Texte intégral
Q - Alors, c'est sérieux cette histoire ? Pardon, Clément Beaune, merci d'être avec nous. C'est sérieux, il pourrait y avoir des retards dans la livraison des vaccins de France parce que l'Europe n'a pas signé des contrats ?
R - Non, d'abord, c'est un travail collectif, comme vous l'avez indiqué, que l'on mène avec la ministre de l'industrie et le ministre de la santé. Je veux être très clair, nous avons fait un choix, qui est un choix nouveau : on dit qu'il n'y avait pas d'Europe de la santé, on essaie de la construire en direct et sur du concret. C'est-à-dire que l'on a décidé, plutôt que chacun parte dans son coin, négocier avec un laboratoire ou un autre, en France, en Allemagne ou en Espagne, et qu'à la fin, que ce serait-il passé, un pays aurait peut-être raflé toutes les doses ou toutes les contrats, peut-être pas la France, peut-être un autre, on aurait eu une sorte de nationalisme sanitaire qui aurait été, je pense, désastreux pour les Français, pour l'image de l'Europe et pour les Européens en général. Donc, nous avons décidé que ce soit l'Union européenne qui négocie, au nom des 27 pays membres, des contrats avec tous les grands laboratoires qui ont aujourd'hui des candidats vaccins bien avancés.
Q - Mais cela empêche les pays, nationalement, de faire des commandes par ailleurs, ou pas ?
R - Cela n'empêche pas, cela leur garantit et, je tiens à le préciser, c'est l'Union européenne qui négocie en notre nom, on vérifie les contrats, c'est l'Union européenne qui finance très largement l'achat de ces vaccins, ce qui est aussi un avantage et ce qui est aussi important ; en plus, quand vous négociez, chacun le comprend, à 450 millions, vous êtes plus fort que quand vous négociez à 65 millions. Donc, c'est aussi un avantage financier.
Q - Donc, cela, c'est la Commission. Alors, vous l'entendez, il négocie avec vous, avec l'Europe pardon, vous représentez l'Europe au gouvernement, et il dit : c'est long, il y a quand même 27 pays, c'est lourd administrativement et donc, ce n'est pas signé. Ce n'est pas signé, Clément Beaune ?
R - Non, justement, c'est moins lourd que si on avait 27 pays procédures différentes, contradictoires etc. Par ailleurs, M. Bancel l'a dit, nous avons eu des contacts avec lui encore hier, il l'a dit, il y a un préaccord, je ne veux pas être trop technique mais c'est important, donc, les paramètres essentiels du contrat sont là, depuis le 24 août, pour être très précis. Là, il y a des derniers détails, je m'en suis assuré encore avec mes collègues du gouvernement, avec la Commission européenne hier, il y a eu un contact d'ailleurs au plus haut niveau, encore hier, entre M. Bancel et la présidence de la Commission européenne pour s'assurer que ce soit vraiment une question de jours ; cela, c'est très important.
Donc, ce contrat existera, c'est une question de jours, et je précise qu'il y a déjà cinq autres contrats qui sont signés avec d'autres grands laboratoires ; on a parlé de la solution de Pfizer et de BioNTech, BioNTech qui est d'ailleurs une startup allemande, européenne, financée dans ses recherches par l'Union européenne. Donc, je veux le dire, l'Europe ne sera pas en retard, l'Europe assure cette protection, l'Europe garantit que nous ayons tous accès, au meilleur prix, au plus vite, aux vaccins.
J'y insiste aussi pardon parce que c'est important, les gens se posent cette question, il n'y aura pas de décalage ou de priorité qui sera donnée, par exemple aux Américains, par rapport aux Européens, dans les choix que font les laboratoires. C'est aussi pour cela que l'on signe très vite, mais c'est vraiment une question de jours, cela se fera.
Q - Moderna, vous nous dites, dans quelques jours, à la fin de la semaine, ce sera signé ?
R - Je ne peux pas garantir à la fin de la semaine, mais c'est vraiment très rapide et le contrat est quasiment prêt, Bruxelles nous l'a assuré.
Q - Alors, il y a une première étape, de toute façon, il faut que ce vaccin soit techniquement validé comme étant sûr, après, il est homologué par une agence européenne. On nous dit que cela se fera avant la fin de l'année. S'ils sont sûrs, l'homologation, l'imprimatur technique, l'autorisation de mise sur le marché, quoi, donc, avant la fin de cette année. Vous confirmez ?
R - Il y a une agence européenne pour centraliser qui s'appelle, effectivement, l'Agence européenne des médicaments, dont le président a annoncé qu'il était capable, mais cela dépend de ce que les laboratoires apportent comme garanties, comme documents, d'ici la fin de l'année. Je crois que chacun comprend, je ne suis pas ministre de la santé, mais chacun comprend que c'est notre intérêt d'Européens, nous faisons au plus vite, tout en assurant que les vaccins sont sérieux et protecteurs, et en assurant la sécurité et la santé des Européens.
Q - Stratégie européenne, Clément Beaune, cela veut dire quoi, en termes de calendrier, tout le monde aura les vaccins au même moment, ou est-ce que tout d'un coup, on peut voir les Allemands, les Hongrois, les Belges vaccinés avant les Français, ou le contraire ?
R - D'abord, on évite effectivement que le vaccin soit dispersé. Et ensuite, il y a la stratégie de vaccination. Nous avons initié, nous la France, sous l'autorité du Président de la République, une coordination européenne pour éviter que chacun définisse ses paramètres, ses priorités dans son coin. Que par exemple l'Allemagne dise qu'elle va vacciner telle catégorie de la population d'abord la France une autre et l'Italie encore une autre.
Q - Attendez, ça, c'est important, cela veut dire qu'il y aura une forme d'harmonie européenne sur les cibles prioritaires ?
R - C'est ce sur quoi on travaille.
Q - C'est ce que vous souhaitez ?
R - C'est ce que nous souhaitons.
Q - Pourquoi ?
R - Parce que, je pense, et vous le voyez, d'ailleurs, tant mieux, que chacun regarde ce qui se passe en Europe. On l'a vu même dans les mesures sur le confinement, sur le couvre-feu, sur l'ouverture ou la fermeture des commerces, chacun regarde ce qui se passe chez le voisin, c'est normal. Et donc, vous imaginez, si en France on disait : nous, on a fait une stratégie qui est ABC, et les Allemands c'est CAB...
Q - Vous dites donc que si, par exemple, les Allemands vaccinent les personnes âgées avant des personnes atteintes de certaines pathologies etc., et que la France fait autrement, ça posera des polémiques dont vous voulez faire l'économie, est-ce cela ?
R - Ce que je veux dire, c'est que notre ministre de la santé Olivier Véran, regarde notre stratégie de vaccination, lui-même et les autres membres du gouvernement, discutent avec les Allemands et d'autres Européens pour voir quelles sont leurs réflexions et leurs priorités, je crois que c'est une bonne pratique, et essayer, ce n'est pas une contrainte, c'est un avantage, d'avoir les mêmes pratiques au même moment.
Q - Les objectifs, donc, c'est cette harmonie-là, le calendrier aussi. Que se passerait-il Clément Beaune, si un pays de l'Union européenne décidait de vacciner avant, sans attendre, par exemple, l'homologation ?
R - D'abord, dans chacun de nos pays, il y a une procédure double, qui est européenne, avec cette Agence européenne des médicaments, pour que l'on ait une évaluation commune. Et puis, ensuite, nous avons en France une agence qui s'appelle l'ANSM, dans d'autres pays une autre procédure, qui donne une autorisation nationale. Je crois qu'il n'est pas question, pour ce vaccin, comme pour les autres, de ne pas être sérieux, de ne pas respecter une procédure, d'aller contre une autorisation. C'est notre garantie sanitaire.
Q - Vous le redoutez, ou pas ?
R - Non, on ne le redoute pas, mais simplement j'explique.
Q - Parce que l'on a bien vu, chacun fait un peu comme il pouvait, dans son coin, sur la question sanitaire.
R - Non, sur la question des vaccins, je crois, encore une fois, je ne suis pas le ministre de la santé, mais j'explique : il y a un cadre européen, c'est très important, et il y a nos procédures sanitaires, parce qu'on ne va pas se précipiter, sans vérifier comment fonctionne le vaccin.
Q - Selon Les Echos du début de la semaine, les premières livraisons pourraient intervenir dans le courant du mois de janvier. Est-ce que ce sera tenable ?
R - C'est ce que disent les laboratoires, si les vaccins sont autorisés, et nos processus industriels sont activés pour que nous ayons effectivement une disponibilité le plus tôt possible. Dans un bon scénario, cela pourrait être disponible à partir du début de l'année. Ensuite, il faut organiser la vaccination qui est un défi de santé publique, de logistique, d'organisation et nous le préparons dès maintenant.
Q - D'accord. Quand Les Echos parlent des premières livraisons, c'est des livraisons au niveau européen, pas forcément la redistribution dans tous les pays ?
R - Cela ira en même temps.
Q - Parce que nous, on entend : premières vaccinations en janvier. Vous dites : attention, ce n'est pas forcément cela ?
R - Aujourd'hui on ne peut pas le dire, ce n'est pas à moi de vous dire à quelle date on commence la vaccination puisqu'il y a encore un certain nombre de vérifications. Ce que nous faisons et c'est notre responsabilité, c'est que nous nous assurons que tout est mis en oeuvre, y compris sur le plan de la production industrielle, c'est ce que fait la ministre de l'industrie, pour que partout en Europe, évidemment en France, pour ce qui nous concerne, on ait des solutions, les doses, rapidement disponibles. Donc, on fait le contrat, financé par l'Union européenne, livraison aussi rapide que pour les Américains, pour pas qu'un laboratoire choisisse les Etats-Unis contre les Européens ; d'où, aussi, l'importance de le faire ensemble, on est plus fort. Et puis, dans chaque pays, en se coordonnant, en discutant de bonnes pratiques comment on organise la vaccination et comment on produit.
Q - Il faut que cela soit obligatoire, ou pas ?
R - C'est un débat que nous avons. Le gouvernement y réfléchit. Ce n'est pas à moi de le décider, c'est une question de santé publique.
Q - Vous avez une conviction, vous-même ?
R - Une conviction personnelle ?
Q - Oui.
R - Je ne pense pas que ce soit le bon débat, parce que je crois qu'il faut d'abord expliquer et construire la confiance.
Q - Et vous pensez donc que l'obligation va à rebours de la confiance que l'on veut établir ?
R - Je ne veux pas, honnêtement, entrer sur ce débat, parce que je n'aime pas quand on confond les voies.
Q - Arnaud Montebourg qui était à votre place, ancien ministre, disait, quand je lui demandais s'il se ferait vacciner : oui, si... enfin, il n'a pas dit oui. Cela vous semble une attitude... ?
R - Je raisonne en tant que citoyen, je pense que dans la période actuelle, on voit trop sur les plateaux de télévision, des gens qui vous donnent, avec une expertise parfois discutable, leur avis sur la santé publique ; il faut être sérieux, donc le gouvernement décidera et c'est le ministre de la santé qui l'expliquera. Il faut être précis.
Q - Est-ce qu'il pourrait y avoir un M. vaccin au gouvernement ?
R - On a un ministre de la santé, je crois.
Q - Est-ce qu'il pourrait y avoir, à côté du ministre de la santé, un monsieur, ou une madame, chargée précisément de ce dossier, très sensible et très crucial, de la vaccination ?
R - Ecoutez, il faut voir s'il y a un besoin, moi, je ne vois pas aujourd'hui qu'il y ait un manque ou un besoin. Ensuite, le ministère de la santé verra comment il s'organise. Mais il y a une coordination. Je peux vous dire, pour celle à laquelle je participe, entre, notamment l'Europe, pour mener cette stratégie commune, l'industrie, c'est Agnès Pannier-Runacher, la ministre de l'industrie, pour assurer que la production est efficace, au plus vite, et puis le ministre de la santé qui définit les principes sous l'autorité du Premier ministre et du Président. Donc, c'est organisé.
Q - Le Président prendra la parole la semaine prochaine ?
R - Le porte-parole du gouvernement a indiqué qu'il y aurait effectivement une intervention du Président.
Q - Une prise de parole pour accompagner le confinement, nouvelle étape, confinement adapté, une nouvelle fois, c'est ce qui va nous être précisé. J'ai une petite question sur la question économique à laquelle vous ne pouvez pas être insensible : aujourd'hui, votre confrère, ministre de l'économie, Bruno Le Maire, a indiqué, a demandé, même, un décalage du Black Friday, qui est cette grande journée commerciale avec des soldes et qui se passera, évidemment, avec des petits commerces fermés, en ligne, essentiellement, avec les opérateurs que l'on connaît. C'est habile de demander cela ? Et d'abord, est-ce que cela peut avoir la moindre chance d'être entendu ? Et à quel titre ?
R - Le ministre de l'économie a été clair. Il se bat chaque jour, avec tout le gouvernement, pour soutenir les petits commerces qui aujourd'hui, cela ne vous a pas échappé, sont pour beaucoup d'entre eux fermés, par obligation, par contrainte sanitaire. Donc, je crois que c'est un appel à la responsabilité et à l'équité, qu'a passé Bruno Le Maire. Il ne s'agit pas d'être toujours dans une loi ou une contrainte, mais je crois que ce serait sain que ceux qui ont, comme les plateformes numériques, beaucoup profité, parfois les grandes surfaces, de cette situation économique où les autres, leurs concurrents, ne pouvaient plus agir, qu'ils aient la décence d'éviter d'aggraver la situation. Je crois d'ailleurs qu'à long terme, c'est leur intérêt parce qu'il n'y a pas de commerce qui se porte bien sans le petit commerce.
Q - Vous espérez que ce sera entendu.
R - Oui.
Q - Eh bien, on le saura très vite, vraisemblablement. Merci.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 20 novembre 2020