Déclaration de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État en charge des retraites, sur la pénurie de médicaments en France notamment ceux utilisés en réanimation, Paris le 20 mai 2020.

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Circonstance : Débat sur la pénurie de médicaments en France, à l'Assemblée nationale le 20 mai 2020

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur la pénurie de médicaments en France.

La Conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séquence de questions-réponses.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des retraites et de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-19.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État chargé des retraites et de la protection de la santé des salariés contre l'épidémie de covid-19. Je souhaiterais d'abord remercier le groupe Socialistes et apparentés d'avoir été à l'origine de ce débat. Le ministre des solidarités et de la santé, dont je dépends, ne pouvait y participer,…

M. Jérôme Lambert. On le regrette…

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. …mais il sera présent tout à l'heure et c'est au nom du Gouvernement dans son ensemble que je m'exprimerai devant vous.

J'ai bien écouté l'ensemble des intervenants, en prenant de nombreuses notes, et je m'attacherai à vous répondre. Certaines de vos questions étant récurrentes, nous aurons certainement l'occasion d'y revenir lors de nos échanges. Ne soyez donc pas surpris si je ne me montre pas exhaustif lors de cette première prise de parole.

Sachez d'abord que l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a été saisie dès le mois de février afin de déterminer si certains médicaments pourraient venir à manquer en raison de l'épidémie de coronavirus. L'Agence nous a toujours assuré qu'il n'y avait pas de risque de pénurie s'agissant des médicaments essentiels, aussi bien pour la prise en charge des maladies aiguës que des maladies chroniques. Cela étant, elle maintient une surveillance active et j'estime qu'il convient de reconnaître la qualité de son fonctionnement.

En revanche, c'est vrai, il y a eu et il y a encore des tensions en ce qui concerne les médicaments utilisés en réanimation. Il s'agit bien de tensions et non de ruptures, contrairement à ce que certains ont, je crois, laissé penser.

M. Maxime Minot. Il s'agit bien de ruptures !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Cela a d'ailleurs été dit par Philippe Vigier, nous avons connu une augmentation très significative de l'utilisation des produits nécessaires à la réanimation, de plus de 2 000 %. La France a fait face à cette augmentation, et jamais nous ne sommes tombés en panne sèche.

M. Maxime Minot. C'est faux !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Cela étant, regardons les choses en face. Je crois que c'est ce que vous nous invitez à faire, monsieur le député Lambert : faisons-le ensemble, il me semble que la représentation nationale y est disposée. Depuis plus d'une décennie, ce phénomène de pénurie de médicaments prend de l'ampleur, et ce pour plusieurs raisons. Il est dû aux délocalisations ou encore à l'évolution des pathologies, avec un nombre croissant de maladies chroniques appelant à une consommation plus importante et récurrente de certains médicaments. Ce phénomène a particulièrement augmenté ces dernières années : certains vaccins, antibiotiques et médicaments tels que les anticancéreux ou les antiparkinsoniens, que vous avez cités, sont les plus touchés par ces tensions ou ces ruptures.

Pour pallier ces pénuries, des mesures actives et efficaces ont été adoptées par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020. Je pense à l'obligation de constituer un stock de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur pour quatre mois d'utilisation sur le territoire européen.

Il est vrai, mesdames et messieurs les députés, qu'il convient d'aller au-delà de ces mesures, aussi bien en France qu'en Europe, car la réalité du secteur du médicament est européenne. C'est d'ailleurs ce que vous appelez de vos voeux, mesdames Liso et Deprez-Audebert, tandis que monsieur Door imagine, de manière plus précise, un leader européen en la matière. Vous soutenez les initiatives qui ont été prises dans ce domaine et vous avez, à juste titre, évoqué la récente intervention du Président de la République et de la chancelière allemande.

Un certain nombre de décisions ont déjà été prises, lesquelles portent leurs fruits. Rappelons d'abord que, sur la base de ces constats, Mme la ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn a élaboré une feuille de route dès juillet 2019. À cet égard, vous savez bien, monsieur Lambert – vous ne me reprocherez pas de vous interpeller, car le groupe Socialistes et apparentés a l'expérience de l'exercice des responsabilités –,…

M. Éric Straumann. Ça se passe souvent mal !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. …qu'une feuille de route ne se prépare pas un 4 juillet pour être rendue publique un 18 juillet ; on y travaille pendant plusieurs semaines. Les courriers envoyés par Mme Batho, à propos desquels Mme Pires Beaune et vous-même m'avez interpellé, ont donc été pris en compte.

Mme Christine Pires Beaune. Vous voulez dire Mme Rabault !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Dont acte, si vous souhaitez en avoir l'assurance.

Cette feuille de route sera bien évidemment complétée par l'ensemble des enseignements que nous tirons ensemble de cette crise de la covid-19 : c'est pour cela que nous débattons, et c'était l'objet de mes remerciements liminaires. Vous le savez, le ministre des solidarités et de la santé sera également très attentif aux propositions qui seront faites ; nous aurons peut-être l'occasion de revenir sur certaines d'entre elles, comme celles de Pierre Dharréville.

Notre système de santé est à l'aube de changements majeurs. Les échanges qui auront lieu aujourd'hui et dans les prochaines semaines apporteront des réponses supplémentaires aux questions que nous nous posons plus légitimement que jamais. Voilà, mesdames et messieurs les députés, le message que je souhaitais vous communiquer. Je me tiens prêt pour répondre à vos questions.

Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Je vous rappelle que leur durée, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes sans droit de réplique.

La parole est à Mme Christine Pires Beaune.

Mme Christine Pires Beaune. J'espère que je ne vous apprendrai rien, monsieur le secrétaire d'État, en rappelant que les pharmacies d'hôpitaux s'approvisionnent actuellement en médicaments critiques par le biais de deux circuits. Il y a le circuit classique des fournisseurs habituels pour la majorité des médicaments, lequel connaît des tensions d'approvisionnement. Et il y a un circuit spécifique pour cinq molécules : trois curares et deux médicaments utilisés pour la sédation. En effet, pour ces cinq molécules, l'État a dû réquisitionner les stocks auprès des laboratoires fournisseurs et livre les pharmacies des établissements de santé – les ETS – sur la base de leur consommation et de l'occupation des lits de réanimation.

La situation est particulièrement critique s'agissant du propofol, médicament majeur en anesthésie et en réanimation. Les stocks des pharmacies hospitalières sont très faibles et l'approvisionnement par l'État est très limité, avec seulement quelques flacons d'un dosage qui, de surcroît, n'est pas utilisé habituellement. Les praticiens n'ont aucune visibilité sur les livraisons de ce produit essentiel.

Le ministre des solidarités et de la santé a demandé aux pharmacies hospitalières d'étudier la possibilité de fabriquer des médicaments majeurs injectables pour lesquels l'État dispose de matières premières. L'étude de la faisabilité est en cours, mais, pour certains médicaments complexes, comme le propofol, ce ne sera pas possible.

Ces tensions ont des incidences majeures sur le fonctionnement des pharmacies des ETS : une complexité dans la gestion des approvisionnements et des stocks, avec des remontées plus fréquentes de l'état des stocks sur la plateforme MaPUI des pharmacies à usage intérieur ; une relance continue des commandes auprès des fournisseurs ; un risque iatrogène important à anticiper par les pharmacies hospitalières ; des tris ; des réétiquetages ; une information à fournir aux services pour éviter les risques d'erreur ; et un travail important à fournir pour la reprise de l'activité chirurgicale. À cet égard, compte tenu de l'état des stocks et de l'absence de visibilité sur l'approvisionnement, la reprise de l'activité chirurgicale se fait au compte-gouttes, en essayant d'économiser au mieux les médicaments.

Malgré toutes ces contraintes, les pharmacies des ETS ont su faire face et nous leur devons beaucoup. Mais une question essentielle mérite une réponse claire et précise : quelle est la visibilité, monsieur le secrétaire d'État, sur l'approvisionnement en propofol ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je profite d'avoir la parole pour revenir à la fois sur votre question relative au propofol, madame Pires Beaune, et sur les éléments que vous avez évoqués s'agissant de l'ensemble des produits utilisés en réanimation au cours de la crise de la covid-19.

Je le disais tout à l'heure, j'estime qu'il nous faut être attentifs aux mots que nous employons. Si l'on parle de tensions, c'est parce qu'il y en a, mais cela signifie aussi que nous avons, de tout temps, été en situation de répondre à la demande des médecins, en nous montrant actifs sur les marchés et en acquérant de larges stocks de produits utiles à la réanimation comme le curare. J'estime qu'il est important de le redire.

Vous avez aussi souligné l'engagement des équipes hospitalières et le fait que certains hôpitaux aient été en mesure de fabriquer des médicaments pour répondre à la demande ; nous en tirerons les enseignements et partagerons cette expérience.

En ce qui concerne les curares et les hypnotiques, nous avons dit tout à l'heure que le stock avait certes été largement utilisé, car la consommation avait cru de plus de 2 000 %. Il s'agit effectivement de produits indispensables à la réanimation, mais, lorsque nous nous trouvons face à une surconsommation aussi importante, il faut du temps pour reconstituer les stocks, pouvoir reprendre une activité normale et utiliser ces produits dans d'autres domaines, comme l'anesthésie.

S'agissant du plan d'action que vous avez évoqué…

Mme la présidente. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État.

M. Philippe Vigier. Mme la présidente est sévère ! (Sourires.)

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je vous prie de m'excuser, madame la présidente. Vous constaterez que le sujet m'intéresse.

Comme dans de nombreux domaines, la production industrielle nationale de médicaments peut être saisie et, en l'espèce, elle l'a été totalement. Après vérification de la faisabilité et de la qualité des chaînes de production, il sera aussi possible de fournir des matières premières pour que des sites industriels ou des officines hospitalières produisent ces médicaments. Nous travaillons à cela, y compris pour produire du propofol.

Mme la présidente. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, et je rappelle que la durée des questions et des réponses est de deux minutes.

La parole est à Mme Agnès Firmin Le Bodo.

Mme Agnès Firmin Le Bodo. La pénurie de médicaments est, certes, un phénomène ancien, mais nous constatons tout de même que, entre 2016 et 2017, le nombre de médicaments en rupture de stock a augmenté de plus de 30 %. Ce sont 405 signalements qui ont été effectués en 2016, contre plus de 530 en 2017, et, à ce jour, plus de 800 médicaments manquent très régulièrement. Un Français sur quatre, comme l'a rappelé M. Door, s'est vu refuser la délivrance d'un traitement pour cause de pénurie. L'ANSM a multiplié par plus de vingt le nombre de signalements de pénuries depuis 2008.

Face à ce constat, que nous avons tous fait, plusieurs facteurs sont pointés du doigt : l'approche relative aux matières premières ; la vente de médicaments dans des pays où leur prix de vente est bien plus avantageux qu'en France ; la modification des autorisations de mise sur le marché ; l'instauration d'un système de production à flux tendu ; des augmentations ponctuelles et massives de prescriptions comme dans le cas des curares pour la prise en charge des patients en réanimation atteints du covid-19 – et je crois, monsieur le secrétaire d'État, que l'on peut tout de même dire que certains produits ont connu une rupture. La simple augmentation des volumes de vente est, de surcroît, un facteur important, contribuant à cette importante pénurie de médicaments.

Face à cette pénurie, il convient d'agir dans plusieurs domaines. En premier lieu, l'information doit être améliorée pour mieux signaler les ruptures et, le cas échéant, permettre aux professionnels d'adapter les prescriptions.

Deuxièmement, il convient que l'ANSM travaille avec le Conseil stratégique des industries de santé – le CSIS – pour mieux informer, gérer les stocks, adapter et anticiper ; nous n'anticipons pas assez.  

Cette bataille pour un meilleur approvisionnement en médicaments ne pourra être menée sans une coopération européenne visant à mieux prévenir les pénuries, intégrant notamment une harmonisation des réglementations, des solutions innovantes et des mesures d'incitation financières et fiscales en faveur du maintien ou de la relocalisation des sites de production en Europe. Enfin, la priorité doit être accordée à la recherche, plus précisément à une recherche européenne ; c'est essentiel pour l'avenir.

Je souhaite vous poser deux questions, monsieur le secrétaire d'État : quelle orientation le Gouvernement français prendra-t-il concernant le plan de 500 milliards d'euros annoncé cette semaine par le Président Macron et la chancelière Merkel ? À l'approche de la discussion du PLFSS, pouvez-vous prendre l'engagement d'un moratoire sur la baisse des prix des médicaments ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je vais suivre plus attentivement le chronomètre afin de m'en tenir aux deux minutes imparties.  

Vous avez mentionné à votre tour, madame Firmin Le Bodo, l'action européenne engagée conjointement par le Président de la République et la chancelière allemande. À ce stade, je n'ai pas connaissance des détails du fonds de relance – si tel était le cas, je vous en ferais part bien volontiers –, mais nous pouvons faire l'hypothèse qu'il sera réservé aux secteurs les plus touchés, afin de remédier aux difficultés liées à la pandémie. Il est certain qu'il contribuera à l'augmentation des investissements dans la recherche et l'innovation, que vous avez évoquées, et qu'il bénéficiera donc in fine au secteur de la santé, même si je n'ai pas d'indication sur la part précise qui reviendra à celui-ci.

Vous m'avez interrogé sur l'éventualité d'un moratoire sur la baisse des prix des médicaments. Il convient d'être clair sur la stratégie que nous avons développée en la matière dans notre pays : les baisses de prix sur les produits les plus anciens ont vocation à permettre au plus grand nombre d'accéder aux produits innovants. Tel est le choix stratégique que nous avons fait. Dans ce cadre, je ne vois guère de possibilité pour un moratoire sur la baisse des prix. Cela étant, je veille à laisser une forme d'ouverture : sans doute le niveau de la baisse devra-t-il prendre en considération la santé économique des différents secteurs ; cela me paraît relativement clair.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvia Pinel.

Mme Sylvia Pinel. La pénurie de médicaments n'est pas un phénomène nouveau, mais elle s'impose aujourd'hui à nous avec une ampleur et une force inhabituelle. En pleine pandémie de covid-19, les espoirs se sont vite portés sur la découverte d'un traitement ou d'un vaccin. Depuis lors, une course mondiale contre la montre s'est enclenchée. Il y a, à la clé, un intérêt sanitaire majeur, mais aussi, nous le savons, des enjeux financiers évidents.

S'agissant des traitements, de nombreux essais cliniques ont été lancés, avec l'espoir plus ou moins grand de trouver une molécule efficace en peu de temps. S'agissant des vaccins, environ 120 projets sont menés dans le monde. La France semble d'ailleurs plutôt bien placée en la matière, notamment grâce à l'Institut Pasteur.

Nous nous sommes tous émus des propos du dirigeant du groupe pharmaceutique Sanofi, lequel a annoncé qu'il servirait les États-Unis en premier s'il trouvait un vaccin contre le covid-19. Selon sa logique, le gouvernement américain aurait droit aux plus grosses commandes en raison de son investissement et de sa prise de risque dans la recherche, aux côtés de Sanofi.

Passée la colère, les questions demeurent. Nous savons que la France a débloqué 8 millions d'euros pour le seul essai Discovery, qui porte sur la recherche d'un traitement, mais qu'en est-il de la prise de risque du Gouvernement français dans la recherche sur les vaccins ? Qui plus est, le Gouvernement se prépare-t-il à l'éventualité d'une production de vaccins ou de médicaments à grande échelle ? Car, si l'un ou l'autre des travaux de recherche aboutit, des risques de tensions mondiales sont à prévoir.

M. Philippe Vigier. Absolument !

Mme Sylvia Pinel. Monsieur le secrétaire d'État, l'urgence sanitaire nous oblige à anticiper les risques de pénurie et de rupture de molécules ; sans préjuger du résultat des projets de recherche, il nous faut nous préparer. Quels partenariats ont été noués avec les industriels pour anticiper, qu'il s'agisse de la production des molécules, de leur autorisation de mise sur le marché ou de leur distribution ? Serons-nous en mesure de garantir à chaque Français un accès rapide à un potentiel traitement ou à un potentiel vaccin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Un mot d'abord à propos de Sanofi, le sujet ayant été évoqué également par M. Dharréville et Mme Obono. Vous le savez, le Premier ministre a eu un échange avec le président du conseil d'administration de Sanofi. Il lui a rappelé que l'égal accès de tous aux vaccins n'était pas négociable. Le président du conseil d'administration de Sanofi a donné au Premier ministre toutes les assurances nécessaires quant à la distribution en France d'un éventuel vaccin Sanofi. Vous appelez de vos voeux une réponse collective et coordonnée face à la pandémie. La priorité est bien d'apporter une telle réponse, non seulement avec Sanofi, bien sûr, mais aussi avec l'ensemble des acteurs multilatéraux compétents en la matière.

Par ailleurs, la France est en discussion avec plusieurs industriels pour lancer, dès l'été, des essais cliniques, afin de trouver un vaccin. Il est exact, madame Pinel, qu'aucun vaccin n'est disponible à ce jour. Parmi les 150 vaccins potentiels, vingt sont à un stade avancé, et l'unique piste française à même d'entrer en phase 1 d'essai clinique, dès juillet 2020, est la plateforme vaccinale développée par l'Institut Pasteur.

Sur un total de 7,4 milliards d'euros d'engagements financiers annoncés lors d'une conférence de bailleurs de fonds organisée le 4 mai dernier pour financer la lutte mondiale contre la covid-19, la Commission européenne a déclaré qu'elle mobiliserait 1,4 milliard, et la France, 500 millions. Si l'on considère l'ensemble des financements, le Gouvernement a annoncé la création d'un fonds de 50 millions pour la recherche sur la covid-19 et le lancement d'un appel à projets par Bpifrance, visant des projets collaboratifs à lead industriel couvrant notamment les vaccins.

Il n'en demeure pas moins que la collaboration entre chercheurs doit être européenne et même, sans doute, internationale. La Commission européenne a créé une plateforme européenne de partage de données entre chercheurs, tandis que l'OMS – l'organisation mondiale de la santé – a développé une plateforme de coopération mondiale pour accélérer la recherche. Tel est l'état des lieux, madame la députée.

Mme la présidente. La parole est à Mme Clémentine Autain.

Mme Clémentine Autain. Je n'ai obtenu absolument aucune réponse aux quatre questions concrètes que j'ai posées tout à l'heure à Mme Pannier-Runacher. Si les membres du Gouvernement nous répondent en parlant d'autre chose, je ne vois pas très bien à quoi servent ces séances de débat et de questions. Je vais donc poser une question très simple au sujet des médicaments.

Rappelons d'abord que, depuis plus de dix ans, l'Académie nationale de pharmacie alerte sur la perte de souveraineté entraînée par une dépendance excessive à l'égard de la Chine ou de l'Inde en matière de production de médicaments – plusieurs d'entre nous l'ont relevé. En 2018, la mission d'information sénatoriale sur la pénurie de médicaments et de vaccins, présidée par Yves Daudigny, a indiqué dans son rapport que les conditions de production pharmaceutique de proximité avaient été détruites et qu'il fallait les recréer.

En 2019, un projet de loi relatif à l'organisation et à la transformation du système de santé a été présenté par Mme Buzyn.

M. Laurent Furst. Ils ne la connaissent plus dans la majorité ! Ils ont oublié son nom !

Mme Clémentine Autain. À cette occasion, de très nombreux amendements ont été proposés précisément pour avancer vers l'objectif de produire à nouveau des médicaments en France afin de garantir notre souveraineté en la matière.

M. Laurent Furst. Un pôle public, bien sûr !

Mme Clémentine Autain. Or ils ont presque tous été rejetés dès le stade de la commission pour la bonne et simple raison qu'ils étaient, nous a-t-on expliqué, hors sujet. Désormais, avec la crise du covid-19, ces propositions ne sont plus hors sujet. Je vous pose donc une question extrêmement simple : comment allez-vous vous y prendre pour relocaliser la production de médicaments ? Que dites-vous de notre proposition de créer un pôle public du médicament ? (Applaudissements sur les bancs des groupes FI et GDR.)

M. Alain Bruneel. Bonne proposition ! Nous sommes pour !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Madame Autain, vous soulevez la question de la relocalisation de la production et, de même que M. Dharréville, celle de la création de ce que vous appelez un « pôle public du médicament ».

Rappelons quelques éléments. Avant même la crise sanitaire que nous vivons, une réflexion avait été engagée au niveau national comme au niveau européen sur l'augmentation constatée des ruptures de stock et des pénuries, qui font l'objet de notre débat. Ce n'est donc pas la crise sanitaire qui a déclenché le travail à ce sujet. En dépit d'un contexte de croissance solide de la demande mondiale et européenne de médicaments, liée aux raisons que j'ai évoquées précédemment, notamment le développement de certaines pathologies chroniques, il semble qu'un défaut d'investissement dans les capacités de production de médicaments matures puisse être à l'origine d'une partie des pénuries de médicaments que nous vivons depuis plusieurs années.

Au surplus, la crise sanitaire met en lumière deux autres facteurs industriels contribuant directement aux pénuries de produits de santé, évoqués dans le rapport remis par le Sénat en octobre 2018 que plusieurs d'entre vous ont cité : une flexibilité de l'outil industriel réduite face aux fluctuations de la demande et des difficultés d'accès à certains principes actifs liées à la concentration des fournisseurs de matières premières.

Mme Danièle Obono. Nous savons tout cela, monsieur le secrétaire d'État !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Cela crée effectivement, parfois, des difficultés pour l'approvisionnement et la constitution de stocks.

Nous disons oui à une réflexion sur un pôle public, mais cette question doit être examinée au niveau européen. C'est dans un cadre européen que nous pourrons mener une réflexion réaliste car, je l'ai dit tout à l'heure, le marché du médicament est européen ; c'est la réalité. Oui, dans tous les cas, pour porter ce message au niveau européen et pour sécuriser l'ensemble des approvisionnements, de A à Z.

Mme Danièle Obono. Le ferez-vous ?

Mme la présidente. La parole est à M. Alain Bruneel.

M. Alain Bruneel. Les soignants vous ont alerté à plusieurs reprises non seulement sur le manque d'équipements de protection, mais aussi sur une pénurie de médicaments, notamment de ceux qui sont utilisés dans les services de réanimation et pour les protocoles de fin de vie. Dans certaines zones géographiques, les réserves de certains médicaments étaient comprises entre vingt-quatre heures et cinq jours. Aujourd'hui encore, les livraisons de ces médicaments restent foncièrement sous tension. Or certains médicaments sont essentiels pour une prise en charge correcte des patients, dans le respect de leur dignité. Plusieurs organisations syndicales et associatives ont d'ailleurs déposé, le 30 mars dernier, une requête devant le Conseil d'État pour exiger des mesures d'urgence, afin d'éviter, entre autres, cette pénurie.

Récemment, en pleine crise sanitaire, M. le Premier ministre a reconnu l'existence de tensions très fortes sur certains médicaments nécessaires aux services de réanimation et de soins intensifs. Corroborant ces propos, le ministre des solidarités et de la santé a recommandé d'utiliser les produits concernés avec sobriété, ce qui conduit forcément les soignants à réduire les soins prodigués à leurs patients.

Ces réponses, monsieur le secrétaire d'État, sont loin d'être satisfaisantes. Les politiques de délocalisation ont conduit la France dans une situation de pénurie, y compris pour les médicaments. Il faudrait pouvoir réquisitionner des lignes de fabrication de médicaments non essentiels sur le territoire national et les réaffecter en urgence à la production de ces médicaments indispensables – les députés communistes vous l'ont déjà demandé à plusieurs reprises.

Que ferions-nous en cas de deuxième vague ? Sommes-nous prêts ? L'enjeu sera, comme lors de la première vague, de sauver des vies. Il n'est plus question d'émettre des projections hasardeuses sur ce qu'il sera éventuellement possible de faire. (Applaudissements sur les bancs du groupe GDR.)

Mme Clémentine Autain. Bien dit !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je connais votre engagement en faveur de l'hôpital et je sais que vous connaissez bien le dossier, monsieur Bruneel, mais permettez-moi de vous faire part de quelques éléments et de ne pas être nécessairement d'accord avec vous.

D'abord, il n'y a pas, en France, de ligne de fabrication des produits de réanimation, et on ne peut pas développer de telles lignes de production en deux mois – je pense que vous-même, qui connaissez la chose médicale mieux que moi, en convenez.

Dès lors, quel choix peut-on faire ? Celui que le Gouvernement a fait : importer et sécuriser les volumes de produits nécessaires. Grâce à notre action, nous avons pu acquérir, sur le marché, des volumes significatifs des produits que Mme Pires Beaune et vous-même avez évoqués.

Certes, il y a eu des tensions – je l'ai dit tout à l'heure et, vous l'avez rappelé, le ministre des solidarités et de la santé l'avait dit lui aussi –, mais elles n'ont en aucun cas occasionné de rupture ; c'est un point important. Pour répondre très précisément à votre question, nous sécurisons l'approvisionnement par des importations pour faire face à une éventuelle deuxième vague.

S'agissant de l'avenir, puisque votre question s'y intéressait également, il faudra s'interroger sur les moyens par lesquels toute l'Europe peut collectivement accéder à l'autonomie en la matière – c'est d'ailleurs ce que nous faisons depuis une heure et demie, dans un débat de qualité, je crois. La question de l'autonomie européenne en produits spécifiques à la réanimation est pertinente, et la réponse impliquera sans doute la constitution de stocks stratégiques.

Mme la présidente. La parole est à M. Bertrand Bouyx.

M. Bertrand Bouyx. La France connaît depuis plusieurs dizaines d'années des ruptures de stock de médicaments, aussi bien dans le secteur officinal que dans le secteur hospitalier. Ces pénuries sont préjudiciables d'abord aux patients, auxquels elles font courir des risques supplémentaires, au début de leur traitement, comme dans le suivi et la poursuite de celui-ci. Chaque jour, des professionnels de santé, médecins, pharmaciens et infirmiers, passent de nombreuses heures à chercher des thérapies de rechange pour pallier cette insuffisance, qui pèse lourdement sur l'exercice de leur tâche. C'est une perte de temps pour eux et une perte de chances pour leurs patients. Des médicaments essentiels se trouvent ainsi en rupture de stock : je pense à l'insuline pour les diabétiques, aux anti-infectieux, aux corticoïdes, aux anticancéreux, ainsi qu'aux médicaments de l'anesthésie en réanimation, à cause de la crise du covid-19.

La crise sanitaire exacerbe une situation que nous avions largement anticipée, à savoir la dépendance de la France à l'égard de pays tiers pour son approvisionnement en médicaments. Il s'agit donc d'une crise de souveraineté nationale : 80 % des médicaments vendus en Europe contenant des principes actifs sont importés d'Inde ou de Chine.

Mme la ministre Agnès Buzyn avait proposé une feuille de route pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France. Elle prévoyait, sur le plan international, de renforcer la coordination nationale et européenne, en oeuvrant à l'harmonisation des pratiques réglementaires, en proposant des mesures d'incitation financière et fiscale au maintien et à la relocalisation des sites de production et en favorisant une information partagée sur les pénuries entre pays européens.

Face aux délais de livraison, aux ruptures de fournitures, aux défauts de qualité et à la désorganisation de notre système sanitaire dans la gestion des pénuries, que comptez-vous faire, monsieur le secrétaire d'État, pour appliquer ces mesures, pour rendre la France attractive pour l'industrie pharmaceutique et pour lui permettre de redevenir enfin souveraine dans ce domaine essentiel qu'est la disponibilité du médicament ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. J'ai déjà partiellement répondu à votre question, mais l'intérêt des séances de ce type est de pouvoir étoffer les réponses.

Il est vrai que la crise sanitaire que nous vivons met en évidence la nécessité d'un approvisionnement européen sûr et autonome en produits de santé et en principes actifs, pour la réanimation, mais aussi plus généralement. Ne faut-il pas dresser une liste des médicaments essentiels ?

Le Gouvernement a exposé son projet d'une Europe de la santé, que le Président de la République appelle de ses voeux et que le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, soutient dans ses échanges européens.

La France a proposé que la Commission et les États membres étudient les leviers d'incitation possibles pour développer les investissements dans les capacités de production de principes actifs, de matières premières et de médicaments dans l'Union européenne. Le soutien financier à l'innovation et à l'industrialisation de technologies de production plus performantes et l'adoption de mesures réglementaires visant à harmoniser et à rationaliser les procédures de qualification des lignes industrielles au sein de l'Union européenne constituent deux moyens puissants d'alimenter la politique européenne dont vous formez le souhait. Grâce à votre parcours, vous connaissez les difficultés d'approvisionnement, et la nécessité pour les pays européens de devenir autonomes en la matière.

Mme la présidente. La parole est à Mme Graziella Melchior.

Mme Graziella Melchior. Ma question a déjà été posée, mais j'estime qu'elle est importante et que le sujet vaut la peine qu'on insiste. Afin de limiter les difficultés d'approvisionnement de médicaments d'intérêt thérapeutique majeur, signalées à l'ANSM depuis 2008, ce Gouvernement, comme ses prédécesseurs, a cherché à apporter des solutions durables. Je tiens à saluer ici les travaux de notre ancienne ministre de la santé, Agnès Buzyn, qui, en juillet dernier, a présenté vingt-huit mesures pour lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France. Pour déployer sa stratégie, elle a installé un comité de pilotage, réunissant tous les acteurs, dès septembre 2019. En outre, l'article 48 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a également créé un nouveau mécanisme prévoyant de constituer quatre mois de stock destiné au marché national pour certains médicaments, afin de se prémunir contre une éventuelle pénurie.

Cependant, le contexte de crise sanitaire pose la question de la capacité française à assurer sa sécurité d'approvisionnement en médicaments. En effet, comme cela a été dit, la France dépend de la Chine et de l'Inde pour 80 % de son apport en matières premières pour les composants actifs des médicaments, et lorsque plusieurs régions chinoises se sont retrouvées à l'arrêt pendant des semaines du fait de la pandémie, la pénurie s'est fait sentir, dès le début de 2020.

Pour renforcer notre souveraineté thérapeutique, il faut envisager une restructuration de la chaîne de valeur du médicament. La France a la chance d'avoir dans tout son territoire des petites et des grandes entreprises pharmaceutiques, qui emploient plus de 100 000 personnes. Grâce à leurs capacités de recherche et à leur savoir-faire, elles constituent un secteur innovant et un atout national.

Pourtant, l'industrie pharmaceutique a divisé par deux sa production en France entre 2008 et 2017, au profit d'autres pays. Pour réduire notre dépendance, il est donc temps de rendre toute son importance à ce secteur stratégique. Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous me confirmer que l'industrie du médicament aura sa place dans la politique de réindustrialisation et que vous saurez trouver les leviers économiques nécessaires pour redonner de l'attractivité à ce secteur ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Votre question rejoint celle de Mme Firmin Le Bodo sur l'investissement que le secteur du médicament recevra ; je vous confirme ma réponse. S'agissant de l'attractivité, il est vrai que, depuis le début du quinquennat, nous avons fait des industries de santé un secteur stratégique en la matière. Néanmoins, les événements auxquels nous avons été confrontés ces dernières semaines montrent que nous devons aller beaucoup plus loin – je le dis avec beaucoup d'humilité.

Dès juillet 2018, à l'occasion du conseil stratégique des industries de santé, le Gouvernement a présenté plusieurs mesures visant à améliorer la compétitivité et l'attractivité de notre pays dans le domaine de la santé, plus particulièrement dans les secteurs de la recherche et du développement des bio-médicaments et des thérapies innovantes.

La réduction des délais d'accès au marché faisait partie des principales mesures annoncées ; c'est un élément important, évoqué d'ailleurs à plusieurs reprises ici, sur différents bancs. Je répète qu'elle n'impliquait en aucun cas une baisse du niveau d'exigence sanitaire, celui-ci devant demeurer excellent, mais plutôt une simplification des démarches administratives.

Des mesures incitatives visaient en outre à encourager nos industries à se tourner vers l'innovation. L'installation d'un dialogue plus stable et plus lisible s'est notamment traduite dans les deux dernières lois de financement de la sécurité sociale par la simplification des règles de régulation du marché du médicament et par la définition d'un plancher de 3 % de croissance annuelle pour les médicaments innovants.

Grâce à ces mesures, les industries de santé ont de nouveau pris notre pays en considération pour leurs investissements, en recherche et en production. Une analyse récente de Business France le confirme, puisque notre pays est revenu dans le top 5 des plus attractifs pour les investisseurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Maxime Minot.

M. Maxime Minot. le 27 mars 2019, j'ai déposé sur le bureau de cette assemblée une proposition de loi, inspirée des travaux du Sénat, visant à assurer la continuité du traitement et à renforcer la chaîne du médicament. Le texte faisait déjà suite à un constat clair et alarmant : de nombreux médicaments d'intérêt vital et d'usage quotidien sont concernés par des pénuries à répétition. La liste était longue ; elle s'est encore allongée avec la crise sanitaire que nous vivons, entraînant des situations intenables et inacceptables pour les patients et pour les personnels confrontés au virus.

Quelles en sont les causes ? La première, que nous avons tous citée, est la délocalisation massive des moyens de production ; vient ensuite le système de flux tendu visant à réduire les stocks ; enfin, certains laboratoires peu scrupuleux usent volontairement de stratégies de raréfaction de produits, voire de la production, faute d'une rentabilité suffisante.

Quelles solutions préconisais-je dans mon texte ? Parmi d'autres, je citerai la relocalisation, grâce à un régime fiscal avantageux, avec des abattements importants ; le renforcement du rôle et des moyens de l'ANSM et la responsabilisation des industriels, en rendant public, sur le site de l'ANSM, pour chaque entreprise pharmaceutique, l'historique des ruptures de stock de ses médicaments.

Puisque la majorité a plagié sans vergogne une proposition de loi que j'ai formulée il y a environ un mois, en s'en attribuant le mérite – ce qui constitue une faute déontologique majeure –, pourquoi ne pas avoir agi de même avec celle que je citais ? Davantage encore mise en lumière par le contexte actuel, elle n'aurait certainement pas contribué à tout résoudre, j'en conviens, mais elle aurait permis que nous soyons mieux armés pour affronter le covid-19, et de vous inviter à passer enfin à l'action. Pourquoi donc ne pas écouter l'opposition ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Je ne rentrerai pas dans un débat pour savoir qui est à l'origine de telle ou telle initiative législative ; j'appartiens désormais au pouvoir exécutif et je vous laisse ces controverses, dont j'ai compris qu'elles pouvaient faire l'objet de vives discussions dans les salons voisins de votre hémicycle.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 a renforcé les pouvoirs de régulation et de sanction de l'ANSM. Considérons ce que cette Assemblée a voté : obligation pour les industriels de constituer des stocks de sécurité pour tous les médicaments, allant jusqu'à quatre mois en France et en Europe ; obligation d'approvisionnement, aux frais de l'industriel, de solutions de remplacement en cas de pénurie ; obligation d'information de tout risque de rupture de stock des médicaments d'intérêt thérapeutique majeur ; renforcement sur le site de l'ANSM des informations sur les pénuries – vous pouvez le consulter dès cet après-midi. M. Jérôme Lambert m'a interrogé sur ce point ; j'ai oublié de lui répondre, et je le prie de m'en excuser, mais je saisis l'occasion que m'offre la question de M. Minot pour le faire.

La loi de financement de la sécurité sociale a également renforcé les sanctions financières envers les industriels, notamment en cas de défaut de constitution de stocks : l'incitation est donc forte, puisque des sanctions sont prononcées. Vous direz sans doute que des textes d'application restent à prendre. Ils sont en cours d'élaboration, et il est vrai que cela prend un certain temps. Nous évoquons aujourd'hui la crise sanitaire, parce que c'est l'urgence à laquelle nous sommes confrontés, mais notre volonté est bien de faire appliquer cette loi, et les textes réglementaires seront publiés avant l'été.

Mme la présidente. La parole est à M. Gilles Lurton.

M. Gilles Lurton. L'augmentation du nombre de personnes maintenues en coma artificiel dans les services de réanimation des hôpitaux a entraîné inévitablement une augmentation de la consommation de médicaments anesthésiques utilisés pour la sédation des patients. Le nombre de patients hospitalisés est désormais en baisse. Cependant, nous savons que l'épidémie peut resurgir et que nos hôpitaux peuvent rapidement connaître des besoins importants. La reprise de l'activité chirurgicale dépend aussi de la disponibilité de ces médicaments.

Aussi, monsieur le secrétaire d'État, je souhaiterais obtenir une présentation précise de l'état des stocks au niveau national. Certains disent que la France ne serait pas réapprovisionnée en propofol avant la fin du mois de juin. Qu'en est-il ?

Ma deuxième question porte sur la répartition de ces médicaments : le 27 mars dernier, dans un souci d'optimisation des stocks, vous avez décidé d'instaurer un nouveau système, la répartition de cinq médicaments anesthésiques étant désormais assurée par le ministre de la santé, sur proposition de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, en tenant compte, pour chaque établissement, de l'état des stocks, du niveau d'activité en réanimation, ainsi que des propositions d'allocation des agences régionales de santé.

Or nombre d'établissements de santé dénoncent l'opacité et le manque de lisibilité de cette répartition. Certains reçoivent des produits dont ils n'ont pas besoin en priorité, alors qu'ils ne sont pas livrés en produits attendus. D'autres reçoivent des produits non référencés.

Après avoir exprimé précisément leurs besoins, les établissements obtiennent une réponse fondée sur un calcul global en milligrammes ou en grammes, qui ne prend absolument pas en considération leurs besoins réels. Ils constatent un mélange des fournisseurs, l'absence de prise en compte des dosages, des concentrations différentes. Ce n'est qu'au moment de la réception des produits que les pharmaciens s'aperçoivent du problème, alors que les besoins sont souvent immédiats.

De nombreux exemples de ces difficultés pourraient être cités. Envisagez-vous de revenir à une gestion moins administrative, plus décentralisée et plus proche des besoins ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Monsieur Lurton, j'entends votre question. C'est souvent une bonne idée de chercher les réponses les plus proches du terrain et de choisir le niveau régional plutôt que national.

Vous avez raison de vouloir donner aux établissements de santé de la visibilité sur les différents produits que vous évoquez, puisque c'est nécessaire à la reprise de leur activité normale.

Nous allons demander aux ARS d'échanger pour définir, en fonction des approvisionnements en médicaments nécessaires à la réanimation, à quel rythme la reprise de la chirurgie lourde doit être programmée – puisqu'elle se programme. Ce travail, que nous demanderons aux ARS de mener, sera aussi partagé avec les établissements de santé.

Je ne l'ai pas caché, tout à l'heure, lors de ma réponse à la question de Mme Pires Beaune, qui portait aussi sur notre capacité à fournir du propofol aux établissements de santé : comme nous le savons tous, les tensions persistent, et le retour à la normale n'aura pas lieu avant l'été.

Alors que le volume de consommation de ces produits a atteint plus de 2 000 % de ce qu'il est habituellement, il faut du temps pour retrouver le niveau de stock nécessaire, et pour pouvoir programmer les opérations de chirurgie, notamment lourde, que vous évoquez.

Concernant, plus précisément, le propofol, la situation s'améliorera cet été, comme pour l'ensemble des produits.

Avant de reprendre l'activité à 100 %, afin d'exclure tout risque de rupture de stock, nous envisageons plutôt un redémarrage progressif. Les engagements pris pourront ainsi être respectés, tant par égard pour ceux qui programment les opérations de chirurgie lourde, que pour ceux qui sont opérés.

Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas Turquois.

M. Nicolas Turquois. Ma question est proche de celle de M. Lurton. La crise du coronavirus a nécessité, en milieu hospitalier, l'usage accru de certaines spécialités pharmaceutiques. Face à ces besoins importants, et compte tenu des difficultés de fabrication et d'approvisionnement, les autorités sanitaires ont instauré une gestion centralisée au niveau national des stocks de plusieurs médicaments, notamment le propofol, le midazolam et les spécialités à base de curare.

Si cette gestion centralisée vise à assurer que les hôpitaux les plus exposés à la crise sanitaire aient les moyens d'y faire face, elle n'est pas sans poser d'autres problèmes importants.

Le propofol par exemple, utilisé en réanimation, est quasiment indispensable pour une anesthésie générale. Or, si l'activité hospitalière non urgente a été suspendue dans un premier temps, il devient primordial de réaliser de nouveau des interventions chirurgicales classiques. En effet, de nombreux professionnels de santé nous alertent et soulignent combien il est important de ne plus reporter de tels actes.

Cependant, à défaut de connaître les règles de l'attribution hebdomadaire de cette spécialité, les responsables d'hôpitaux sont incapables de savoir quel volume d'interventions ils peuvent programmer. Comment relancer le fonctionnement d'un bloc opératoire, quand on ne dispose que de quelques jours de visibilité concernant la disponibilité d'un anesthésique indispensable ?

Certains répondront que le propofol peut parfois être remplacé par du midazolam. Mais, pour ce produit aussi, l'approvisionnement est très limité. De plus, sa matière active est fondamentale en soins palliatifs. En outre, les produits reçus sont souvent très disparates : s'ils ont la même matière active, les conditionnements et les dosages sont différents, ce qui augmente les risques d'erreur d'utilisation.

À court terme, quelles solutions envisagez-vous, monsieur le ministre, pour donner de la visibilité à nos hôpitaux, et les approvisionner de manière régulière, tout particulièrement en propofol et midazolam ? Est-il envisageable que nos industriels, voire nos pharmacies hospitalières, assurent très rapidement la production de ces spécialités indispensables ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. On pourrait vous soupçonner, monsieur Turquois, d'avoir travaillé avec M. Lurton, puisque vous posez la même question.

M. Éric Straumann. C'est qu'ils n'ont plus d'idées de questions !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. J'apporterai un complément à ma réponse de tout à l'heure.

Comme je l'indiquais à M. Lurton, les ARS travaillent déjà à faire remonter vers elles les informations sur les stocks des établissements de santé, afin de disposer d'une image de leur volume.

M. Éric Straumann. Et encore des questionnaires !

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Cela permet de décider de la redistribution des stocks.

Il faut aussi que les établissements de santé disposent de visibilité en la matière – sinon, comment pourraient-ils programmer leur activité ? C'est pour cela que nous avons demandé aux ARS de fermer la boucle, et de donner aux établissements de santé eux-mêmes, qui leur fournissent les informations, une image des stocks.

Je le répète : la bonne solution est de reprendre progressivement, en commençant par les chirurgies les plus urgentes, avant de monter en charge.

Mme la présidente. La parole est à Mme Agnès Thill.

Mme Agnès Thill. « Les stocks de médicaments se comptent en jour. Ils sont si réduits que nous n'avons plus accès à certains médicaments. » Monsieur le secrétaire d'État, nous avons tous à l'esprit des appels au secours comme celui-ci, après les avoir entendus de la bouche même du personnel médical. Les tensions, comme vous dites, étaient fortes en Hauts-de-France, dont vous venez.

La raison première ? Près de 80 % des substances actives de médicaments sont fabriquées hors d'Europe. Notre système hospitalier n'a actuellement qu'une visibilité à dix jours pour ces stocks, et nous allons vers de graves difficultés en cas de rebond ou de deuxième vague de l'épidémie.

Ce qui est vrai pour les médicaments l'est aussi pour le matériel de protection – les masques, les blouses, les charlottes et les gants –, que l'on peut qualifier dans certains cas d'inapproprié, tant pour l'usage qui en fait, que pour l'image de l'hôpital public qu'il donne. Non, un sac-poubelle n'est pas une tenue appropriée pour une aide-soignante, même en temps de guerre sanitaire !

De même, on peut regretter que certains professionnels de santé libéraux soient quasiment livrés à eux-mêmes, avec des dotations faméliques : douze masques seulement par semaine pour des podologues d'Occitanie ! Certains orthophonistes sont obligés de demander une dotation spéciale à leur commune, afin de pouvoir reprendre les soins, notamment auprès de leurs patients atteints d'accidents vasculaires cérébraux.

De même, reporter les actes chirurgicaux classiques afin de réserver les médicaments pour les anesthésies et les réanimations des services dédiés au covid-19 ne relève pas d'une politique normale, même en temps de crise sanitaire.

Non, attribuer aux professionnels de santé libéraux une dotation qui s'apparente à une obole n'est pas satisfaisant, même en temps de crise sanitaire.

Ma question est double : quel plan comptez-vous adopter pour que la France retrouve son indépendance sanitaire ? Disposons-nous de stocks de médicaments et de matériel de protection suffisants, en cas de seconde vague de l'épidémie ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. Madame Thill, merci de rappeler à mon souvenir les Hauts-de-France et l'hôpital d'Armentières, qui est cher à mon coeur. Je suis régulièrement la situation, pour celui-ci comme pour le CHU de Lille ; nous sommes de la même région, même si vous venez d'un peu plus au sud que moi.

Si je ne veux pas couper court à nos échanges, madame la députée, j'ai déjà répondu tout à l'heure assez clairement à votre question : nous devons reprendre progressivement les opérations de chirurgie ; les informations sur les niveaux de produits nécessaires doivent être mises à disposition, notamment grâce aux ARS.

Vous avez posé un certain nombre de questions qui me semblent un peu plus polémiques que politiques. Tout à l'heure, lors des questions sur les décisions relatives à la gestion des stocks de masques, vous pourrez échanger avec le ministre des solidarités et de la santé à ce sujet.

Pour ma part, je ne crois pas que les mesures prises par le Gouvernement pour reconnaître l'engagement du personnel hospitalier doivent être considérées comme une aumône. C'est une vraie reconnaissance de la nation vis-à-vis de ceux qui se sont exposés et engagés.

Enfin, comme Olivier Véran l'a dit : il faut coconstruire avec le personnel hospitalier, ce qui sera fait dans les prochaines semaines, vous le savez.

Mme la présidente. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 27 mai 2020