Texte intégral
De toutes les violences, celles exercées à l'égard des enfants sont celles qui scandalisent le plus. Elles créent des traumatismes qui gâchent des vies d'adultes.
Les témoignages des jeunes de plus en plus nombreux qui tombent dans l'enfer de la prostitution sont bouleversants et inquiétants. Les blessures psychologiques de ceux ou celles qui s'en sortent sont longues à cicatriser.
Aucune étude globale ne mesure le nombre de prostitués mineurs mais les associations estiment qu'ils sont 6 000 à 10 000 en France. Ce sont pour beaucoup des jeunes filles, âgées de 13 à 16 ans. Le phénomène prendrait de l'ampleur, notamment dans les cités mais pas seulement. Les réseaux sociaux ont facilité l'action des proxénètes.
Lorsque j'ai présenté le plan de lutte contre les violences faites aux enfants le 20 novembre 2019, je me suis engagé à me saisir du sujet de la lutte contre la prostitution des mineurs. Je me suis également engagé à m'en saisir avec l'humilité qui s'impose dans la mesure où l'ensemble des professionnels s'accordaient à dire, y compris des associations très engagées sur le sujet comme l'ACPE, Hors la Rue.
Comme je m'y étais engagé fin 2019, je suis donc particulièrement fier de lancer aujourd'hui officiellement les travaux de ce groupe, de cette task force. Je suis heureux que soit réuni dans le cadre de ces travaux l'ensemble des professionnels concernés par le sujet et je salue tout particulièrement la présence de l'Education Nationale, du Ministère de la Justice et de l'intérieur.
Je remercie Charlotte Caubel directrice de la Protection Judiciaire de la Jeunesse de sa présence tout comme Virginie Lasserre, Directrice de la Cohésion Sociale au sein de notre ministère.
Je tiens également à dire que je suis particulièrement honoré que Madame la Procureure Générale de la Cour d'Appel de Paris ait répondu favorablement à ma demande présider le groupe de travail.
Je connais Madame le Procureure Générale, votre engagement sur le sujet et votre position déterminée de trouver des solutions concrètes en associant l'ensemble des institutions. Je connais votre persévérance pour faire de la sauvegarde des enfants, des plus vulnérables une priorité.
Non seulement vous avez poussé un cri d'alarme mais vous agissez et démontrez que quand tous les acteurs de la protection de l'enfance se réunissent pour construire une action concertée, ils sont plus forts et que cela marche.
A juste titre vous avez pu rappeler qu'il faut commencer par mettre chacun à sa place, le ou la mineure qui se prostitue à sa place de victime ce dont elle-même n'a pas toujours conscience, celui qui la prostitue à sa place de proxénète malgré la glamourisation qu'il peut s'évertuer à mettre en scène en se considérant à tort comme des lover boy. Non il s'agit de délinquants qui captent la confiance de jeunes filles, , les place dans une dépendance affective, n'hésitent pas à les humilier pour les placer sous leur emprise. Dernière le mot de prostitution des mineurs, il y a une réalité multiple mais il y a toujours une infraction grave, il y a toujours des jeunes victimes déscolarisées, parfois séquestrées.
Agir sur ce sujet est un impératif, le lancement de ce groupe est déjà en lui-même une action forte : agir c'est commencer par briser les tabous, agir c'est commencer par nommer les choses. C'est ce que je souhaite faire solennellement aujourd'hui, jour du lancement de ce groupe de travail. Il doit être dit que les prostitués mineurs sont des victimes, qu'il nous appartient de trouver des solutions pour les protéger davantage, il doit être dit que tous ceux qui prostituent un mineur ou en facilite la prostitution sont des proxénètes ou leur complice, des délinquants y compris les sites de petites annonces tarifées ou les hôteliers ou loueur d'appartement.
Agir c'est également, rassembler nos forces, que tous les professionnels services d'enquêtes, magistrats, éducateurs, médecins, psychologues mettent en commun leur connaissance du sujet et leur savoir-faire pour proposer des solutions concrètes.
Je remercie donc chacun d'entre vous pour votre engagement sur le sujet et sait que vous mesurez combien les attentes sont fortes.
L'objectif prioritaire de ce groupe de travail est de vous permettre de nous proposer une politique publique partagée pour punir sévèrement les auteurs de ces exploitations sexuelles, aider les victimes, accompagner les parents en détresse. Il s'agira également de se situer bien en amont, avant ces passages à l'acte qui abîment tant ces jeunes. Nous devons déployer des actions de prévention en s'adressant aux parents et aux jeunes pour ne pas que leur seul accès à la sexualité se fasse par les réseaux sociaux, la prostitution en ligne ou la téléréalité. Il y a également la question de la formation des professionnels qui apparaît comme un levier essentiel, tant nombre d'entre eux sont démunis.
Vous pourrez vous appuyez sur des travaux précieux qui proposent des pistes sérieuses : j'en citerai notamment trois
- les travaux de l'ACPE (Agire contre la prositution des enfants)
- Ceux de la MIPROF
- Le rapport de la mission interinspection (IGAS, IGA, IGJ) sur l'évaluation de la loi du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel qui met l'accent sur la nécessité de se saisir du sujet de la prostitution des mineurs et formule plusieurs recommandations
La mission relève notamment que sur le terrain des bonnes pratiques se mettent en place quand les professionnels définissent des protocoles. Elle prend l'exemple de ceux initiés par les procureurs généraux de Paris et d'Aix-en-Provence et quelques chefs de juridiction. Elle souligne l'efficacité de ces dispositifs et relève la satisfaction des acteurs à travailler ensemble dans ce cadre.
Elle relève également que l'arsenal législatif est trop mal connu du grand public, voire des professionnels : Si l'interdiction de la prostitution des mineurs semble consensuelle, la promulgation de la loi du 4 mars 2012 et l'arsenal des textes relatifs à la répression des auteurs ou à la protection des victimes qui s'en sont suivis n'ont pas suffi à enrayer le phénomène. La mission observe sur ce point que le principe de l'interdiction de la prostitution des mineurs est très peu rappelé ou commenté dans les débats ou les exposés des politiques publiques déployées en matière de protection de l'enfance. Elle a pu aussi constater qu'il était ignoré du grand public, voire de certains professionnels.
Ces constats, illustrent la nécessité de renforcer la prévention et l'information en direction des enfants et du grand public, la formation des professionnels et les dispositifs de prise en charge des victimes. Elle soulève également la nécessité de repenser un « circuit court » de placement éloigné pour les victimes, l'intérêt de postes de « référents prostitution ou plus généralement Traite des Etres Humains » dans les foyers de l'ASE et l'identification de lieux d'accueil sur l'ensemble du territoire. Elle souligne l'ampleur de la problématique des fugues (fréquentes parmi les mineurs placés en danger de prostitution) et l'intérêt de mettre en œuvre des protocoles de gestion de fugues » déployées dans certains territoires qui engagent les représentants des services de police et de gendarmerie, ceux de l'autorité judiciaire et des services de protection de l'enfance.
Les pistes existent mais je mesure la tâche qui vous incombe pour que nous puissions apporter des solutions. Vos travaux pourront utilement s'articuler avec ceux de chercheurs sociologue, médecin et docteur en psychologique qui mèneront en parallèle sur le terrain une recherche action très concrète.
Je laisse donc la parole à Madame la Procureure Générale de la Cour d'Appel de Paris qui a accepté la lourde charge de présider ce groupe et de diriger les travaux.
Source https://www.lemediasocial.fr, le 16 octobre 2020