Entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'État aux affaires européennes, avec "Corriere Della Sera" le 12 août 2020, sur le plan de relance européen.

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Média : Corriere della sera

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Q : Est-ce que le Fonds de Relance sera suffisant pour arrêter les entre les différentes économies européennes ?

R : Il y a beaucoup de travail à faire, même après cet accord indispensable, inédit et inespéré il y a quelques mois encore. Nous nous souvenons bien quand, lors du sommet de la fin mars, la France et l'Italie ont défendu l'idée de la solidarité budgétaire et les tensions qui s'étaient créées. Nous avons constaté une résurgence des fractures entre les pays du Sud et pays du Nord. On n'imaginait pas à l'époque que trois mois plus tard, nous aurions eu un accord sur un plan de relance de 750 milliards d'euros et près de 400 milliards de transferts directs. Mais, en effet, ce n'est pas le point d'arrivée. Il faut un certain nombre de conditions pour ne pas gâcher cette belle réussite. Il est rassurant qu'avant le sommet - et ça a d'ailleurs été une des conditions de son succès - l'Italie, mais aussi, de manière différente, la France et l'Espagne, aient clairement indiqué que le plan de relance ne servait pas à ‘'boucher les trous''. C'est une occasion de transformation. Nous devons maintenant le mettre en pratique, la difficulté commence en quelque sorte maintenant. Mais mieux vaut avoir les moyens d'agir que de devoir les chercher. La France a défendu et continuera de défendre la solidarité européenne.

Q : Quels sont les prochains pas ?

R : Tous les pays mettent en place des groupes de travail, l'Italie le fait aussi, pour identifier les grands domaines sur lesquels les fonds doivent être concentrés - c'est aussi le message du commissaire Paolo Gentiloni. J'ajouterais qu'il ne doit pas s'agir d'une stratégie top down : chaque pays doit identifier ses propres lacunes, les zones prioritaires, les domaines d'investissement. Il y aura ensuite une discussion et une approbation collective. Ensuite, chaque pays disposera de sa propre marge d'autonomie, mais avec un certain nombre de cordes de rappel du collectif européen. En France et en Italie, nous avons pris soin d'éviter de nous retrouver dans un schéma trop intrusif, sur le modèle de la Troïka. Mais il est également normal que lorsqu'il existe une forme de solidarité européenne sans précédent, il y ait aussi une forme de responsabilité de chaque pays, qui doit dire ce qu'il fait en termes de réformes et d'investissements. Si nous restons dans cette logique de solidarité et de responsabilité, nous avons un bon équilibre. On ne peut pas avoir un contrôle vertical du centre, de même qu'on ne peut pas laisser chaque pays agir comme s'il n'avait aucune responsabilité envers les autres. En France, depuis la création de l'euro, on a toujours beaucoup parlé d'un gouvernement économique européen. Aujourd'hui, c'est la plus importante innovation économique depuis la création de l'euro. C'est l'achèvement du budget, ce que nous aurions dû faire dès le début. Maintenant, nous l'avons. Même si c'est de manière limitée et en cas d'urgence, nous avons déclenché un nouvel instrument.

Q : Ne craignez-vous pas qu'une mauvaise utilisation du Fonds de Relance puisse décourager de nouvelles concessions de la part des pays du Nord dans l'avenir ?

R : C'est un risque dans le sens où ceux qui ont le plus besoin de ce plan, qui en bénéficient le plus et qui ont le plus défendu cette idée, y compris la France et l'Italie, ont une forme de responsabilité particulière pour prouver qu'il fonctionne. Mais cela ne me préoccupe pas beaucoup, car j'ai l'impression que tout le monde prend cela très au sérieux. Le fait même qu'avant même le sommet, le président du Conseil Giuseppe Conte ait fait adopter un certain nombre de réformes, que l'Italie travaille déjà sur son plan et ses priorités, et le fait que le commissaire Gentiloni lui-même intervienne avec l'autorité qui le caractérise : je crois que tous les ingrédients sont réunis pour sa bonne réussite. Il faut maintenant que la mayonnaise prenne, c'est une occasion à ne pas manquer. C'est pourquoi il est rassurant de voir que les signes de sérieux sont là. C'est le cas de l'Espagne, de l'Italie. Aucun pays n'a donné l'impression qu'il prenait le plan de relance à la légère. Il faut être rapides, tous les acteurs doivent participer au jeu : la Commission européenne doit être rapide dans l'évaluation des plans. Les pays bénéficiaires - c'est-à-dire tous - mais ceux qui en bénéficient le plus (Italie, Espagne, France, Pologne, Allemagne et les autres) ont maintenant le défi de la mise en oeuvre.

Q : Comment fonctionneront les vérifications ?

R : On en a beaucoup discuté. Les Pays-Bas ont insisté sur les rendez-vous de vérification. Tout le monde devra être très rigoureux et très sérieux dans les discussions collectives. Pas seulement pour dire que quelqu'un d'autre a commis une erreur, mais pour nous demander si collectivement nous investissons dans les bons domaines : le numérique, la transition verte notamment. Il s'agit d'une opportunité collective pour l'Europe d'accélérer cette transition productive et de récupérer du terrain sur les États-Unis et la Chine.

Q : Est-ce que la montée des tensions entre la Chine et les Etats-Unis et la crise du multilatéralisme ont joué un rôle pour encourager les partenaires européens vers un accord ?

R : Il y a un lien entre les deux phénomènes. Les Européens se sont sentis responsabilisés, parce que dans la précédente crise entre 2008 et 2012 ils n'avaient pas été à la hauteur de la réponse, même par rapport aux autres acteurs internationaux. Nous avions failli arriver à une rupture, un pays a failli sortir de l'euro. Je crois qu'il y a eu cette double obsession d'être à la hauteur de ce que nous n'avions pas fait auparavant et d'être à la hauteur dans un contexte international qui est aujourd'hui plus difficile. Le multilatéralisme fonctionne moins bien, les tensions bipolaires entre les États-Unis et la Chine sont beaucoup plus fortes et les grandes instances multilatérales restent nécessaires mais sont de plus en plus bloquées. En effet, par une ironie de l'histoire, cette fois l'ordre des facteurs d'efficacité entre l'Europe et la dimension internationale s'est quelque peu inversé. »


source https://it.ambafrance.org, le 25 août 2020