Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à Sud Radio le 8 septembre 2020, sur l'épidémie de Covid-19 et le plan de relance de l'économie.

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Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

PATRICK ROGER
Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Patrick ROGER.

PATRICK ROGER
D'un mot, avant de parler évidemment du plan de relance, vous aussi vous êtes à la relance, puisque vous sortez d'une quatorzaine, là, c'est ça ? Vous avez été suspectée…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait, j'ai été mise… suspectée, puisque cas contact, et donc j'ai été isolée pendant 14 jours, j'ai fait mon test, il était négatif, j'ai continué à être isolée 7 jours et là je viens de sortir, vendredi, de cette situation.

PATRICK ROGER
14 jours, c'est un peu long tout de même, non ? Il y a un débat actuellement pour diminuer et passer à 7 jours.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Eh bien l'enjeu c'est de sécuriser et de couper les chaînes de contamination. Donc 14 jours c'est sécurisant, ensuite il y a un arbitrage à faire, s les gens, parce que psychologiquement 14 jours c'est trop long et il faut zéro jour d'isolement, on a tout perdu, donc c'est ça dont il faut prendre la mesure, en particulier lorsqu'on fait les 7 premiers jours et qu'on a un test négatif, c'est vrai que moi, mon entourage était perplexe. Je disais : non non, on peut continuer à développer les symptômes quelques jours après, et en fait on sera tous contents d'être sûr, enfin que…

PATRICK ROGER
Bien sûr, voilà, que tout le monde soit protégé quoi en quelque sorte. Bon, cela dit, pendant ces 14 jours, vous avez eu le temps quand même de travailler…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Tout à fait.

PATRICK ROGER
De faire du télétravail, de penser au plan de relance de l'industrie, de l'économie, parce que c'est quand même capital, et c'est l'une des actualités de cette rentrée, avec l'autre sujet de l'insécurité. Vous avez lancé plusieurs dispositifs, notamment aussi pour essayer de recenser l'ensemble des entreprises et savoir où elles en sont. Vous allez faire du phoning, c'est ça ? Comment vous allez organiser tout ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, d'abord, le plan de relance pour l'industrie on l'a voulu massif avec Bruno LE MAIRE, c'est 35 milliards d'euros pour l'industrie, autour de quatre priorités : la décarbonation, la relocalisation, l'innovation et la modernisation des entreprises, le fait de soutenir leur investissement, de montée de l'appareil de production. On a besoin d'informer les entreprises de ces dispositifs. Et effectivement, au lieu d'attendre que les entreprises se présentent, s'intéressent et demandent « qu'est-ce qu'il y a pour moi ? », on va aller à leur rencontre. On a d'abord préparé, j'ai préparé un document qui sera diffusé et mis en ligne sur le site du ministère de l'Economie, qui décrit, mais vu du point de vue des entreprises : je veux recruter, j'ai un problème de formation, j'ai des besoins d'exportation, je cherche à innover, donc tous les dispositifs auxquels elles peuvent avoir accès, et nous allons les appeler, les services de l'Etat en région vont appeler les entreprises de taille intermédiaire, systématiquement, industrielles, puisque là moi je m'adresse à l'industrie…

PATRICK ROGER
Oui c'est ça, c'est le secteur de l'industrie, ce n'est pas tous les secteurs.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, parce qu'on ne pourrait pas appeler tous les commerçants, et ça serait inefficace. En revanche on peut appeler les 1 000 entreprises de taille intermédiaire industrielles, indépendantes, de ce pays, et les 33 000 PME, et je remercie les CCI qui vont nous prêter main forte sur les PME. L'objectif c'est d'aller très vite. La relance à doit être maintenant. Si elle est dans 2 ans, ça n'a pas de sens, puisque la crise sera passée.

PATRICK ROGER
Oui, c'est-à-dire que les entreprises elles pourront bénéficier de quoi ? Par exemple si elles veulent relocaliser leurs activités, qu'est-ce que vous allez mettre à leur disposition ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Deux choses, Si elles valent relocaliser et qu'elles relèvent d'un des cinq secteurs qu'on a repérés comme étant stratégiques pour des relocalisations, les intrants critiques, c'est-à-dire et les matériaux de base pour fabriquer l'agroalimentaire, la santé, la 5G, toutes les technologies autour du mobile et l'électronique, alors elles déposent un projet très simplement sur le site de BPI, la Banque Publique d'Investissement. Si elles sont dans des territoires, elles relèvent d'autres secteurs, au contraire elles se rapprochent des services de l'Etat en région, elles se rapprochent de leur région et dans le cadre de territoires d'industries, elles peuvent proposer d'autres dispositifs. On a mobilisé un milliard d'euros pour les relocalisations, on accompagne en subventions d'investissement et dans certains cas en subventions de dépenses opérationnelles, notamment pour tout ce qui est sujet de décarbonation. Donc c'est des dispositifs extrêmement profonds et qu'on peut saisir immédiatement.

PATRICK ROGER
Vous pensez véritablement et sincèrement qu'on peut avoir un retour massif du made in France ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je pense…

PATRICK ROGER
Quand on voit toutes les activités qui sont délocalisées, que l'on utilise encore AMAZON et l'ensemble en fait des services pour des produits qui sont fabriqués à l'étranger.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui, lorsque vous achetez des biens de consommation, dans deux tiers des cas vous achetez à l'étranger. Donc ce n'est pas difficile de bouger un tout petit peu sa consommation pour acheter du fabriqué en France, et faire faire un bond au fabriqué en France. Ça c'est le point de vue du consommateur. Ensuite, du point de vue industriel, on ne va pas…

PATRICK ROGER
Le consommateur, est-ce qu'il regarde toujours en fait les choses ? Non, pas forcément.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il a besoin d'informations, il est quand même intéressé par le sujet du fabriqué en France. Après il y a la question du prix, qui est une question légitime, donc il faut prouver que le rapport qualité/prix est meilleur. Il faut être bon on ne va pas faire du fabriqué en France de mauvaise qualité, là on ne gagnera pas la partie. En revanche, si on investit dans la modernisation et si effectivement on est capable de proposer des produits qui ont, ne serait-ce que pour la décarbonation, qui sont moins polluants que des produits importés de très loin, pour le consommateur ça peut jouer, et à terme on sera gagnant, donc c'est de ça qu'on parle. Evidemment le sens de l'histoire c'est d'aller vers les pays low-cost, la facilité, mais si nous sommes, si nous faisons preuve de détermination, c'est très exactement ce que nous faisons aujourd'hui, si les industriels dans les filières relèvent le défi, on est capable de remettre de la production en France, on l'a prouvé dans certains sujets…

PATRICK ROGER
Parce qu'il y avait Benoit, l'auditeur qui était en ligne avec nous juste avant, je ne sais pas si vous l'avez entendu, il disait ; « On n'y arrive pas, etc, à un moment donné il faudra qu'on se pose carrément la question du Frexit ». Qu'est-ce que vous lui répondez à Benoît ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je lui réponds que là on est complètement à côté de du sujet, parce que la relocalisation en France, aujourd'hui les chaînes de production sont en train de se régionaliser, donc la compétition on l'a fait avec le Portugal, on l'a fait avec l'Espagne, donc on l'a fait dans la même zone de l'Union européenne.

PATRICK ROGER
Oui, sauf que l'on n'est pas à égalité, vous le savez…

AGNES PANNIER-RUNACHER
… et vis à vis du Portugal, on ne va pas baisser notre monnaie. Baisser la monnaie française ça veut dire une perte de pouvoir d'achat massif. Qui est prêt à l'accepter ? Vous êtes prêt à accepter 10 % de perte de pouvoir d'achat ?

PATRICK ROGER
Ah mais non, mais ça dépend pourquoi, parce que, et ça dépend à quel niveau. Ce que disait en fait Benoît à l'instant c'est qu'aujourd'hui il regardait, il comparait les niveaux de vie, grosso modo et il y a 25 ans, un jeune qui débarquait sur le marché du travail ce serait l'équivalent de 2 500 €, aujourd'hui il débarque avec 1 500 €, c'est-à-dire que ce sont les plus bas salaires qui sont effectivement difficiles à réévaluer. Ça vous êtes d'accord, c'est plus compliqué aujourd'hui.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je crois qu'il faut remettre les choses en perspective économique, parce qu'en réalité, lorsque vous regardez l'évolution du pouvoir d'achat, il a effectivement stagné ces quelques dernières années, mais il a augmenté ces trois dernières années. Il a augmenté, ça c'est le premier point. Le deuxième point c'est qu'il faut prendre en compte les éléments fiscaux aussi. On est le gouvernement qui avons baissé la charge les cotisations sociales, du côté de l'employé, ce qui lui redonne du pouvoir d'achat, et qui avons baissé également les impôts, et ça se traduit progressivement, mais je veux dire c'est 5 milliards d'euros d'un peu haut sur le revenu qui a baissé cette année, donc les gens qui travaillent sont en train de récupérer du pouvoir d'achat, et il faut continuer, et c'est bien pour ça que dans ce plan, et Bruno LE MAIRE a été très clair aussi sur ce sujet-là, que ce soit les entreprises ou les individus, les particuliers, il n'est pas question d'augmenter les impôts, il faut jouer la relance et la croissance.

PATRICK ROGER
Et pour certains il faut éviter aussi une vague, bien sûr, de plans sociaux. Est-ce qu'il pourrait y avoir des créations qui vont compenser en partie ces suppressions ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Derrière chaque projet d'investissement et chaque projet de relocalisation, vous avez évidemment des emplois à la clé, et c'est bien l'enjeu, c'est-à-dire que notre plan il a deux pieds, il un premier pied qui est de venir en appui des entreprises qui ont des carnets de commandes qui se sont vidés du fait de la crise sanitaire, pour tamponner une partie de leurs plans sociaux, parce que ces carnets de commandes ils ont vocation à se re-remplir, d'ici un an, d'ici 2 ans, peut-être d'ici 3 ans, et c'est tout l'enjeu de l'activité partielle de longue durée, et Elisabeth BORNE est à la manoeuvre pour diminuer l'impact des plans et faire en sorte qu'on conserve les savoir-faire et les compétences et qu'on protège les salariés. Et le deuxième volet c'est effectivement d'investir massivement pour créer de l'emploi. Moi, des dossiers de relocalisation, j'en ai une trentaine sur la table aujourd'hui, avec de 50 à 600 emplois. Donc c'est des petits ruisseaux qui vont faire les grandes rivières.

PATRICK ROGER
Donc ça vient. Donc vous sentez qu'il y a vraiment quelque chose.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Un exemple, le plan auto et à aéro c'est 1 300 entreprises qui nous ont contactés, 1 300 entreprises en un mois dans la torpeur estivale.

PATRICK ROGER
La production de vaccins, SANOFI promet un vaccin qui sera produit véritablement en France, ça, vous avez des assurances ou pas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi j'ai négocié la partie vaccin, je suis la personne qui négocie au niveau européen sur l'ensemble du portefeuille de vaccins qu'on est en train de constituer. Plusieurs choses. D'abord on est extrêmement prudent, c'est-à-dire que, à la fois on veut avoir accès, donner accès aux vaccins pour les Français, et le premier vaccin accessible, mais en même temps on est extrêmement vétilleux, on va dire, rigoureux, sur les études cliniques, et on ne va pas crier au miracle sans avoir vu les résultats, et Olivier VERAN est très rigoureux sur ce point-là. La deuxième chose c'est qu'effectivement on regarde le volet industriel, et s'agissant SANOFI, évidemment, on a travaillé à faire en sorte que leurs propositions de vaccin soit prises en compte au plan européen, et que, en parallèle, une grosse partie de ce vaccin soit produit en France.

PATRICK ROGER
A Vitry-sur-Seine, c'est ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Marcy-L'étoile et… oui, Vitry-sur-Seine. Marcy-L'étoile, je rappelle qu'on remet un site de vaccins, enfin que SANOFI va investir 600 millions d'euros pour un nouveau site de vaccins qui nous redonne de l'élan dans la politique de santé française.

PATRICK ROGER
Question avec Cécile de MENIBUS.

CECILE DE MENIBUS
Un préavis de grève a été déposé par la CGT Cheminots pour le 17 septembre, Jean-Baptiste DJEBBARI, ministre des Transports, parle d'une grève par habitude. Est-ce qu'en temps de crise il faut demander aux syndicalistes, plutôt la paix sociale ? C'est un effort supplémentaire.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, je crois qu'il faut distinguer des situations où la discussion sociale va se tendre, moi je traite des situations de restructurations d'entreprises, où les salariés mettent de la pression dans le dialogue social, parce qu'ils ne se retrouvent pas dans les solutions proposées par les dirigeants de l'entreprise, et ça me paraîtrait aberrant de leur dire "n'utilisez pas ces leviers-là", à un moment où la discussion se crispe autour de la table de négociation. En revanche, effectivement, et je crois que c'est le point de Jean-Baptiste DJEBBARI, 4,7 milliards d'euros, 4,7 milliards d'euros pour le ferroviaire, qui aurait imaginé à la CGT, ne serait-ce qu'il y a 2 mois, qu'on mette 4,7 milliards d'euros pour le ferroviaire ? C'est ça je crois. C'est qu'à un moment il faut saisir aussi les opportunités.

CECILE DE MENIBUS
Donc ça veut dire que la grève est malvenue.

AGNES PANNIER-RUNACHER
On a des opportunités, il y a des opportunités pour renforcer le service public ferroviaire. Je crois comprendre que c'est l'objectif des cheminots, alors soyons dans la construction et la co-construction de ce qu'on peut faire pour améliorer le service public ferroviaire, pour remettre en place des petites lignes, et pour développer le fret ferroviaire ? C'est ça l'enjeu et il ne faut pas se tromper de combat.

PATRICK ROGER
Brièvement, la production de masques, on est autonome maintenant en France ou pas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Aujourd'hui on importe, mais parce qu'on a la liberté d'importer, mais si demain ça s'arrêtait, on serait capable de vivre sur nos ressources propres, à la fois parce qu'on a beaucoup stocké, moi j'ai demandé aux entreprises d'avoir 10 semaines de stocks de masques, et vous savez qu'au niveau du ministère de la Santé il y a des stocks très importants qui ont été constitués.

PATRICK ROGER
Combien ? Vous savez ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Plusieurs centaines de millions.

PATRICK ROGER
Plusieurs centaines de millions ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Plusieurs centaines de millions de masques, tout à fait, et la deuxième chose c'est qu'on produit aujourd'hui 50 millions de masques sanitaires FFP 2 et chirurgicaux par semaine, là où on était à 3,5 en début d'année. Et par ailleurs on est capable de produire 25 millions de masques textiles. 25 millions de masques textiles, c'est quasiment l'équivalent de 500 millions de masques.

PATRICK ROGER
Et les prix peuvent baisser ou pas ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les prix sont en train de baisser.

PATRICK ROGER
Ils sont en train de baisser.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les prix sont en train de baisser, mais je le répète à nouveau, le masque textile lavable, réutilisable, à filtration garantie, c'est plus de 90% de filtration sur la majorité des modèles, c'est tout aussi filtrant pour le Covid, je ne parle pas d'autres types de virus, mais c'est tout aussi filtrant et c'est moins cher et plus écolo que le masque sanitaire.

PATRICK ROGER
Absolument. Merci Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat à l'Economie (sic), d'avoir été notre invitée ce matin…

CECILE DE MENIBUS
Non, ministre déléguée à l'Industrie, pardon, excusez-nous.

PATRICK ROGER
A l'industrie, absolument, j'ai redit à l'économie. Voilà, c'est ça, merci d'avoir été notre invitée ce matin sur Sud-Radio.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 septembre 2020