Texte intégral
BERNARD POIRETTE
L'invité de Radio classique ce matin, c'est Jean-Baptiste DJEBBARI, le ministre délégué aux Transports. Monsieur DJEBBARI, bonjour.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Bonjour à vous.
BERNARD POIRETTE
Merci d'être à ce micro. Dans le journal de 08h00, on a entendu un très intéressant reportage sur le fait qu'aux frontières françaises, notamment aéroportuaires, dans l'état actuel des choses, on arrive du monde entier, sans être testé au Covid 19. Est-ce que ça va durer longtemps comme ça, ou est-ce qu'il y aura action rapide ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors, peut-être pour préciser, on arrive du monde entier, notamment des zones vertes. Vous savez que nous avons catégorisé 13 pays en vert…
BERNARD POIRETTE
Exact.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
... dès lors que nous avons des niveaux de protection sanitaire symétriques, entre la France, en l'occurrence l'Union européenne, puisque nous avons pris cette décision à 27, et les pays partenaires, en tout cas les pays catégorisés verts. Pour les pays rouges, et donc ça fait de nombreux pays, plus de 80 pays avec lesquels nous avons des liaisons aériennes, sont catégorisés en rouge, il y a nécessité d'avoir un test PCR dans les 72 heures.
BERNARD POIRETTE
D'accord.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et si vous ne pouvez pas le faire, vous êtes invité à le faire à l'arrivée. Vous avez par exemple à Roissy des personnels de l'AP-HP qui vous accueillent pour le faire, sinon vous devez vous mettre en quarantaine, en quatorzaine, plus précisément, et vous pouvez lever la quatorzaine en réalisant le test PCR. Mais il y a bien, vous voyez, un continuum qui permet, à tout moment, d'assurer votre protection et celle des autres.
BERNARD POIRETTE
En l'occurrence, dans le reportage, il s'agissait d'arrivées d'Algérie et du Maroc. Ces deux pays sont en rouge ? De mémoire, je ne sais pas, très honnêtement.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Ces deux pays sont en rouge, de mémoire, effectivement. Il y a nécessité, et nous l'avons fait d'ailleurs lundi dernier, enfin lundi, oui, lundi dernier, nous avons fait un test sur un des vols venant d'Algérie, 300 passagers ont été intégralement testés à l'arrive. Ça prend quand même 2 heures…
BERNARD POIRETTE
Bien sûr.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et donc il y a, donc évidemment des sujets de capacités aéroportuaires, mais je le dis, et d'ailleurs c'est peut-être le sujet du masque sur lequel nous reparlons, il faut bien comprendre que l'ensemble de la sécurité sanitaire se construit par succession des mesures, et donc le port du masque à bord des avions, les circulations des flux à l'intérieur des aéroports, les tests PCR avant, quand c'est possible, parce qu'il y a aussi une dimension de capacité du système sanitaire, de les faire avant, il y a une dimension du prix aussi. Vous savez qu'il y a des pays dans lesquels les tests coûtent plus de 500 euros, et donc qui sont évidemment tout à fait hors de portée de certains budgets, et bien comprendre que ce que nous avons voulu construire, avec les pays verts au niveau européen, et avec les pays rouges, de façon parfois aussi bilatérale, de manière à apporter un très haut niveau de protection sanitaire, c'est bien ça, c'est d'avoir une succession de mesures, qui permettent in fine et d'assurer un niveau de protection maximale.
BERNARD POIRETTE
Jean-Baptiste DJEBBARI, s'il y a bien un secteur de la vie publique en France, et privée aussi, où le port du masque est établi depuis fort longtemps, c'est le vôtre, c'est celui des transports.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Absolument.
BERNARD POIRETTE
Avions, trains, métros, enfin tout ça. Les gens portent des masques, donc en fait ça ne change pas grand-chose aujourd'hui, le fait que ce soit une obligation.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et ils le portent très bien, parce que depuis…
BERNARD POIRETTE
Et ils le portent globalement très bien.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Depuis le 11 mai, spontanément, le premier jour nous avons eu plus de 95% du port du masque. C'est important, parce que quand on dit que les stratégies dépendent très largement du comportement des individus, des Français…
BERNARD POIRETTE
Le fait est que dans les transports, ça marche.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Le fait est que ça marche, et ça continue à marcher
BERNARD POIRETTE
Je l'ai constaté moi-même d'ailleurs, et c'est vrai que les gens respectent ça, sauf pour manger, bien évidemment, dans les trains, ça nous sommes d'accord. Alors, on ne va pas forcément parler de masques, mais parlons de la situation financière de ce secteur, parce que le Covid 19 a massacré le secteur des transports, peut-être plus qu'aucun autre, 7 500 postes supprimés AIR FRANCE probablement, 4 milliards de manque à gagner pour la SNCF au cours des six premiers mois. Est-ce que c'est... Alors à AIR FRANCE ils suppriment des postes, la SNCF ne supprime pas de postes, comment voyez-vous l'avenir de ces deux secteurs, l'aérien semi-public et le fait République ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors, l'aérien, qui évidemment comprend les compagnies aériennes, qui souffrent beaucoup, et pour lesquelles en septembre nous aurons un vrai moment de vérité, et nous verrons si notamment les passagers longues distances, les passagers d'affaires, reviennent, et pour l'instant…
BERNARD POIRETTE
C'est toute la question.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est toute la question, et tout cela évidemment a des incidences assez importantes, profondes, sur l'industrie, les grands groupes évidemment, qui vous l'avez dit commencent à avoir quelques difficultés, parce que simplement les carnets de commandes ne sont pas remplis pour les 2, 3 ans qui viennent, et derrière toutes les filières, les sous-traitants, comme vous le savez très largement localisés en France, on a plus de 80 000 salariés par exemple en Occitanie.
BERNARD POIRETTE
...dans le Sud-ouest.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Absolument. Donc il y aura un moment de vérité – entre guillemets – en septembre, pour voir si nous avons des passagers qui reviennent. Nous avons vu que pendant l'été les passagers reviennent. Les Français partent en France, j'étais vendredi dernier Gare de Lyon, un million de passagers pour ce week-end, sur les 20 millions qui voyagent en train cet été, c'est donc tout à fait considérable, et là encore les mesures sanitaires sont bien exécutées. Mais il y aura ce moment de vérité-là, nous avons agi pour soutenir sectoriellement, beaucoup par des prêts, c'est vrai pour AIR FRANCE–KLM, 7 milliards de prêts, pour RENAULT 5 milliards, et puis par des soutiens qui sont constants à la SNCF. Nous avons commencé à la fois... nous avons aidé la SNCF à résister en trésorerie, il n'y a pas de problème de trésorerie à la SNCF jusqu'en octobre prochain. Nous irons…
BERNARD POIRETTE
Jusqu'en octobre.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
En octobre, mais nous travaillons avec la SNCF, nous avons commencé à compenser les régions, savez c'est la "fameuse polémique", que nous entretenons avec madame PECRESSE, nous avons déjà remboursé, compensé, un milliard d'euros pour l'ensemble des régions, la moitié pour la région Ile-de-France. Nous savons une clause de revoyure à la rentrée sur le sujet, j'aurais à m'entretenir avec madame PECRESSE dans les jours prochains, et nous allons continuer à avoir cette discussion ouverte, parce qu'il y a, à la fois la compensation maintenant, pour permettre aux entreprises de fonctionner, et puis sur le temps long, il y a ce que vous disiez, c'est-à-dire l'incertitude sur la fréquentation, savoir si, j'avais un sondage la semaine dernière qui me disaient que 17% des Français ne voulaient plus prendre le transport en commun dans les six mois, un an, qui viennent. Il faudra regarder si ça se réalise, parce que si ça se réalise, évidemment ça a un impact sur les modèles économiques des transporteurs publics, et il faudra avoir ces discussions avec eux.
BERNARD POIRETTE
Jean-Baptiste DJEBBARI, est-ce que cette tragédie du Covid n'est pas une extraordinaire opportunité pour faire basculer tous les paradigmes, je veux dire, c'est le moment ou jamais de se lancer dans le vert et dans l'écolo, on est d'accord…
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Bien sûr.
BERNARD POIRETTE
... alors on sait ce que vous avez fait, donc toutes les liaisons en train de moins de 2 heures 30, terminé, il n'y aura plus d'avion. Justement, je voulais vous demander, ça c'est valable pour AIR FRANCE, est-ce que vous avez étendu cette mesure à tous les autres transporteurs ? Les EASYJET, RYANAIR, et tous ceux-là ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Evidemment, nous allons l'étendre, nous prendrons un arrêté en ce sens.
BERNARD POIRETTE
Quand ça ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Il est en cours de travail, avec la Commission européenne notamment, parce qu'il faut qu'il soit conforme au droit européen, c'est important, sinon vous ouvrez à des contentieux que vous pouvez perdre, et nous n'avons pas l'intention de les perdre. Nous travaillons ce dispositif français, conforme au droit européen. Et puis vous avez raison sur le fait de dire qu'une crise est toujours une opportunité, et je le dis, quand j'ai commencé à parler il y a 6 mois…
BERNARD POIRETTE
C'est pour ça que l'on va parler des trains de nuit, je vous signale.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Aussi, mais quand j'ai commencé à parler de l'avion vert, de l'avion hydrogène, bon tout le monde me regardait avec un sourire satisfait ou semi-satisfait, y compris d'ailleurs les industriels, et je pense que tout ça, cette crise a poussé chacun à agir et aujourd'hui le programme des avions hybrides électriques, de l'avion à hydrogène, est un programme solide. Je ne sais pas dire si ce sera 10 ans, 11 ans, 12 ans pour le faire, mais je sais dire que la France s'y met, que les Français, le savoir-faire français est absolument incroyable, et c'est vrai pour les avions…
BERNARD POIRETTE
En matière aéronautique, oui.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est vrai pour le ferroviaire, nous avons des grands constructeurs d'envergure mondiale, et je pense qu'on est dans un vrai moment où effectivement on peut, par le progrès vert, finalement peut-être combattre ces idéologies de décroissance, qui je crois ne sont pas l'ADN du pays, et puis qui, on le voit se déployer sous nos yeux, font extrêmement mal. La décroissance c'est maintenant et on voit à quel point c'est destructeur d'emploi et à quel point ça chamboule la vie des Français.
BERNARD POIRETTE
Puisque les cartes sont sensiblement rebattues en matière aérienne, est-ce que le terminal 4 de Charles de Gaulle est définitivement abandonné, ou c'est en suspens, ou on va réfléchir, ou ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, il faut rediscuter du projet, parce que vous savez que le terminal 4 prévoyait 40 millions de passagers supplémentaires à horizon 2030, en 2020…
BERNARD POIRETTE
Ce n'est pas gagné.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
... nous pensons que le trafic aérien va au mieux stagner pendant 2, 3 ans, et que la croissance est très largement inconnue devant nous, parce que qui sait comment les Français demain vont voyager, vous savez, toutes ces notions de, le tourisme durable, est-ce qu'on aura toujours des offres, d'ailleurs à des prix raisonnables comme nous les avons aujourd'hui, si nous pensons que demain il peut y avoir des faillites qui se succèdent sur les 18, 24 mois prochains, vous verrez que malheureusement les prix vont augmenter, donc tout ça se regarde de façon extrêmement lucide, attentive, mais c'est vous avez raison, ces grandes questions sont devant nous.
BERNARD POIRETTE
Alors, il y a aussi, j'ai noté que l'usine de La Rochelle d'ALSTOM va produire en 2024 une nouvelle rame de TGV baptisée M, qui sera notamment en matière d'écologie et de recyclable etc., absolument formidable…
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Tout à fait.
BERNARD POIRETTE
Et à l'autre bout de la France, à Reichshoffen, il y a des menaces sur une autre usine ALSTOM. Ça paraît paradoxal. Comment peut-on imaginer fermer une usine qui fabrique des trains ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors, pas fermer, et pas une menace, c'est-à-dire qu'ALSTOM a vocation, en tout cas a l'ambition d'acheter BOMBARDIER.
BERNARD POIRETTE
Oui.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et pour se faire, vous savez que partout dans le monde il y a des règles d'anti-concentration, pour éviter les abus de position dominante, et donc dans le cadre des discussions qu'elle a avec la Commission européenne, l'entreprise ALSTOM a proposé de céder le site de Reichshoffen, qui a évidemment beaucoup d'avenir, ils produisent notamment les TER nouvelle génération, le train à hydrogène, et je ne doute pas…
BERNARD POIRETTE
Et ça continuera à bosser là-bas.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Mais bien sûr, et je ne doute pas qu'il y aura un repreneur, si tant est que la procédure aille jusqu'à ton terme, qu'il y aura un repreneur, parce que ce site a évidemment beaucoup d'avenir.
BERNARD POIRETTE
Alors, une dernière question quand même Jean-Baptiste DJEBBARI, d'ailleurs monsieur CASTEX y a fait référence dans sa prise de parole récente, les trains de nuit, il y en avait plein en France il y a 20 ans, il reste deux lignes actuellement, Paris – Briançon, Paris – Latour de Carol, avec des matériels vétustes, alors qu'on voit qu'à l'étranger le Zurich – Berlin, par exemple, est plein tous les soirs, dans des rames toutes neuves etc. …
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
28 lignes en Autriche.
BERNARD POIRETTE
Absolument, il y a 28 lignes en Autriche, bon, enfin tout ça pour dire que, quand est-ce qu'on va faire Paris – Nice a minima qui a fermé il y a 3 ans, qu'on va peut-être rouvrir, voire Lille – Nice ou Brest – Nice, en train de nuit, correctement ?
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Eh bien nous voulons réengager ce grand mouvement d'ouverture des trains de nuit et avoir au moins deux lignes d'ici à 2022 vous avez parlé du Paris – Nice, c'est évidemment une ligne importante pour nous, et nous allons le faire avec l'ensemble des partenaires, avec SNCF Réseau, vous savez que nous avons engagé aussi un grand mouvement de modernisation des rails, et que les travaux se font essentiellement la nuit. Ça crée parfois des effets d'engorgement. Nous allons travailler sur tout ça, mais je crois que vous avez raison, et c'est notamment des produits, entre guillemets, qui sont attendus par les jeunes. Moi je me souviens d'avoir voyagé beaucoup en train de nuit, ce sont des petits prix…
BERNARD POIRETTE
Moi aussi.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
... et je crois que ça correspond aussi à un imaginaire de voyage qui est tout à fait positif pour les temps que nous connaissons.
BERNARD POIRETTE
Et je rappelle aux auditeurs quand même que les trains de nuit ont un taux d'occupation, évidemment il n'y en a pas beaucoup, de trains de nuit qui circulent, de 72%, contre 67 contre les TGV, qui sont bien sûr beaucoup plus nombreux notamment aux heures creuses. Et un tout tout…
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Il y a un modèle économique assurément …
BERNARD POIRETTE
Il y a un modèle économique, parce que moi je me souviens de l'époque de monsieur PEPY, il y a 7, 8 ans, il disait la même chose monsieur PEPY, et puis finalement il a tout fermé. Cette fois-ci non.
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Eh bien cette fois-ci, la volonté politique est, vous le voyez, portée par le président de la République, donc les choses se feront.
BERNARD POIRETTE
Parfait. Merci infiniment Jean-Baptiste DJEBBARI, ministre délégué aux Transports, sur Radio Classique. Je vous souhaite un bon été, monsieur DJEBBARI…
JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
A vous aussi.
BERNARD POIRETTE
Et puis de bonnes vacances, si vous en prenez, mais ça ne va pas être simple.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 juillet 2020