Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
La crise du COVID-19, qui, dans tous les domaines, agit à la fois comme un révélateur et un accélérateur des mutations à l'oeuvre aujourd'hui, aura mis en lumière et accru nos dépendances au numérique. Le format même de cette réunion en témoigne.
Avec nos dépendances, le risque est de voir s'accroître les menaces qui pèsent sur nous. Nous l'avons malheureusement constaté au cours des dernières semaines.
Je pense aux cyberattaques menées contre des hôpitaux, notamment à des fins criminelles. Je pense à la propagation en ligne des "infodémies" ou des messages de haine. Je pense à toutes les forces qui concourent à la fragmentation d'Internet, au péril de nos espaces publics et donc de nos libertés.
Rien de tout cela n'est anodin. Car nous savons - et la France, aujourd'hui, ne le sait même que trop bien - que ce qui se passe dans le cyberespace a des conséquences bien réelles, et parfois extrêmement brutales, dans nos vies et dans nos sociétés.
Et devant cette accélération, devant ces dérives, je crois que nous devons redoubler d'efforts pour promouvoir un vrai modèle de régulation du cyberespace, qui fait aujourd'hui figure de principal espace de non-droit du XXIe siècle. L'enjeu, c'est d'y porter les exigences de l'Etat de droit et des libertés fondamentales. Car les révolutions technologiques ne sont que ce que nous faisons ; elles n'abolissent pas la responsabilité politique - au contraire, elles la placent face à des défis nouveaux. J'insiste sur responsabilité politique, car il semble essentiel de rappeler cette dimension.
Mais, en réalité, il s'agit même d'une responsabilité partagée : dans le modèle que nous avons à définir, les règles doivent résulter d'un dialogue entre les Etats, les chercheurs, les acteurs privés et la société civile. C'est une question de légitimité, mais c'est aussi une question d'efficacité.
Cette ambition, c'est bien sûr celle qui a été à l'origine de l'Appel de Paris, lancé dans le cadre de ce même Forum il y exactement deux ans, cela vient d'être rappelé. Aujourd'hui, l'Appel rassemble un millier de soutiens, ce qui en fait la plus grande initiative multi-acteurs du monde en matière de cybersécurité. C'est dire qu'ensemble nous pouvons faire une vraie différence.
Le cap que nous devons suivre est très clair : travailler, au sein du système multilatéral des Nations unies, à définir un cadre normatif international et à jeter les bases d'une gouvernance du cyberespace. Pourquoi les Nations unies ? Parce qu'il s'agit d'une organisation universelle : c'est donc la seule enceinte où puissent être adoptées des normes applicables à tous. Et le domaine de la cybersécurité ne déroge bien évidemment pas à ce principe.
Des travaux importants ont déjà été menés en ce sens, d'abord, par le groupe d'experts gouvernementaux depuis plusieurs années, et, plus récemment, par le groupe de travail à composition non-limitée.
Ces travaux ont permis des discussions équilibrées, en dépit de profondes divergences : chaque pays a pu faire entendre sa voix et livrer sa vision. Ils doivent se poursuivre, dans le même esprit d'ouverture.
Mais il est temps maintenant, nous semble-t-il, de franchir une nouvelle étape.
En mettant en pratique de manière inclusive, concrète et pragmatique les principes que nous avons dégagés. Pour cela, nous avons besoin d'un nouvel outil qui donne à tous les Etats les moyens de mettre en oeuvre les engagements que nous avons pris collectivement.
Afin de mettre en place un tel cadre de long-terme, un tel cadre inclusif, la France et 45 Etats de tous les continents et de toutes les sensibilités ont proposé la création d'un Programme d'Action pour donner suite aux différents processus en cours, car la multiplicité des travaux ne doit pas conduire à la dispersion.
L'objectif de cette initiative, c'est de créer une structure pérenne, sous l'égide des Nations unies, qui permette aux Etats d'atteindre ces objectifs.
Cette enceinte aurait également vocation à créer des espaces de rencontre, des espaces de discussion entre les Etats et les autres acteurs du cyberespace.
Ce Programme d'Action, auquel tous les Etats qui le souhaitent pourront participer, sera, nous en sommes convaincus, un facteur de stabilité et de paix dans le cyberespace, ce dont nous avons urgemment besoin.
Il s'agit en somme, vous l'aurez compris, de donner une traduction institutionnelle concrète, dans le cadre du système multilatéral, à l'élan que nous avons su impulser en 2018, ensemble. J'espère que nous saurons franchir cette nouvelle étape avec autant de détermination collective que nous en avons mis, ensemble, à lancer et à faire vivre notre Appel de Paris.
Je vous remercie de votre attention.
(Réponses à des questions en anglais)
Sur l'Appel de Paris, nous avons pu consulter l'ensemble des soutiens de cet appel, au cours de cette année, pour comprendre leurs préoccupations.
Ils ont tous témoigné d'attentes fortes en matière de normes internationales, sur lesquelles nous travaillons aux Nations unies, et c'est l'objet de l'initiative que j'ai annoncée tout à l'heure, la nécessité d'avoir un programme d'action aux Nations unies.
Mais pour préparer cette initiative, pour y contribuer, nous avons décidé d'explorer des pistes concrètes, parce que la demande forte est une demande de coopération concrète, pour faire progresser de manière effective le niveau de cybersécurité globale. Et nous avons lancé au sein de l'ensemble des acteurs de l'Appel de Paris six groupes de travail pour mettre en place des projets et des solutions qui serviront à tous. L'un de ces groupes portera, par exemple, sur le renforcement des capacités des pays émergents, un autre sur la conception d'un index de stabilité cyberespace, un autre sur le développement d'outils concrets pour améliorer la cybersécurité des soutiens de l'Appel ; tout cela grâce à la mobilisation de l'ensemble des acteurs et aux manifestations d'intérêt que nous avons reçues de très nombreux soutiens qui sont très désireux d'activer l'état d'esprit de l'Appel de Paris.
Voilà ce que nous allons faire dans l'immédiat.
Les groupes de travail, dans l'ensemble de la constellation de l'appel de Paris et la proposition d'un programme d'action au niveau des Nations unies.
(...)
L'essentiel, c'est d'appliquer les normes internationales, et ne pas uniquement nous en tenir aux principes. Et donc, en lançant des groupes de travail, nous voulons faciliter les collaborations pour l'application des normes internationales et développer des outils qui serviront à toute la communauté.
Quand je vois le soutien que nous avons dans cette initiative, je pense que nous sommes là au bon endroit et dans la bonne démarche pour que les normes agréées universellement ne soient pas uniquement des normes en l'air, mais se traduisent très concrètement dans l'action. J'entendais Brad Smith dire tout à l'heure "chacun doit jouer son rôle" ; c'est notre rôle de faire en sorte que les principes se déclinent dans des actions concrètes et c'est précisément pour cela que nous voulons lancer aussi cette initiative du Programme d'Action.
(...)
Oui, j'ai entendu tout à l'heure M. Lauber sur le rôle important de l'Assemblée générale des Nations unies. Et, bien évidemment, je ne contesterai pas son observation. Les Nations unies sont le seul lieu qui permet la discussion d'Etat à Etat et c'est le seul lieu où la prise de décision en matière de paix et de sécurité peut être prise. C'est le fait d'acteurs souverains. Il n'y a rien à dire là-dessus. C'est bien évidemment là que, in fine, se font les décisions et se fait le combat contre l'insécurité et pour la paix.
Pour autant, les technologies du numérique concernent aussi bien les Etats que la société civile et les entreprises. Et les Etats ne peuvent agir seuls. Donc, je pense qu'il est nécessaire de créer des espaces de dialogue et d'échange entre les Etats et les autres acteurs.
Les Etats, sans préjudice de leurs prérogatives, qui sont tout à fait essentielles, doivent pouvoir bénéficier de l'expertise des autres acteurs et prendre en compte leurs préoccupations.
Et c'est ce qui nous a encouragés à lancer l'Appel de Paris. Parce que la composition des acteurs de l'Appel de Paris montre leur diversité et leur complémentarité. Ce qui nous permet d'avoir des consultations très larges et ce qui nous permet d'avoir, aussi, les groupes de travail que j'ai indiqués tout à l'heure pour progresser dans le côté concret des propositions.
C'est aussi la même logique que nous voulons soutenir lors de la mise en place du Programme d'Action sous l'égide des Nations unies.
(...)
L'idée n'est pas du tout de remettre en cause ce qui s'est passé à la fois dans le groupe GGE, ou dans le groupe OEWG. Les avancées objectives ont été importantes et je veux saluer l'action des deux présidents, M. Lauber et M. Patriota, sur le travail qui a été mené au cours des derniers mois dans leurs différents groupes.
Je pense que, maintenant, il est opportun de passer à un format de discussion unique, qui puisse prendre en compte tout ce qui a été fait précédemment, qui puisse s'appuyer sur les acquis des travaux qui ont été effectués, qui puisse se tracer dans la continuité de ce qui a été engagé, mais dans un lieu unique.
C'est pourquoi, nous présentons ce Programme d'Action qui est soutenu par 45 autres Etats du monde entier que ce soit les pays de l'Union européenne, mais aussi l'Egypte, Liban, le Canada, le Royaume-Uni, l'Equateur, le Japon, Singapour... Ce projet a beaucoup de soutiens, beaucoup de parrainages, pour nous permettre de passer à une étape nouvelle, qui soit cohérente avec tout ce que l'on a fait, les uns et les autres, y compris évidemment avec ce qui se passe au sein de l'Appel de Paris. Mais, cela veut dire deux choses pour nous : d'une part, que les Etats ressentent le besoin de créer ce format nouveau, et que d'autre part, nous soyons à même d'agir de manière régulière et de trouver un consensus au niveau international.
Je pense que c'est possible. Peut-être qu'auparavant, cela ne l'était pas. Mais la dynamique de l'Appel de Paris d'une part et le travail qui a été effectué dans les groupes présidés par M. Lauber et M. Patriota d'autre part, permettent à mon sens de progresser pour que nous ayons cette réflexion dans ce programme d'action et que cela puisse aboutir à des propositions concrètes, et rester dans le cadre des Nations unies.
(...)
J'ai bien entendu tout à l'heure, plusieurs intervenants, M. Lauber en particulier, souhaitaient que l'on renforce la gouvernance globale. J'ai entendu aussi la nécessité de renforcer la cohérence, de l'un ou de l'autre. Et je pense que c'est cela, notre rendez-vous. Et si nous avons pris les initiatives peut-être un peu fortes, y compris le programme d'action que nous proposons aujourd'hui, c'est précisément pour aboutir à ce résultat et faire en sorte que nous puissions à la fois développer nos capacités collectives et individuelles, mais aussi faire en sorte de porter assistance aux Etats qui n'ont pas le niveau de technologie correspondant à ceux qui sont les plus avancés, et aussi faire en sorte que nous puissions faire coopérer nos experts dans un seul but qui est d'assurer la sécurité du cyberespace, ce que nous voulons tous, mais que nous devons faire de manière concrète et collectivement volontaire.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2020