Interview de M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d'État au tourisme, aux Français de l'étranger et à la francophonie, à BFM Business le 30 septembre 2020, sur le tourisme confronté à l'épidémie de Covid-19.

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Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, on a un ministre sous la main, ça tombe bien, on voit que le gouvernement semble, en tout cas c'est Bruno LE MAIRE, préférer temporiser un petit peu, ne pas se précipiter dans la réponse dont ENGIE, dont vous êtes actionnaire, répondra à VEOLIA. Pourquoi temporiser, Jean-Baptiste LEMOYNE ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors je précise immédiatement que je ne suis pas en charge du dossier, mais ce qui est sûr c'est que, Bruno LE MAIRE l'a dit, redit effectivement, sur des enjeux si importants, je précise que face justement à deux champions nationaux et mondiaux, eh bien il est important de prendre en considération tous les paramètres. Il y a, vous savez, moi je sors d'une campagne sénatoriale…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Où vous avez été élu d'ailleurs, félicitations.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
J'ai été réélu dans l'Yonne, et je remercie les grands électeurs de l'Yonne, où j'ai aussi entendu des préoccupations, des craintes, sur l'impact de telles décisions, donc il est important de tout bien prendre en compte et c'est le sens de l'appel de Bruno LE MAIRE hier, à ce que le temps, le calendrier soit peut-être un peu desserré.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est vrai que les collectivités locales sont les premiers clients pour le traitement des déchets et de l'eau, de SUEZ et de VEOLIA, merci pour ce commentaire Jean-Baptiste LEMOYNE, on verra si les actionnaires et le conseil d'administration d'ENGIE ont envie d'aller vite ou s'ils entendent cet appel à la patience du gouvernement. Jean-Baptiste LEMOYNE, vous êtes ici ce matin bien évidemment pour parler du secteur du tourisme, naufragé, sinistré par cette crise pandémique et économique, et ce n'est pas fini puisque les mesures de reconfinement partiel se sont multipliées à travers le monde, à travers l'Europe. Vous avez l'impression de vivre une deuxième vague Jean-Baptiste LEMOYNE ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, ce qui est sûr c'est qu'on voit une reprise de la circulation active du virus, non seulement en France, mais dans de nombreux pays européens et dans le monde aussi, donc on voit bien qu'on n'est pas isolé dans cette situation, mais l'impact il est massif sur le secteur du tourisme parce que, vous l'avez vu, les flux de voyageurs internationaux ont drastiquement baissé, les compagnies aériennes ont abattu leur voilure, et donc la France, qui était première sur le podium du tourisme international, forcément en subit le contrecoup, mais le Premier ministre a été clair, nous avons été, nous sommes et nous serons, dans la durée, présents aux côtés des acteurs en matière de soutien économique, et c'était le sens d'ailleurs de la réunion d'hier avec les représentants du HCR, l'UMIH, le GNI, SNRT, etc.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, vous justement précisé hier que les dispositifs exceptionnels qui avaient été prévus au moment de la première vague allaient être maintenus, prorogés, pour ces entreprises frappées directement par ces mesures de reconfinement partiel.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Oui. C'est vrai, hier le Premier ministre a dit qu'il allait donner plus de visibilité avec la reconduction, notamment de la mesure de chômage partiel à 100%, reste à charge zéro, pour les entreprises du HCR…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Sans explication, on n'a pas besoin d'expliquer pourquoi, à partir du moment où on est dans le secteur, on bénéficie de la mesure.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Dans le secteur HCR, et donc jusqu'au 31 décembre, parce que la mesure venait à échéance…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc, hôtels, cafés, restaurants.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Parce que la mesure venait à échéance au 31 octobre, donc là on voit bien que compte tenu de la situation il est important de continuer le soutien. Je précise que ce soutien il a été massif depuis le début…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc ce n'est pas 84 %, comme la règle générale, c'est 100% pour ces acteurs-là.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement, 0% de reste à charge, on considère qu'il vaut mieux préserver les emplois, les talents, vous savez, l'hôtellerie, la restauration, c'est de l'accueil, c'est un savoir-faire, et donc, voilà, on met le paquet de ce point de vue-là.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
La deuxième mesure que vous avez annoncée hier c'est ce déplafonnement de l'aide exceptionnelle qui peut être versée mensuellement…

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Le fonds de solidarité.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Le fonds de solidarité, ça va aller jusqu'à 10.000 euros par mois. Alors, c'est à la fois beaucoup pour certaines entreprises, ce n'est pas beaucoup pour les plus grosses, mais ça s'adresse à qui cette aide exceptionnelle de solidarité de 10.000 euros par mois ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors effectivement, le volet 1 du fonds de solidarité, qui est actionné par l'Etat, eh bien il permet de pouvoir éponger un certain nombre de charges fixes, et sont éligibles les entreprises qui ont moins de 20 salariés, moins de 2 millions d'euros de chiffre d'affaires…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Moins de 20 salariés, moins de 2 millions d'euros.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement. J'ai entendu les organisations représentatives demander peut-être qu'on puisse travailler aussi sur ces critères, parce que certaines, qui franchissent ces seuils, peuvent se trouver en difficulté, donc, voilà, on continue le travail. Moi, cet après-midi, je réunis le comité de filière tourisme, comme je le fais de façon quasi hebdomadaire, tout à l'heure nous avons également une réunion sur l'événementiel avec Bruno LE MAIRE, et le 12 octobre le Premier ministre réunira autour de lui le comité interministériel pour le tourisme, donc ça sera l'occasion, au-delà du bilan de la saison estivale, justement de faire un point de la situation économique du secteur, et, le cas échéant, d'adapter certains outils.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ça veut dire, le cas échéant, des nouvelles mesures le 12 octobre ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Ça veut dire que, on est, depuis le début, dans un grand pragmatisme, c'est-à-dire dans un retour d'expérience aussi de la mise en place des mesures, vous savez que le fonds de solidarité il a évolué dans le temps, on montre, encore avec la réunion d'hier, qu'on continue à faire évoluer les choses, donc on est dans ce travail permanent d'itération, parce que, on est, voilà, dans ce travail de co-construction avec le terrain. Je crois que, aujourd'hui, on est passé d'une phase, au début de sauvegarde, à une phase de reprise cet été, et là on est en train de retourner à une phase de sauvegarde parce qu'on voit que l'arrière-saison elle n'est pas là, que c'est donc compliqué pour ces acteurs, et qu'il faut les aider à passer ce cap encore un peu complexe.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Est-ce qu'on peut faire un bilan de cette saison estivale tragique pour le secteur ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Alors, je dirais que c'est une saison où on a quand même un peu sauvé les meubles, parce que les Français sont massivement restés en France… bleu, blanc, rouge, il était là avec 94 % des Français qui sont restés en France, mais c'est vrai que les clientèles lointaines, Russes, Chinois, Américains, n'étaient pas là, les Européens ont joué le jeu, nous avions beaucoup de Belges, de Néerlandais, d'Allemands, de Suisses, mais tout ça fait que, au total, on a sauvé les meubles, mais, pour autant, sur le premier semestre de l'année on est à -50 % de recettes touristiques internationales.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Quand même, -50 % !

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
12 milliards d'euros au lieu de 24, donc c'est vous dire l'impact. Les Français sont moins partis à l'étranger, donc ça a permis de compenser en partie seulement, en partie seulement…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est-à-dire que les 24 milliards ça représente combien du chiffre d'affaires du tourisme en général ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Eh bien écoutez, à l'année c'est 170.000 de recettes quand on prend le tourisme domestique et le tourisme international.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc, 170 divisé par 2 ça fait 85 sur le premier semestre et dont 24 de fréquentation étrangère.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Et là on a perdu 50 %.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Exactement. Mais, mais, mais, je dirais que quand on se regarde on se fait peur, quand on se compare on se rassure. Les Espagnols, ils ont fait du -90%, sur les recettes internationales, les Italiens du -75 %, donc la France, grâce au marché européen de proximité, et moi, avec Atout France, on a fait la tournée de ces pays voisins en disant "vous êtes les bienvenus en France", on a pu quand même avoir ces clientèles-là, qui ont été assez largement absentes d'autres pays.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Jean-Baptiste LEMOYNE, bien évidemment vous avez le nez dans le guidon, vous nous l'avez expliqué, à tout moment il faut s'adapter, simplement si on prend un peu de hauteur, et si cette épidémie s'installe durablement, s'il n'y a pas de vaccin, j'imagine qu'il va falloir réfléchir stratégiquement à la manière dont on réadapte, si on était une start-up on dirait comment on pivote le modèle, peut-être vers les Français, peut-être vers les Européens. Est-ce que vous avez commencé à faire ce travail ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Non, mais c'est vrai qu'on risque pendant encore 1 an, 1,5 an, de devoir continuer à adapter nos comportements, on le sait, et par conséquent moi je crois que, on a redécouvert l'importance et le rôle du moteur de la consommation touristique nationale. C'est vrai que, on l'avait peut-être un peu oublié en mettant les objectifs sur la fréquentation internationale, on disait 100 millions de touristes internationaux en 2020, c'était des objectifs qui avaient été fixés à l'époque par Laurent FABIUS, et il avait raison, il faut avoir de l'ambition dans la vie, mais pour autant cette clientèle touristique domestique elle est cruciale, elle a été, je dirais au coeur de la reprise de l'été, et naturellement on va continuer à travailler pour amplifier ça.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Vous parlez évidemment quasi quotidiennement avec vos homologues aussi en Europe, chargés du tourisme, il y a eu beaucoup de restrictions intra-européennes pendant le confinement, mais encore aujourd'hui, qu'est-ce que vous en pensez, est-ce que c'est du chacun pour soi, est-ce qu'il ne faut pas davantage coordonner, quelle est votre position sur ce sujet ?

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est le message effectivement que j'ai porté lundi, on se réunissait, les ministres du Tourisme de l'Union européenne, avec Thierry BRETON, le commissaire, moi je portais ce message d'une demande de coordination, parce qu'il faut dire les choses. Au début il y a eu un peu de retard à l'allumage, au démarrage…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
On peut le comprendre, mais sauf que maintenant…

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
Le 15 juin, en revanche, on a tous globalement coordonné nos mesures pour lever les obstacles à la circulation entre les pays, et puis fin août on a vu qu'il y avait des petites rechutes de mesures unilatérales, donc je crois qu'il est important qu'on continue à se parler. On a eu un progrès, la semaine dernière, à Bruxelles, on a réussi à se mettre d'accord sur le fait d'avoir un certain nombre de paramètres pour avoir la même approche pour caractériser les niveaux d'alerte, etc., donc c'est un premier pas…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Un premier pas, c'est quand même encore, pardon, mais c'est un peu le bordel, c'est-à-dire qu'en fait, aujourd'hui pour partir en vacances il faut regarder comment, par exemple la Suisse traite tel et tel département français pour savoir si on peut y aller, l'Espagne, l'Italie, le marché unique a disparu.

JEAN-BAPTISTE LEMOYNE
C'est pourquoi d'ailleurs, je le dis à vos auditeurs, ils peuvent aller sur la plateforme Re-open EU, qui est une plateforme lancée sur justement les données, conseils aux voyageurs pour l'Europe, et puis il y a le site des conseils aux voyageurs que le ministère des Affaires étrangères a également, où beaucoup d'informations sont prodiguées, très important à consulter.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je vous avoue que c'est compliqué d'organiser des vacances. Merci beaucoup Jean-Baptiste LEMOYNE, secrétaire d'Etat chargé du tourisme et des Français de l'étranger auprès du Quai d'Orsay, merci d'avoir été notre invité ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 7 octobre 2020