Déclaration de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de l'Europe et des affaires étrangères, sur les défis et priorités de la politique étrangère de la France, à l'Assemblée nationale le 1er juillet 2020.

Prononcé le 1er juillet 2020

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Circonstance : Audition devant la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale

Texte intégral

Merci Madame la Présidente. Vous l'avez dit, la pandémie de Covid-19 est loin d'être derrière nous, même si progressivement la vie reprend son cours en Europe. Dans plusieurs régions du monde, la situation sanitaire demeure très préoccupante et partout, la prudence doit rester de mise. Pour nous l'enjeu est désormais de réussir la sortie de crise. Cela passe par une gestion coordonnée et réfléchie de nos frontières, afin d'éviter une deuxième vague, importée pendant l'été et par des actions de solidarité en direction des pays les plus fragiles, car il est désormais clair pour tous que la santé des uns dépend de la santé des autres. Par ailleurs, il importe que nous puissions engager un plan de relance au niveau européen qui tire tous les enseignements de ce que nous venons de vivre, en termes de souveraineté et d'indépendance.

Il y a environ un mois, lors de ma précédente audition, je vous avais dit qu'au début de cette crise, nous n'avions ni homogénéité ni cohérence au niveau européen, en grande partie parce que la compétence en matière de frontières est une compétence nationale. Nous sommes désormais parvenus à une bonne coordination. Le 15 juin dernier, nous avons levé tous ensemble les restrictions aux frontières intérieures. La liberté de circulation a été rétablie dans une très grande partie de l'espace européen. Subsistaient quelques restrictions dans les pays nordiques et en Europe centrale, mais elles ont progressivement disparu. Et aujourd'hui même, 1er juillet, nous franchissons une deuxième étape avec la réouverture des frontières extérieures à des pays tiers présentant un faible risque épidémiologique. Nous avons sélectionné quatorze pays sur des critères d'abord sanitaires après un examen du taux d'incidence - le nombre de nouvelles infections pour 100.000 personnes sur une période de quatorze jours en comparaison de la moyenne européenne qui se situe à 16 sur 100 000 - mais également en tenant compte de la solidité et de la résilience de leurs systèmes de santé, des mesures de protection qu'ils ont adoptées et de la fiabilité de leurs données. Le dernier critère retenu est celui de la réciprocité : l'objectif est d'initier un cercle vertueux en amenant ces pays tiers - pour ceux qui ne l'auraient pas encore fait - à rouvrir en retour leurs frontières aux personnes en provenance d'Europe. Nous n'avons donc pas procédé à l'ouverture de nos frontières avec la Chine, car la réciprocité n'a pas été annoncée. L'examen de ces critères n'a pas été un exercice facile, car nous partions de loin. Néanmoins, une vraie coordination européenne s'est mise en place, en grande partie sous l'impulsion de la France et de mon ministère. Elle est aujourd'hui effective.

Cette liste commune sera réactualisée tous les quinze jours, dans un sens ou dans l'autre, avec des ajouts ou des retraits de pays avec lesquels nous pouvons avoir une capacité de réciprocité et d'ouverture des frontières, Nous avons également intégré dans ce dispositif des exemptions pour certaines catégories de personnes en provenance de pays tiers avec lesquels nous n'avons pas encore rouvert nos frontières. Ce sont des personnes dont nous considérons qu'elles peuvent venir en Europe, singulièrement en France, sous réserve de se plier à un protocole sanitaire particulièrement exigeant. Je pense notamment à des étudiants, afin qu'ils puissent poursuivre leurs études.

Nous sommes donc entrés dans une nouvelle phase, plus positive que lorsque nous nous étions vus, fin mai. Mais il convient encore de faire preuve d'une grande vigilance et de poursuivre cette bonne collaboration avec nos partenaires européens.

Cette réouverture des frontières constitue aussi un enjeu majeur pour le tourisme en France, pour nos professionnels et pour nos territoires touristiques, avec un redémarrage coordonné du tourisme en Europe. Je vous rappelle que deux tiers des déplacements internationaux des Européens se font à l'intérieur de l'UE, et nous souhaitons cet été que notre pays soit particulièrement attractif. L'agence de développement touristique Atout France a lancé sous ma responsabilité une campagne de communication intitulée "Cet été je visite la France" pour favoriser l'offre nationale de proximité pendant la saison estivale 2020 mais aussi pour rendre notre pays plus attractif encore pour nos amis européens.

Les Européens sont aussi particulièrement mobilisés pour soutenir les efforts des pays les plus fragiles. Compte tenu de la mondialisation des risques sanitaires, il ne saurait en effet y avoir d'Europe de la santé cohérente sans une Europe de la solidarité déterminée à agir concrètement. Cette solidarité concrète s'exprime d'abord sur le terrain, avec l'établissement d'un pont aérien humanitaire entre l'Europe et des pays tels que la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, le Burkina Faso et d'autres. Les deux secrétaires d'Etat, Amélie de Montchalin et Jean-Baptiste Lemoyne, et moi-même nous sommes récemment rendus sur place constater que - sous la responsabilité du commissaire européen à la gestion de crises, Janez Lenarcic - ce pont aérien humanitaire européen se mettait effectivement en place pour apporter à la fois du matériel médical, des médicaments, mais aussi pour permettre aux ONG de continuer à fournir aux populations l'aide dont elles ont besoin. Ce mouvement va se poursuivre puisqu'une trentaine d'opérations du même type sont déjà menées ou le seront dans les prochains jours par l'équipe Europe de solidarité, notamment en direction de l'Afrique.

Cette solidarité se joue aussi sur la scène internationale avec les conséquences de l'appel lancé par le président de la République aux côtés de dix-huit dirigeants européens et africains en faveur d'une mobilisation multilatérale afin d'aider l'Afrique à affronter la crise dans toutes ses dimensions. La France évidemment prend toute sa part dans cette démarche, et attache une importance toute particulière à ce que nos annonces de soutien à l'Afrique - 1,2 milliard d'euros en dons et en prêts -, soient concrètement mises en oeuvre. J'ai pu constater en me rendant en République démocratique du Congo que c'était le cas. Il faut que ce le soit partout. Ce sont des opérations ponctuelles, immédiates, efficaces qui permettent d'aider les pays africains en particulier à se protéger contre les risques de la pandémie. Même si à ce jour, elle ne s'est pas étendue sur ce continent autant qu'on pouvait le redouter, il importe d'être très vigilant.

Enfin, la solidarité européenne s'exprime aussi - vous y avez fait référence - dans le cadre de l'initiative ACT A, lancée par le président de la République avec le directeur général de l'OMS et de nombreux partenaires. Il s'agit de coordonner l'action de tous les acteurs de la recherche, de l'industrie pharmaceutique et des institutions internationales autour de quatre piliers : diagnostic - sécurité et diffusion des diagnostics, amélioration de l'ensemble des informations -, traitements, vaccins, et soutien aux systèmes de santé. Pour que ces traitements et vaccins deviennent des biens publics mondiaux, c'est-à-dire des biens accessibles à tous sans exception et soustraits aux logiques de marché, il fallait cette initiative forte.

Une dynamique a été lancée et nous avançons vers ce concept de bien public mondial, porteur de quatre exigences très simples. Il faudra que les résultats de la recherche soient publiés très largement ; que l'accès universel à un prix raisonnable des vaccins, traitements et tests de diagnostic soit garanti ; que la production, dès que l'on aura identifié le vaccin ou le traitement, soit de quantité suffisante et que les stocks soient alloués en fonction de choix prioritaires et non pas en fonction du jeu des marchés ; enfin, que soit garantie l'utilisation transparente et optimale des ressources privées et publiques qui sont engagées dans cette dynamique de recherche de remèdes et de vaccins. C'est un point très important, que vous avez souligné. C'est un point de diplomatie sanitaire et c'est aussi l'affirmation du principe, que nous avons mis en avant depuis longtemps, de bien public mondial s'agissant de la sécurité sanitaire.

Vous avez parlé de l'OMS : nous sommes attachés à son maintien. Nous savons qu'elle doit se réformer, à la fois pour être plus performante dans le recueil d'informations ; pour être plus indépendante financièrement ; pour être plus exigeante à l'égard des Etats qui l'ont quittée. Il faut certes apporter les modifications nécessaires à sa gouvernance, mais cela ne signifie pas renoncer à l'OMS. C'est un outil essentiel auquel nous apportons un soutien réel.

Troisième réflexion concernant l'Europe et la crise sanitaire : nous devons maintenant préparer le jour d'après. Vous l'avez indiqué, le Conseil européen s'est réuni pour évoquer le plan de relance proposé par la Commission suite à une initiative franco-allemande. Il est doté de 750 milliards d'euros, largement financés par l'emprunt, ce qui constitue une nouveauté. Les chefs d'Etat et de gouvernement ont essayé de tout faire pour parvenir à un accord avant la pause estivale. Il y a eu un premier tour de table et une réunion en présentiel - comme on dit maintenant - se déroulera mi-juillet pour tenter d'aboutir à un accord.

Dès à présent, on peut identifier des points de convergences entre les Etats membres : le principe d'un emprunt européen est désormais admis par la quasi-totalité des membres, de même que la nécessité de concentrer nos efforts sur les secteurs et les régions les plus affectées. Il subsiste un débat sur les critères d'allocation, les conditionnalités postérieures aux dons ou aux prêts, mais je suis plutôt optimiste quant à la possibilité d'aboutir à un accord mi-juillet, d'autant plus que les échanges entre la Chancelière allemande - qui depuis aujourd'hui assure la présidence de l'Union - et le président Macron, avant-hier en Allemagne, ont été positifs. Il faudra intégrer l'ensemble de ces données dans le futur cadre financier pluriannuel (CFP), qui doit lui-même faire l'objet d'un arbitrage définitif lors de la réunion des 18 et 19 juillet.

Ce prochain CFP ne doit pas être uniquement consacré aux effets de la crise actuelle, mais - c'est un point majeur - constituer l'occasion d'accompagner la transition verte et numérique de nos économies et de nos sociétés. Il doit également être un levier au service de nos priorités à long terme et permettre de renforcer la souveraineté de l'Europe. Ce renforcement est la meilleure articulation des enjeux financiers avec les engagements en matière de développement durable. L'initiative prise par l'Union d'engager une revue de la politique commerciale européenne, lancée le 16 juin par la Commission sur ces questions de souveraineté stratégique de l'Europe, doit aboutir à de nouvelles orientations d'ici la fin de l'année. Cet objectif me paraît tout à fait atteignable. L'heure est maintenant à la négociation pour que le plan de relance permette à l'Union européenne de sortir positivement et unie de la crise, avec la volonté - et les moyens nécessaires - d'assurer sa souveraineté.

Vous avez évoqué les relations avec la Chine. Un sommet Union européenne-Chine s'est déroulé le 22 juin et il a permis à l'Union d'affirmer une position ferme, beaucoup plus manifeste qu'auparavant, sur ses priorités. Les Européens ont montré une exigence commune de faire en sorte qu'avec la Chine, on puisse arriver à des résultats concrets, avant le sommet des chefs d'Etat et de gouvernement européens et chinois à la fin de l'année à Leipzig. Résultats concrets en matière économique : je pense à la lutte contre les pratiques non concurrentielles chinoises sur le plan commercial ; aux aides d'Etat ; à la nécessité de réciprocité dans l'accès aux marchés publics ; à la nécessité de trouver un accord sur les indications géographiques, d'avoir des critères très clairs pour les investissements que ce soit de la Chine en Europe ou inversement, avec la nécessité de maintenir la protection de la propriété industrielle. Tout cela a fait l'objet d'affirmations européennes exprimées avec beaucoup de force et c'est une grande nouveauté. La Chine est à la fois un partenaire, un concurrent et un rival systémique. Il faut tenir compte de ces trois aspects pour instaurer une relation saine, qui soit à la fois respectueuse de nos partenaires mais également de nous et de notre propre souveraineté.

Nous attendons également des résultats concrets dans le domaine du climat et de la biodiversité pour engager davantage la Chine qui prépare la COP15 sur la biodiversité - qui devait se tenir à Kunming en octobre et se déroulera en 2021 - et, avec nous, la COP26 qui aura lieu à Glasgow du 1er au 12 novembre 2021. Nous attendons des résultats concrets dans le domaine de la santé afin que la contribution chinoise à l'OMS soit orientée vers les initiatives multilatérales. Et des résultats concrets pour la mise en oeuvre des engagements chinois dans le cadre du G20 sur la dette. Nous souhaitons vivement que la Chine participe à l'effort que nous avons engagé pour aboutir à des moratoires sur les intérêts de la dette de différents pays particulièrement endettés. Cela concerne aussi les Chinois, même s'ils ne sont pas membres du Club de Paris.

Puisque nous parlons de la Chine, nous avons tenu aujourd'hui même à manifester notre indignation et notre fermeté à l'égard de ce qui est en train de se passer à Hong Kong : l'adoption de la loi sur la sécurité nationale, les atteintes à la démocratie, aux accords de 1997 et à la loi fondamentale qui donnait une autonomie démocratique à Hong Kong. C'est une préoccupation majeure sur laquelle les Européens ont été unis, alors qu'on pouvait redouter des fractures entre eux. Le communiqué publié tout à l'heure est l'expression de notre fermeté et notre union.

J'aimerais maintenant apporter des éclairages sur quelques-uns des sujets que vous avez abordés. S'agissant de la crise au Proche-Orient, vous connaissez la position de la France : une annexion du territoire palestinien, quel qu'en soit le périmètre, remettrait en cause de façon grave et irrémédiable les paramètres essentiels au règlement du conflit, en plus de constituer une violation du droit international. Elle rendrait quasiment impossible d'atteindre la solution que nous préconisons, celle des deux Etats, et nous éloignerait irréversiblement de la création d'un Etat palestinien viable. Elle remettrait également en cause la méthode jusqu'à présent privilégiée, c'est-à-dire la négociation directe entre Israéliens et Palestiniens. Par ailleurs, elle aurait des conséquences négatives sur la stabilité dans la région et la sécurité d'Israël.

C'est pourquoi nous sommes actuellement très actifs afin de dissuader les autorités israéliennes d'avancer dans cette voie. Nous avons dit avec beaucoup de fermeté qu'une décision d'annexion ne pourrait rester sans conséquences pour la relation entre l'Union européenne et Israël. Nous imaginons différentes options sur le plan national comme en coordination avec nos principaux partenaires européens. Toutes les interventions possibles sont opportunes pour montrer aux autorités israéliennes tous les risques d'une telle initiative et la gravité des conséquences qu'elle ne manquerait pas de provoquer. Dans cette perspective de dissuasion, nous sommes en relation très étroite avec certains pays arabes : je pense en particulier à la Jordanie, directement concernée, mais également à l'Egypte qui est liée par un accord de paix avec Israël.

Quelques mots sur la Libye, pour réaffirmer qu'il n'y aura pas de solution militaire à la situation actuelle. J'ai parlé de "syrianisation" du conflit libyen, et je le redis également. À la faveur des ingérences étrangères, de l'afflux de mercenaires et des violations régulières de l'embargo, nous assistons à un changement de nature de ce conflit qui est en train de devenir de type syrien. La Turquie n'a cessé de renforcer son ingérence et son emprise sur le camp de l'Ouest, alimentant en retour l'ingérence tout aussi inacceptable de la Russie. Cette évolution est très grave. La dégradation de la situation en Libye renforce les menaces qui pèsent sur notre sécurité et notre souveraineté : menaces terroristes, risques d'aggravation des flux migratoires irréguliers notamment. Simultanément, cette situation réduit nos marges de manoeuvre stratégiques en Méditerranée et place dans les mains d'autres acteurs - la Turquie et la Russie - les clés de nos intérêts en termes de sécurité dans cet ensemble méditerranéen.

Il existe une réponse à cette situation : c'est la mise en application des accords de Berlin, auxquels tout le monde a souscrit, c'est-à-dire le respect de l'embargo, la cessation des hostilités sur le terrain, la consolidation de la trêve et la conclusion d'un cessez-le-feu. Tout cela doit être mis en oeuvre, et nous sommes très actifs pour essayer d'aboutir à cette solution. Au sein de l'Union européenne, nous parlons les uns avec les autres : je recevrai tout à l'heure mon collègue italien, et nous avons avec la présidence allemande de l'Union des relations très étroites à ce sujet. Il faut agir et agir vite avant qu'on arrive à une aggravation de ce que j'ai appelé "syrianisation".

Nous devons aussi renforcer la mise en oeuvre de l'embargo sur les armes, imposé par les Nations unies contre la Libye, notamment grâce à l'opération européenne IRINI. Je tiens à le redire ici : les manoeuvres de la Turquie en Méditerranée pour, en fait, autoriser la poursuite des violations de l'embargo et qui ont occasionné des épisodes de tensions avec nos propres forces, sont inacceptables, a fortiori entre membres de la même alliance. Des clarifications sur l'articulation indispensable entre les missions de l'OTAN et celles de l'Union européenne en Méditerranée sont indispensables pour faire respecter cet embargo et préserver la sécurité de la région.

Au Sahel, le président de la République a participé hier à Nouakchott à un sommet des chefs d'Etat et de gouvernement qui a permis de dresser un bilan six mois après le sommet de Pau. Y ont pris part les chefs d'Etats du G5 Sahel, mais également le président du gouvernement espagnol Pedro Sanchez, le président du Conseil européen Charles Michel, la chancelière fédérale allemande Angela Merkel, et le président du Conseil des ministres italien Giuseppe Conte. Ce sommet a mis en valeur la nouvelle dynamique enclenchée depuis janvier. Elle a d'abord été une dynamique de terrain, qui a produit quelques succès militaires - en particulier la neutralisation de l'émir d'Al-Qaïda au Maghreb islamique, Abdelmalek Droukdel, le 3 juin dernier - et qui a permis de clarifier et d'affirmer le bon fonctionnement du mécanisme de commandement conjoint auquel participent la force de l'opération Barkhane et la force conjointe du G5 Sahel. Un mécanisme permet l'articulation des opérations dans la zone des trois frontières. Des secteurs y ont été effectivement repris aux groupes terroristes et les armées s'y redéploient. Nous sommes dans une dynamique positive et il convient désormais de la consolider et l'amplifier.

Les chefs d'Etat ont convergé hier sur quatre objectifs prioritaires. Le premier est de poursuivre une action militaire déterminée, je viens d'en évoquer différents aspects. J'ajoute que les forces spéciales européennes Takuba vont permettre un renforcement de cette dynamique positive et que la mission européenne EUCAP Sahel Niger va reprendre ses actions de formation : tout cela est utile et nécessaire

Le deuxième objectif est d'assurer la présence de l'Etat sur l'ensemble du territoire. Car au-delà de l'effort militaire, c'est le retour de l'Etat, des administrations, des services aux populations, qu'il importe de poursuivre. C'est le sens de l'Alliance pour le Sahel dont j'ai présidé l'assemblée générale au mois de février dernier. Il faut qu'il y ait des policiers, des juges certes, mais aussi que puissent être entreprises des initiatives de développement concrètes sur le terrain et en particulier dans les zones qui ont été longtemps occupées par les groupes terroristes.

Le troisième objectif est de renforcer la chaîne pénale et de lutter contre l'impunité. On a assisté à des évènements dramatiques insupportables et nous souhaitons que soient menées des enquêtes sur les exactions commises par quelque force que ce soit. Cela a été acté par les chefs d'Etats réunis hier.

Et enfin, et c'est sans doute plus nouveau, le quatrième objectif est de poursuivre l'internationalisation de la coalition. À Pau, à la demande des pays du G5 Sahel, il avait été souhaité une coalition internationale pour le Sahel, afin que s'exprime un soutien politique majeur à la poursuite de leurs opérations, et que se manifeste une solidarité active. C'est bien le cas, puisque la réunion de la coalition que j'ai coprésidée avec mon homologue mauritanien le 12 juin dernier a réuni quarante-cinq ministres des affaires étrangères européens et mondiaux. Cela conforte la dynamique et apporte le soutien de la communauté internationale à l'action entreprise sur la base de l'accord de Pau. C'est une bonne nouvelle : chacun se sent concerné par ce qui se passe au Sahel.

Je voudrais terminer mon propos par le Liban, car c'est un sujet difficile actuellement - je le dis avec solennité - sur lequel j'ai rarement eu l'occasion de m'exprimer devant vous. D'abord parce que tout ce qui touche au Liban touche directement la France : nous avons une longue histoire commune. Et parce que la situation est alarmante avec une crise économique et financière, une crise sociale et une crise humanitaire, auxquelles se sont ajoutés les risques liés au coronavirus. À mesure que la crise sociale s'aggrave, et que les réformes tardent à se concrétiser, les risques de violence augmentent. Au cours des dernières semaines, nous avons vu à Beyrouth se dérouler des affrontements à caractère confessionnel, alors que le mouvement de mobilisation auquel nous avions pu assister depuis l'automne dernier réunissait jusqu'à présent des Libanais de tous bords autour d'aspirations légitimes d'ordre économique et social. Le thème des revendications était "moins de corruption" ; "davantage de transparence" ; une meilleure gestion économique ; une réforme des secteurs clés tels que l'électricité ou le secteur bancaire - trop souvent considéré comme étant la chasse gardée de quelques-uns - ; une présence protectrice de l'Etat ; le dépassement du confessionnalisme... Tout cela était porté par une mobilisation pacifique. Aujourd'hui, malheureusement, on constate une évolution vers des affrontements à caractère confessionnel. Cette dérive est très préoccupante.

Nous disons aux autorités libanaises - je l'ai moi-même dit au Premier ministre Hassane Diab et à mon collègue Nassif Hitti avec qui je m'entretiens régulièrement - qu'il faut que les réformes sur lesquelles le gouvernement de M. Diab s'est engagé soient mises en oeuvre de manière concrète. Pour que nous puissions nous-mêmes nous mobiliser financièrement, il faut que les réformes se traduisent dans les faits. Nous avons apporté au Liban l'aide humanitaire et sanitaire dont il a besoin. Pour un accompagnement plus fort, le pays bénéficie du soutien du Fonds monétaire international et celui du Groupe international de soutien au Liban (GIS) que nous avons mis en place à Paris en décembre dernier. Il faut que les réformes se fassent, et je vais me rendre prochainement au Liban pour le dire avec force. Le président de la République est très préoccupé par la situation. Nous souhaitons que les autorités libanaises prennent vraiment la situation en mains pour faire aboutir les réformes nécessaires et parvenir à une pacification progressive du Liban.

Les écoles chrétiennes du Liban et de la région sont des vecteurs de pluralisme, des relais d'influence et des foyers de francophonie au Proche et au Moyen-Orient. Rien qu'au Liban il y a 333 écoles chrétiennes francophones dont 21 homologuées par le ministère français de l'éducation nationale. Il importe que nous puissions nous mobiliser pour les aider, et nous allons agir de manière très significative, pour leur permettre de tenir le coup à la rentrée prochaine. C'est un axe de notre présence au Liban et nous allons mettre en oeuvre, au-delà du Liban, un fonds - le fonds Personnaz - de soutien aux écoles chrétiennes du Proche et du Moyen-Orient. Le président de la République s'y est engagé. Il sera opérationnel très rapidement et les premiers projets seront engagés dès cet été. Le soutien à la présence du français dans cette région est essentiel pour l'avenir.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Je me permets de revenir sur ma question concernant le Cameroun et le sort d'Amadou Vamoulké.

R - Je peux y répondre tout de suite. Je sais que votre commission a envoyé une mission au Cameroun.

Mme la présidente Marielle de Sarnez. Rodrigue Kokouendo et Didier Quentin, absolument.

R - Nous sommes préoccupés par les violences commises en zone anglophone et avons appelé à plusieurs reprises à une solution pacifique à la crise. Quand des exactions sont commises, nous appelons à des enquêtes et le cas échéant à des sanctions : c'est le message que j'ai délivré lors de ma visite au Cameroun en octobre dernier. Le président de la République s'est également entretenu plusieurs fois avec le président camerounais Paul Biya à ce sujet. Je constate qu'une commission d'enquête a été installée par les autorités camerounaises, suite à des violences particulièrement odieuses perpétrées en février à l'encontre de la population du village de Ngarbuh dans la province du Nord-Ouest. Les conclusions de cette commission ont permis de dégager des responsabilités et d'ouvrir des procédures judiciaires. C'est essentiel, car je pense partager l'avis de votre commission : la lutte contre l'impunité est indispensable à une paix durable.

Nous soutenons tous les gestes d'ouverture qui sont ou doivent être faits pour rétablir la confiance entre les acteurs de la politique au Cameroun. Des opposants ont été libérés, les poursuites ont été arrêtées contre plusieurs dizaines de personnes dont Maurice Kamto, mais il faut aller au-delà pour aboutir à une situation sereine et pacifiée, sans doute par une décentralisation, sans doute par un statut spécial pour les zones anglophones. Ce sont des sujets dont je m'étais entretenu avec le président Biya, et nous souhaitons que tout cela soit fait. Nous sommes bien informés de la situation de M. Amadou Vamoulké et nous avons fait valoir à plusieurs reprises que l'indépendance de la justice comme le droit doivent être respectés. M. Vamoulké a droit à un procès équitable. Dans chacun de nos échanges avec les autorités camerounaises, nous rappelons ces principes.

(Interventions des parlementaires)

Vous avez repris, Madame Clapot, l'essentiel de mes propos sur la question de Hong Kong concernant le respect du droit. Nous sommes extrêmement fermes sur le refus de cette loi qui contredit à la fois le principe "un pays-deux systèmes" et la loi fondamentale de Hong Kong. Les Européens ont été unis pour dénoncer cette situation, et nous serons extrêmement attentifs au respect du haut degré d'autonomie et de liberté fondamentale ainsi que de l'indépendance du système judiciaire de Hong Kong. Nous allons discuter entre Européens des mesures à prendre face à cette législation nouvelle que nous condamnons.

M. Quentin s'est réjoui de cette unanimité européenne. Et, puisqu'il l'évoquait, nous avons aussi avec la Grande-Bretagne une collaboration et des échanges réguliers sur des positions qui sont tout à fait proches, voire quasiment identiques. Au sein des ministres des affaires étrangères du G7, nous avions pris position sur la situation à Hong Kong avant même que la loi ne soit adoptée par l'Assemblée nationale chinoise.

Vous avez évoqué le narratif. Il est vrai, Madame Clapot, qu'il nous faut trouver les moyens de développer le mieux possible un narratif autour de la sécurisation de l'ensemble des populations. Nous travaillons beaucoup avec les journaux de ces régions pour faire en sorte qu'il y ait une véritable information : cela fait aussi partie de notre manière de lutter contre le terrorisme. Un narratif neutre, exhaustif et indépendant peut éviter la manipulation à laquelle vous faites référence, particulièrement présente dans certains des pays du G5 Sahel.

Les Européens sont très engagés au Sahel, y compris sur le terrain militaire avec la force Takuba qui va se déployer cet été et qui regroupera treize Etats européens : l'Estonie est déjà présente, s'y ajouteront la Suède, la République tchèque, etc. Je vous rappelle qu'il y a aussi des Européens - Britanniques et Estoniens - dans la force Barkhane ; dans la mission de formation de l'Union européenne au Mali, EUTM ; dans la mission EUCAP Sahel Niger, pour la formation des forces de sécurité intérieure ; dans la force de la MINUSMA (Mission des Nations Unies au Mali) dont le mandat vient d'être reconduit par l'ONU. Enfin, les Européens sont très présents dans le programme Alliance Sahel, qui n'est pas un système parallèle de différents organismes autonomes : nous nous attachons à une coordination et une synergie au plus près du terrain de tous les acteurs.

Vous avez souligné que certains pays, tel le Mali ou le Burkina Faso, étaient plus fragiles que d'autres et je partage votre sentiment. L'un des piliers du sommet de Pau est bien de renforcer la solidité des Etats pour éviter que certaines parties du territoire ne fassent l'objet d'une préemption par des groupes terroristes ou affiliés.

Pour le Proche-Orient, nous avons fait part de notre position. Nous agissons auprès de tous ceux qui peuvent avoir une influence auprès des autorités israéliennes pour les dissuader d'appliquer ces mesures d'annexion, quelle qu'en soit l'ampleur. Nous portons une grande attention à ce que les pressions soient exercées afin qu'un dialogue puisse être renoué entre les autorités palestiniennes et israéliennes. Renoncer aux annexions est aussi l'intérêt d'Israël : nous sommes tout à fait intransigeants sur la sécurité d'Israël, et le fait d'avoir deux Etats cohabitant dans le respect mutuel lui assurerait justement une sécurité beaucoup plus forte. La logique d'annexion est à mon avis une logique d'insécurité pour l'Etat israélien. C'est ce que nous disons à tous nos interlocuteurs, y compris à M. Gabi Ashkenazi, le nouveau ministre des affaires étrangères israélien, à qui j'ai fait part à plusieurs reprises de ces observations.

"Qu'allons-nous faire ?" Monsieur Lecoq, je vous réponds simplement que ces annexions n'ont pas encore été faites et que, si elles l'étaient, de tels actes ne pourraient pas rester sans conséquences, à la fois sur la coopération entre l'Union européenne et Israël et sur les relations bilatérales. Nous ne pouvons pas laisser sans riposte ce type de violation du droit international. Mais j'espère que les autorités israéliennes prendront en considération la pression internationale qui se fait de plus en plus forte, et ne conduiront pas cette annexion qui était autorisée à partir du 1er juillet.

Vous m'avez demandé des compléments d'information sur le Liban. J'ai exprimé toutes nos préoccupations mais je n'ai effectivement pas précisé que nous sommes aussi soucieux que soit conservé le principe de dissociation, que les autorités libanaises ont préservé jusqu'à présent. Ce principe - la dissociation des conflits se déroulant autour du pays et le respect de l'intégrité du Liban - est essentiel. J'espère que les efforts que nous entreprenons seront couronnés de succès, mais la situation est très préoccupante.

La liste des pays aux ressortissants desquels nous rouvrirons les frontières a été établie au niveau européen, et nous ne reconnaissons pas Taïwan comme un état indépendant. Mais un traitement spécifique peut être envisagé pour ce territoire. Mme Trisse et Mme Genetet m'ont posé d'autres questions au sujet de la réouverture de nos frontières. Je croyais avoir été clair dans mon propos introductif : il s'agit d'une liste de quatorze pays plus un, puisque la Chine y figure sous condition et j'ai expliqué pourquoi. Je répète que nous avons pris en considération le taux d'incidence, la solidité et la résilience des systèmes de santé, les mesures de protection adoptées dans ces pays, la fiabilité des données et les critères de réciprocité. Voilà l'ensemble des critères pris en considération par la Commission pour établir cette liste, qui sera révisée tous les quinze jours. C'est une liste plafond d'engagements que nous pouvons tenir, mais que les pays membres ne sont pas obligés d'appliquer intégralement. Vous dites, Madame Genetet, que le Japon n'a pas encore mis en oeuvre de réciprocité : c'est vrai. Mais si nous lui ouvrons nos frontières, c'est justement pour qu'il fasse de même à notre égard. C'est une démarche d'impulsion et de pression.

Je suis tout à fait disposé à regarder les exemptions qui pourraient être prises en compte. Il en existe déjà pour les professionnels de santé, les travailleurs saisonniers, les étudiants, mais s'il y a d'autres cas particuliers, nous pouvons les examiner et éventuellement les prendre en considération. Depuis le mois de mars dernier, nous n'avons pas lésiné sur le soutien à ces prises en compte, et nous allons poursuivre. J'espère que, progressivement, dans les jours ou le mois qui viennent, les mesures d'assouplissement pourront se multiplier. Mais il faut rester très vigilant.

Je connais, Monsieur David, votre préoccupation concernant le site gazier de Balhaf au Yémen. Je vous rappelle qu'en 2017, le gouvernement officiel du Yémen a réquisitionné le site de la société Yemen LNG, dont Total est actionnaire. C'était une réquisition officielle par un gouvernement en temps de guerre et il n'y a plus de personnel de Total sur le site. Les équipes locales ont décidé de scinder le site en deux. Ils ont construit un mur entre cette usine, qui produit encore un peu d'électricité pour les villages environnants, et l'autre partie du site entre les mains de la coalition en dehors de tout contrôle effectif de l'entreprise. Voilà les informations en ma possession.

Monsieur Lecoq, la position du groupe E3, c'est-à-dire la Grande-Bretagne, l'Allemagne et la France, sur le JCPoA demeure bien de rester unis, d'oeuvrer à la préservation de l'accord de Vienne sur le nucléaire iranien, et si possible en concertation avec la Russie et la Chine. Nous nous sommes réunis il y a quelques jours à Berlin, pour constater notre accord pour poursuivre en ce sens et faire en sorte que l'accord de Vienne perdure. Ce n'est pas facile puisque les activités nucléaires iraniennes se poursuivent en violation du JCPoA, mais nous sommes déterminés à faire passer nos messages le plus efficacement possible pour que l'Iran accède aux demandes formulées par l'Agence internationale de l'énergie atomique. Il s'agit de vérifier sur son territoire la mise en oeuvre des engagements pris par l'Iran. Nous restons convaincus que c'est la seule bonne solution pour éviter tout accès de l'Iran à l'arme nucléaire. Il importe d'être vigilant mais aussi très déterminé, et nous souhaitons que les Iraniens nous entendent.

Quant à la conférence d'examen du TNP, elle a été reportée en raison de la crise liée au covid-19. Nous souhaitons qu'elle soit reprogrammée car les enjeux sont très importants : la non-prolifération dans le cadre notamment de la préservation du JCPoA, l'usage pacifique du nucléaire, ensuite le désarmement nucléaire. Dans son discours du 7 février dernier à l'Ecole de guerre, le président de la République a parfaitement exprimé la position de la France à ce sujet.

Je répondrai à M. Mbaye qu'une clarification est nécessaire avec la Turquie, je l'ai déjà dit à plusieurs reprises. Le fait en particulier que lors d'une mission menée dans le cadre de l'OTAN et de l'opération Sea Guardian, un navire français ait fait l'objet d'une manoeuvre hostile de la part d'un navire de guerre turc, est tout à fait préoccupant. Le navire français répondait aux ordres de l'état-major de l'OTAN et le navire turc fait également partie des forces de l'OTAN. Il n'est pas possible de rester dans cette situation. Par ailleurs, il y a cette présence très forte et renouvelée de la Turquie en Libye, sans tenir aucun compte de l'embargo. J'ajoute, en Méditerranée orientale, des interventions de forage dans des secteurs qui ne correspondent pas à la zone économique exclusive de la Turquie, mais à celles de la Grèce et de Chypre. Tout cela nous pose question, et nécessite une clarification le plus rapidement possible avec la Turquie. On ne peut pas rester dans ce statu quo, avec une multiplication des situations conflictuelles.

Je me suis rendu à Madagascar en février dernier, Madame Kuric, où j'ai rencontré longuement le président Andry Rajoelina avec qui nous avons abordé l'ensemble des questions maritimes et des questions bilatérales. Nous avons notamment décidé de créer une commission mixte franco-malgache pour avancer sur le dossier des îles Eparses. Nous avons certes un point de désaccord, mais aussi une volonté commune de trouver des solutions dans un cadre respectueux et amical, dans un esprit de dialogue et de confiance. La confiance est là, puisque les échanges que j'ai eus avec les autorités malgaches au plus haut niveau ont été très fructueux. Nous avions prévu une deuxième séance de travail pour cette commission mixte et elle aurait dû se tenir pendant la période de pandémie. Elle sera reprogrammée lorsque les frontières seront ouvertes. Je suis bien évidemment au courant la déclaration de la Communauté de développement de l'Afrique australe. Mais elle n'empêche pas la qualité des discussions que nous pouvons avoir avec les autorités malgaches.

Il n'y a pas, Monsieur Julien-Laferrière, de nouveaux crédits concernant Santé en commun, cette opération devant permettre au continent africain de surmonter les difficultés liées à la pandémie. Il s'agit de réaffectations dictées par cette priorité du moment pour un montant d'1,2 milliard d'euros, sous réserve que l'AFD en particulier se mobilise pour que ces crédits soient dépensés rapidement, soit en donnant aux Etats un peu plus de facilités financières pour renforcer leur système de santé, soit en menant des opérations de soutien et d'appui aux autorités sanitaires sur des cas précis. Je pense notamment à la nécessité d'améliorer les diagnostics et de développer les tests, avec par exemple l'Institut Pasteur ou un certain nombre d'hôpitaux. C'est la destination de ce 1,2 milliard réaffecté.

En revanche, il y a des crédits nouveaux pour d'autres sujets liés à la situation, en particulier l'engagement annoncé par le président de la République dans l'initiative ACT A à hauteur des 510 millions. Cela ne concerne pas uniquement l'Afrique ; le périmètre est plus large. Mais il s'agit bien de la lutte contre les effets de la pandémie. L'engagement français est également présent dans le Gavi, l'Alliance du Vaccin, qui oeuvre pour la diffusion des vaccins et qui permettra, lorsque le vaccin sera trouvé, d'en faire une distribution active. Car vous savez ce qu'on dit souvent : "les molécules sont au Nord et les malades sont au Sud". Nous avons donc renforcé nos financements dans ces deux domaines, et activé les financements spécifiques à l'Afrique pour Santé en commun.

La trajectoire de l'aide publique au développement est maintenue avec un objectif de 0,55% du RNB en 2022. Le texte de loi sera examiné en Conseil des ministres normalement au mois de septembre. Mais je veille comme vous - et je sais que votre commission y sera sensible - à ce que nous ayons aussi des cibles en valeur absolue afin d'éviter que la baisse du RNB ne se traduise par une baisse du financement de l'aide au développement.

Enfin, Madame Dumas, je suis ouvert à tout examen du dossier que vous évoquez. Je n'ai pas d'informations particulières, alors que vous semblez en avoir beaucoup. Je vous remercie donc de m'en faire part, car je souhaite que toute la lumière soit faite.

(Interventions des parlementaires°

Monsieur Habib, j'ai aussi du respect et de l'amitié pour vous. Cela ne m'empêche pas d'être en désaccord avec ce que vous aviez dit en mai dernier, qui m'avait amené à faire preuve d'une grande fermeté à votre égard. Vous aviez dit que je menais une croisade diplomatique contre Israël. Et là, ça ne va pas ! Autant pour le reste, on peut discuter, avoir des appréciations et des positions différentes, mais là, ce n'est pas possible. C'est la raison pour laquelle j'ai été ferme avec vous, lorsque vous m'avez interpellé de cette façon.

Moi, je parle avec M. Gabi Ashkenazi, le nouveau ministre des affaires étrangères israélien. Je lui dis ce que je pense. Je ne peux pas encore le rencontrer à cause du covid-19 mais nous échangeons et nous faisons part de nos observations. Tous les arguments que j'ai développés concernant le règlement de la paix au Proche-Orient sont connus, ses arguments à lui sont connus : nous avons un différend, constatons-le, mais continuons à échanger.

Vous avez également évoqué la Turquie, et j'en profite pour répondre également à M. Dupont-Aignan. À notre demande, il y aura le 13 juillet une réunion des ministres des affaires étrangères de l'Union européenne consacrée uniquement à la question turque. Je précise également à M. Dupont-Aignan que des sanctions ont déjà été prises à l'encontre de la Turquie par l'Union européenne, en particulier pour les forages que la Turquie menait dans la zone économique maritime de Chypre. Pour marquer notre posture, d'autres sanctions peuvent être envisagées, mais cela a déjà été le cas. Nous faisons preuve également d'une très grande fermeté sur le dossier migratoire. Aujourd'hui même, la France a décidé de retirer la frégate Courbet de l'opération de l'OTAN Sea Guardian, tant qu'aucune clarification n'aura été fournie sur la coordination de la mission IRINI de l'Union européenne - qui est destinée à empêcher la rupture de l'embargo sur les armes - et de la mission Sea Guardian de l'OTAN de dimension proche mais pas identique. Il nous faut impérativement clarifier les rôles des uns et des autres, et les règles de comportement. Notre comportement n'est pas inactif, nous faisons preuve de fermeté et nous agissons.

Madame Ali, oui, à Hong Kong il y a des risques pour nos ressortissants, qui peuvent être soumis à un certain nombre de dispositions liées à la loi qui vient d'être adoptée. La définition des infractions est très large et nous veillons à tenir informés nos compatriotes qui vivent à Hong Kong des menaces que présente l'application de ce texte.

Monsieur Girardin, il est vrai que la situation en Amérique du Sud est très préoccupante, puisqu'elle est devenue aujourd'hui l'axe central du développement de cette pandémie. C'est une région très importante pour nous, parce que nous partageons avec elle des valeurs de démocratie, de coopération internationale, de multilatéralisme. La France est aussi un pays d'Amérique du Sud et sa plus longue frontière terrestre est d'ailleurs entre le Brésil et la Guyane. La situation est très préoccupante à la fois sur le plan social, sur le plan sanitaire et sur le plan écologique avec les risques pour les forêts tropicales. Vous avez raison de souligner la nécessité d'un partenariat renforcé avec les pays d'Amérique latine.

Nous avons remobilisé l'AFD sur les pays d'Amérique latine. Je m'y suis rendu quatre fois. Nous souhaitons agir en direction des sociétés civiles pour éviter que les crises ne se transforment en situations plus dramatiques et pour que des mesures soient prises au niveau international contre la récession, mesures auxquelles nous pourrons contribuer.

Vous avez raison, Monsieur Joncour, de signaler le côté très inquiétant de la situation au Burkina Faso, à la fois, sur la faiblesse de l'Etat, sur les risques terroristes et sur les conflits de communautés notamment autour des populations peules et de quelques autres ethnies. Nous avons considéré qu'il y avait une priorité à donner à ce pays dans les aides que nous avons apportées : nous sommes passés d'1,9 million en 2019 à plus de 5 millions cette année. Je précise par ailleurs que nous avons organisé avec nos partenaires danois un vol du pont aérien humanitaire que j'ai évoqué, ce qui montre combien nous jugeons ce pays prioritaire. Le président de la République s'est entretenu avec le président Kaboré, hier à Nouakchott, car le pays est dans une situation difficile. Il y a près de 850.000 déplacés dans ce pays et la détérioration de la situation sanitaire est considérable. L'élection présidentielle se tiendra au mois de décembre au Burkina Faso et nous souhaitons qu'elle puisse se dérouler dans les meilleures conditions.

Sur le Mali, je n'ai pas l'information que vous me demandez, monsieur Dupont-Aignan et je ne peux pas vous répondre avant de me renseigner.

Madame Krimi, vous abordez un sujet qui concerne plutôt Bruno Le Maire. Nous sommes dans le même gouvernement, nous travaillons beaucoup et nous nous battons beaucoup ensemble sur ce sujet. L'enjeu est double : relocaliser les activités productrices stratégiques - je pense aux médicaments mais aussi à des activités lourdes liées à notre autonomie stratégique - et réussir la transition écologique et la transition numérique en toute souveraineté. Il faut parvenir à un changement en profondeur de notre outil industriel. C'est aussi une préoccupation européenne : le plan de relance que j'évoquais est essentiel pour réussir cette réindustrialisation indispensable.

Merci, Monsieur El Guerrab d'avoir exprimé votre gratitude pour l'action que les services que je dirige ont menée pour permettre aux Français, autant qu'on pouvait le faire, de retourner en France par des moyens appropriés. Je vous précise d'ailleurs que les Français de l'étranger peuvent revenir en France : la frontière n'est pas fermée aux Français qui sont à l'étranger, sous réserve d'un protocole sanitaire à suivre et sous réserve, évidemment, de trouver un moyen de transport. On ne peut pas mettre en oeuvre un moyen de transport adapté à chaque personne. Il y a une contrainte mondiale, c'est ce coronavirus, et cela pose des problèmes à tout le monde, y compris à nos concitoyens à l'étranger. Quant à pouvoir retourner à l'étranger, cela peut effectivement leur être moins simple.

Je n'ai pas à me prononcer sur la position du roi des Belges sur les enjeux mémoriels. Je pense qu'il importe que nous ayons sur ces enjeux un dialogue apaisé des mémoires. Dans son allocution du 14 juin, le président de la République avait déclaré : "Nous devons regarder lucidement ensemble toute notre histoire, toutes nos mémoires, notre rapport à l'Afrique en particulier pour bâtir un avenir possible d'une rive à l'autre de la Méditerranée avec une volonté de vérité." C'est également ma propre conviction. Et dans cet état d'esprit, symboliquement, je suis très heureux que certaines oeuvres du patrimoine culturel africain qui se trouvaient exposées dans les musées français puissent retourner en Afrique. Cette restitution est importante, significative et symbolique de notre volonté d'être contributeurs des enjeux mémoriels liés à l'époque coloniale.

Je me suis déjà beaucoup exprimé sur les sujets de santé mais je vais ajouter un point pour Mme Tanguy, qui m'interroge sur la gestion des enjeux mondiaux de santé, sur l'OMS. Je l'ai dit, nous pensons que l'OMS est l'outil de l'action collective, du multilatéralisme dans le domaine de la santé - de toute façon, il n'y a pas d'autre instrument -, mais il faut que cet outil se réforme. Le lancement d'une mission d'évaluation de la gestion de la pandémie a été décidé lors de l'Assemblée mondiale de la santé qui s'est tenue mi-mai à Genève. C'est une bonne chose. L'Assemblée mondiale de la santé doit se réunir à nouveau à la fin de l'année pour aborder les mutations indispensables de l'OMS.

Par ailleurs, il nous faut agir dans plusieurs directions. Le règlement sanitaire international existe mais il n'est pas suffisamment appliqué et pas suffisamment contraignant. Il faut également établir une gradation du niveau d'alerte. Il faut définir un mécanisme de réaction rapide de vérification. Et la France souhaite qu'on puisse créer au sein de l'OMS un Haut conseil de la santé humaine et animale qui pourrait jouer le même rôle que le GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat, c'est-à-dire un outil indépendant qui puisse à la fois établir des diagnostics et faire des préconisations. Enfin, il faut améliorer le mode de financement de l'OMS, pour qu'elle bénéficie d'une vraie autonomie et d'une vraie indépendance.

L'OMS est un vrai enjeu de bonne coopération internationale, de multilatéralisme, elle ne doit pas être un enjeu de politique intérieure ni d'un affrontement entre les Etats-Unis et la Chine.

J'ai pris le temps de beaucoup parler du Liban parce que je pense que c'est essentiel pour la France. Et il s'agit aussi d'un sujet lié à l'éducation et à la formation. Je vous confirme, Madame Cazebonne, le soutien fort que nous voulons apporter aux écoles de ce pays qui sont des éléments clés de notre influence et de la poursuite de l'enseignement de la langue française dans ce pays. Vous avez annoncé un chiffre : je ne suis pas loin du vôtre, mais je préférerais faire une évaluation plus précise. De mémoire, il y a 61.000 élèves dans les écoles françaises au Liban, ce qui correspond à 15% des 370.000 élèves qui sont scolarisés dans les écoles françaises dans l'ensemble du monde. Vous avez eu raison d'appeler mon attention sur ce sujet. Nous nous en occupons.

Enfin, Monsieur Nadot, merci de votre contribution sur le Cameroun. J'ai rappelé tout à l'heure qu'une commission avait été créée après les drames de Ngarbuh et qu'elle avait permis de dégager des responsabilités et d'ouvrir des procédures judiciaires. Il importe qu'elles se poursuivent et nous affirmons notre volonté de les voir aller à leur terme. Nous sommes par ailleurs choqués du décès en prison du journaliste Samuel Wazizi, le 2 juin dernier, et nous souhaitons que les autorités camerounaises mènent une enquête indépendante sur les circonstances de sa mort. Quant au cas de M. Amadou Vamoulké, je répète que nous sommes tout à fait attentifs au fait qu'il puisse avoir un procès équitable et nous menons les actions partout où nous le pouvons pour que ce soit le cas.

Mme Nicole Le Peih. L'Union européenne a souvent profité des crises pour se renforcer. Cette fois encore, la crise sanitaire et économique que nous vivons l'a conduite à prendre des décisions inédites. Et au total, pour répondre aux besoins de nos Etats et de nos entreprises, les annonces sont considérables. Mais ces annonces s'accumulent et il est parfois difficile de s'y retrouver. C'est pourquoi je m'interroge sur la lisibilité de ce plan de relance, car l'Union européenne avance et nous en savons l'enjeu politique. D'où ma question : comment pensez-vous parvenir à faire de la relance économique un moment de relance politique et citoyenne ?

R - Je répète ce que j'ai dit dans mon propos initial. L'engagement qui a été pris est historique. Le plan de relance qui est proposé à la Commission, à la suite de l'initiative franco-allemande, est déterminant. C'est une étape qualitative de la solidarité européenne qui se déroule. Les discussions qui se tiendront mi-juillet devraient normalement aboutir à un accord : c'est ce que nous souhaitons. Ensuite, il s'agira que la traduction de l'accord dans les faits soit lisible. Il faudra montrer qu'il s'agit d'une nouvelle période de l'Union européenne, plus proche des citoyens et au rendez-vous de la relance post-Covid avec les citoyens. Nous vivons une période très grave, très dramatique dans un certain nombre de cas, et l'Europe doit mener à bien sa mission de protection. Ce plan de relance y contribuera.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 juillet 2020