Texte intégral
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et à 8h19 c'est Frédérique VIDAL, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, qui est mon invitée, bonjour Frédérique VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Bonjour.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous êtes encore ministre, il y a le conseil des ministres tout à l'heure, vous y allez…
FREDERIQUE VIDAL
Exactement, j'y vais en sortant d'ici.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
En sortant d'ici, je vous souhaite de l'être dans le prochain gouvernement qui sera annoncé dans les prochains jours. En tout cas sur votre bulletin de notes vous avez une belle mention, puisque la France est championne du monde en matière d'universités, dans le classement de Shanghai, notamment en mathématiques.
FREDERIQUE VIDAL
Absolument, et c'est vraiment une très grande fierté. Evidemment c'est d'abord le travail des mathématiciens et le travail des établissements que je voulais saluer ce matin, champion du monde en mathématiques, deuxième meilleur au monde en écologie, troisième meilleur au monde en océanographie, enfin nos établissements sont reconnus à leur juste mesure.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Enfin ! Mais, est-ce que c'est un tour de passe-passe, est-ce que vous avez su séduire les Chinois qui font le classement de Shanghai, est-ce qu'en regroupant par exemple nos pôles d'excellence en additionnant par exemple Polytechnique, sur le plateau de Saclay, et l'Ecole normale supérieure, est-ce que vous avez enfin compris comment fonctionnait le classement ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, tout le monde savait très bien comment fonctionnait le classement, mais les outils qui étaient mis à disposition des établissements étaient trop rigides pour qu'ils puissent s'en saisir, donc en 2018 nous avons décidé de leur dire construisez votre projet, construisez votre façon de rayonner à l'international, et on dessinera la boîte qui va bien autour. Et c'est ce qui a permis la création de l'université Paris Saclay, la création de PSL, la création d'UGA, la création de tous ces sites d'excellence, qui ont su garder leur identité, mais être capables de se projeter à l'international ensemble.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Au-delà de faire cocorico, l'objectif c'est quoi, c'est d'aller chercher les meilleurs étudiants étrangers ?
FREDERIQUE VIDAL
Absolument, c'est une question d'attractivité. Les étudiants sont extrêmement mobiles, ils regardent évidemment ce classement, et donc c'est aussi une façon de dire, et de montrer, toute l'excellence de la recherche française.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous redoutez qu'avec l'expérience du confinement on ait moins de vocations cette année sur les campus d'excellence français ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, le nombre de demandes a été strictement identique, c'est-à-dire que les étudiants veulent toujours venir sur nos campus, partout en France, ce qui est difficile, et ce qu'il faut anticiper, c'est les conditions sanitaires à la rentrée, et donc c'est pour ça que les établissements, aussi, se préparent, y compris à pouvoir démarrer les formations à distance si les étudiants doivent prendre quelques semaines ou quelques mois de plus pour venir physiquement étudier dans leurs locaux.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire qu'on sera prêt, en matière de technologie, à assurer l'enseignement à distance si certains étudiants étrangers ne peuvent pas arriver chez nous ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, on a mis 30 millions d'euros pour que les universités et les établissements se préparent, et puis dans le même temps on travaille à l'international pour mettre en place ce qu'on appelle « des campus connectés internationaux », des lieux où les étudiants peuvent se rendre et où ils sont sûrs d'avoir à la fois le matériel informatique, la connexion nécessaire, pour suivre les enseignements.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors ça c'est les bonnes nouvelles, mais il y a aussi des mauvaises nouvelles. Le président de la République, ce matin, dans la presse quotidienne régionale, qui dit « les jeunes seront les premières victimes de la crise », c'est un constat sans doute assez objectif, c'est-à-dire on a cette génération, de 700 à 800.000 étudiants, ou baccalauréat, je ne sais pas, qui vont arriver sur le marché du travail, et qui auront beaucoup plus de mal que les autres générations à trouver du travail, le président le reconnaît. Qu'est-ce qu'il faut faire, est-ce qu'il faut les soutenir, est-ce qu'il faut un plan jeunes ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, nous sommes en train d'y travailler, et c'est évidemment est très très interministériel, puisqu'on essaye de prendre la question sur toute la durée. On a des jeunes qui ont décroché, notamment au niveau de la seconde, et donc il faut évidemment aller les récupérer et trouver des solutions, on a la poursuite dans l'enseignement supérieur après le baccalauréat, où là aussi on augmente le nombre de places pour que ceux qui hésitaient entre aller chercher de l'emploi ou faire des études puissent trouver de la place dans les établissements d'enseignement supérieur. On travaille à tous les niveaux, à la fois avec Gabriel ATTAL, avec Muriel PENICAUD, la question de l'apprentissage, enfin voilà, c'est éminemment interministériel.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce qu'il faut aussi parler gros sous, est-ce qu'il faut parler argent ? Il y a ce débat entre Bercy et certains ministres, dont vous, sur l'argent qu'il faut mettre sur la table, on parle d'un plan qui pourrait aller jusqu'à 8 milliards d'euros, est-ce que vous pensez que l'Etat doit mettre autant d'argent pour soutenir sa jeunesse aujourd'hui ?
FREDERIQUE VIDAL
Moi je pense que, évidemment, nous devons soutenir notre jeunesse, et il faut en fait de trouver les outils qui vont être efficaces et qui vont permettre de le faire. Parfois ça passera effectivement par de l'investissement et par des aides financières, d'autres fois ça passera simplement par des solutions, le soutien à l'entreprenariat par exemple…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
L'exonération de charges, vous êtes pour ?
FREDERIQUE VIDAL
Ça fait partie des choses qui sont en discussion et qui sont sur la table, on va chercher les choses les plus efficaces, mais aucun jeune ne restera sans solution, c'est vraiment la commande que le président nous a passée.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors vos jeunes à vous, si je puis dire, votre domaine d'expertise, c'est surtout les diplômés, l'enseignement supérieur, ceux-là aussi risquent de se retrouver sur le carreau, alors on a longtemps parlé des NEET, « Not in Education, Employment or Training », c'était plutôt des marginaux en général, mais peut-être qu'on va créer des néo-NEET, c'est-à-dire des diplômés, bien diplômés, qui ne trouveront pas de travail à la sortie, c'est leur crainte aujourd'hui avant les vacances d'été, qu'est-ce qu'on peut leur dire ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, là encore un ça fait partie des sujets qu'on est en train de travailler, donc évidemment il faut soutenir leur entrée dans l'emploi…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais comment ?
FREDERIQUE VIDAL
Et ça c'est Muriel PENICAUD qui va faire des propositions en ce sens…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
En exonérant par exemple les entreprises de charges ?
FREDERIQUE VIDAL
Ça fait partie des sujets qui sont sur la table.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pas arbitré encore, ça sera le nouveau gouvernement qui va l'arbitrer, voilà.
FREDERIQUE VIDAL
On a aussi, on le sait, la capacité d'avoir une année supplémentaire de formation, pour avoir des compétences différentes.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce que vous invitez des étudiants à faire une année plus, vu le contexte économique, à se dire que, il vaut mieux dans la génération 2021 que dans la génération 2020 ?
FREDERIQUE VIDAL
Il ne faut pas repousser le problème à la génération 2021, il faut simplement de trouver une diversité de solutions qui permettent que chacun trouve sa place, mais on y travaille vraiment, et je suis convaincue qu'on trouvera effectivement une solution pour chacun.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et pour les étudiants spécifiquement, qu'est-ce que vous avez proposez, vous, au Premier ministre ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, pour les étudiants spécifiquement, il y a eu plusieurs choses qui ont été proposées, d'abord effectivement des 6e année, ou des 4e année, qui permettent d'avoir des compétences supplémentaires, le renforcement de l'apprentissage, c'est très important, parce qu'il y a beaucoup de jeunes qui ne s'engagent pas dans des études supérieures, y compris pour des questions de moyens, et puis un accompagnement, et les établissements y sont prêts, ils le font déjà depuis 2017, on commence à en voir les résultats, avec de meilleurs résultats, moins d'abandons, moins de décrochages, il faut vraiment continuer là-dessus.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche doit être présentée en conseil des ministres normalement mercredi prochain, je ne sais pas si c'est vous qui la porterez, en tout cas, 25 milliards d'euros d'investissement sur 10 ans. Voici ce que dit le CESE, Conseil Economique, Social et Environnemental : cette programmation n'est pas à la hauteur des défis considérables auxquels notre pays doit faire face. Le CESE. Vous n'êtes pas à la hauteur des défis en matière de recherche pour la France ?
FREDERIQUE VIDAL
Alors, moi ce que je réponds au CESE, c'est que si on attend de mettre tout l'argent qui est nécessaire dans la recherche, on ne commencera à jamais, l'important c'est de prendre le chemin. Ça fait 20 ans qu'on n'a pas investi dans le monde de la recherche, ce que propose ce gouvernement c'est un investissement de 25 milliards sur les 10 prochaines années, certes, si on avait 50 milliards on saurait probablement quoi en faire, mais commencer par 25 milliards, dans une période de crise, c'est réaffirmer la confiance dans la recherche.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est bien, parce qu'effectivement ça augmente de 5 milliards par rapport au plan précédent, simplement vous démarrez très lentement, j'ai vu qu'il n'y avait seulement 400 millions d'euros en 2021, donc c'est toujours pour les gouvernements d'après, qu'on leur demande de mettre de l'argent.
FREDERIQUE VIDAL
Non, en réalité, si on injectait d'un seul coup les choses, on ne pourrait pas accompagner le processus, donc c'est une répartition de ces 25 milliards à hauteur de, entre 400 et 500 millions d'euros par an, sur les 10 prochaines années, ce qui au total fera 25 milliards d'investissement, et permettra de passer de 15 milliards actuellement à 20 milliards dans 10 ans.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Les entreprises elles se posent des questions aujourd'hui sur leur budget de R&D, beaucoup ont décidé de supprimer, on a entendu des annonces assez colossales… de supprimer leur budget d'investissement parce que, évidemment, la période est beaucoup plus difficile.
FREDERIQUE VIDAL
Là aussi il y a vraiment quelque chose à faire en termes de maintien des compétences, et ça fait aussi partie des…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Là vous voyez tous ces budgets d'investissement être rayés d'un trait de plume ?
FREDERIQUE VIDAL
Bien sûr, ça fait partie des choses qui ont été aussi proposées par le ministère dans le cadre du plan de relance, comment est-ce qu'on fait pour ne pas perdre ces compétences de R&D, et pour que les entreprises, lorsqu'elles auront retrouvé un équilibre financier, puissent de nouveau investir dans la recherche et développement.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc ça veut dire quoi, ça veut dire que l'Etat va se substituer à elles, va leur payer une partie des investissements, va faire des dégrèvements fiscaux ?
FREDERIQUE VIDAL
L'objectif c'est vraiment que l'on encourage le maintien de ces programmes de recherche…public/privé…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Oui, mais au-delà d'encourager, il faut aider, non ?
FREDERIQUE VIDAL
Ça veut dire qu'il faut qu'on regarde si effectivement on peut se mettre dans la même configuration que les prêts d'emplois, si on peut effectivement garder les ingénieurs, qui actuellement sont payés par ces sociétés, dans des laboratoires mixtes, de manière à ne pas perdre ces compétences.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bruno LE MAIRE nous en avait parlé de ça, ça a avancé ou pas cette possibilité de prendre temporairement des ingénieurs, de les mettre dans des labos, et après de les remettre dans l'entreprise ?
FREDERIQUE VIDAL
Ça fait partie de toutes les propositions….
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais ce n'est pas fait ?
FREDERIQUE VIDAL
Qui ont été faites par mon ministère, et qui sont en arbitrage pour le plan de relance qui sera annoncé par le président de la République.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça sera dans le plan de relance, c'est intéressant… détacher des ingénieurs temporairement et les récupérer dans 2 ans quand ça ira mieux. Une dernière question parce qu'il y a souvent les paroles, et puis il y a les actes, j'ai vu qu'en médecine, les étudiants de médecine de première année, le numerus clausus pour cette année était quasiment identique à celui de l'an dernier, alors qu'on a connu une crise sanitaire sans précédent, j'ai même vu qu'à Paris le numerus clausus avait baissé. Comment c'est possible ?
FREDERIQUE VIDAL
Oui, il n'a pas baissé à Paris, il a baissé dans une des universités parisiennes. L'idée c'est que, on a fait plusieurs choses pour qu'il y ait plus de médecins qui arrivent aujourd'hui sur le marché du travail, la réforme du 3e cycle, la réforme du 2e cycle, la réforme du 1er cycle, l'augmentation du nombre de médecins formés dès la première année on la verra l'année prochaine…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Pourquoi toujours l'année d'après, pourquoi vous ne l'avez pas fait cette année ?
FREDERIQUE VIDAL
Parce qu'il y a eu une très grande augmentation entre l'an dernier et cette année, et ce qu'il nous faut faire maintenant c'est accompagner tous ceux qui, au final, n'ont pas ces concours, et donc ça veut dire qu'on a augmenté ce volume à la fois de primants et de redoublants, et l'année prochaine les redoublants seront dans d'autres filières et on pourra augmenter au niveau des primants, une très grosse augmentation entre 18 et 19, une stabilisation entre 19 et 20, et une nouvelle augmentation entre 20 et 21.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'était peut-être l'année où il fallait augmenter beaucoup vu la pénurie de médecins…
FREDERIQUE VIDAL
Vous savez, les médecins ils sont formés en 14 ans, donc…
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je sais, je sais.
FREDERIQUE VIDAL
J'ai préféré travailler, avec mon collègue, sur le troisième cycle, de manière à avoir plus de médecins, formés déjà, qui arrivent dans les prochains mois et les prochaines années, pas dans 14 ans.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci Frédérique VIDAL.
FREDERIQUE VIDAL
Merci à vous.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ministre à l'Enseignement supérieur et à la Recherche d'avoir été notre invitée, bon conseil des ministres…
FREDERIQUE VIDAL
Merci.
CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
J'espère que ça ne sera pas le dernier, je vous le souhaite en tout cas. A bientôt.
FREDERIQUE VIDAL
C'est gentil, merci beaucoup.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 3 juillet 2020