Texte intégral
FREDERIC RIVIERE
Bonjour Amélie de MONTCHALIN.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bonjour.
FREDERIC RIVIERE
Si je vous demande pour commencer si vous avez la moindre idée de ce à quoi pourrait ressembler le gouvernement après le remaniement, vous me répondez non ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je n'ai pas de commentaires à faire sur ce sujet.
FREDERIC RIVIERE
D'accord. Et si je vous demande si Edouard PHILIPPE va rester Premier ministre, vous allez me dire là aussi…
AMELIE DE MONTCHALIN
Je vais vous dire la même chose. En revanche, je peux vous parler assez longuement du nouveau chemin que le président détaille ce matin, qui donne une part très importante à l'Europe et qui montre bien que dans les mois qui viennent, dans les années qui viennent, tout comme il le fait déjà depuis trois ans le président, il n'y aura pas de France forte dans une Europe affaiblie. Donc on a besoin d'avoir un ensemble de pays qui avancent ensemble pour que notre reconstruction économique, environnementale soit possible en France.
FREDERIC RIVIERE
Alors on a passé les figures imposées, on va pouvoir passer dans le programme libre. Vous revenez tout juste d'un voyage en Suède. Vous y étiez hier. Ce déplacement s'inscrivait dans la perspective du conseil européen des 17 et 18 juillet afin d'essayer de parvenir à un accord sur le plan de relance européen. La Suède fait partie de ce que l'on appelle les pays frugaux ou parfois radins. C'est un peu moins sympa mais enfin c'est comme ça qu'on les appelle aussi. Est-ce que vos discussions ont été fructueuses ?
AMELIE DE MONTCHALIN
D'abord il faut quand même rappeler à tous le chemin qu'on a déjà parcouru. Il y a trois ans, quand le président de la République nous parlait de souveraineté européenne, tout le monde se demandait de quoi on parlait.
FREDERIC RIVIERE
Il n'y avait pas eu la crise du Coronavirus.
AMELIE DE MONTCHALIN
Il y a trois mois, quand on a dit : il faut un plan de relance ensemble parce qu'on voit que cette crise nous touche tous, il y avait quand même beaucoup de suspicion. Il y a trois semaines, quand on a dit : et ce plan de relance, il faut qu'il soit fondé sur un endettement commun pour que ça puisse être rapide, massif, solidaire, il y avait aussi des doutes. Tous ces obstacles-là, ils sont tombés. Et donc, quand je suis allée effectivement en Suède, je suis aussi allée en Autriche la semaine dernière, aux Pays-Bas – c'est des pays qui sont d'accord avec nous sur une chose : ils vivent la même chose que les Français. Moi j'ai rencontré les syndicats, j'ai rencontré les entreprises, j'ai rencontré les parlementaires. Vous savez, le choc économique qu'on voit nous en France, ils ont le même.
FREDERIC RIVIERE
Ils sont d'accord sur le concept. Est-ce qu'ils sont d'accord sur les moyens ensuite ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ils ont des cultures différentes politiques, ils ont des demandes différentes. Nous, vous savez, avec le président de la République on a une position qui est très simple : on ne va pas imposer ce plan. On ne va pas tordre le bras à quiconque. On ne va pas créer de la rancoeur ou de l'humiliation. On veut que ce plan soit bon pour chacun. Et donc notre conception, c'est que nous sommes une puissance d'équilibre et de dialogue. Il faut qu'on s'assure que parce qu'il nous faut un accord, parce que la crise comme le dit le président : la rentrée va être difficile. Si on n'a pas cette visibilité, si on n'a pas ce soutien européen, on n'arrivera pas à faire nos plans de relance nationaux parce qu'on est tous interdépendants. Quand vous allez en Suède, 30 % du PIB, de la richesse nationale, dépend des exportations vers l'Union européenne. Donc s'il y a bien un pays qui aujourd'hui est très conscient qu'il a besoin que l'Europe aille bien pour qu'il aille bien lui-même, c'est par exemple la Suède. C'est la même chose pour les Pays-Bas. Et donc le dialogue qu'on a…
FREDERIC RIVIERE
Alors est-ce que les mentalités évoluent vers cette idée ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Elles ont déjà beaucoup évolué parce que le plan de relance…
FREDERIC RIVIERE
Parce qu'on voit bien qu'Angela MERKEL, elle a fait une espèce de conversion idéologique.
AMELIE DE MONTCHALIN
Bien sûr. Mais vous savez, les entreprises suédoises que j'ai vues hier, elles savent que ce plan il est absolument nécessaire pour protéger l'emploi en Suède. Les syndicats suédois qui ont un rôle majeur parce qu'on sait que c'est une démocratie où les syndicats ont beaucoup plus de poids que dans beaucoup d'autres. Mais les syndicats, ils veulent de ce plan parce qu'ils savent bien que l'emploi en Suède dépend de la bonne santé économique de l'Europe. Alors maintenant, il y a des débats. Comment on va utiliser l'argent ? Bien sûr que cet argent, il ne va pas servir à payer des fonctionnaires, des retraités ou financer les déficits quelque part en Europe. C'est un plan d'investissement. Déjà de le dire, ça clarifie beaucoup de choses. Ensuite, il y a la question de comment on va le rembourser. C'est aussi une grande question.
FREDERIC RIVIERE
Alors justement, si on s'arrête une seconde sur ce mécanisme, parce que c'est vrai qu'il peut avoir quelque chose d'un petit peu conceptuel. On parle de 750 milliards d'euros. Concrètement si un accord est trouvé donc entre les partenaires européens, comment va fonctionner ce dispositif ? Où serait trouvé l'argent ? Où serait-il pris ? Qui en bénéficierait ? Selon quelles modalités ? Et puis, vous venez de l'évoquer, qui et dans combien de temps on rembourserait ces sommes tout à fait considérables ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Je vais répondre à chacune de vos questions mais, vous voyez, déjà le fait qu'on puisse parler de ça, c'est déjà qu'on a fait un chemin immense et qu'on a pris conscience de la gravité de la crise…
FREDERIC RIVIERE
La crise sanitaire a provoqué un électrochoc, oui.
AMELIE DE MONTCHALIN
Et de son caractère exceptionnel et des moyens exceptionnels. Où est-ce qu'on trouve l'argent ? Sur les marchés financiers. Personne aujourd'hui n'a de l'argent caché dans un coffre pour pouvoir le mettre. D'abord, c'est un endettement commun.
FREDERIC RIVIERE
Donc on emprunte.
AMELIE DE MONTCHALIN
On emprunte. A quoi il sert ? Il sert à investir dans les secteurs et régions qui sont le plus touchés économiquement par cette crise.
FREDERIC RIVIERE
Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que chaque pays dira : moi je suis candidat entre guillemets à recevoir telle part de cet argent parce que j'en ai besoin pour faire ceci ou cela.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est le plan aéronautique en France, c'est le plan automobile, c'est l'investissement dans nos hôpitaux. On en a besoin parce qu'on sait que c'est essentiel pour que notre pays aille bien. C'est aussi essentiel pour que les autres aillent bien parce que par exemple l'automobile en France, c'est lié à l'automobile en Italie, c'est lié à l'automobile en Slovaquie, c'est lié à l'automobile en Allemagne. Si on ne redémarre pas, les autres ne redémarrent pas non plus. Donc les secteurs et les régions les plus touchés pour qu'on puisse repartir chacun et ensemble. Et comment on rembourse ? On remboursera quand on ira mieux. On se dit après 2027-2028, et on rembourse en mettant à contribution ceux qui aujourd'hui bénéficient de l'Europe mais n'y contribuent pas. Je pense aux géants du numérique, ils vont bénéficier de la relance probablement. Est-ce qu'ils contribuent assez fiscalement ? Non.
FREDERIC RIVIERE
Les GAFA notamment.
AMELIE DE MONTCHALIN
On a besoin de la taxe GAFA. Je pense à la taxe carbone aux frontières. Dans cette relance et reconstruction, on veut être beaucoup plus environnementalement compatible avec notre transition. On va mettre des normes en plus, c'est très bien. Mais on ne va pas continuer d'importer du monde entier des biens qui n'intègrent pas les coûts. Donc on veut une taxe carbone aux frontières pour financer ce plan.
FREDERIC RIVIERE
Et avec ces nouveaux outils-là, on pourrait avoir suffisamment d'argent pour rembourser 750 milliards ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce qui est sûr, c'est que la ligne du président très claire ce matin encore énoncée, on ne va pas sortir de la crise en augmentant les impôts. Parce que si avec déjà le choc économique individuel collectif qu'on vit, la solution c'est partout d'augmenter les impôts, ni les Suédois ni les Autrichiens ni les Néerlandais ne sont pour, ni les Français ne sont pour. Et donc il faut qu'on réfléchisse comment on emprunte aujourd'hui, comment on dépense cet argent utilement pour investir, pour construire notre futur, pour créer des emplois pérennes, et ensuite comment pour rembourser. Eh bien on va mettre à contribution ceux qui auront bénéficié du plan, mais qui jusqu'à maintenant ne contribuent pas ce développement dont ils sont parfois très… Ils en voient les bénéfices tous les jours.
FREDERIC RIVIERE
Alors il ne nous reste pas un temps fou, Amélie de MONTCHALIN. Je voudrais qu'on dise un petit mot du Royaume-Uni puisque l'Europe et le Royaume-Uni ont entamé lundi une phase de négociation qui va durer cinq semaines pour tenter de trouver un accord sur leurs relations futures après le Brexit. Mercredi, donc deux jours après le coup d'envoi de ces discussions, Angela MERKEL a dit que les Européens devaient se préparer à l'hypothèse d'un no deal, c'est-à-dire donc une sortie sans accord. Est-ce que c'est aujourd'hui le scénario le plus probable ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Ce que je sais, c'est que déjà les Britanniques sont sortis politiquement de l'Union. C'était en février. Aujourd'hui on discute de choses très concrètes. Le commerce, la pêche, les normes agro-alimentaires, donc vraiment on réfléchit aux conditions de faire du commerce ensemble. Ce que je peux vous dire, c'est que nous voulons un accord parce qu'on a besoin de ce partenaire à nos côtés comme on a besoin depuis quarante ans.
FREDERIC RIVIERE
Pas d'accord, ça aggraverait la crise ?
AMELIE DE MONTCHALIN
Mais on ne veut pas d'un mauvais accord et je peux vous dire que ceux qui vont le plus pâtir si on n'arrive pas à avoir un accord, c'est les Britanniques parce qu'ils vont avoir le double choc. Le choc du Coronavirus plus le choc du Brexit et ils n'ont pas le plan de relance européen. Donc aujourd'hui, nous on veut bien signer mais on ne signera pas n'importe quoi. Vous savez, un accord commercial c'est dix ou vingt ans de notre futur économique qui est en jeu. Et moi, les agriculteurs français et européens, les pêcheurs français et européens, les entreprises, je ne peux pas leur dire demain : écoutez, on a besoin d'un accord donc on va signer un mauvais accord qui ne vous protège pas. Ça ne peut pas être ça la réponse. Donc soit l'accord il est bon, il est équilibré. Je ne demande pas aux Britanniques de perdre, je ne demande pas à ce que nous, on gagne, je veux qu'on reste dans un monde équilibré.
FREDERIC RIVIERE
C'est difficile. C'est une négociation difficile.
AMELIE DE MONTCHALIN
C'est évidemment difficile parce qu'il y a de la grande politique qui est toujours à l'oeuvre dans un certain nombre de domaines. Or nous, on cherche à être pragmatique. Comment dans des domaines très concrets on peut continuer comme on l'a fait depuis quarante ans à avoir une relation équilibrée.
FREDERIC RIVIERE
Merci Amélie de MONTCHALIN, bonne journée.
AMELIE DE MONTCHALIN
Merci.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 juillet 2020