Texte intégral
Q - Boris Johnson veut changer l'accord sur le Brexit. Il pousse au clash ?
R - Du côté européen, nous avons toujours été calmes, déterminés, et surtout très fermes et très unis. Nous le resterons. Si les Britanniques multiplient les coups de canif dans le contrat, avec l'idée de diviser l'Europe, ça ne marchera pas.
Q - Que dites-vous aux parlementaires qui doivent voter le projet de Johnson ?
R - Que le respect des engagements pris est la base de toute relation de coopération. Le Royaume-Uni est une grande démocratie, il est inconcevable que le gouvernement et le Parlement reviennent sur un texte qu'ils ont eux-mêmes négocié et voté, reniant la parole donnée. Notre intérêt commun est d'avancer et de conclure un accord rapidement sur la relation future.
Q - Certains à Londres demandent la tête de Michel Barnier : son départ changerait les choses ?
R - Ce n'est pas aux Britanniques de choisir le négociateur de l'Union européenne. Michel Barnier est la bonne personne, il négocie depuis le début avec une grande efficacité. Nous lui faisons totalement confiance, il n'y aura aucune mise à l'écart. C'est la position de tous les membres de l'UE.
Q - L'économie française, en cas de non-accord, est prête ?
R - Ce serait une mauvaise nouvelle, mais on se prépare. Le Premier ministre réunira sous peu le gouvernement pour accélérer et intensifier les préparatifs, avec tous les scénarios. Y compris le no deal. Nous protégerons les Français.
Q - La session du Parlement européen prévue à Strasbourg la semaine prochaine a été annulée, pour rester à Bruxelles. Le Covid-19 n'a-t-il pas bon dos ?
R - C'est une mauvaise décision du Parlement européen, nous l'avons dit à son président, David Sassoli. Le siège du Parlement est à Strasbourg, c'est inscrit dans les traités, c'est surtout un symbole de l'histoire, de la réconciliation franco-allemande et européenne. Pas question d'y renoncer. Je me rendrai à Strasbourg lundi pour marquer notre soutien. Nous oeuvrons pour que les parlementaires s'y sentent bien, l'Etat et les collectivités locales investissent énormément - plus de 180 millions d'euros sur trois ans - pour améliorer les conditions de transport et d'accueil. Il y a des préoccupations sanitaires légitimes, mais nous avons justement défini un protocole sanitaire très strict permettant l'accueil de la session dans de bonnes conditions pour les eurodéputés, les personnels et les Strasbourgeois. L'annulation est d'autant plus difficile à comprendre que Bruxelles est aussi en zone rouge ! Nous insistons pour un retour rapide des sessions à Strasbourg, dès octobre.
Q - L'incendie du plus grand camp de réfugiés à Lesbos (Grèce) ravive le drame des migrants : que peut faire la France ?
R - Il y a la réponse d'urgence et d'humanité. Nous sommes prêts à accueillir, dans les prochains jours, une centaine de migrants parmi ceux qui ont vécu le drame du camp de Moria, notamment des mineurs isolés.
Q - Effort exceptionnel, ou changement de pied de la politique de la France ?
R - Depuis 2018, à chaque fois qu'il y a eu des urgences humanitaires douloureuses, comme l'"Aquarius" ou d'autres bateaux, nous avons participé aux efforts de répartition des réfugiés débarqués en Italie ou à Malte, accueillant ainsi quelques centaines de personnes. Nous sommes le seul pays à le faire, avec l'Allemagne. Maintenant, il faut trouver une solution pérenne. La Commission européenne va proposer d'ici à fin septembre un cadre de règles permanent, avec un équilibre responsabilité-solidarité. Il faut à la fois accélérer les retours dans les pays d'origine quand ils sont justifiés. Et assurer une solidarité entre Européens pour que ceux qui ont droit à l'asile soient aussi accueillis dans d'autres pays que ceux où ils sont arrivés. Les pays de l'est de l'Europe doivent prendre leur part.
Q - La Turquie, c'est le grand défi de l'Europe ?
R - M. Erdogan doit renoncer à sa stratégie de menace, voire d'agression. Il peut y avoir avec la Turquie une discussion sur les zones économiques exclusives en Méditerranée, les hydrocarbures, les migrants... Mais aujourd'hui, elle ne peut pas être un partenaire dans ces circonstances. Donc, nous lui demandons d'être dans un cadre de négociation, pas une posture de menace. Quand elle envoie des bateaux dans les eaux de Chypre, ou des avions survoler les territoires grecs ou chypriotes pour provoquer ou inquiéter, qu'elle mène des actions plus dangereuses encore en Libye, il ne faut pas la laisser faire. Sinon, les provocations s'aggraveront. Et l'Europe montrerait à ses citoyens qu'elle ne les protège pas.
Q - Et si ça dérape entre les forces déployées en Méditerranée ?
R - Il ne s'agit pas de faire la guerre. Il faut calibrer les choses, de manière proportionnée, apaisée mais ferme, tout en laissant la main ouverte au dialogue. M. Erdogan sait que le temps où les Européens le regardaient avec timidité ou peur est révolu.
Q - L'Allemagne paraît plus mesurée, c'est un jeu de "good cop-bad cop" (NDLR : gentil flic, méchant flic) ?
R - Non, mais chacun a une histoire différente, une relation avec la Turquie différente, un rapport différent à la puissance aussi. Mais on a fait bouger les lignes, l'Allemagne a compris que la situation en Méditerranée est grave et appelle une réponse.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 21 septembre 2020