Interview de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée au logement, à Europe 1 le 11 août 2020, sur les enjeux liés à la rénovation thermique des bâtiments.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SÉBASTIEN KREBS
Bonjour Emmanuelle WARGON.

EMMANUELLE WARGON
Bonjour Sébastien KREBS.

SEBASTIEN KREBS
Merci d'être avec nous en direct ce matin sur Europe 1. On l'a appris tout à l'heure, on en parlait dans le journal de 8h00, deux personnes sont mortes cette nuit dans le très violent incendie d'un immeuble d'habitation à Vincennes, tout près de Paris, une femme prise au piège, un homme qui s'est visiblement défenestré. Est-ce que vous avez des précisions ce matin, des éléments sur le type d'immeuble, le type de logement qui a été touché ?

EMMANUELLE WARGON
D'abord mes pensées vont aux victimes, aux deux personnes qui ont succombé, et puis à tous les blessés, et puis j'aimerais aussi rendre hommage aux pompiers, on a beaucoup de pompiers qui ont été engagés dans la lutte contre les flammes. Non, c'est trop tôt pour avoir des informations précises, ni sur la cause de l'incendie, ni sur l'immeuble. Est-ce qu'il y avait un problème avec l'immeuble ? On le saura, je pense, plus tard dans la journée. En tout cas vraiment une pensée pour tous les Vincennois.

SEBASTIEN KREBS
Vous ne savez pas si c'étaient des logements du parc privé ou des logements HLM ?

EMMANUELLE WARGON
Non, l'incendie a eu lieu dans la nuit, je n'ai pas encore les informations.

SEBASTIEN KREBS
Plus largement, la sécurité incendie dans les logements, c'est évidemment central, la loi impose à chacun d'avoir installé un détecteur de fumée, c'est une loi qui est bien respectée, les Français sont-ils suffisamment équipés ?

EMMANUELLE WARGON
Moi je crois que c'est toujours utile de refaire de la pédagogie, de l'information, sur le fait que cette loi existe, que c'est une obligation, parce que ce n'est pas une obligation très facile à vérifier, et dans ces moments dramatiques, je pense qu'il faut rappeler à tout le monde que, oui, il faut avoir un détecteur de fumée et bien sûr un extincteur chez soi.

SEBASTIEN KREBS
Oui, parce que c'est une obligation qui, lorsqu'elle n'est pas respectée, n'est pas sanctionnée.

EMMANUELLE WARGON
Forcément.

SEBASTIEN KREBS
Le logement, en cette période de forte chaleur, en particulier en ville, c'est aussi un facteur important, une source d'inégalités parfois, quand on parle de logements passoires ça vaut aussi pour la chaleur, c'est dans les deux sens, ça vaut aussi pour la chaleur, l'isolation est extrêmement importante.

EMMANUELLE WARGON
C'est vraiment la raison pour laquelle, dans le plan de relance, nous avons décidé de mettre le paquet, de mettre énormément de moyens sur le financement de travaux de rénovation, parce qu'effectivement la rénovation, notamment la rénovation thermique, ça vaut pour quand il fait froid, les passoires, et ça vaut aussi pour quand il fait chaud, puisque les murs ne gardent pas la fraîcheur. Et donc, nous nous apprêtons, en gros, à multiplier par deux les moyens que nous mettons sur les aides aux particuliers, aux ménages, pour que chacun puisse faire des travaux de rénovation chez soi, et nous nous apprêtons aussi à lancer un grand plan de rénovation des bâtiments publics, parce que là on est dans une période de pause, mais on l'a vu pour les écoles par exemple, quand il fait très chaud, quand il fait très froid, les conditions sont très difficiles, et puis c'est vrai pour les hôpitaux, c'est vrai pour les maisons de retraite, donc ça fera vraiment partie des grands axes du plan de relance de la rentrée.

SEBASTIEN KREBS
Le plan de relance qui sera annoncé le 24 août. Il y a des choses que vous avez déjà annoncées, par exemple la performance énergétique fera désormais partie des critères d'un logement décent, ça veut dire qu'un propriétaire, très concrètement, ne pourra plus louer son logement s'il ne fait pas de travaux ?

EMMANUELLE WARGON
Exactement, ça veut dire que… vous savez, il existe un texte qui définit ce que c'est qu'un logement décent, et on ne peut pas louer un logement s'il est indécent. Aujourd'hui, dans les critères, il y a la taille, il faut que ça fasse plus de 9 mètres carrés, il faut qu'il y ait l'eau courante, enfin des choses qui nous paraissent évidentes. On a fixé un seuil énergétique au-delà duquel le logement n'est pas considéré comme décent, ça fait environ 100 000 logements en France, et à partir de 2023 ce sera opposable au propriétaire, c'est-à-dire qu'un locataire dans cette situation pourra exiger du propriétaire qu'il fasse des travaux ou saisir la justice, mais nous, notre objectif c'est que les propriétaires fassent les travaux avant, donc ce n'est pas laisser le locataire se battre avec le propriétaire.

SEBASTIEN KREBS
Comment on fait quand on n'a pas les moyens de faire ces travaux ?

EMMANUELLE WARGON
Ce n'est pas au locataire de faire les travaux, c'est au propriétaire…

SEBASTIEN KREBS
Non, quand le propriétaire n'a pas les moyens ?

EMMANUELLE WARGON
C'est pour ça que les aides, aujourd'hui, à la rénovation, qui n'étaient ouvertes qu'à ce qu'on appelle les propriétaires occupants, c'est-à-dire les gens qui possèdent leur logement, à partir du 1er janvier prochain, seront ouvertes aux propriétaires bailleurs, et donc on pourra aider financièrement, l'État prendra en charge une bonne partie des travaux des propriétaires qui louent, justement pour anticiper.

SEBASTIEN KREBS
Quelle part sera prise en charge ?

EMMANUELLE WARGON
Dans Ma Prime Rénov, en fonction des ressources des personnes, la prise en charge peut aller jusqu'à 80%, c'est très élevé, parce que c'est vrai qu'il y a en France des gens qui louent des logements et qui ne sont pas riches pour autant, qui ont hérité de logements parfois en assez mauvais état, qui n'ont pas les moyens de faire les travaux, qui eux-mêmes ont peu de revenus, et donc ces propriétaires-là vont être très aidés à partir du 1er janvier prochain.

SEBASTIEN KREBS
Alors, l'autre aspect du plan de relance c'est la construction de nouveaux logements, on sait que la pénurie, dans plusieurs villes, alimente la hausse des prix, on entendait tout à l'heure la Fédération du bâtiment qui en appelait à un plan de relance conséquent pour sauver 100 000 emplois. L'État, là aussi, va lancer, va financer la construction ?

EMMANUELLE WARGON
Alors, pour la Fédération du bâtiment, donc pour tous ceux qui travaillent dans le bâtiment et les travaux publics, la rénovation va permettre d'avoir beaucoup d'activité, puisque ça ce sont des travaux qui peuvent se faire vite et qui sont bien faits par des artisans, mais après, vous avez raison, on a encore un manque de logements en France, notamment dans les zones qu'on appelle les zones tendues, la région parisienne la région lyonnaise, et là, le premier facteur limitant c'est les permis de construire. Et donc, la première chose que je voudrais faire à l'antenne ce matin c'est un appel aux maires, les permis de construire, les autorisations d'urbanisme, ont été très peu données, délivrées pendant la période du confinement, c'est normal, tout a fonctionné au ralenti, mais il y a un retard aux permis de construire, et ce retard aux permis de construire il créera un trou d'air dans les constructions l'année prochaine, parce que si les permis ne sont pas donnés cette année, il n'y aura pas de travaux l'année prochaine. Et ça, ça va créer un manque de logements neufs, et ça va aussi alimenter l'augmentation des prix du neuf. Donc c'est vraiment très important que les maires, nouvellement élus, ou réélus, donnent un coup de booster pour instruire plus vite les permis de construire, notamment là où il y a des besoins de logements, et je pense en particulier à la région parisienne, parce que ça, ça va vraiment être un facteur limitant. Après, côté logement social, juste pour finir, moi j'ai vu tous les acteurs du logement social et je leur ai dit que l'objectif de nouveaux logements sociaux, de cette année, on allait le maintenir malgré le Covid, c'est autour, entre 110 000 et 120 000, parce qu'on a besoin de continuer à mettre des logements sociaux sur le marché. C'est pareil, il y a beaucoup de listes d'attente, donc il n'est pas question de se dire il y a la crise, donc tant pis. Donc ils m'ont dit qu'ils étaient prêts à relever le défi avec nous, et donc l'objectif est bien de maintenir de nouveaux logements sociaux sur le marché à hauteur de 110 000 à 120 000. Mais pour ça il faut que la construction neuve puisse fonctionner, et donc pour ça il faut que les permis de construire soient donnés.

SEBASTIEN KREBS
Alors, un appel aux maires, on l'a bien entendu, est-ce que vous lancez aussi un appel aux banques qui, on l'a entendu, sont de plus en plus frileuses, prudentes, et on peut les comprendre, c'est aussi une période de crise pour elles, pour prêter de l'argent et pour favoriser l'accession à la propriété ?

EMMANUELLE WARGON
Alors, il faut être mesuré sur le sujet des banques, parce que comme c'était dit dans votre reportage tout à l'heure, il y a des normes qui ont été édictées par un conseil spécialisé qui s'appelle le Haut Conseil à la stabilité financière, qui dit de faire attention au taux d'endettement des ménages, et c'est vrai qu'il ne faut pas non plus entraîner des ménages dans des situations dans lesquelles ça serait difficile de rembourser, et ça, ça n'a pas de lien direct avec le Covid, c'est des normes qui disent, par exemple, le remboursement ne peut pas être au-dessus d'un tiers des ressources du ménage. En revanche, je pense qu'il faut que les banques continuent à agir avec discernement, et là aussi c'est un appel, pour les secteurs d'activité, parce qu'il y a beaucoup de secteurs d'activité qui ont été très soutenus par le chômage partiel et par les plans d'aide de la dernière période, et on espère que ces secteurs vont pouvoir retrouver leur vitalité rapidement, et donc il ne faut pas de double peine pour les salariés, pour les actifs de ces secteurs d'activité, qui déjà ont été frappés par la crise et qui, en plus, seraient rejetés par les banques.

SEBASTIEN KREBS
Notamment dans l'aéronautique par exemple, dans la région de Toulouse. Un dernier mot, Emmanuelle WARGON, la trêve hivernale a pris fin le mois dernier, le 10 juillet, elle avait été prolongée après le confinement. Ça veut dire aussi que les expulsions ont repris. Vous aviez pris l'engagement qu'aucune expulsion ne serait effectuée sans solution de relogement. Est-ce que cette promesse est systématiquement respectée cet été ?

EMMANUELLE WARGON
Alors, je suis ça de très très près avec tous les préfets qui sont à la manœuvre. Ce que nous avons dit, c'est : pas d'expulsion sans solution, pas forcément de relogement, mais au moins d'hébergement. Et les pointages que je fais, montrent que globalement les préfets appliquent cette instruction et trouvent des solutions d'hébergement. Après, il y a toujours des cas particuliers…

SEBASTIEN KREBS
Mais qui peuvent être très provisoires.

EMMANUELLE WARGON
... Il y a des évacuations de squats, et il y a des cas dans lesquels c'est difficile de trouver des solutions d'hébergement. Mais on fait un effort sans précédent cet été, et derrière il faudra probablement qu'on ouvre plus de places d'hébergement, donc ce sera la question de la rentrée, combien de places supplémentaires il faut ouvrir, sachant que l'hébergement c'est une solution temporaire, ce n'est pas la bonne solution, et que la bonne solution c'est de permettre à chacun d'avoir accès à un logement. Mais ce n'est pas forcément possible d'aller directement d'une expulsion ou d'une sortie, directement à un logement, et c'est pour ça qu'on passe par l'hébergement, c'est-à-dire dans des centres d'hébergement ou dans des hôtels.

SEBASTIEN KREBS
Les associations demandaient, elles, une année blanche en raison de crise, c'est une hypothèse que vous avez écartée.

EMMANUELLE WARGON
C'est une hypothèse que je rejette…

SEBASTIEN KREBS
... d'expulsions.

EMMANUELLE WARGON
... parce que je considère qu'il y a des cas dans lesquels les propriétaires doivent pouvoir aller jusqu'à l'expulsion. Vous avez des locataires qui refusent de payer, des gens qui ne sont pas de bonne foi, vous avez des propriétaires qui ont besoin de récupérer leur appartement, parfois pour y vivre, et donc on ne peut pas bloquer totalement les expulsions, ne serait-ce que parce que sinon les propriétaires ne voudront plus louer, et donc on va finalement participer à la pénurie de logements locatifs. Donc pour moi, la solution ça n'est pas d'interdire sans aucune limite les expulsions, c'est de gérer au cas par cas, avec humanité, pour trouver des solutions à chaque fois que c'est possible.

SEBASTIEN KREBS
Merci beaucoup…

EMMANUELLE WARGON
... et d'ailleurs d'indemniser les propriétaires quand on fait ça.

SEBASTIEN KREBS
Merci beaucoup Emmanuelle WARGON, ministre déléguée au Logement.

EMMANUELLE WARGON
Merci à vous.

SEBASTIEN KREBS
Merci d'avoir été en direct sur Europe 1 ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 août 2020