écarts. Pour moi, elle doit s'appuyer sur deux piliers : la mixité et la diversité ; la mixité sociale et la diversité des produits au sein d'un même territoire.
À ce sujet, le Défenseur des droits recommande, dans son rapport sur les discriminations présenté lundi 22 juin, d'affirmer dans la loi la primauté du droit au logement sur la mixité sociale. L'Union sociale pour l'habitat (USH) pointe là un risque de ghettoïsation, estimant que le droit au logement doit être mis en oeuvre, bien sûr sans discrimination, mais aussi sans renoncer à la mixité sociale. Le logement d'abord, tout le monde peut être d'accord, monsieur le ministre, mais attention, en même temps, aux questions sociales, spatiales, de plus en plus nombreuses.
Je m'interroge sur votre politique de la ville : les quartiers ne peuvent être coincés entre accès au logement et paupérisation. Quelle mixité, quelle solidarité, sachant que les quartiers ont été les plus impactés par la pandémie, comme vous l'avez dit ? Monsieur le ministre, dans ce combat contre les inégalités par le logement, aggravées par la pandémie, quelles sont vos propositions pour la mixité sociale et quelles mesures envisagez-vous de prendre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Je profite de cette occasion, madame la sénatrice, pour vous féliciter du rapport que vous avez élaboré, avec Mme Estrosi Sassone, au nom de votre commission des affaires économiques.
Je partage en tous points la question que vous me posez. C'est d'ailleurs l'une des vertus de la réunion dans un même ministère des politiques du logement et de la ville. Je ne tournerai pas autour du pot : depuis des années, on peut constater un échec collectif, dans la mesure où les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont parmi les derniers territoires où il y a un véritable ascenseur social. L'immense difficulté est que, chaque fois que quelqu'un sort d'un tel quartier, on y remet une personne en situation de précarité.
L'État se trouve parfois, en la matière, dans une situation schizophrénique, car les injonctions données aux préfets sont contradictoires : d'un côté, on leur demande de fournir des logements sociaux à certains publics au titre de telle ou telle politique ; de l'autre, la répartition des différentes populations en quartiles de déciles organisée dans la loi du 27 janvier 2017 relative à l'égalité et à la citoyenneté est si compliquée – je suis tenté de mettre quiconque au défi d'expliquer le fonctionnement de ce dispositif – qu'elle ne peut pas vraiment être appliquée.
Face à cette situation, j'ai trois propositions à faire. La première fait écho à ma réponse à M. Dallier : il faut être extrêmement exigeant quant à l'application de la loi SRU dans toutes les communes où il n'y a pas suffisamment de logements sociaux.
Deuxièmement, il faut faire en sorte que, dans le cadre des mises à l'abri, on cesse d'installer ces personnes toujours dans les mêmes territoires. Ainsi, les personnes évacuées d'un campement de la porte de la Chapelle sont toujours relogées en Seine-Saint-Denis : ce n'est plus possible !
M. Philippe Dallier. Absolument !
M. Julien Denormandie, ministre. Je me bats tous les jours à ce sujet. Quand on fait des mises à l'abri dans les Yvelines, ces personnes se retrouvent toujours aux Mureaux, jamais à Versailles !
Mme Sophie Primas. Pas toujours…
M. Julien Denormandie, ministre. Quand même beaucoup, madame la sénatrice ! Je donne des instructions très claires pour qu'on arrête de faire toujours la même chose concernant ces mises à l'abri, ce qui contribue à alimenter ce cercle infernal.
Ma troisième proposition concerne la politique du peuplement dans les attributions de logements. La loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique, ou loi ÉLAN, a déjà permis des avancées, mais il faut aller encore plus loin.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie Guillemot, pour la réplique.
Mme Annie Guillemot. Je partage tout à fait votre avis concernant la loi SRU, monsieur le ministre, mais l'augmentation de l'offre de logements ne suffira pas : il faut encore que cette offre soit abordable et que son attribution soit réformée. On voit bien – le Défenseur des droits le relève d'ailleurs – que beaucoup de communes s'exonèrent des obligations de l'article 55 de la loi SRU en installant dans ces logements leur propre population. À Bron, par exemple, on a des foyers d'hébergement, dont certains destinés aux migrants, un grand ensemble et des copropriétés privés.
Tant dans le secteur public que dans le secteur privé, on doit bien sûr lutter contre les discriminations, comme le rappelle le Défenseur des droits, mais le droit au logement ne saurait s'appliquer seulement dans les quartiers en difficulté ! Sinon, les communes déjà les plus pauvres seront seules à accueillir les publics les plus pauvres, ce qui ne fera qu'aggraver leur situation. Comme le chante Francis Cabrel, « ça continue encore et encore » ! (L'oratrice fredonne ce refrain. – On apprécie sur des travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Monsieur le ministre, le week-end dernier, la Convention citoyenne pour le climat a adopté ses propositions, désormais rendues publiques. (Murmures sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. On est sauvé !
M. Joël Labbé. Certaines d'entre elles, comme vous le savez, concernent la rénovation thermique des bâtiments.
Il s'agit d'une thématique essentielle, puisqu'elle permet d'associer économie, emploi, justice sociale, objectifs climatiques et réduction de la dépendance énergétique de notre pays. Il est important de rappeler dans cet hémicycle que le bâtiment compte pour plus d'un quart de nos émissions de gaz à effet de serre. Alors que nous entrons dans une crise économique et sociale majeure, la rénovation thermique est aussi une question de lutte contre les inégalités, après que la crise sanitaire a amené des millions de ménages à se confiner dans un habitat indigne.
Face à ces enjeux, la Convention citoyenne pour le climat propose notamment une interdiction de location des passoires énergétiques étiquetées F et G à partir de 2028. Cette proposition est assortie d'une obligation de rénovation globale permettant d'atteindre une performance énergétique A ou B. Son non-respect serait sanctionné par un malus sur la taxe foncière et elle s'accompagnerait d'un renforcement et d'une simplification des aides à la rénovation, notamment pour les propriétaires modestes.
Ces propositions sont donc bien plus ambitieuses que celles de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, ou loi Énergie-climat, qui s'est révélée sur ce sujet à la fois trop peu contraignante et dotée de moyens insuffisants.
Alors que nous nous apprêtons à voter plusieurs textes budgétaires, le Gouvernement a multiplié les annonces quant à un renforcement des moyens alloués à la rénovation énergétique, afin d'allier relance et écologie. Si cette ambition budgétaire est louable, il faut non seulement qu'elle soit à la hauteur de l'enjeu mais aussi qu'elle s'accompagne de mesures contraignantes : la seule incitation n'a jusqu'à présent pas suffi.
Alors que se multiplient les appels à construire un « monde d'après » juste et solidaire, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, comment votre ministère accueille ces propositions fortes, issues des citoyens, et quelle place il souhaite leur donner dans les débats à venir ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Labbé, votre question me donne l'occasion, d'abord, de saluer le travail de la Convention citoyenne pour le climat. Vous l'avez salué, je voudrais le faire à mon tour, car il s'agit à mon sens, objectivement, d'un travail démocratique absolument inédit.
Mme Patricia Schillinger. C'est vrai !
M. Julien Denormandie, ministre. Pour avoir examiné dans le détail les travaux de cette convention, je trouve l'équilibre qu'y ont trouvé et que nous offrent nos concitoyens extrêmement pertinent. Ils reprennent en effet l'approche consistant, d'abord, à mettre en place des dispositifs incitatifs, mais également, si jamais ceux-ci se révélaient insuffisants, à adopter une approche coercitive. Pour ma part, je crois qu'il est bon d'avancer ainsi de manière générale, entre incitation et coercition. C'était d'ailleurs le sens de la loi Énergie-climat.
Concernant le volet incitatif, comme je l'ai déjà rappelé dans ma réponse à Mme Estrosi Sassone, et comme l'a très bien dit la Convention citoyenne, la question fondamentale est la suivante : si le chemin dans lequel on s'est engagé avec « MaPrimeRénov' » et « Habiter mieux sérénité », dispositifs que vous connaissez bien, est le bon, son ampleur est-elle suffisante ? Ces dispositifs sont-ils suffisamment maillés ? J'ai la conviction qu'il faut renforcer ces dispositifs. Ainsi, nous avons prévu d'élargir, dès le 1er janvier 2021, le nombre de déciles de revenus éligibles à MaPrimeRénov'.
Quant au volet coercitif, la loi Énergie-climat prévoit déjà que les pires passoires énergétiques ne pourront plus être louées à partir du 1er janvier 2023. Vous vous souvenez des débats à ce sujet : nous avons intégré ces passoires dans ce qu'on appelle le « décret de décence ». La Convention citoyenne pour le climat dit qu'il faut aller plus vite et plus loin. J'estime qu'il s'agit d'un exercice profondément démocratique : cette décision très démocratique aurait un impact extrêmement fort sur le logement et son accessibilité, mais il est important d'écouter nos concitoyens sur ce sujet.
Je laisserai évidemment le Président de la République annoncer quels chemins seront empruntés pour reprendre les propositions de cette convention, mais je suis en tout cas très à l'aise avec le choix d'un axe combinant incitation et coercition, et je le défends pleinement.
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.
M. Joël Labbé. Merci, monsieur le ministre, de votre réponse claire et engagée. Il est en effet essentiel que le Gouvernement prenne ses responsabilités face aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat. Quoi qu'on en pense, ce mode de gouvernance inédit a permis de porter dans le débat public des propositions fortes et ambitieuses, à la fois exigeantes quant aux objectifs climatiques et soucieuses de justice sociale. C'est bien le type de mesures dont nous avons besoin pour affronter l'urgence environnementale à laquelle nous sommes confrontés, mais aussi pour réconcilier nos concitoyens avec le monde politique. (Applaudissements sur les travées du groupe RDSE.)
Mme Sophie Primas. Vous me direz où est la justice sociale, mon cher collègue !
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le ministre, notre pays connaît une crise sanitaire, économique et sociale inédite ; elle frappe durement 6 à 7 millions d'actifs, locataires ou accédant à la propriété, ainsi qu'une grande partie des étudiants et des plus démunis.
Face à cette crise, le Gouvernement a réagi, en mettant en place un dispositif de chômage partiel, en accordant des aides exceptionnelles aux entreprises et aux autoentrepreneurs, en versant une aide exceptionnelle de solidarité, mais aussi, ce qui a un lien direct avec notre débat, en allongeant de plus de trois mois, jusqu'au 10 juillet prochain, la trêve hivernale.
Cependant, l'Agence nationale pour l'information sur le logement (ANIL) recense depuis le début d'avril une forte hausse des appels vers la ligne dédiée « SOS impayés ». Ces appels, en moyenne deux fois plus fréquents qu'à l'ordinaire, concerneraient surtout, d'une part, les salariés du privé et les personnes qui, n'étant ni retraitées ni fonctionnaires, auront été particulièrement exposées aux effets économiques du confinement, et, d'autre part, des locataires du parc privé, dans la mesure où les propriétaires n'ont pas pris en compte la situation économique des ménages impactés par les propriétaires, tandis que les bailleurs sociaux ont renforcé leur accompagnement social et ont même, pour certains, proposé des reports de loyer.
Depuis la fin avril, le nombre d'appels reflue vers son niveau moyen. Si ce début de retour à la normale ne présage pas des évolutions à venir, qui dépendront de la conjoncture, il témoigne en tout cas de l'effet qu'ont eu les mesures du Gouvernement pour amortir les effets de la crise.
Pour poursuivre ces efforts, des acteurs tels que la Fondation Abbé Pierre demandent des mesures, en particulier un moratoire des loyers, et des moyens supplémentaires sous la forme d'un fonds national d'urgence d'aide à la quittance ou de cellules d'urgence au sein des fonds de solidarité logement des départements.
Aussi, monsieur le ministre, qu'envisagez-vous pour répondre aux grandes difficultés des locataires et des ménages accédant à la propriété, ainsi qu'aux inquiétudes des bailleurs privés et sociaux face aux risques d'impayés ? (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Schillinger, je tiens à vous remercier vivement de votre question. Un aspect de ce que vous avez évoqué en introduction de votre propos est absolument essentiel : il faut que l'accompagnement des personnes rencontrant des difficultés dans le paiement de leur loyer soit inclus dans l'ensemble bien plus vaste des mesures d'aide. Il ne faut pas oublier que, souvent, les ménages font d'autres sacrifices pour pouvoir payer leur loyer.
C'est pourquoi le bénéfice de l'aide exceptionnelle, fixée à 100 euros par enfant, mais aussi à 150 euros pour chaque personne bénéficiaire du RSA (revenu de solidarité active) ou de l'ASS (allocation de solidarité spécifique), a été étendu aux bénéficiaires de l'APL (aide personnalisée au logement) : cela était très important pour toucher plus de 4 millions de familles.
Cela dit, l'accompagnement doit être individualisé, car plusieurs cas de figure se posent.
Concernant les bailleurs sociaux, qui ont déjà l'habitude d'offrir un tel accompagnement, on doit leur donner les moyens de proposer des moratoires ou des échelonnements ; c'est de ma responsabilité. C'est pourquoi, outre le recours aux titres participatifs, on a ouvert une ligne de trésorerie de plusieurs milliards d'euros au bénéfice des bailleurs sociaux.
Quant au parc privé, grâce à l'ANIL, qui fait un travail formidable, on a créé la plateforme téléphonique « SOS Loyers impayés », au 0805 16 00 75, gérée par des professionnels territorialisés : ils accompagnent les locataires et leur donnent les voies et moyens de recevoir les différentes aides. Parmi celles-ci, on trouve les fameux fonds de solidarité pour le logement départementaux. Tout le monde me dit qu'il faut les abonder, mais je tiens à souligner que l'enjeu principal de ces fonds, aujourd'hui, est leur utilisation. Tous les élus locaux et vous-mêmes, mesdames, messieurs les sénateurs, savez très que la doctrine d'emploi de ces fonds varie d'un département à l'autre : dans la majeure partie des cas, il faut avoir deux ou trois mois de loyer impayé pour y être éligible. Ce n'est pas de ma responsabilité ! Si l'on ne modifie pas les règles d'éligibilité au FSL, bien des locataires n'y auront pas accès. Face à ce problème, j'ai décidé, avec Action Logement et les partenaires sociaux, de créer une nouvelle aide de 150 euros par mois pendant deux mois de manière à accompagner un grand nombre de personnes rencontrant ces difficultés.
Voilà, madame la sénatrice, l'ensemble des dispositifs que nous avons mis en oeuvre en la matière. Merci de votre engagement sur ce sujet !
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour la réplique.
Mme Patricia Schillinger. Il faudra faire un bilan de ces dispositifs dans quelques mois. J'espère que nous en disposerons rapidement et, surtout, qu'il sera fait à l'échelle de chaque département. On a bien remarqué, en effet, que les départements réagissaient différemment à la crise du Covid-19. En tout cas, monsieur le ministre, je vous remercie pour votre réponse.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Noëlle Lienemann.
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Je voudrais d'abord remercier nos collègues du groupe Les Républicains pour ce débat et saluer le travail accompli par la commission des affaires économiques, dont la plupart des propositions constituent à mes yeux une base commune très largement partagée sur nos travées.
Je souhaite mettre l'accent sur les professionnels que nous avons jugé si indispensables au cours de la crise sanitaire : les métiers essentiels, ces personnes souvent mal rémunérées, mais qui rencontrent aussi souvent de graves difficultés pour se loger. Elles doivent souvent habiter loin de leur lieu de travail.
Parmi les pistes de réflexion qu'il convient sans doute d'ouvrir, il y en a une qui rejoint la question de la mixité sociale : il faut déterminer comment on pourrait réintroduire dans les critères d'accès aux logements sociaux des attributions privilégiées pour ces salariés jugés essentiels – les infirmières, par exemple – à proximité de leur lieu de travail. Cela pourrait contribuer à une meilleure mixité : le système actuel de gestion en flux ne fait qu'accroître la ségrégation sociale sur les territoires. Je partage par ailleurs l'avis de Mme Guillemot sur l'avertissement que nous adresse le Défenseur des droits : il faut être très vigilant sur cette mixité sociale.
Par ailleurs, certains de ces salariés modestes voudraient accéder à la propriété, en particulier dans les territoires ruraux, semi-ruraux et périphériques. Sans grignoter pour autant le territoire, il faut soutenir cette démarche d'accession sociale à la propriété. Or les surcoûts de chantiers ont un impact sur bien des opérations et ne peuvent pas être remis dans le plan de financement des acquéreurs. Une des propositions que nous faisons, avec Action Logement, est d'offrir 15 000 euros à chaque personne devant faire face à des surcoûts de chantier et gagnant moins de 2,5 ou 3 SMIC. De telles primes existaient par le passé et seraient de nature à faire passer le cap difficile des surcoûts de chantier, à rouvrir la possibilité de l'accession sociale à la propriété et à soutenir le secteur du bâtiment dans des territoires à l'écart des métropoles où les PME souffrent beaucoup.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Lienemann, vous abordez beaucoup de sujets dans votre question ; il me faudra, au vu du temps qui m'est imparti, me concentrer sur certains d'entre eux.
Vous suggérez d'étudier la manière dont on pourrait, dans les attributions de logements sociaux, faire en sorte que certains travailleurs soient assurés de recevoir un tel logement. Dans le prolongement de mon échange avec Mme Guillemot, je rappellerai d'abord que l'État dispose toujours d'un contingent de 5 % de ces attributions ; il n'est pas toujours respecté, mais je veille à ce qu'il le soit : les infirmiers et infirmières que vous évoquez font partie de ce contingent.
Je tiens ensuite à attirer l'attention de tous sur l'une des mesures de la loi ÉLAN, qui porte sur le contingent d'Action Logement, dédié aux salariés. Ce contingent, souvent, ne trouvait pas preneur lors de la réunion de la commission d'attribution qui étudiait les dossiers ; il retombait alors dans les mains du préfet, qui attribuait le logement, le plus souvent, à une personne en situation de très grande précarité. Nous avons voulu modifier ce dispositif, dans la loi ÉLAN, de telle manière que ce contingent soit alors confié, non plus au préfet, mais au maire. Ainsi, celui-ci pourra décider, soit d'attendre qu'un salarié éligible se trouve, soit de l'octroyer à une autre personne dans l'objectif de mixité sociale que nous évoquions.
En revanche, madame Lienemann, je ne partage pas votre diagnostic sur la gestion en flux. À mes yeux, elle est plutôt favorable à la mixité sociale, même s'il faut sans doute aller plus loin.
Concernant l'accès à la priorité, je suis mille fois d'accord avec vous : comme en témoignent les OFS et différents dispositifs pour lesquels nous avons mené des combats en commun, j'estime que l'accès doit être non pas réservé à quelques-uns, mais accessible à tous. J'observe avec une attention particulière dans la période actuelle le comportement des banques en la matière.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville.
M. Franck Menonville. Monsieur le ministre, la France est en retard, depuis de nombreuses années, sur la rénovation énergétique. Ce constat frappant doit nous interpeller, car nous sommes loin de remplir les objectifs fixés lors du Grenelle de l'environnement, à savoir 500 000 logements rénovés par an, soit 7 millions de logements à l'horizon 2025. Nous dépassons difficilement aujourd'hui la moitié de cet objectif, avec 288 000 rénovations chaque année.
Les propositions de la Convention citoyenne pour le climat font de la rénovation énergétique des logements un sujet de premier plan. Les logements que l'on appelle communément des « passoires énergétiques » constituent un problème qui n'est pas seulement écologique.
En effet, la rénovation énergétique efficace de nos bâtiments a aussi des bénéfices en termes sociaux, économiques et sanitaires. C'est un levier de relance inéluctable pour nos entreprises, notre artisanat et nos territoires, mais aussi un levier pour le pouvoir d'achat des Français et pour la création d'emplois ainsi qu'une impulsion nouvelle pour l'Europe, qui voit dans la rénovation énergétique un sujet majeur.
Beaucoup d'engagements ont été pris depuis le Grenelle de l'environnement, mais nous avons aujourd'hui besoin d'une vraie accélération dans ce domaine pour combler notre retard.
Pour cela il nous faut simplifier et compléter nos dispositifs pour les rendre plus lisibles et plus efficaces. Cela nous permettra d'avoir une approche tant performante que rapide. Monsieur le ministre, quelles sont vos ambitions en la matière ? Par ailleurs, pouvez-vous nous préciser la place que prendraient les bailleurs sociaux dans un tel dispositif ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je peux offrir deux grands axes de réponse à votre question.
En premier lieu, il faut s'appuyer sur nos acquis. Qu'avons-nous accompli depuis trois ans sur le sujet ?
D'abord, nous avons doublé l'activité de l'ANAH en deux ans : cela reste insuffisant, mais ce n'est pas rien, cela démontre la possibilité d'une action.
Ensuite, concernant l'ANRU, nous avions pris des engagements à hauteur de 10 milliards d'euros dans le cadre du nouveau programme de rénovation urbaine. Au moment où je vous parle, ces 10 milliards d'euros sont engagés : les marchés sont en train d'être passés, les grues sont en train de revenir dans l'ensemble des quartiers.
Troisièmement, concernant les copropriétés dégradées, comme l'a mentionné votre collègue Jean-Marie Bockel dans son récent rapport d'information, nous avons lancé un plan très important, intitulé « Initiative Copropriétés ». Je l'avais présenté à Marseille, quelques semaines avant le drame de la rue d'Aubagne. Ce plan engage 3 milliards d'euros pour la rénovation des grandes copropriétés dégradées. Il faut continuer dans cette voie, qui marche très bien.
Quatrièmement, au titre du dispositif MaPrimeRénov', que j'évoquais, 50 000 dossiers ont été examinés entre le 1er janvier et le 31 mai, en dépit du confinement : je salue le travail accompli par l'ANAH en la matière. Là encore, ce n'est pas suffisant, mais la dynamique fonctionne ; il faut simplement aller plus loin.
Enfin, pour le parc social, dans le cadre d'un accord signé en avril 2019 avec les bailleurs sociaux, nous nous sommes engagés à augmenter de 25 % le nombre de rénovations dans ce parc.
En second lieu, il faut aller sur certains sujets plus loin que ces acquis, dans la lignée des propositions de la Convention citoyenne pour le climat.
D'abord, il faut étendre MaPrimeRénov' à d'autres déciles de la population. Ensuite, il existe un sujet important, qui constitue depuis de nombreuses années un trou dans notre raquette : la question des propriétaires bailleurs. Il faut que nos instruments les accompagnent mieux ; c'est notamment, à mon sens, la vocation de MaPrimeRénov'. Enfin, concernant les dispositifs fiscaux, je profite de cette occasion pour appeler tous les acteurs qui veulent faire profiter les territoires qu'ils aiment de la défiscalisation à utiliser le dispositif dit « Denormandie dans l'ancien » : ils pourront utiliser les sommes gagnées pour rénover l'habitat et redynamiser ces territoires ; c'est à mon sens bien mieux que de défiscaliser de façon tout à fait impersonnelle dans des territoires qu'on ne connaît pas et pour d'autres types de construction.
Mme la présidente. La parole est à M. Franck Menonville, pour la réplique.
M. Franck Menonville. Nous avons là une occasion assez unique d'allier l'économie et l'environnement, deux enjeux qu'on oppose parfois. Cela dit, j'estime qu'il faut vraiment en rester à l'incitation plutôt que d'avoir recours à la coercition et à des taxes supplémentaires.
Permettez-moi aussi de vous dire, monsieur le ministre, que ces mesures sont sûrement plus porteuses que d'autres propositions de la Convention citoyenne, notamment la limitation de la vitesse sur autoroute à 110 kilomètres par heure,…
M. Jean-Marc Boyer. Bravo !
M. Franck Menonville. … mais aussi tout ce qui a trait à la viande et au lait. Très honnêtement, il faudra dans ce débat s'attaquer aux vrais enjeux et avoir des projets qui constitueront de véritables leviers pour l'écologie plutôt que de dresser les uns contre les autres. (M. Pierre Louault applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Monsieur le ministre, le bon sens populaire le rappelle, « quand le bâtiment va, tout va ». Aussi, le plan de relance doit passer en priorité par la construction et la rénovation énergétique efficace des bâtiments, vecteur important d'activité économique.
Notons que le secteur du bâtiment, qui représente plus d'un tiers des émissions de gaz à effet de serre en France, a dépassé de plus de 22 % en 2017 la trajectoire de la stratégie bas carbone.
Le rapport de l'enquête sur les travaux de rénovation énergétique des maisons individuelles (Trémi) réalisée par l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) montre que 75 % des travaux en maisons individuelles n'ont pas permis à ces logements de changer de classe dans le diagnostic de performance énergétique (DPE). Pour ne citer qu'un exemple criant, la mise en oeuvre de l'isolation à un euro par des entreprises parfois peu scrupuleuses a terni l'utilité de ces travaux.
Monsieur le ministre, combien ce dispositif a-t-il coûté aux finances publiques pour un résultat aux trois quarts inefficace ?
Il faut faire évoluer les procédures et les contrôles pour que ces moyens financiers écologiques soient correctement utilisés.
Pour que les Français rénovent et investissent, il faut de la confiance. Ils doivent s'assurer que l'investissement dégagera un gain financier à moyen ou long terme.
Les plateformes de rénovation énergétique et les conseillers des espaces info énergie sont des outils fiables. Il faut que l'État soutienne plus fortement et plus durablement ces dispositifs : vous connaissez, monsieur le ministre, le temps nécessaire pour mettre en place la structure, recruter les conseillers et recouvrer la confiance des habitants.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, vous avez utilisé le mot clé : « confiance ». Aujourd'hui, on observe que le lien de confiance est parfois perdu dans la rénovation des bâtiments. Ainsi, il arrive à des retraités de recevoir dans une seule semaine neuf ou dix appels téléphoniques visant à leur vendre une isolation à un euro : il est normal qu'ils se demandent qui a raison dans tout cela. Quand vous faites des travaux et que le contrôle qui suit est mauvais, un gros problème de confiance se pose !
C'est d'autant plus dommageable que nos artisans font un boulot formidable. Je profite d'ailleurs de cette occasion pour rappeler que, dans le plan de relance que nous mettons en place, dans la reprise des chantiers que j'évoquais, il faut absolument refaire travailler nos artisans. Nous avons établi avec eux des protocoles sanitaires ; il est important de dire sur tous les territoires : « Faites confiance à nos artisans ! »
Cela dit, la confiance n'exclut pas le contrôle. Pour ce faire, il convient de mettre en place des mesures parfaitement objectivables et comprises par chacun d'entre nous. Il existe dans le secteur de la rénovation le label « Reconnu garant de l'environnement » (RGE) : figurez-vous que les entreprises chargées de labelliser ses potentiels bénéficiaires demandent à ceux-ci de leur indiquer les chantiers à inspecter : ça ne peut pas marcher ! Quand on demande à la personne que l'on contrôle de choisir les chantiers à inspecter, on peut être sûr que tout le monde aura le label et que nos concitoyens n'auront pas confiance en lui.
C'est pourquoi, juste avant le confinement, avec Emmanuelle Wargon et Agnès Pannier-Runacher, j'ai annoncé un plan d'amélioration de ce contrôle. Je le redis, la confiance n'exclut pas le contrôle. Au titre de ce plan, les caractéristiques du label RGE seront revues. Par ailleurs, il sera mis fin au démarchage téléphonique abusif dans le domaine de la rénovation énergétique : vous avez tout récemment adopté une proposition de loi à cette fin, ce que je salue. Enfin, on fera en sorte que la labellisation soit encore renforcée. C'est une ambition que nous portons avec les artisans eux-mêmes, dont l'immense majorité fait un très beau travail : il faut faire travailler les artisans de notre pays, surtout dans la période actuelle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat, pour la réplique.
Mme Françoise Férat. Nous sommes d'accord quant au constat, monsieur le ministre. Quant à moi, pour accomplir cette relance économique conjuguée à une réelle transition écologique, je vois quatre mots clés : le conseil, qui nous ramène à vos propos sur le harcèlement téléphonique de nos concitoyens ; l'accompagnement, souvent nécessaire ; le contrôle, au sujet duquel nous sommes d'accord ; enfin, la qualité, plutôt que la quantité. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marta de Cidrac. Le secteur de la construction, auquel le secteur du logement est intimement lié, représente plus de 6 % de l'emploi et subit de plein fouet les conséquences de la crise que nous traversons. Il représente également 20 % des émissions de gaz à effet de serre. À travers ces deux chiffres, il est facile de comprendre les perspectives offertes par ce secteur, qu'il convient de soutenir pour relancer l'économie tout en y inscrivant des solutions environnementales fortes.
Je souhaite aussi rappeler que différents textes législatifs ont défini le logement décent et ont introduit des exigences d'isolation thermique et de performance énergétique.
L'Ademe estime d'ailleurs que les travaux d'isolation permettraient de réaliser jusqu'à 25 % d'économie sur la facture énergétique annuelle des ménages.
Je crois que nous pouvons tous convenir que la rénovation des logements est partie prenante de tout plan de transition écologique. Il faut aussi s'assurer, a minima, que les exigences existantes seront appliquées.
S'agissant des surfaces, rappelons qu'un logement en location est défini comme devant disposer, au moins, d'une pièce principale de 9 mètres carrés, avec une hauteur sous plafond de 2,20 mètres. Vous conviendrez, monsieur le ministre, que ce type de logement ressemble plus à un dortoir qu'à un logement digne de la France du XXIe siècle !
D'ailleurs, la crise sanitaire a aussi révélé l'importance que revêtent les critères de qualité d'un logement souvent transformé en bureau par le télétravail.
Je plaide donc pour une incitation forte à la réhabilitation et à la rénovation énergétique des bâtiments, mais j'ai aussi la conviction que nous devons nous atteler à la « reconception » du parc immobilier, dès lors que des travaux sont engagés, car la rénovation doit non pas se résumer à son volet énergétique, mais être plus globale.
Dans ce contexte, monsieur le ministre, ne pensez-vous pas qu'il faille, d'une part, redéfinir ce qu'est un logement décent, en France, en 2020, et, d'autre part, accompagner les propriétaires et instaurer, peut-être, une obligation de rénovation énergétique du logement, comme celle qui existe déjà pour les bâtiments tertiaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice, la loi Énergie-climat a élargi la définition de la décence, en y incorporant le volet thermique. Y sont incluses les très grosses passoires thermiques, c'est-à-dire celles qui sont les plus mal classées au sein de la classe G du diagnostic de performance énergétique. Cela représente tout de même 400 000 logements dans notre pays, logements qui seront interdits à la location à partir du 1er janvier 2023.
Pour la Convention citoyenne sur le climat, cela va dans le bon sens, mais ce n'est pas assez rapide. C'est pourquoi le volet coercitif doit être renforcé par rapport au volet incitatif : il faut toujours marcher sur ses deux jambes. Élargir la notion de décence, comme vous le soutenez, est une très bonne mesure, mais il faut aller plus loin que ce que prévoit la loi Énergie-climat. Il s'agit là d'un débat très légitime que nous aurons.
J'en viens à la rénovation, qui était votre seconde question, madame la sénatrice. Là aussi, il faut absolument aller plus loin, et ce dans tous les domaines. Le problème majeur auquel on se heurte aujourd'hui en matière de rénovation, au-delà des définitions, ce sont les trous dans la raquette. Je pense aux propriétaires bailleurs pour lesquels les dispositifs incitatifs ne sont pas efficients. Ne faut-il pas alors passer directement à des mesures coercitives ? Cela étant, et je me réfère à ce que j'ai répondu à Joël Labbé, jusqu'où aller dans le coercitif quand l'incitatif ne fonctionne pas ?
Il faut bien mesurer d'où l'on part : aujourd'hui, dans le parc locatif privé, un logement sur deux est une passoire thermique. Il faut arriver à trouver le bon équilibre entre l'incitatif et le coercitif. Encore une fois, la Convention citoyenne sur le climat nous exhorte à aller plus vite que ce que nous avions prévu de faire. C'est cela qu'il nous faut retenir et mettre en oeuvre à la suite de ses travaux.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marta de Cidrac, pour la réplique.
Mme Marta de Cidrac. Monsieur le ministre, de mon point de vue, il ne s'agit pas de trancher entre coercition ou incitation. Nous sommes tous conscients du problème.
Aujourd'hui, il nous faut nous intéresser à l'accompagnement des classes moyennes. En effet, toutes les aides existantes sont fléchées vers les classes les plus modestes. C'est très bien, mais, souvent, ce ne sont pas elles qui entreprennent des travaux. N'oublions pas les classes moyennes. Tous les Français ont besoin de ce dispositif : les études réalisées à l'issue de la crise sanitaire révèlent toutes qu'ils envisagent d'améliorer leur logement. Ce qui est apparu, c'est bien l'inégalité d'hébergement. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains, ainsi que sur des travées des groupes UC et Les Indépendants.)
Mme Dominique Estrosi Sassone. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas. (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, la crise de la Covid-19 a montré l'importance de la qualité des logements pour télétravailler, étudier ou tout simplement vivre en période de confinement. Cette qualité dépend directement des bailleurs sociaux, qui sont des acteurs majeurs de la construction et de la rénovation de logements. Or, en touchant le secteur du bâtiment, la crise a provoqué un retard de trois mois dans leurs travaux : aujourd'hui, seuls 69 % des chantiers affichent un niveau d'activité pleine.
Les bailleurs sociaux sont pourtant des moteurs de la relance économique, en vertu de leur relation avec les territoires. Bien avant la crise, leur situation financière avait été fragilisée par les décisions du Gouvernement prises depuis deux ans. Pour rappel, la réduction de loyer de solidarité (RSL), décidée à la suite de la baisse des APL, a fortement affecté leurs ressources et les a obligés à puiser dans leurs fonds propres. Cela représente un prélèvement d'environ 1,5 million d'euros par an pour l'office public de l'habitat des Hautes-Pyrénées, ce qui limite sa capacité d'investissement. En outre, la plupart des dispositifs de compensation sont nettement insuffisants et concernent très largement les zones tendues.
Cette accumulation de difficultés risque d'empêcher nombre de bailleurs sociaux de participer à la relance de la commande publique. C'est tout un écosystème qui attend que l'État redevienne un acteur du financement du logement social et le garant de la solidarité nationale.
Il est donc plus que nécessaire de revenir sur les réformes qui ont mis les bailleurs sociaux en difficulté : reconnaître le logement social comme un bien d'utilité publique avec une TVA à 5,5 %, revaloriser les APL, bloquer la RLS a minima à son niveau actuel et, par conséquent, abandonner le palier d'augmentation prévu pour 2022.
Monsieur le ministre, quelles réponses pouvez-vous apporter à ces légitimes demandes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Madame la sénatrice Artigalas, nous partageons le même objectif : faire en sorte que le logement social, qui est un bien dans notre nation que beaucoup d'autres pays nous envient, ait les moyens de participer en tant que donneur d'ordre à la relance de l'activité, d'autant que le nombre de logements sociaux nécessaire dans notre pays est extrêmement important.
Quels sont les appuis pour ce faire ? On me parle très souvent de la RLS, mais beaucoup moins souvent de toutes les lignes de soutien que l'on met en place. Songez que, cette année, les titres participatifs que j'ai déjà évoqués oscilleront entre 900 millions d'euros et 1 milliard d'euros : c'est du quasi-fonds propres pour les offices, qui, par définition, n'ont pas de fonds propres. Je ne trahirai pas un secret en révélant que le président d'une grande fédération des offices publics de l'habitat – c'est d'ailleurs la seule ! (Sourires) – a affirmé que nous n'aurions pu trouver meilleur outil pour soutenir les bailleurs sociaux dans la crise que celui que nous avions déjà inventé.
Je le dis d'autant plus sereinement que cela ne vient pas de moi : Mme Estrosi Sassone a milité depuis le premier jour avec le président des OPH en faveur des titres participatifs. Le fait est qu'ils sont particulièrement utiles dans cette période : je le répète, nous finirons l'année avec 900 millions d'euros, voire 1 milliard d'euros, alors que nous avions prévu au mieux 400 millions d'euros.
Dans le même temps, nous avons ouvert une ligne de trésorerie de 2 milliards d'euros pour les bailleurs sociaux. L'ensemble des dispositifs de la Banque des territoires au bénéfice de ces acteurs représente plusieurs milliards d'euros. Il en est de même pour Action Logement.
Je rappelle qu'il a fallu neuf mois de travaux pour parvenir à deux accords. L'un d'entre eux prévoyait plus de 25 % de rénovation, je l'ai dit, mais surtout 110 000 agréments par an. L'année dernière, 109 000 agréments ont été accordés. L'objectif est donc atteint. Nous devons continuer de trouver chaque fois des solutions pragmatiques. Soyez sûre que je le ferai avec la même volonté, car je partage le même objectif que vous, madame la sénatrice.
Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.
Mme Viviane Artigalas. Monsieur le ministre, je sais que vous agissez et j'entends ce que vous dites, mais je vous répète que l'État doit redevenir financeur en abondant le Fonds national des aides à la pierre (FNAP) en lieu et place d'Action Logement – il ne peut pas se décharger sur d'autres organismes de ses responsabilités – et les fonds de solidarité pour le logement.
L'État doit également être un garant de la solidarité nationale en sécurisant l'accès des particuliers au logement, en rétablissant l'APL accession et le prêt à taux zéro dans les zones détendues.
Monsieur le ministre, on vous l'a déjà dit, vous devez revoir votre politique du logement. Pour cela, appuyez-vous sur l'excellent rapport d'information de nos collègues Annie Guillemot et Dominique Estrosi Sassone. (Applaudissements sur les travées des groupes SOCR et Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Louault.
M. Pierre Louault. Je remercie tout d'abord celles et ceux qui sont à l'origine de ce débat, mais je ne voudrais pas que celui-ci s'achève sans que soit évoqué le devenir de 80 % de notre territoire, même s'il ne représente plus que 20 % de la population. Je souhaite aborder le bâti rural et le logement dans ces mêmes territoires, qui sont en permanence oubliés, quand ils ne sont pas tout simplement condamnés par la loi.
Monsieur le ministre, aujourd'hui, l'empilement des règles et des dispositions du code de l'urbanisme, par leur inadaptation aux territoires ruraux, interdisent tout simplement la plupart du temps la construction…
M. Jean-Marc Boyer. Exactement !
M. Pierre Louault. … tout comme la réhabilitation de l'habitat ancien. Les paysans ont peur des néo-ruraux, lesquels, il faut bien le reconnaître, ignorent tout de la vie des territoires ruraux et de la vie de l'agriculture. (Murmures sur les travées des groupes LaREM et SOCR) Si nous voulons soutenir l'habitat, il faudra protéger les activités naturelles des espaces ruraux.
Oui, mesdames et messieurs les gens de la ville, si vous voulez que les territoires ruraux vous accueillent après le déconfinement,…
Mme Marie-Noëlle Lienemann. Ces territoires appartiennent à tout le monde ! Nous sommes tous des citoyens de la République !
M. Pierre Louault. … il faut respecter le travail qui y est accompli au quotidien. Dans le même temps, la loi doit permettre de développer l'urbanisme dans les territoires ruraux en supprimant un certain nombre de règles et en adaptant le code de l'urbanisme. Certes, il faut que les constructions neuves se fassent en continuité du bâti existant, mais il faut donner aux communes la possibilité d'acquérir ces terrains pour de nouvelles constructions.
Monsieur le ministre, allons-nous enfin donner une chance à ces territoires en adaptant le code de l'urbanisme, en y protégeant mieux les activités agricoles, nécessaires à l'entretien de l'espace rural pour construire et réhabiliter le bâti existant ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Louault, les politiques du logement et les politiques agricoles sont-elles compatibles ? Il se trouve qu'en plus d'être ministre du logement je suis ingénieur agronome.
M. Pierre Louault. Cela tombe bien !
M. Julien Denormandie, ministre. Comme quoi, la vie est bien faite ! (Sourires.)
La question fondamentale que vous posez est celle des politiques d'aménagement du territoire. On pourrait parler de manière très spécifique : dans les bourgs, les questions qui se posent provoquent des débats très endiablés, par exemple sur ce que l'on appelle les « dents creuses ». Je ne voudrais surtout pas, en prononçant ces mots, rouvrir un débat qui nous a déjà occupés des heures et des heures, mais qui est extrêmement important !
Je fais partie de ceux qui considèrent que faire de l'aménagement du territoire ne signifie pas figer le territoire à un moment donné. Il ne s'agit pas de se dire que, parce que tel territoire a telle configuration, toute action ne devrait viser qu'à en amplifier la cartographie, telle qu'elle est aujourd'hui. Non, il faut donner leur opportunité à tous les territoires.
Depuis trois ans, je me bats, d'abord avec Jacques Mézard, ensuite avec Jacqueline Gourault, pour revitaliser les villes moyennes. Si Jacqueline Gourault est aujourd'hui en train de présenter un plan sur les villes de demain, c'est-à-dire les villes de très petite taille, c'est précisément pour cela. Certes, il faut adapter nos législations, tenir compte de la spécificité de chaque territoire, régler des problèmes comme ceux des dents creuses, mais il faut surtout réussir à concilier deux impératifs : l'impératif d'aménagement du territoire et l'impératif écologique. Il faut réussir à rénover plutôt qu'à artificialiser les sols. La grande difficulté, c'est que rénover coûte souvent plus cher.
Les politiques fiscales ont toujours concouru à faire de l'artificialisation des sols, parce qu'elles privilégiaient la création de zones pavillonnaires à la rénovation des centres-villes. En tant que ministre du logement, mon rôle consiste à favoriser la rénovation des centres-villes. Ce faisant, je ne porte aucun jugement de valeur sur les pavillons : je considère qu'une politique d'aménagement du territoire se pilote aussi de cette manière.
Telle est mon action depuis trois ans. La route est encore longue, mais nous devons avancer dans ce sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir.
M. Stéphane Piednoir. Monsieur le ministre, nous connaissons et mesurons tous les obstacles autant financiers qu'opérationnels qui se dressent sur le chemin menant aux multiples objectifs environnementaux, tous plus ambitieux les uns que les autres, que nous inscrivons régulièrement dans le marbre des textes législatifs.
Nous nous accordons aussi globalement sur l'urgence de la situation. Par conséquent, de toutes les démarches utiles, il me semble que nous devrions privilégier les plus efficientes.
Or nous savons que le secteur du logement et du bâtiment constitue un axe primordial dans la réduction de nos émissions de gaz à effet de serre. Si le logement individuel ou collectif concentre généralement l'essentiel de l'attention des pouvoirs publics, nous devrions aussi regarder du côté du patrimoine de l'État, des collectivités et, plus globalement, des structures publiques.
Dans le cadre du groupe de travail « Enseignement supérieur » que j'ai piloté au nom de la commission de la culture, mes collègues et moi-même avons recommandé un plan de rénovation des bâtiments universitaires, facteur à la fois de relance économique sur le plan local et de démarche écologique, en écho aux propos qu'a tenus le Président de la République le 14 juin dernier.
Avec ses 18,6 millions de mètres carrés, dont un tiers est classé passoire énergétique, le parc immobilier universitaire est un gros consommateur d'énergie. Les simulations d'ores et déjà effectuées à partir d'un échantillon d'universités expérimentales démontrent que la rénovation des campus induit une réduction de charges très importante.
Là où la rénovation globale des logements est encore difficile à mettre en place, celle des bâtiments publics peut et doit être un levier d'action. Les universités sont prêtes à s'engager dans de tels investissements, qui permettent de créer des emplois, de soutenir le secteur du BTP et de limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Monsieur le ministre, votre gouvernement est-il prêt à élaborer des contrats de plan État-université pour la rénovation des bâtiments universitaires ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir m'excuser de n'avoir pas pris connaissance de votre document, ce que je ferai avec grand plaisir : je n'ai donc pas en tête le détail des propositions que vous formulez et je ne voudrais pas m'engager par une réponse très précise sur l'une de vos propositions qui, j'en suis sûr, est très pertinente.
Évidemment, de manière générale, je partage le constat que vous dressez. Là encore, il s'agit d'un débat compliqué. Oui, la rénovation des universités est une nécessité impérieuse. C'est d'ailleurs tout aussi vrai pour les écoles et le ministre Jean-Michel Blanquer a lancé un plan important de rénovation des écoles. J'y prends ma part de manière significative, au titre de la politique de la ville, puisque l'ANRU rénovera plusieurs centaines d'écoles.
Pour le bâti universitaire, il nous faut trouver les bons moyens. Nous savons que la valorisation du foncier des universités permettrait de réaliser plusieurs innovations : là aussi, le débat est plus complexe qu'il n'y paraît et c'est pour cela que je suis prudent dans ma réponse. Pas plus tard qu'hier, des intervenants sont venus me voir avec l'idée qu'il faudrait coupler les deux aspects, c'est-à-dire engager une valorisation pour financer la rénovation.
Élaborer un projet global, c'est faisable : des acteurs de la rénovation sont prêts à le faire. Peut-être est-ce là une piste qui va dans le sens des recommandations que vous avez formulées. J'en parlerai avec ma collègue Frédérique Vidal, parce que le sujet que vous évoquez est très important et il faut trouver les bonnes réponses.
Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Piednoir, pour la réplique.
M. Stéphane Piednoir. Pour apporter un peu d'eau à ce moulin, je précise que, si l'une des préconisations vise à renouveler l'ensemble des bâtis, on peut imaginer une période expérimentale de deux à trois mois avec une dizaine d'universités qui représenteraient par exemple 500 000 mètres carrés sur les 18 millions que j'ai cités : cela permettrait de mesurer l'efficacité d'un tel plan de rénovation des campus – je parle des bâtiments dans leur ensemble, c'est-à-dire aussi des logements étudiants – avant d'en envisager la généralisation sur l'ensemble des campus.
Il s'agit là, me semble-t-il, de solutions pragmatiques et réalistes, assez loin des incantations idéologiques qu'on a pu entendre récemment et qui ont peut-être pour vocation unique de braquer les acteurs et, in fine, de maintenir le statu quo.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Tissot.
M. Jean-Claude Tissot. Monsieur le ministre, je souhaite aborder le sujet de la rénovation énergétique des logements, car il répond à trois enjeux forts.
Il répond d'abord à un enjeu environnemental, puisque le secteur du bâtiment représente 43 % de la consommation d'énergie finale en France et compte pour près du quart des émissions de gaz à effet de serre.
Il répond ensuite à un enjeu social, puisque 12 millions de nos concitoyens sont en situation de précarité énergétique. Le médiateur national de l'énergie a d'ailleurs signalé une hausse significative des interventions pour impayés de factures d'énergie en 2019.
Il répond enfin à un enjeu économique. On recense ainsi en France 7,5 millions de passoires énergétiques : autant de chantiers non délocalisables en perspective pour lancer fortement ce secteur fondamental dans notre économie, celui du bâtiment et des travaux publics.
Le Président de la République a annoncé le 14 juin dernier un plan de modernisation du pays, notamment autour de la rénovation thermique des bâtiments. Cette ambition nécessite une implication forte de l'État à une tout autre échelle que les politiques menées ces dernières années. Nous savons tous que le Green Deal de la rénovation n'a pas eu lieu : on peut même dire que la France piétine sur ce chantier pourtant majeur.
Aussi les parlementaires socialistes proposent-ils d'engager une approche nouvelle de la rénovation thermique des bâtiments en créant immédiatement une prime unique pour le climat. Cette prime universelle aurait pour objectif d'accompagner l'ensemble des propriétaires du parc privé dans la réalisation de travaux améliorant significativement la performance énergétique du logement. Elle permettrait de préfinancer jusqu'à 100 % des coûts de rénovation thermique en fonction des ressources des ménages.
Ce dispositif aurait l'avantage de lever les trois principaux freins à la rénovation. Premier frein, le manque d'accompagnement des ménages dans leur projet de rénovation. C'est pourquoi le dispositif prévoit un accompagnement renforcé des ménages par l'ANAH. Deuxième frein, le reste à charge, qui est souvent trop élevé. Troisième frein, la multiplicité des aides à la rénovation. C'est pourquoi la prime pour le climat prévoit aussi de fusionner les différents dispositifs existants afin de les rendre plus lisibles et accessibles.
Monsieur le ministre, nous vous proposons ce dispositif, construit avec les apports des principaux acteurs du logement au travers de nombreuses auditions, pour un véritable changement d'échelle de la rénovation énergétique dans notre pays. Vous en saisirez-vous pour accompagner concrètement le plan de modernisation annoncé par le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe SOCR.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Tissot, votre approche est tout à fait conforme à ce que j'essaie de mettre en place depuis le premier jour. Pour faire de la rénovation, il y a deux éléments clés : d'une part, l'accompagnement par les collectivités locales, le tissu associatif – par exemple, la fédération Soliha (Solidaires pour l'habitat), qui accomplit un très beau travail –, les agences de l'État comme l'ANAH ; d'autre part, la diminution du reste à charge. Plusieurs d'entre vous ont rappelé que l'accompagnement était nécessaire.
Si j'étais taquin, je dirais qu'entendre le groupe socialiste prôner la prime et non pas le crédit d'impôt me fait sourire, surtout si je me réfère aux propos de l'ancienne ministre de l'écologie Ségolène Royal, qui, après que nous avions créé MaPrimeRénov', criait au scandale, jugeant horrible que le Gouvernement détricote le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) pour mettre en place une prime.
Or c'est une prime que vous êtes en train de préconiser et vous avez raison de le faire. Lorsque nous avons créé MaPrimeRénov' pour remplacer le CITE, c'est précisément pour permettre, comme vous le souhaitez, le préfinancement des travaux. Le CITE soulevait de grosses difficultés pour les ménages modestes, qui devaient attendre un an, voire un an et demi, avant d'obtenir ce crédit d'impôt pour des travaux coûtant parfois jusqu'à 10 000 ou 12 000 euros. Comment faire l'avance de trésorerie dans ces conditions ?
La prime présente, elle, l'avantage d'être versée tout de suite, je vous rejoins sur ce point ; c'est bien le cas de MaPrimeRénov'. Cela permet de diminuer le reste à charge en évitant les problèmes de trésorerie. Je suis d'accord avec vous sur les enjeux de la prime.
Monsieur le sénateur, vous appelez aussi à plus de simplicité. Vous avez raison, c'est l'un des sujets sur lesquels il nous faut travailler à coup sûr. Ce chemin partagé est le bon.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Pemezec.
M. Philippe Pemezec. Monsieur le ministre, devenir propriétaire de son logement est un excellent moyen de se prémunir contre les aléas de la vie. Cela permet aussi de se constituer un patrimoine et, si on le souhaite, de laisser un héritage à ses enfants.
La faculté donnée aux organismes sociaux de pouvoir vendre une partie de leur patrimoine me paraît un excellent dispositif, d'autant que cela facilite le parcours résidentiel. Pour l'avoir mis en pratique dans ma ville – on a pu vendre plus de 10 % du patrimoine social, il est vrai qu'il y en avait beaucoup puisque l'on est passé de 73 % de logements sociaux à 38 % aujourd'hui –, j'en suis convaincu. En outre, cela crée de la mixité dans le patrimoine social.
Malheureusement, monsieur le ministre, la loi ÉLAN est une véritable usine à gaz ! Tout d'abord, il aura fallu attendre plus d'un an les décrets d'application. Les bailleurs sociaux n'ont donc pas pu vendre et ont perdu beaucoup d'argent – pour l'office des Hauts-de-Seine, cela représente 27 millions d'euros. Par ailleurs, cela a provoqué l'incompréhension des accédants à la propriété.
Au lieu de simplifier le système, on l'a complexifié ; je pense en particulier à la publicité et à la procédure de vente des logements sociaux. Aujourd'hui, pour se porter acquéreur, il faut être le plus rapide et le premier à répondre à une annonce publiée sur une plateforme internet, sans examen préalable des dossiers ni analyse des situations ou de leur degré d'urgence : c'est la règle du premier arrivé premier servi qui prévaut. Voilà qui n'est pas très juste, surtout quand il s'agit de logements sociaux : on enlève un peu d'humanité à cette mise en vente et tout semble se faire sans considération des dossiers, ce qui est assez curieux.
Monsieur le ministre, avez-vous l'intention de simplifier le système qui doit entrer en application au 1er juillet prochain, c'est-à-dire très prochainement ? Il est dommageable que l'administration d'État ait toujours à coeur de complexifier les choses. Par ailleurs, comptez-vous remettre le maire au coeur du dispositif décisionnaire ? Le maire est celui qui connaît le mieux son territoire et sa population, et qui est donc le plus à même de participer à la décision concernant le choix des accédants. Cela permettrait de rendre le système plus juste, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, je suis tout à fait prêt à tout regarder pour simplifier les procédures. Il s'agit d'un dispositif que j'ai soutenu, parfois contre vents et marées, il faut bien le dire. Autant la vente n'est pas pertinente dans tous les territoires, autant elle peut l'être dans certains territoires et ce que vous avez accompli en est un très bon exemple.
L'objectif de la loi est de rendre le processus plus simple pour les gestionnaires et plus accessible pour les bénéficiaires. Si l'on identifie d'ores et déjà les étapes à modifier pour aller dans ce sens, je suis mille fois preneur de vos suggestions en vue d'apporter des améliorations.
S'il a fallu du temps pour que le décret d'application soit publié, c'est parce qu'il était extrêmement compliqué. Il fallait en effet permettre au bailleur social de vendre, tout en lui laissant la gestion de la copropriété, ce qui revenait à accorder une possibilité nouvelle dans le cadre d'une vente. Dans les faits, l'acquéreur devient propriétaire de son chez-soi, mais, pendant un certain nombre d'années, laisse la gestion de la copropriété au bailleur social, notamment pour l'accompagner dans l'appropriation de l'acte de propriété et, surtout, pour éviter que n'apparaissent des copropriétés dégradées. C'est cette disposition qui a pris le plus de temps. Le reste, y compris l'outil financier qu'est l'Opérateur national des ventes, mis en oeuvre par Action Logement dans le cadre d'un accord-cadre signé voilà un an afin de permettre à tous les bailleurs sociaux qui le souhaitaient qu'Action Logement soit le porteur et le financeur du projet, a été mis en place vraiment rapidement.
Pour ce qui concerne la simplification, je suis tout à fait favorable à ce que nous discutions pour, si nécessaire, apporter des modifications.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer.
M. Jean-Marc Boyer. Monsieur le ministre, comme vous le savez, les mêmes mots résonnent sans cesse pour le secteur du bâtiment depuis le début de la crise sanitaire : perte d'activité, perte de productivité, surcoûts importants et persistants, bouleversement des chantiers, décalage des plannings, survie. Le BTP est en effet l'un des secteurs qui a vu son activité se réduire le plus fortement : –88 % au début du mois d'avril dernier, soit le même taux que l'hôtellerie-restauration, alors même qu'il n'a pas fait l'objet d'une fermeture administrative.
La reprise est là, mais progressive et fragile. Des chantiers du bâtiment ont redémarré au cours du mois de mai dernier. Néanmoins, l'activité des entreprises n'a pas encore retrouvé son rythme normal : une entreprise sur trois n'a pas retrouvé un niveau d'activité habituel. Certes, votre gouvernement a pris des mesures de soutien en faveur du bâtiment, telles que les prêts garantis par l'État, l'activité partielle et un fonds de solidarité, mais il n'en reste pas moins que nos entreprises du bâtiment attendent des actes suffisants dans le soutien à l'investissement local et dans la réactivité, dans un contexte où l'instruction des permis de construire s'est arrêtée.
Aussi, les exonérations de charges prévues dans le PLFR 3 doivent être étendues pour que nombre d'entreprises n'ayant pas subi de chute d'activité supérieure à 50 % au cours de la période allant du 1er février au 31 mai soient éligibles. Si ce n'est pas le cas, cette mesure sera d'effet très limité. L'accroissement de la dotation de soutien à l'investissement local est insuffisant : le milliard d'euros fléchés sur l'investissement local dans la transition écologique ne compensera pas les 9 milliards d'euros de baisse de recettes fiscales locales, attendues avant la fin de l'année. En outre, les mesures d'incitation à l'investissement local sont absentes. Enfin, une valorisation du Fonds de compensation pour la TVA (FCTVA) est primordiale, afin d'inciter à l'investissement local.
Monsieur le ministre, les entreprises du bâtiment et de l'artisanat ont besoin de confiance dans leur relance. Quelles mesures supplémentaires proposez-vous pour susciter cette confiance ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur, la priorité, c'est l'emploi : l'emploi, l'emploi, l'emploi ! Pour le préserver, le premier objectif, je l'ai dit, est de protéger les entreprises qui rencontrent actuellement des difficultés. Je n'entre pas dans le détail, vous avez vous-même évoqué plusieurs mesures.
Nous avons déposé trois textes juridiques sur le logement durant la période d'urgence sanitaire. Nous avons également rédigé plusieurs guides sanitaires. Enfin, nous nous sommes beaucoup occupés des questions de surcoût – elles continuent d'ailleurs de nous occuper – dans les commandes publiques et privées.
Le deuxième objectif est d'éviter un trou d'air à l'automne. Pour cela, je ne cesserai de le répéter, il faut favoriser les commandes. Tel est le but de l'augmentation d'un milliard d'euros de la DSIL, par exemple. Les instructions que je donne à mes équipes vont dans ce sens.
À cet égard, les services de l'État ou de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) jouent un rôle de facilitateurs partout sur les territoires. Il ne faut absolument pas remettre à demain les projets qui peuvent se faire aujourd'hui, surtout que l'année 2020 aura été plus que singulière pour le secteur du bâtiment. Ce dernier aura en effet connu le premier tour des élections municipales, puis la période d'urgence sanitaire, le second tour des municipales, la reprise et la relance. Force est d'admettre que l'année a été assez compliquée.
Le troisième objectif, c'est la relance. Un certain nombre de mesures devront être décidées. Je pense à la rénovation énergétique des bâtiments, au soutien à la construction, dans une perspective d'aménagement du territoire, comme cela a été dit.
Ces trois objectifs sont indissociables, ils constituent les éléments d'une même chaîne. Il est très important de réussir chacune de ces étapes.
Autrement dit, si on passe directement du soutien, de la protection, à la relance, sans faire en sorte d'éviter un trou d'air à l'automne en favorisant dès aujourd'hui la commande, de multiples PME et ETI courent à la catastrophe dans de nombreux territoires ruraux. Les entreprises comptant quelques dizaines de salariés n'ont pas un carnet de commandes rempli pour les deux prochaines années.
Ces trois objectifs guident notre action depuis le premier jour. Nous allons continuer dans ce sens.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marc Boyer, pour la réplique.
M. Jean-Marc Boyer. Pour éviter le trou d'air, monsieur le ministre, et pour contrebalancer les effets de cette crise sanitaire, il convient d'annuler les charges sociales patronales, comme le demandent de très nombreuses entreprises du BTP. (Mme Marie-Noëlle Lienemann s'exclame.)
Si la filière peut supporter un quart du surcoût, des annulations de charges doivent être étalées sur huit mois pour le bâtiment et dix mois pour les travaux publics. De telles mesures me paraissent essentielles et doivent être prises de façon urgente pour les entreprises de ces secteurs.
Enfin, je pense qu'une lecture intelligente et souple doit être faite des normes lors de l'instruction des permis de construire. Les attentes sont réelles à cet égard.
M. Julien Denormandie, ministre. Exactement !
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher.
M. Jérôme Bascher. Monsieur le ministre, la relance dans le bâtiment, on l'a dit, est effectivement une urgence pour notre économie. Pour aller plus vite, il faut réduire les délais d'instruction. C'est là un sujet majeur.
Aujourd'hui – hélas ! –, que ce soit dans le secteur du logement social, du logement individuel, mais aussi pour les entreprises, les temps d'instruction se font en séquentiel, ce qui constitue autant d'opportunités pour les grincheux d'intenter des recours et d'allonger les délais de réalisation des projets.
Dans certaines régions de France, que je ne citerai pas, certains en font même un métier : ils menacent d'intenter des recours pour toucher un peu d'argent s'ils y renoncent. C'est bien connu, et des bailleurs et des promoteurs s'en plaignent.
Pourrait-on réduire ces temps pour aller plus vite ?
Aujourd'hui, de nombreux propriétaires sont prêts à rénover énergétiquement leur maison individuelle. Tout le monde est dans l'attente. Les commerciaux ont leurs carnets de commandes pleins, les ouvriers attendent l'arme au pied. De nouveaux dispositifs sont attendus dans le projet de loi de finances pour 2021. Or la relance, c'est maintenant ! Il faut indiquer une direction, prendre de véritables mesures.
Les publicités que l'on voit fleurir partout vantant le dispositif de rénovation à zéro euro sont mensongères. Les entreprises nous le disent, il y a un reste à charge, vous en avez d'ailleurs parlé, monsieur le ministre. Il faut trouver une solution. Le coût n'est pas le même partout en France. Peut-être faudrait-il décentraliser certaines aides au lieu de tout décider à Paris ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Julien Denormandie, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la ville et du logement. Monsieur le sénateur Jérôme Bascher, vous avez tout d'abord évoqué le problème des recours. J'aimerais, si vous m'y autorisez, prendre à témoin l'ancien ministre Marc-Philippe Daubresse sur cette question.
Souvenez-vous, nous avons beaucoup discuté de cette question lors de l'examen de la loi ÉLAN.
M. Marc-Philippe Daubresse. C'est vrai !
M. Julien Denormandie, ministre. Un décret a été pris permettant de cristalliser les moyens, de passer directement à une autre juridiction.
Je m'engage à faire tout ce qui peut être fait pour lutter contre les recours abusifs. Pour l'instant, toutes les propositions qui m'ont été faites ont été inscrites dans la loi ÉLAN ou dans ce décret. Si nous pouvons faire d'autres choses, je suis prêt à en discuter avec vous.
Ce que je constate en revanche, c'est que ce fameux décret n'est pas suffisamment connu des acteurs de l'immobilier sur le terrain. Je pense que nous devons communiquer sur ce sujet.
J'en viens à votre seconde question. La préemption des nouvelles aides pose problème. Pour ma part, je suis très attaché, c'est peut-être très « ancien monde »… (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Marc-Philippe Daubresse. Tout arrive, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Julien Denormandie, ministre. Oui, tout arrive ! (Nouveaux sourires.)
Je suis très attaché à la stabilité, notamment à la stabilité fiscale. À cet égard, j'ai pris l'engagement il y a trois ans de gréer le dispositif Pinel et le prêt à taux zéro. Nous avons d'ores et déjà annoncé MaPrimeRénov'. Je l'ai dit, il faut rester campé sur ses appuis et capitaliser sur l'existant. MaPrimeRénov', aujourd'hui, c'est notre marqueur. C'est elle qu'il faut renforcer. Beaucoup de ménages savent qu'elle existe, nous avons fait en sorte qu'elle fonctionne pendant le confinement. Je le dis donc très clairement : utilisez massivement MaPrimeRénov'. La Convention citoyenne pour le climat a d'ailleurs salué sa création.
Pour finir, j'évoquerai la décentralisation. La contractualisation territoriale sur le logement est pour moi un véritable chantier, très complexe, on le sait. Plus les dispositifs sont adaptés aux territoires, mieux c'est. Le Denormandie dans l'ancien est l'un des premiers dispositifs fiscaux qui part du projet territorial et qui n'est pas zoné. C'est ce qu'il faut faire. C'est d'ailleurs ce à quoi s'attelle la ministre Jacqueline Gourault dans son projet de loi.
Puisque cette question est la dernière à laquelle j'ai à répondre, j'en profite pour tous vous remercier du beau débat que nous avons eu cet après-midi. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jérôme Bascher, pour la réplique.
M. Jérôme Bascher. Permettez-moi d'aborder un dernier point, monsieur le ministre, et de vous faire une proposition.
Certaines entreprises de rénovation proposent aux particuliers de leur fournir une ingénierie financière avec des montages compliqués qui sont souvent des arnaques. Il faudrait que la Banque publique d'investissement (Bpifrance) et la Banque des territoires puissent faire des avances de trésorerie aux entreprises sérieuses, celles qui ne font pas de montages, afin que ces dernières puissent être effectivement payées. Les aides d'État, qu'il s'agisse d'une prime ou d'un crédit d'impôt, pourraient ensuite être versées directement à ces banques.
Source http://www.senat.fr, le 29 juin 2020