Déclaration de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, sur l'alimentation locale et durable, au Sénat le 17 novembre 2020.

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Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, sur le thème : "Alimentation locale et durable."

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes ; le Gouvernement répond ensuite pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier le groupe RDPI d'avoir pris l'initiative de ce débat, crucial pour nos concitoyens, sur l'alimentation et l'agriculture saine et durable.

Vous l'avez évoqué, monsieur le sénateur, ce débat est inscrit de longue date à l'ordre du jour de la Haute Assemblée, et beaucoup d'entre vous ont déjà travaillé sur cette question. Il prend toutefois une résonnance particulière dans la période que nous vivons aujourd'hui : il est plus que jamais d'actualité, car la crise remet la santé au coeur de toutes les décisions, tant politiques que citoyennes.

Comme le disait Hippocrate, le premier des médicaments, c'est l'alimentation. Il est très important de le dire, l'alimentation constitue avant tout une question de santé nutritionnelle.

En tant que ministre de l'agriculture et de l'alimentation, ma conception est claire : il faut assurer la santé nutritionnelle de nos concitoyens via une alimentation de qualité, saine et durable, permise par nos agricultures partout sur le territoire. Il est capital que nous soyons clairs sur ce sujet et que nous donnions une vision à notre action. Cela suppose de partager avec vous, cet après-midi, plusieurs convictions.

Première conviction, il nous faut une agriculture forte. C'est précisément parce que nous devons assurer la santé nutritionnelle de nos concitoyens que nous devons regagner en souveraineté agroalimentaire. C'est à cette fin, vous l'avez dit monsieur le sénateur, que je me bats tous les jours.

Je crois en l'agriculture française. Beaucoup d'études montrent qu'elle est très probablement l'une des meilleures agricultures au monde, voire la meilleure, en termes de durabilité.

Il est important de le dire, nous devons être fiers de notre agriculture ! Elle a tenu pendant le premier confinement, elle continuera à tenir lors de ce nouveau confinement. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI. – Mme Évelyne Perrot applaudit également.)

Les agriculteurs et les éleveurs français, que je qualifiais dans cet hémicycle voilà quelques jours d'« entrepreneurs du vivant qui nourrissent le peuple français », je crois aussi en eux ! Ils exercent l'un des métiers les plus nobles, à savoir assurer la santé nutritionnelle de nos concitoyens, et je pense pouvoir affirmer qu'ils en ont pleinement conscience. Cela explique sûrement la passion qui anime ces femmes et ces hommes de la grande famille agricole française.

L'agriculture française fait face depuis longtemps à d'énormes défis et se trouve en perpétuel mouvement. Depuis l'après-guerre, peu de secteurs ont autant évolué et autant répondu à la demande sociétale. L'agriculture a nourri le peuple français et continue de le faire, en prenant en compte la santé et de l'environnement. Les agriculteurs sont bien les acteurs de cette mission nourricière et protectrice, si importante pour faire société !

Gardons néanmoins en tête que, pour permettre à nos agriculteurs de trouver ces solutions et de s'y adapter chaque fois, il faut absolument que leur travail soit rémunéré à sa juste valeur. Or les agriculteurs subissent parfois les injonctions contradictoires de la société. Nous leur demandons davantage, sans être forcément prêts à y mettre le prix. De telles injonctions doivent cesser, et il faut que des actes suivent nos demandes.

Deuxième conviction, il est nécessaire de développer l'accès à des produits frais et locaux. Toutes les études le montrent, d'un point de vue nutritionnel et environnemental, ces produits sont les meilleurs pour la santé. C'est aussi vrai sur le plan économique, puisque cela permet d'augmenter le revenu des agriculteurs par une meilleure répartition de la valeur ajoutée ; par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, cela peut s'avérer bénéfique pour le portefeuille des consommateurs.

Il ne s'agit en aucun cas d'opposer les modes d'agriculture ! Nous avons besoin non seulement d'une agriculture qui exporte, si nous voulons qu'elle soit forte, mais aussi d'une agriculture de proximité, et le premier confinement a démontré que tel était le souhait des Français. Pour pérenniser cette demande, j'ai signé voilà quelques jours avec toutes les enseignes de grande surface une série d'engagements importants, afin de mettre en avant les produits frais locaux dans les circuits de distribution.

Troisième conviction, comme M. Marchand l'a appelé de ses voeux, il nous faut partir des territoires car c'est à partir de ceux-ci que nous pouvons le mieux possible construire les filières, et donc améliorer la distribution des produits frais et locaux.

Tel est l'objet des PAT. Vous l'avez expliqué, monsieur le sénateur, en évoquant celui du Douaisis, ces projets fonctionnent : ils permettent de structurer des filières et de créer des dynamiques.

Actuellement, environ 190 PAT sont établis sur notre territoire. La question est désormais de les démultiplier. Vous proposez des contrats ; je suggère quant à moi, de commencer par y consacrer un financement très important. C'est pourquoi j'ai obtenu que, dans le cadre du plan de relance, 80 millions d'euros soient dédiés à ces projets au cours des deux prochaines années.

Songez, mesdames, messieurs les sénateurs, que lors des quatre dernières années, l'État avait financé les PAT à hauteur de 6 millions d'euros : le financement que je propose est donc vingt-cinq fois supérieur à celui qui existait auparavant !

Il nous faut en effet dynamiser, renforcer et créer de nouveaux PAT qui fonctionnent sur les territoires ; nous avons d'ores et déjà de nombreux exemples en tête. Cela doit s'accomplir à l'échelon territorial, et nous y travaillerons en déclinant le plan de relance.

Pour avoir une agriculture forte et souveraine, il nous faut donc développer les produits frais locaux en partant des territoires et garantir que leur production soit effectuée à l'échelon local.

J'en viens à ma quatrième conviction : il convient d'appréhender avec lucidité, humilité et honnêteté la question de l'inégalité alimentaire, ce fléau qui perdure dans notre pays.

J'ai été pendant trois années ministre de la ville et du logement. Jamais je n'oublierai que, lors du premier confinement, j'ai dû édicter des bons alimentaires, ce que mon ministère n'avait jamais fait depuis l'après-guerre. L'inégalité alimentaire perdure. Il suffit pour se convaincre de cette réalité de voir les files d'attente qui s'allongent devant les associations d'aide alimentaire. Je n'entrerai pas dans le détail de toutes les mesures prises par le Gouvernement dans ce domaine…

Un point me paraît essentiel, qui va dans le sens du discours du sénateur Marchand et du débat qu'il propose : le problème des cantines, lesquelles sont le premier lieu de lutte contre les inégalités alimentaires. Nous devons aider au maximum les collectivités, quel que soit leur échelon, à faire en sorte que s'y trouvent davantage de produits frais et locaux. Cela nécessite des investissements, parfois une autre organisation, en bref, un accompagnement financier par l'État des collectivités en vue d'une meilleure qualité des aliments dans les cantines.

Alors qu'au titre du plan de relance, le Gouvernement financera les PAT à hauteur de 80 millions d'euros, nous consacrerons 50 millions d'euros au fonctionnement des cantines, afin de mettre en place des mesures très concrètes.

Pourquoi croyez-vous qu'il y ait toujours des yaourts locaux dans les cantines, et très peu de carottes ou d'oignons produits au même échelon ? La raison en est simple, les plateformes de grande distribution ou les fermes de proximité fournissent les yaourts conditionnés en palettes qu'il suffit de déballer à l'arrivée. Lorsqu'il s'agit de carottes et d'oignons, en revanche, il faut commencer la journée par en éplucher plusieurs kilos ; ce n'est pas la même chose ! C'est une véritable barrière qui empêche les cantines de s'approvisionner en produits frais locaux.

À question de terrain concrète, réponse concrète : les 50 millions d'euros permettront notamment de financer des légumeries, qui existent déjà dans plusieurs territoires.

Je crois en notre agriculture et en notre alimentation ! Les convictions que j'ai exposées manifestent la détermination qui est la mienne. Je suis absolument ravi de pouvoir débattre de ce sujet avec vous ! (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)


Débat interactif

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Martine Berthet.

Mme Martine Berthet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la restauration collective sert chaque année plus de 3 milliards de repas. Elle est ainsi devenue un enjeu national, à la fois social, économique et environnemental. Elle doit permettre l'accessibilité de tous aux bons produits. Les cuisines centrales ont ainsi un rôle à jouer pour faire perdurer une alimentation durable et locale, meilleure tant pour l'environnement que pour la santé, grâce à l'apport des bons nutriments.

Toutefois, pour que les cuisines centrales puissent réaliser plus de 3 milliards annuels de repas à base de produits locaux, il devient absolument nécessaire de maîtriser la destination des terrains agricoles, lorsqu'ils sont libérés, et de pouvoir les attribuer aux cultures en déficit telles que le maraîchage ou les légumes de plein champ. L'alimentation collective nécessite en effet des cultures sur de grandes surfaces, afin de répondre aux besoins quantitatifs mais aussi parce que la massification de la production permet des prix plus bas, tout en laissant aux producteurs une marge suffisante. Or, jusqu'à présent, les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) répartissent les terres agricoles disponibles entre les seules exploitations déjà existantes.

Un autre problème réside dans la vente d'exploitations pour une destination agricole autre, ne nécessitant pas toutes les terres disponibles. Il devrait être possible de réaliser des préemptions partielles pour les attribuer à d'autres fins agricoles, comme les cultures de plein champ.

Enfin, il apparaît nécessaire, sur le plan de la gouvernance, de structurer et de renforcer les filières et les interfilières afin d'améliorer les questions de logistique, en faisant en sorte que tous les acteurs concernés se parlent et s'organisent.

Sur tous ces points, les départements, détenteurs de la compétence en matière d'aménagement foncier rural et de protection des espaces agricoles naturels et périurbains, semblent être la bonne échelle pour l'organisation des discussions et des arbitrages, notamment entre Safer et établissements publics fonciers locaux (EPFL), pour la destination des terrains agricoles ainsi que sur tous les sujets logistiques.

Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous mettre en oeuvre pour que les conseils départementaux, au travers des PAT, soient les pilotes reconnus, légitimes et efficaces de l'organisation d'une production alimentaire locale et durable à destination des cuisines centrales ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Votre description de la réalité du terrain, madame la sénatrice, montre bien à quel point – c'était l'objet de ma deuxième conviction – il est important de partir des territoires en matière de PAT.

Les PAT souffrent certainement de leur nom : les élus jugent souvent ces projets ou contrats territoriaux affreusement techniques. Ils font cependant font l'objet d'un consensus, tous les acteurs s'accordant à dire qu'ils fonctionnent bien. Ils permettent en effet, comme vous l'avez dit, madame la sénatrice, de structurer la filière de l'aval à l'amont. On remonte donc de la gestion des terres, que celle-ci soit qualitative ou quantitative, jusqu'aux assiettes de nos enfants à la cantine, en passant par la distribution.

Pour cette raison, je crois fondamentalement en ces PAT, et que je me suis battu pour qu'ils soient financés massivement dans le cadre du plan de relance. Je rappelle, une fois encore, que l'affectation de 80 millions d'euros sur deux ans représente une somme sans commune mesure avec les crédits consacrés à ce poste jusqu'à présent !

Votre question porte sur le rôle des départements. Mon approche sur ce sujet est simple : l'objectif est de consolider les 190 PAT déjà existants et, pour ce faire, de passer par les acteurs qui contribuent à leur mise en oeuvre. Je ne souhaite en aucune façon modifier la gouvernance.

Les PAT sont d'ores et déjà développés par les territoires, cependant qu'ils bénéficient d'un très faible financement par l'État. Je propose donc que ce dernier finance bien davantage, en laissant la gouvernance telle qu'elle est.

Il existe différents échelons de développement : les EPCI – c'est le cas la plupart du temps – ; les territoires englobant plusieurs communes ; les départements. Au final, les PAT sont souvent consolidés à l'échelon des contrats de plan État-région (CPER), lesquels seront donc la porte d'entrée du dispositif, mais tout en maintenant les gouvernances locales telles qu'elles existent.

Nous continuerons à nous appuyer sur les territoires et l'intelligence territoriale, je m'y engage !

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.

M. Jean-Pierre Decool. Dans mon territoire du Nord, sur la commune de Noordpeene en Flandres, un boulanger engagé montre la voie du circuit  "ultracourt". En juillet dernier, il a acheté un petit moulin autrichien pour moudre le blé d'une variété panifiable convenue avec l'agriculteur, cultivé sur la parcelle contiguë à sa boulangerie, et ainsi faire son pain.

La farine obtenue préserve les oligoéléments et le gluten du blé, grâce à un procédé plus lent que dans le circuit industriel et une température ne dépassant jamais les 40 degrés : ça, c'est du pragmatisme !

Les produits pâtissiers sont, eux aussi, fabriqués grâce au lait acheté à un laitier de la commune. Les fruits proviennent d'un maraîcher voisin respectant la saisonnalité. La qualité et la saveur des produits assurent à cet artisan de nombreux clients, certains n'hésitant pas à parcourir plusieurs dizaines de kilomètres pour acheter chez lui.

La période de crise que nous traversons met en lumière la nécessité de l'entraide. Le circuit « ultracourt » permet de recréer du lien et de développer une vie sociale parfois perdue dans certains de nos territoires. Ce nouveau dynamisme est un espoir pour nos communes.

Mais si l'alimentation locale est autant plébiscitée actuellement, c'est parce qu'elle est synonyme d'impact carbone moindre. L'alimentation représente le quart de l'empreinte carbone des ménages français. Or ces derniers sont de plus en plus attentifs à leur impact sur l'environnement, notamment dans leur choix de consommation alimentaire.

Votre ministère, avec le concours d'autres acteurs, a lancé au début du mois dernier un appel à candidatures pour expérimenter l'affichage environnemental des produits alimentaires. Cette initiative s'inscrit dans le cadre de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre gaspillage et à l'économie circulaire. La Convention citoyenne pour le climat a aussi émis l'idée d'un "score carbone" sur tous les produits de consommation et les services.

Quelles sont donc, monsieur le ministre, vos pistes de réflexion sur l'affichage du poids carbone de notre alimentation ? Je pense notamment à une définition, à un mode de calcul clair, et plus particulièrement à l'encouragement de ces pionniers parmi lesquels figure mon boulanger des Flandres.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Je voudrais d'abord saluer, monsieur le sénateur, votre boulanger des Flandres et lui dire à quel point je soutiens son action !

La question que vous posez concerne la vertu des circuits courts. Comme je le disais plus tôt, je pense qu'il ne faut surtout pas opposer les systèmes agricoles en France. On a besoin d'une agriculture forte qui exporte, mais aussi d'une agriculture de proximité plus importante, dont les bénéfices sont d'ordre nutritionnel, économique, et environnemental.

Comment le consommateur doit-il être informé de l'ensemble de ces bénéfices ? Plusieurs expérimentations sont en cours : elles permettront de démontrer si un affichage environnemental est pertinent ou non. Nous travaillons sur ce sujet, et le défendrons avec détermination à l'échelon européen, dans la mesure où l'étiquetage est une compétence européenne, et parce qu'il est important au sein d'un marché commun de pouvoir comparer les produits.

Il faut cependant veiller à ce qu'un excès d'étiquetage ne tue pas l'étiquetage ! Les rayons de produits laitiers en sont "gavés"… Le consommateur doit bénéficier d'une information simple. C'est précisément pour cette raison que j'ai obtenu de la grande distribution que soit apposée, en plus de tous ces étiquetages, une bannière commune intitulée « plus près de chez vous et de vos goûts ! ». Grâce à cette formule très simple, le consommateur comprend que le produit ne vient pas de loin et que cela signifie de moindres émissions carbone. Car je crois à l'intelligence des consommateurs et de nos concitoyens en général.

À court terme, nous mettons en place cette bannière, qui sera généralisée au début de l'année prochaine ; dans le même temps, nous continuons à travailler sur les étiquetages.

Je veux délivrer un message clair à nos concitoyens : manger des produits frais et locaux, c'est ce qu'il y a de meilleur pour la santé, pour l'environnement et parfois, voire souvent, pour le portefeuille !

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.

M. Joël Labbé. À propos d'alimentation saine et durable, je souhaite vous interpeller, monsieur le ministre, sur une récente enquête réalisée en partenariat avec le laboratoire de toxicologie de l'hôpital Lariboisière, qui met en lumière la présence de cadmium dans les engrais phosphatés, les pommes de terre et, en bout de chaîne, dans les urines humaines.

Le cadmium est un métal lourd, classé comme « cancérigène certain » par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Dès 2019, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) alertait sur ce risque pour la population et critiquait la décision de l'Union européenne de fixer à 60 milligrammes par kilo la teneur en cadmium dans les engrais phosphatés. D'après ses modélisations, il serait recommandé de l'abaisser dès maintenant à 20 milligrammes par kilo.

Dans la droite ligne de ce rapport, les révélations de l'enquête sont sans appel : cinq engrais phosphatés sur six, provenant en très grande majorité du Maroc ou de la Tunisie, dépassent les recommandations actuelles de l'Anses. Trois engrais de ce type sur cinq dépassent les maximales autorisées qui entreront en vigueur dans un an. On retrouve deux fois plus de cadmium dans les pommes de terre que ce qu'avait estimé l'Anses !

Enfin, 21% des analyses d'urine font apparaître un dépassement de la concentration critique définie par l'Anses, au-delà de laquelle ont été démontrés des risques de toxicité osseuse puis, à plus haute dose, de toxicité rénale.

Les agriculteurs sont aussi concernés : si leurs sols présentent une trop forte concentration en cadmium, ils se retrouvent dans l'impossibilité de vendre leur production.

Que compte faire le Gouvernement pour préserver l'alimentation des Français de cette pollution au cadmium via les engrais phosphatés ? (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Votre question concerne à la fois les problématiques de santé et d'environnement.

Le cadmium, vous le savez, est un élément très répandu dans l'environnement à l'état naturel, du fait de l'activité humaine, notamment agricole, et de l'utilisation d'engrais minéraux.

Présent à l'état naturel dans les sols, le cadmium est aussi apporté par les matières fertilisantes qui en contiennent sous forme d'impuretés, en raison de la teneur des gisements de roche phosphatée, à partir desquels sont extraits les éléments servant à la composition des engrais. Autrement dit, il ne s'agit pas d'engrais dans lesquels on intègre volontairement du cadmium, mais plutôt de produits formés naturellement à partir de roche phosphatée, laquelle contient elle-même des impuretés, dont le cadmium, que les engrais embarquent au moment de leur production.

Je partage votre diagnostic sur les risques réels induits par cet élément chimique. Il faut donc impérativement trouver des solutions. Une fois présent dans les sols, le cadmium pénètre dans les végétaux destinés à l'alimentation humaine : cette problématique sanitaire doit être prise au sérieux, compte tenu des risques d'ostéoporose et de fractures osseuses.

Nous avons tous absolument intérêt, à limiter l'exposition au cadmium : les agriculteurs, pour préserver la fertilité et la qualité de leurs sols, comme les consommateurs.

Des travaux ont été lancés dès que les études ont confirmé ces risques. Sur la base des préconisations de l'Anses, un projet de décret limitant les apports de cadmium, tous usages confondus, est en cours de concertation. Notre objectif est de le publier à l'été 2021, après les phases de consultation du public et de notification européenne.

Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé, pour la réplique.

M. Joël Labbé. Je vous remercie, monsieur le ministre, de votre réponse.

D'après les données dont nous disposons, les industriels sont en mesure de dépolluer les engrais phosphatés pour un surcoût évalué à seulement 3%. Nous attendons du Gouvernement qu'il agisse dès maintenant, en publiant un décret.

Sur le plus long terme, il est possible de mettre en place des alternatives pour se passer d'engrais minéraux, par l'utilisation de compost ou de fertilisation animale comme le fumier, entre autres. Le modèle agricole biologique peut se passer de phosphates issus des mines.

N'oublions pas que l'on importe 30% des produits d'agriculture biologique, faute d'une production suffisante en France ! (Applaudissements sur des travées du groupe GEST.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. L'alimentation saine et durable est inscrite à tous les agendas. Le 20 mai dernier, la Commission européenne présentait sa stratégie « De la ferme à la fourchette ». Les recommandations alors établies traduisaient une ambition forte : bâtir une "chaîne alimentaire bénéfique pour les producteurs, les consommateurs, l'environnement et le climat", dans le cadre du pacte vert pour l'Europe.

II a notamment été proposé de porter la part de l'agriculture biologique à 25% des terres cultivées en Europe, à l'horizon 2030. D'autres propositions doivent être faites en lien avec la lutte contre le gaspillage alimentaire, ou concernant la nécessité d'un étiquetage nutritionnel, deux problématiques abordées au Sénat au cours de la session passée.

En France, dans la continuité des travaux de la Convention citoyenne pour le climat, qui a défini un objectif de 50 % de fermes en agroécologie pour 2040, le Gouvernement vient d'annoncer un plan de relance ambitieux pour l'agriculture et l'agroalimentaire. C'est d'ailleurs ce qu'ont souligné plus de cent quarante acteurs de la transition agroécologique dans une tribune parue le 9 octobre dernier, en recommandant d'"accélérer la transformation de notre modèle agricole" et d'agir "pour une agriculture du vivant".

Se pose en même temps, et de manière accrue aujourd'hui, la question de notre indépendance protéique et de notre souveraineté, alors que la crise sanitaire a mis en exergue les effets désastreux pour les populations que pourrait avoir la rupture des circuits mondiaux.

Pour permettre cette transition, 1,2 milliard d'euros a été dédié au volet "Transition agricole, alimentation et forêt" dans le plan de relance.

Quelle sera l'articulation de cette action politique forte, européenne et nationale, compte tenu du budget en hausse qui la soutient, avec les collectivités, en particulier pour les PAT ? Les sous-préfets de la relance interviendront-ils également sur ces sujets ?

Les élus auront besoin de pouvoir identifier précisément les aides auxquelles ils peuvent prétendre lors de la mise en oeuvre de leurs propres feuilles de route. (M. François Patriat applaudit.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la sénatrice, la question que vous posez est absolument essentielle.

Le plan de relance s'inscrit dans une vision assez claire : il faut bâtir une France plus forte qu'elle ne l'est aujourd'hui. Ma conviction, c'est que ce n'est pas possible sans une agriculture forte. C'est pourquoi j'ai obtenu ce montant significatif pour le volet agricole du plan de relance ; nous l'avons d'ailleurs aussi obtenu à l'échelon européen.

Comment faire en sorte que ce plan de relance irrigue nos territoires et que chaque agriculteur y ait accès ? Sont prévus 135 millions d'euros pour l'agroéquipement, et 250 millions d'euros pour les élevages ou les abattoirs – depuis combien d'années réclamez-vous que l'État accompagne les abattoirs ? Les forêts sont confrontées au drame des scolytes : l'État investit 150 millions d'euros pour réaliser ce qui constitue probablement le plus grand plan de reboisement depuis l'après-guerre, avec l'introduction de nombreux résineux dans notre pays.

Quid des collectivités territoriales ? Pour ma part, je privilégie les idées simples : aujourd'hui, de nombreux canaux existent. Ainsi, les PAT sont pris en charge par les collectivités et sont souvent définis à l'échelon du contrat de plan État-région (CPER). C'est le cas des abattoirs. La modernisation des élevages est très souvent cofinancée avec les régions au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader). Pour ma part, je considère que, si un canal existe déjà, on l'utilise, on le renforce et on le finance.

Par ailleurs, on tente, car il faut être innovant ! C'est pourquoi j'essaie de lancer au maximum des appels à projets sur le modèle du catalogue.

Dans certains appels à projets, on en fait vraiment beaucoup… Pourquoi ne pas plutôt créer des listes de catalogue, par exemple pour l'agroéquipement ? Cela ne dispense pas de passer par un appel à projets, mais c'est beaucoup plus simple pour nos agriculteurs.

Mon rôle consiste à simplifier en bonne intelligence avec les territoires. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. Yves Détraigne. Très bien !

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.

M. Henri Cabanel. Monsieur le ministre, dans un contexte de second confinement, avec une première période, de mars à mai, très tendue durant laquelle une grosse partie de l'économie a été paralysée, les agriculteurs nourrissent les Français. Cette crise sanitaire nous rappelle le cap à tenir, à savoir l'indépendance alimentaire, vous l'avez souligné.

La loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt de 2014 avait abordé cette problématique en créant les projets alimentaires territoriaux (PAT). Les états généraux de l'alimentation ont entraîné en 2018 l'adoption de la loi pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous, dite "loi Égalim", qui contraint la restauration collective à servir 50% de produits de qualité, dont 20 % au moins sont issus de l'agriculture biologique, d'ici au 1er janvier 2022. Au mois de décembre 2019, ma collègue Françoise Laborde a été à l'origine de l'examen d'une proposition de résolution sur la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale.

Toutes ces initiatives vont dans le même sens : favoriser une alimentation durable et locale. Pourtant, ce ne sera possible qu'avec une réelle volonté politique des territoires. Les PAT ont du mal à décoller. Pourtant, leurs enjeux sont nombreux : d'ordre économique, au travers de l'aménagement du territoire, de l'emploi non délocalisable, de l'installation ; d'ordre environnemental, avec la valorisation de nouveaux modes de production agroécologique ; d'ordre social, par l'éducation alimentaire, la création de liens, la valorisation du patrimoine.

Monsieur le ministre, vous allez annoncer des moyens considérables pour les PAT. Pour autant, comment rendre plus efficient cet outil et, surtout, quels moyens forts comptez-vous déployer pour sensibiliser les élus et les inciter à s'engager ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, je vous remercie d'avoir salué les travaux de votre collègue Françoise Laborde sur la question très importante de la résilience alimentaire de nos territoires.

Comment convaincre de la pertinence des PAT et comment faire pour accélérer leur mise en oeuvre ?

D'abord, ce dispositif fait ses preuves dans de nombreux endroits. Frédéric Marchand a évoqué le PAT du Douaisis, qui se déploie très bien. Dans le Jura où je me suis rendu récemment, deux PAT m'ont été présentés : là aussi, cela fonctionne extrêmement bien.

Les PAT font partie de ces projets qui diffusent au fur et à mesure, car les élus qui les voient mis en oeuvre dans d'autres territoires que les leurs se rendent compte que c'est utile ! Les projets alimentaires territoriaux pâtissent d'un sigle atroce – PAT ne veut pas dire grand-chose – et peut-être aussi de l'accumulation de contrats, plans et autres, ce qui peut expliquer une certaine réticence.

Ensuite, je crois à l'intelligence collective. Mon rôle consiste à accompagner et à trouver la faille. Ne nous mentons pas : en quatre ans, l'État a fait des projets alimentaires territoriaux un dispositif important, qu'il a financé à hauteur de 6 millions d'euros, soit 40 000 ou 50 000 euros sur quelques dizaines de PAT. Reste que, si l'on veut avoir les moyens de l'ambition qu'on affiche et si l'on croit à ces projets, il faut se retrousser les manches et mettre un paquet d'argent, c'est-à-dire passer de 6 millions d'euros sur quatre ans à 80 millions d'euros sur deux ans !

Enfin, derrière tout cela se trouve la grande famille agricole, que je salue, qui est composée d'individus à la fois passionnés mais aussi très bien organisés ; c'est d'ailleurs sa force. Elle nous accompagne dans la mise en oeuvre de ce plan de relance. Nous travaillons énormément ensemble pour que, partout dans les territoires, les chambres d'agriculture deviennent des lieux d'accompagnement de toutes les parties prenantes – élus locaux, agriculteurs, éleveurs….

Le plan de relance, ce n'est pas celui du Gouvernement et encore moins celui du ministre de l'agriculture : c'est le plan de relance des Français, des agriculteurs et de ceux qu'ils nourrissent. Il nous faut donc absolument faire vivre toute cette famille. Les chambres d'agriculture jouent un rôle fondamental. C'est d'ailleurs pour cela que j'ai veillé à préserver leur budget dans le projet de loi de finances que vous examinerez bientôt, mesdames, messieurs les sénateurs.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel, pour la réplique.

M. Henri Cabanel. Il est vrai que les PAT ont du mal à décoller. En six ans, très peu ont vu le jour.

Vous allez mettre les moyens, dites-vous, monsieur le ministre. Vous vous étiez fixé un objectif de 500 PAT pour 2020. Aujourd'hui, vous pensez en réaliser un par département. Tout le monde a bien compris ici qu'ils sont des outils indispensables pour permettre une alimentation locale et de proximité. Je suis d'accord avec vous : avec les budgets que vous prévoyez, le bouche-à-oreille sera tel que d'autres élus s'engageront.

Toutefois, monsieur le ministre, il ne faudrait pas que votre volonté et votre objectif se limitent à un PAT par département. Si plusieurs projets se font jour, il faut permettre à ceux-ci, par les moyens que vous déploierez, d'aller à leur terme. Laissez les choses se faire pour le bien de tous ! (M. le ministre acquiesce.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay.

M. Fabien Gay. Nous remercions le groupe RDPI d'avoir inscrit ce débat sur l'agriculture durable et locale.

Notre groupe est un défenseur acharné et un fervent promoteur de l'agriculture paysanne, biologique, respectueuse de l'humain et de la planète, et rémunératrice pour le monde paysan. Or cette agriculture durable et locale est menacée, notamment par le libre-échange, dont le gouvernement auquel vous appartenez est un grand partisan, monsieur le ministre.

En effet, le libre-échange détruit l'agriculture durable et locale en cassant nos normes. Il aggrave le réchauffement climatique en augmentant les émissions de gaz à effet de serre, avec des produits qui font parfois trois fois le tour de la planète !

Le meilleur exemple en est le CETA, ce traité de deuxième génération, ou traité mixte, signé entre l'Union européenne et le Canada, qui fait tomber les barrières tarifaires et douanières mais aussi les barrières non tarifaires, en s'attaquant aux normes sociales et environnementales ainsi qu'à nos services publics. Pire, des tribunaux d'arbitrage privés seront mis en place, qui mettront les lois des entreprises au-dessus de celles des États.

Négocié pendant dix ans, ce traité a été mis en place de façon provisoire en 2017. Il devait être ratifié au bout d'un an. L'an dernier, il a été voté par l'Assemblée nationale en catimini au coeur de l'été. Il n'est toujours pas à l'ordre du jour du Sénat. Pourquoi ? De quoi avez-vous peur, monsieur le ministre ?

Notre interrogation est simple. Quand allez-vous cesser de faire appliquer un traité dans l'illégalité ? À quelle date le CETA sera-t-il inscrit à l'ordre du jour du Sénat, pour donner la parole à la totalité du Parlement et enfin permettre un débat démocratique ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, vous connaissez mon souci de toujours apporter des réponses précises.

M. Fabien Gay. Ce ne sera donc pas le cas aujourd'hui ! (Sourires sur les travées du groupe CRCE.)

M. Julien Denormandie, ministre. Malheureusement, je ne suis pas maître de l'inscription des textes à l'ordre du jour des travaux du Parlement, en particulier du Sénat.

M. Fabien Gay. Ah bon ?

M. Julien Denormandie, ministre. Je ne saurai donc vous dire à quel moment le texte sera inscrit. Qui plus est, vous l'avez constaté comme moi, l'ordre du jour du Parlement est quelque peu chamboulé.

M. Fabien Gay. Cela fait trois ans !

M. Julien Denormandie, ministre. Il n'en reste pas moins que je tiens à répondre à la question que vous posez, car elle est fondamentale.

Aujourd'hui, pour un agriculteur qui se bat pour produire selon les plus hautes normes de qualité, il est décourageant de constater que le concombre qu'il trouve au supermarché est parfois beaucoup moins cher et produit avec des substances qui n'ont strictement rien à voir… C'est aussi vrai pour le poulet et la liste est longue !

Sur ce sujet, ma conviction est simple et je le dis très clairement : l'Europe a fait preuve de naïveté pendant trop de temps. D'ailleurs, vous le savez, l'Europe est compétente pour la négociation des accords commerciaux. C'est pourquoi, comme plusieurs ministres de l'agriculture européens, je me bats avec force. Pour la première fois, la politique agricole commune sur laquelle nous nous sommes accordés pose un socle commun de normes environnementales dans le cadre du premier pilier.

À partir du moment où, au sein du marché commun, on s'est mis d'accord sur un socle décidé dans le cadre de la politique agricole commune, il faut que celui-ci soit transcrit dans la politique commerciale. C'est à mes yeux un minima ; cette première avancée doit être finalisée par le trilogue sur ce socle commun. Je l'ai redit pas plus tard qu'hier à tous mes homologues européens : maintenant que nous nous sommes mis d'accord sur un socle commun concernant la politique agricole, celui-ci doit trouver sa traduction dans la politique commerciale.

Ainsi, pour le Mercosur, puisque la question va se poser, c'est non ! Ce traité ne respecte en rien le socle commun environnemental, en termes de déforestation ou de production de poulets. Il n'est pas question de voir arriver tous les poulets brésiliens, ce n'est pas possible !

Je ne peux pas être plus clair dans ma réponse, monsieur le sénateur. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

Mme la présidente. La parole est à M. Fabien Gay, pour la réplique.

M. Fabien Gay. Monsieur le ministre, je vous le dis, ce n'est pas entendable !

Mes chers collègues, combien de temps allons-nous laisser perdurer cette situation ? Allons-nous accepter encore longtemps qu'un traité de libre-échange qui fait débat et que vous défendez, monsieur le ministre, ne nous soit pas soumis ? Pour nous, la question est d'ordre démocratique : ce traité a été mis en place en 2017, il devait être ratifié par les deux chambres dans l'année qui suivait. Cela fait trois ans ! Avant la crise du covid, c'étaient les élections législatives au Canada… Il y a toujours une excuse !

Vous êtes dans l'incapacité de faire ratifier ce traité, parce que vous n'avez pas la majorité du peuple français pour vous soutenir. Si vous soumettez ce texte au Sénat, vous n'obtiendrez pas la majorité. L'ensemble des groupes politiques ici devraient interpeller le Gouvernement pour demander l'inscription dans l'année du CETA à l'ordre du jour de nos travaux et enfin avoir un débat démocratique sur cette question, qui est centrale pour l'avenir de notre agriculture et, au-delà, pour l'avenir du peuple français. (Applaudissements sur les travées du groupe CRCE.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Catherine Loisier. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Anne-Catherine Loisier. Monsieur le ministre, je tiens à souligner une fois de plus votre engagement aux côtés de nos agriculteurs et de notre modèle agricole, dont nous sommes si fiers. Il n'est qu'à lire l'article de The Economist, qui salue le modèle français comme étant le plus durable, et ce pour la troisième année consécutive. Il faut le répéter !

J'évoquerai moi aussi les PAT et l'enjeu de leur mise en oeuvre sur les territoires.

Monsieur le ministre, envisagez-vous des PAT à périmètre concentrique ? En effet, dans la mesure où l'on ne pourra pas trouver dans un même territoire toute la gamme de produits disponibles, malgré l'engagement fort des chambres d'agriculture que l'on peut attendre, peut-on imaginer une coopération avec différents PAT ? On aurait ainsi une complémentarité qui rendrait accessible à notre restauration collective et à nos cantines, dans moins d'un an, cette large gamme de denrées.

Serons-nous capables de relever ce défi à un coût accessible ? Faut-il le redire, le coût est devenu un sujet essentiel et les impayés dans les cantines scolaires sont en train d'exploser ! Pourrons-nous apporter cette alimentation saine et durable, telle qu'elle a été définie, à un coût accessible pour nos concitoyens ?

Enfin, concernant les démarches environnementales à haute valeur environnementale (HVE), qui se développent dans nos territoires, les chiffres montrent une réelle dynamique de cette certification environnementale. Selon vous, les efforts de nos agriculteurs seront-ils suffisants pour nous permettre d'atteindre les objectifs en termes de produits, de volume, de délais et de coûts fixés par la loi Égalim ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la sénatrice, vous m'avez posé trois questions.

Premièrement, quel est le volet géographique des PAT ? Je m'adapte à ce que les territoires veulent : certains systèmes géographiques sont très concentrés, d'autres sont beaucoup plus larges. C'est aux territoires de le définir, mon rôle consiste à venir en appui.

Au regard de toutes les questions qui se posent, si le Sénat prenait un jour l'initiative d'organiser une présentation des différents PAT à l'ensemble des élus locaux, j'y participerais avec grand plaisir et je mettrais en avant ce que le plan de relance prévoit à ce sujet. Je fais cette proposition à Frédéric Marchand, à qui l'on doit le débat qui nous réunit cet après-midi ; je serai à votre disposition.

Deuxièmement, vous avez tout à fait raison, la question du coût est cruciale. Ce débat renvoie notamment à toutes les problématiques d'accompagnement, de dotation financière, etc.

Au-delà de ce débat purement financier, c'est parfois une question de faisabilité plus que de coût. Quand on demande aux enfants qui déjeunent à la cantine ce qui provient de la ferme voisine, ils citent toujours les yaourts. Le coût n'a rien à voir ! Que l'on s'approvisionne chez un grand distributeur ou à la ferme voisine, peu importe : c'est toujours une palette de yaourts qui demande la même manutention.

Si nous cherchons à créer le plus grand nombre de légumeries ou de conserveries possible, c'est pour accompagner la personne chargée de la logistique des cantines. Les carottes achetées au producteur ne sont pas plus chères que celles transformées ou déjà découpées que propose le grand distributeur. Le problème est que le chef de la cantine n'a pas le temps d'éplucher des kilos de carottes tous les matins !

Au-delà du coût, la question logistique est cruciale. C'est pourquoi l'État investit massivement pour éviter que la collectivité ne le fasse et ne répercute cet investissement sur le coût des repas.

Troisièmement, je crois beaucoup à la haute valeur environnementale. J'ai notamment accédé à une demande chère à la présidente de séance – j'imagine que c'est pour cette raison qu'elle m'autorise à dépasser mon temps de parole ! (Sourires) –, à savoir créer un crédit d'impôt HVE. Cela fait des années que de nombreuses professions, notamment viticoles, le demandent. C'est chose faite, mesdames, messieurs les sénateurs, et vous serez amenés à voter cette disposition importante dans le cadre du projet de loi de finances pour 2021.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé.

M. Hervé Gillé. Je remercie le groupe RDPI d'avoir organisé ce débat.

Monsieur le ministre, 43 jours d'autonomie alimentaire pour l'Union européenne, 9 mois pour la Chine. Qu'en est-il de la France ? La crise sanitaire interroge de manière urgente notre autonomie et notre souveraineté alimentaires. La mondialisation crée des dépendances vitales malgré notre capacité à produire. Face à ce constat, comment envisagez-vous la nécessaire adaptation du Programme national pour l'alimentation (PNA) à l'éclairage de la crise actuelle ? Existe-t-il un nouveau plan Protéines végétales ? Ces sujets font-ils l'objet d'une réflexion partagée à l'échelle européenne ?

Paradoxalement, vous semblez avoir abandonné le projet de loi foncière pour préserver les terres agricoles, facteur de lutte contre le changement climatique et de souveraineté alimentaire. Quelles mesures allez-vous prendre pour territorialiser nos politiques alimentaires ? Vous souhaitez renforcer les PAT, mais leurs forces et leurs faiblesses pourraient faire l'objet d'une concertation afin que leur soient donnés une nouvelle dynamique et de nouveaux moyens.

Vous allez consacrer une partie du plan de relance à ces objectifs. Les 80 millions d'euros dont vous avez parlé seront-ils également mobilisés pour accompagner la diversification des exploitations en circuit long vers les circuits courts, et pour permettre les nécessaires reconversions sociales et économiques ?

Comme les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET), les PAT pourraient être des obligations pertinentes pour engager les territoires en valorisant les subsidiarités, en organisant les besoins logistiques et les circuits de valorisation. L'intégration des PAT dans les SCOT et les Sraddet contribuerait à articuler ces politiques territoriales et faciliterait leur contractualisation.

Monsieur le ministre, où en sont vos réflexions sur ces sujets particulièrement sensibles, qui méritent des réponses concrètes et factuelles ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, je n'ai plus à vous le démontrer, ma conviction, ma vision du système agricole français, c'est que nous devons regagner en souveraineté. Pour répondre à votre question sur la dépendance de notre agriculture, je vous donnerai un seul exemple.

Concernant les protéines, le système est organisé depuis des décennies. Cela fait cinquante ans que les différents accords à l'échelle internationale ont conduit l'Europe, et singulièrement la France, à être dépendante d'approvisionnements de protéines d'Amérique – d'Amérique du Nord, d'abord, d'Amérique du Sud, ensuite.

À mes yeux, c'est inconcevable. C'est pourquoi je me bats avec force pour que notre pays gagne en souveraineté protéique pour les grandes cultures, d'une part, et pour nos élevages, d'autre part. Quand à cette situation s'ajoutent des épisodes de sécheresse qui font baisser les rendements de foin, on se retrouve de plus en plus dépendant de telles importations. Je le répète, ce n'est pas concevable. D'ailleurs, j'annoncerai dans les tout prochains jours le déploiement du plan Protéines végétales que nous mettons en place avec l'interprofession.

Faut-il inclure les PAT dans les SCOT ou les Sraddet, comme l'évoquait Frédéric Marchand ?

Aujourd'hui, 190 PAT existent. Pour ma part, je souhaite accélérer leur développement, mais c'est aux territoires de décider. Je connais bien les SCOT et les Sraddet, et je mesure le lien que ces documents peuvent avoir les uns avec les autres. Mais si je me présentais devant vous cet après-midi en annonçant que la solution consiste à inclure les PAT dans ces schémas, vous me répondriez sans doute qu'il y a moyen d'aller plus vite dans la période que traverse le pays.

C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui de dégager massivement des financements pour aider d'ores et déjà les 190 PAT qui existent et qui fonctionnent. Comme le soulignait Henri Cabanel, il ne s'agit pas de mettre en place un PAT par département. Une fois cette étape terminée, si l'on réalise qu'il faut une coordination des différents documents, comme le propose Frédéric Marchand, pourquoi pas ?

À court terme, il est de ma responsabilité de booster ce qui est déjà en place, de mettre du diesel dans le tanker, comme on dit, pour faire en sorte que cela avance rapidement.

Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Gillé, pour la réplique.

M. Hervé Gillé. Monsieur le ministre, vous avez bien compris qu'il ne s'agissait pas de conditionner les financements à l'intégration dans les SCOT et les Sraddet. C'est une orientation qu'il faut essayer de donner. Sur ces questions, le grand problème, c'est la maîtrise foncière. Or, pour avoir une maîtrise foncière, il faut avoir une approche stratégique à l'échelon territorial.

Il faut également se demander comment créer des effets leviers en termes de contractualisation. L'intégration progressive de ces politiques dans les SCOT et les Sraddet présente l'intérêt d'améliorer la vision contractualisée et de créer des effets leviers avec l'ensemble des collectivités. En d'autres termes, c'est une orientation, pas une condition. Oui pour donner une impulsion, comme vous l'avez indiqué, monsieur le ministre, mais il faut essayer de voir à moyen et long termes !

Inscrire les PAT dans des politiques territoriales permet justement de se donner des outils, notamment pour la maîtrise foncière. Or, sur ce dernier point, vous n'avez pas répondu : vous avez abandonné le projet de loi foncière !

Mme la présidente. La parole est à M. Stéphane Ravier.

M. Stéphane Ravier. Mangeons local ! Mangeons français ! C'est synonyme de qualité et d'emplois. Redécouvrons les saveurs de notre terroir qui ont disparu sous les coups de la mondialisation des normes européennes !

Cela fait cinquante ans que nos agriculteurs se battent face à la concurrence déloyale et aux hauts fonctionnaires de la Commission européenne, à Bruxelles. À force, ils s'épuisent et sombrent dans le désespoir : tous les deux jours, un agriculteur français se suicide.

Nous étions autrefois l'un des plus grands pays agricoles du monde. Nous en sommes aujourd'hui réduits à consommer du boeuf aux hormones brésilien ou canadien, du poulet aux antibiotiques américain, du soja transgénique asiatique. Si nous voulons protéger nos agriculteurs et retrouver une alimentation durable, la première solution est de remettre des barrières douanières sur les produits que nos paysans produisent déjà.

Nous devons partout favoriser les produits français, imposer au moins 70% de repas locaux dans nos cantines. L'initiative de la commune de Châteauneuf-le-Rouge dans les Bouches-du-Rhône est à ce titre un exemple à suivre.

Quid des accords que des ministres, inconnus ou disparus, ont signés et quid de l'Union européenne, me direz-vous ? Sincèrement, je me moque de ces accords ! Un accord international rédigé par des bureaucrates et signé par des énarques ne vaut pas la vie d'un seul paysan français. Même s'il a reculé sur l'accord avec l'Amérique du Sud, ce gouvernement signe à tout-va les accords de libre-échange avec le Canada ou le Vietnam.

Les paysans, ce gouvernement ne les comprendra jamais, car la paysannerie, c'est l'inverse de la Macronie : la paysannerie n'est pas en marche, elle n'est pas hors sol, elle a le corps et l'âme enracinés. On est paysan par amour et par passion, non pas pour "faire du blé", mais pour le faire pousser – nuance qui fait toute la différence ! La sachant fragile et précieuse, les paysans protègent la terre pour mieux la transmettre, en même temps qu'ils transmettent un savoir-faire et un art de vivre incomparables.

Aujourd'hui, dans nos campagnes, nous entendons non pas mugir, mais mourir des hommes et des femmes qui nous font vivre. Pour une alimentation durable et locale, faisons nôtre cette déclaration de Guy de Maupassant à la terre française : "J'aime ce pays, et j'aime y vivre parce que j'y ai mes racines, ces profondes et délicates racines, qui attachent un homme à la terre où sont nés et morts ses aïeux, qui l'attachent à ce qu'on pense et à ce qu'on mange, aux usages comme aux nourritures, aux locutions locales, aux intonations des paysans, aux odeurs du sol, des villages et de l'air lui- même."

Monsieur le ministre, vous l'avez compris, ce n'est pas une question que je vous pose, mais c'est une déclaration d'amour dans les actes que je vous invite à faire au monde paysan, qui nous nourrit sainement et contribue à faire de la France le plus beau pays du monde.

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur le sénateur, ça tombe bien : je ne suis pas énarque, je suis ingénieur agronome !

M. Stéphane Ravier. Pourtant…

M. Julien Denormandie, ministre. Cela devrait vous rassurer ! Pourtant, je suis macroniste et je partage cette même passion.

Les attaques contre les fonctionnaires m'étonnent toujours. D'ailleurs, si je ne dis pas de bêtises, vous aviez fait le choix de la fonction publique, quand vous étiez jeune. C'est tout à l'honneur de ces femmes et ces hommes de s'engager dans la fonction publique.

M. Loïc Hervé. Très bien !

M. Julien Denormandie, ministre. Nous en avons bien besoin ! Jamais, pour ma part je ne tomberai dans le bashing de la fonction publique ; qui plus est, dans cette période, c'est très mal venu.

Un autre point nous différencie absolument. L'amour pour le monde paysan ne se décrète pas, il se montre et se prouve dans l'action. La principale valeur du monde paysan, c'est le travail. Ces femmes et ces hommes travaillent ardemment. Ce ne sont pas des discours d'estrade qui leur feront croire qu'untel ou untel est de leur famille ou empreint de l'amour que vous appelez de vos voeux, ce sont le travail et les résultats.

Monsieur le sénateur, et je crois que ce point aussi nous différencie, vous avez une vision tronquée de l'agriculture. Je le dis comme je le pense.

Vous affirmez qu'il faut faire du local. Or je n'ai pas arrêté de dire qu'il fallait inciter tous nos concitoyens à manger des produits frais et locaux. C'est ce qu'il y a de meilleur pour leur santé, pour l'environnement, pour nos agriculteurs et, souvent, pour leur portefeuille.

Toutefois, vous vous trompez, monsieur le sénateur. Vous souhaitez un pays plus fort, mais, pour ce faire, il faut avoir une agriculture plus forte, et donc une agriculture qui exporte.

M. Loïc Hervé. C'est exact !

M. Julien Denormandie, ministre. Il ne faut pas opposer les uns aux autres. Si l'on veut avoir une filière qui pèse, il est important qu'elle exporte. Je l'assume : oui, je vais aider à exporter avec énormément de force et, oui, je vais aider à développer les circuits courts.

Cessez d'avoir cette vision simpliste pleine de "yakafokon" – on ne va faire que du circuit court, on va empêcher tous les autres, etc. Le monde dans lequel on vit est un monde de rapports de force. Pour peser lourd, il faut exporter. Pour que la France soit forte, il faut qu'elle ait une agriculture forte, à la fois exportatrice et de proximité.

Peut-être est-ce cela le « en même temps » macroniste, et c'est très bien ainsi. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC.)

M. Loïc Hervé. Bravo !

Mme la présidente. La parole est à M. Laurent Duplomb.

M. Laurent Duplomb. Monsieur le ministre, je suis content d'avoir entendu ce que je viens d'entendre ! Si un bon gouvernement doit assurer à son peuple une alimentation durable et locale, ces termes peuvent toutefois revêtir des définitions très différentes dans la bouche des uns ou des autres.

À mes yeux, une alimentation durable passe nécessairement par l'autosuffisance alimentaire. Selon un dicton populaire dans mon pays, « pour être sûr d'en avoir assez, il faut en avoir trop » ! (Sourires.)

Local, pour moi, cela signifie français. Mon département produit 430 millions de litres de lait pour 230 000 habitants. Si l'on voulait limiter la distribution à quelques kilomètres seulement, il faudrait demander à tous les Altiligériens de boire du lait matin, midi et soir !

On doit être capables d'apporter du lait à Marseille, où il n'y a pas de vaches laitières, et des fruits là où le soleil n'est pas assez chaud pour les faire mûrir. Telle devrait être la réalité de notre agriculture durable et locale.

Vous dites qu'il faut favoriser l'export, monsieur le ministre. Je suis d'accord ! Encore une fois, pour en avoir assez, il faut en avoir trop. (Nouveaux sourires.) Et quitte à avoir des produits en excès, mieux vaut les vendre pour pouvoir, grâce à l'argent gagné, mettre en oeuvre des politiques agricoles sur notre territoire.

En 2010, l'excédent commercial agricole français était de l'ordre de 12 milliards d'euros. En septembre 2020, il n'est plus que de 3,98 milliards d'euros. On ne peut pas continuer ainsi ! J'avais prédit, en 2019, que l'excédent commercial français se transformerait en déficit si nous n'y prenions pas garde. Or le risque est bien réel.

Nous avons perdu sur les céréales, nous perdons sur le vin. Plus de la moitié des fruits et légumes que nous mangeons aujourd'hui sont importés !

Vous devez avoir une politique offensive en la matière, monsieur le ministre. Vous en avez déjà parlé, mais j'espère que vous y reviendrez dans votre réponse.

Le deuxième élément…

Mme la présidente. Vous avez déjà dépassé votre temps de parole de trente secondes, mon cher collègue.

M. Laurent Duplomb. Un dernier point alors : il faut une organisation mondiale pour étudier la démographie de notre planète. Nous sommes 7,8 milliards d'habitants aujourd'hui ; nous serons 10 milliards demain. Si nous ne faisons pas attention, si nous en restons à des débats d'enfants gâtés, nous pouvons être certains que, demain, la population d'un pays comme le Nigéria, qui dépassera le milliard d'âmes, viendra se nourrir en France !

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Les deux questions posées par le sénateur Duplomb mériteraient bien plus que deux minutes pour y répondre.

Je ne reviendrai pas en détail sur le sujet de l'export, mais je crois qu'il nous faut absolument une agriculture qui puisse exporter. Il fut un temps où mon métier était précisément d'aider à réaliser ces exportations. J'ai aidé pendant plusieurs années des céréaliers français à exporter en Égypte, car ce pays a besoin de céréales avec un taux de gluten particulier et il ne peut pas les produire.

Songez tout de même, mesdames, messieurs les sénateurs, que 40% de l'action de Business France concerne aujourd'hui le monde agroalimentaire. Mais nous avons des défis de taille à relever sur nombre de filières, notamment le vin ou certains types de viande – nous n'arrivons pas, par exemple, à ouvrir de nouveaux marchés en Italie pour les broutards.

Nous essayons d'accompagner très fortement ces exportations. J'étais il y a dix jours avec les équipes de Business France pour accompagner le lancement d'un plan de relance export grâce auquel l'État va financer une grande partie des démarches pour conquérir de nouveaux marchés.

Moi qui suis très attaché à l'agriculture française, ce qui m'énerve le plus, au-delà de la diminution de notre balance commerciale, c'est que les Allemands sont devenus meilleurs exportateurs agricoles que nous ! Comment peut-on accepter cela quand on est, comme moi, convaincu de la pertinence des produits agricoles français ?

Je prends donc l'engagement de me battre corps et âme pour favoriser l'export.

J'en viens au deuxième élément, en lien avec le premier, la question de la démographie. Dans toute science humaine, l'approche démographique me semble essentielle. Hervé Le Bras vient de publier un ouvrage absolument éclairant, Métamorphoses du monde rural, qui explique que le monde agricole est passé en trente ans d'une agriculture de territoires, de propriétaires, à une agriculture menée par des « entrepreneurs du vivant ». Cette approche me paraît extrêmement juste.

Les enjeux démographiques doivent être considérés en lien avec la nutrition. Quand on parle par exemple de gestion de l'eau à l'échelle de la planète, l'eau importée, c'est-à-dire celle incluse dans les productions végétales qui font ensuite l'objet d'échanges commerciaux, représente un sujet massif à l'échelle démographique et géopolitique. Nous devons avoir une vision claire et donner un cap.

En la matière, l'Europe a aussi un rôle à jouer. Nous finalisons actuellement la nouvelle PAC. Faut-il privilégier tel ou tel outil ? Faut-il faire plus de redistribution ou aller vers plus de convergence ? Selon moi, la seule question que l'on doit se poser, c'est la vision de notre agriculture dans sept ans. Où veut-on amener notre agriculture à cette échéance, au regard des changements à l'oeuvre dans le monde ? Je conserverai cette approche, qui est à mon avis la bonne, même si elle est plus complexe.

Mme la présidente. Je conçois qu'il soit assez frustrant de répondre en deux minutes, monsieur le ministre, mais nous devons tout de même essayer de respecter les temps de parole.

La parole est à Mme Évelyne Perrot. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

Mme Évelyne Perrot. Madame la présidente, monsieur le ministre, la crise sanitaire et ses conséquences éclairent d'un jour nouveau le sujet de l'alimentation durable et locale. Nous sommes face à l'opportunité historique de réaliser pleinement la transition écologique de notre modèle agricole. En effet, si une telle transition est amorcée dans de nombreux domaines et dans plusieurs États membres, l'empreinte environnementale de notre alimentation reste importante.

En mai dernier, l'Union européenne s'est dotée d'une stratégie, "De la ferme à la fourchette", qui ambitionne notamment de réduire de 50% l'utilisation de pesticides chimiques, ou encore de disposer de 25 % de la superficie agricole en agriculture biologique d'ici à 2030.

Pour atteindre ces objectifs ambitieux et nécessaires, nous devons relever ensemble plusieurs défis : la souveraineté alimentaire, la rémunération des producteurs, la capacité de nos concitoyens à acheter leurs produits et, bien entendu, le développement durable.

Dans un récent ouvrage, Hubert Védrine explique que le concept de « compétitivité écologique » va s'imposer rapidement. Nous devons aujourd'hui tracer ce chemin.

Monsieur le ministre, face à l'indispensable transition agroécologique, quelle position la France va-t-elle défendre dans le cadre des prochains grands rendez-vous européens, qu'il s'agisse de la réforme de la PAC, de l'adoption du budget européen ou encore de la stratégie "De la ferme à la fourchette" ?

Pour la mise en oeuvre de cette stratégie, la Commission a prévu un calendrier réglementaire et législatif allant presque jusqu'en 2024. Ce calendrier vous paraît-il adapté ? La France souhaite-t-elle que l'examen de certains textes soit avancé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la sénatrice, pour moi, la vision est claire. D'abord, que souhaite-t-on fondamentalement ? Où veut-on amener l'agriculture européenne dans les sept prochaines années ?

Le cadre politique sur lequel les ministres européens viennent de se mettre d'accord donne des orientations : une agriculture plus souveraine, qui développe plus de protéines et qui engage la transition agroécologique. Mais cette dernière doit bien évidemment être financée. Il ne suffit pas d'exiger cette transition des agriculteurs et de les laisser se débrouiller. Comment les accompagne-t-on ? Comment arrête-t-on de leur adresser des injonctions contradictoires ? Vous m'avez déjà entendu plus d'une fois dénoncer ces injonctions stériles, qui biaisent le débat et méconnaissent l'immense valeur ajoutée de notre agriculture et de nos agriculteurs.

Ensuite, le diable se niche toujours dans les détails, et cet adage est peut-être encore plus vrai s'agissant des politiques européennes…

Chaque État membre va à présent décliner ce cadre politique, arrêté entre les ministres et actuellement discuté avec la Commission et le Parlement, dans un plan stratégique national. Des discussions vont s'ouvrir à cette fin en France. Je ne l'ai pas encore obtenu, mais je me battrai, en profitant aussi de la présidence française de l'Union à partir du 1er janvier 2022, pour que ces fameux plans stratégiques nationaux soient considérés comme des documents politiques devant être examinés au niveau des ministres.

Nous nous sommes accordés sur la nécessité d'une convergence au sein du marché commun. Mais si cet objectif est ensuite décliné au niveau bilatéral et si l'on ne peut pas évaluer l'équivalence des chemins empruntés dans les différents États membres, ça ne peut pas marcher. Il faut, en d'autres termes, pouvoir vérifier que les règles ne sont pas beaucoup plus contraignantes d'un côté, et beaucoup moins de l'autre.

Je me bats donc pour que ces plans stratégiques nationaux soient in fine présentés au niveau des ministres. Je pourrai ainsi dire aux agriculteurs : si nous organisons la transition de cette manière, c'est parce que nos collègues européens la font aussi de cette manière, avec les mêmes ambitions.

L'ensemble forme une vision politique, et soyez assurés de mon engagement très fort sur ce point.

Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Perrot, pour la réplique.

Mme Évelyne Perrot. Monsieur le ministre, je viens de vous remettre un document que je vous demande d'examiner avec grand intérêt.

Je vis dans un secteur de grandes cultures où les paysans sont pris dans une spirale infernale. Certains se sont réunis pour travailler la terre avec respect, cultiver du bio en circuits courts à portée de tous, en respectant les nappes phréatiques, mais surtout en donnant aux agriculteurs une rémunération honnête et un regard respectueux sur leur métier.

Il s'agit d'intelligence collective, monsieur le ministre. C'est ce que vous aimez, et ce que vous venez de nous donner comme exemple.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Michau.

M. Jean-Jacques Michau. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la crise sanitaire sans précédent que nous traversons, et qui touche durement nos concitoyens, nous conduit irrémédiablement à interroger nos modes de consommation, en particulier la qualité de notre alimentation.

De fait, la question alimentaire a pris une importance grandissante et elle est devenue aujourd'hui un nouvel enjeu de développement durable pour les territoires. Les collectivités, cela a été dit, sont mobilisées et s'engagent de manière volontaire sur la question alimentaire dans l'élaboration d'initiatives locales et de PAT, qui contribuent à la construction de nouvelles politiques transversales. C'est le cas en particulier dans mon département, l'Ariège, où le PAT du pays des Pyrénées cathares a été mis en place dès le mois de mai 2018.

La problématique de l'agriculture de proximité, de la préservation du foncier et des activités agricoles est prioritaire. Vous le savez, la maîtrise foncière est l'un des principaux outils dont nous disposons pour permettre et encourager l'installation de nouveaux agriculteurs, en mobilisant du foncier ou en achetant en fonction des opportunités, en lien avec les Safer.

Pourtant, alors même que le droit de préemption des Safer a été conforté par l'acquisition de la totalité des parts d'une société, il s'avère que de nombreuses acquisitions de terres agricoles par des sociétés parfois étrangères continuent de susciter interrogations et inquiétudes.

Ainsi, les fonds de gestion, par le biais de sociétés, continuent d'acheter à des exploitants et à des prix parfois très élevés des milliers d'hectares dont les productions sont en règle générale destinées à l'exportation.

Les mécanismes de contournement de notre législation mis en oeuvre par ces acheteurs, notamment la pratique des cessions partielles, démontrent clairement l'inefficacité de nos outils de régulation. Les conséquences de cette spéculation sont néfastes pour nos territoires, en particulier pour les nouveaux agriculteurs.

Monsieur le ministre, ma question est donc simple : vous aviez annoncé en 2017 la préparation d'une grande loi foncière, qui devait être programmée d'ici à la fin du quinquennat. Quand proposerez-vous au Parlement ? Comment comptez-vous agir pour mieux réguler le foncier agricole et empêcher les contournements du droit de préemption des Safer ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Vous me posez plusieurs questions, monsieur le sénateur Michau, qui font également écho aux interrogations de plusieurs de vos collègues.

Oui, il faut profondément améliorer le foncier agricole. Les défis sont nombreux, vous l'avez dit : le statut de l'agriculteur, le fermage, la régulation. Ce sont autant de sujets sur lesquels nous avons déjà collégialement beaucoup travaillé. Le Sénat a énormément produit sur cette question et le ministère, notamment sous l'impulsion de mon prédécesseur, s'est aussi fortement engagé.

Va-t-on faire une grande loi foncière d'ici à la fin du quinquennat ? Vous connaissez ma franchise dans les réponses. De fait, le temps parlementaire a été énormément contraint par les textes liés à la situation exceptionnelle que nous vivons depuis plusieurs mois. Je ne crois pas, à titre personnel, que nous aurons la fenêtre de tir pour mener à bien cette grande loi foncière. En tout état de cause, cela ne doit pas nous empêcher de nous dire que nous la présenterons au début du prochain quinquennat, si toutefois vous le désirez, monsieur le sénateur… (Sourires.)

Nous pouvons aussi avancer sur de nombreux sujets qui ne nécessitent pas l'intervention de la loi.

Prenez par exemple la question de la régulation par les Safer. Vous connaissez comme moi la gouvernance de ces sociétés, monsieur le sénateur… Franchement, on n'a pas besoin de la loi pour améliorer leur gestion ici ou là. Bien entendu, cela ne veut pas dire qu'il faut renoncer à améliorer le cadre légal.

Le portage foncier ne nécessite pas non plus de modifications législatives. On ne le sait pas suffisamment, mais le foncier agricole coûte beaucoup moins cher en France que dans les pays voisins. Comment se fait-il que nous n'en tirions aucun avantage compétitif ? Un jeune agriculteur qui s'installe, avant même de commencer, contracte systématiquement 200 000 ou 300 000 euros d'emprunt. Nous travaillons à la recherche de solutions très concrètes, sans passer par la loi.

Nous devons aussi selon moi régler la question de la retraite de nos agriculteurs, qui présente un lien direct avec le foncier. Comment expliquer cette pression foncière sur l'acquisition des terres, surtout depuis la génération qui me précède ? Tout simplement parce que, aujourd'hui, quand vous êtes agriculteur, vous financez votre retraite par le foncier !

Si l'on veut réussir à trouver de nouvelles modalités permettant aux jeunes de moins s'endetter, la première des choses à faire, c'est de régler le problème de la retraite des agriculteurs. C'est tout le travail qui est en cours, à la suite d'une proposition de loi adoptée à l'Assemblée nationale.

Mme la présidente. La parole est à Mme Kristina Pluchet.

Mme Kristina Pluchet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous alimenter de façon saine et durable est devenu un enjeu majeur et constitue une véritable attente de la part de tous nos concitoyens.

Des États généraux de l'alimentation en 2017 à la loi Égalim en 2018, l'ensemble des acteurs se sont prononcés. Ce sont autant d'enjeux sanitaires, écologiques, agricoles et économiques qui font la complexité du sujet.

Une impulsion a été donnée par l'article 24 de la loi Égalim, qui prévoit que les repas servis en restauration collective publique, d'ici au 1er janvier 2022, devront compter au moins 50% de produits alimentaires durables de qualité, dont 20% issus de l'agriculture biologique.

Nous souscrivons à cet objectif, mais nous sommes confrontés à des difficultés de mise en oeuvre parce que nous n'avons pas les moyens sur le terrain. Nous ne comptons pas assez de producteurs, pas assez de maraîchers notamment.

Que l'on parle de souveraineté alimentaire ou d'alimentation saine et durable, les circuits courts devraient être notre objectif n° 1. C'est d'ailleurs une ambition tracée par le Green Deal européen, avec la stratégie "De la ferme à l'assiette" présentée le 20 mai dernier par la Commission européenne.

Pour atteindre l'objectif, il faut aider à l'installation de producteurs locaux et leur assurer des volumes et des prix rémunérateurs.

Prévus par la loi d'avenir pour l'agriculture en 2014, quelque 190 projets alimentaires territoriaux (PAT) ont vu le jour. Le Gouvernement en voulait 500, mais le développement est plus lent que prévu.

J'en viens à ma première question, monsieur le ministre. Quelle est votre stratégie pour accélérer l'implantation de ces PAT, afin qu'ils nous permettent de tenir nos engagements pour 2022 ?

Par ailleurs, quelles positions défendra la France, dans le cadre de la réforme de la PAC, pour concilier la transition agroécologique et la prise en compte de la situation financière critique de nos agriculteurs ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Pour répondre à votre première question, madame la sénatrice Pluchet, je pense fondamentalement que, pour accélérer, il faut des moyens.

C'est pourquoi, dans le plan de relance, 80 millions d'euros sont consacrés à l'accompagnement des PAT. Il y a aussi un gros travail d'accompagnement à faire. J'évoquais ce point avec les chambres d'agriculture, mais je pense que la Haute Assemblée a aussi son rôle à jouer, en montrant ce qui se passe ici ou là et en convainquant d'autres de participer à cette dynamique.

Vous avez raison, tout est lié. Ici, il n'y a pas suffisamment d'agriculture biologique – la surface agricole utile en bio représente aujourd'hui environ 8,5% du total, ce qui est insuffisant – ; là, nous devons favoriser davantage les productions sous signe officiel de qualité (SIQO). C'est pourquoi je lance le crédit d'impôt haute valeur environnementale (HVE).

Enfin, vous l'avez souligné, il n'existe pas de définition du « produit local » : on ne sait pas s'il doit parcourir 60, 80 ou 150 kilomètres. Je suis toutefois très à l'aise avec la définition avancée par le sénateur Duplomb, et je peux même dire que je la partage. Mais c'est précisément parce que cette notion n'est pas définie, et probablement pas définissable, qu'elle n'a pas été insérée dans l'article 24 de la loi Égalim.

Les PAT constituent toutefois le bon levier pour assumer le caractère local du produit, quel qu'il soit, à une échelle compréhensible par le citoyen. Celui-ci voit bien, à son niveau, ce qu'est un produit local.

Sur la transition agroécologique, je fais partie de ceux qui disent qu'elle a un coût. Il est trop facile d'adresser aux agriculteurs des injonctions de faire sans vouloir les rémunérer pour la réalisation de cette transition.

Il ne s'agit en aucun cas d'opposer les uns aux autres – les agriculteurs sont les premiers à souhaiter la transition agroécologique –, mais de mettre en cohérence nos demandes et nos actes.

Ce n'est pas un gros mot de dire qu'il faut rémunérer l'agriculteur qui met en oeuvre cette transition. Ce n'est pas être anti-écologiste, juste pragmatique, car nos agriculteurs, ces "entrepreneurs du vivant", ont besoin de vivre pour convaincre les générations futures d'entrer dans cette grande famille agricole qui peut créer de nombreux emplois, à condition qu'ils soient rémunérés.

C'est ainsi que l'on avancera, et la PAC doit nous y aider.

Mme la présidente. La parole est à M. Serge Mérillou.

M. Serge Mérillou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le travail de nos éleveurs fait notre fierté collective. Malheureusement, le confinement et les mesures de restriction appliquées à la restauration collective, aux restaurateurs ainsi qu'aux professionnels du tourisme renforcent aujourd'hui les difficultés que certaines filières animales connaissaient depuis plusieurs années.

Je voudrais attirer particulièrement votre attention sur la situation des abattoirs de proximité, qui sont nombreux à rencontrer des difficultés en milieu rural.

Ainsi, l'abattoir de Ribérac, qui emploie 21 personnes dans mon département de la Dordogne, est au bord du gouffre à la suite d'une diminution drastique du nombre de bêtes abattues : 1 200 aujourd'hui, contre 4 000 il y a quelques années.

Le retrait de la société Arcadie au printemps a réduit son activité de moitié et porté un coup fatal à cet abattoir, qui cumule 700 000 euros de dette, dont 200 000 euros de redevance due à la commune.

Le maintien de ces abattoirs locaux est pourtant nécessaire : pour limiter le temps de transport des animaux et l'impact sur l'environnement, pour favoriser les circuits courts et une économie circulaire conforme aux nouvelles attentes de nos concitoyens, pour maintenir aussi des emplois dans des territoires en difficulté.

Si rien n'est fait, leur disparition entraînera le déséquilibre de nombreuses filières. Le label « veau élevé sous la mère », qui fait la fierté du Ribéracois, est aujourd'hui menacé.

Monsieur le ministre, le volet "filières animales" du plan France relance a été doté d'une enveloppe de 250 millions d'euros, dont 130 millions d'euros spécifiquement dédiés à la modernisation des abattoirs et aux outils de première transformation.

Que comptez-vous faire pour sauver nos abattoirs ruraux ? Quels leviers comptez-vous activer pour inciter les acteurs privés à investir dans ces structures essentielles à une alimentation durable et locale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre, pour deux minutes seulement !

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Je connais bien la situation en Dordogne et les conséquences des difficultés du groupe Arcadie, qui ont impliqué différentes reprises, notamment celle de l'abattoir de Ribérac par Carnivor à la suite d'une procédure douloureuse devant le tribunal de commerce de Montpellier – je parle sous votre contrôle, monsieur le sénateur.

J'irai même plus loin que vous : c'est l'identité même d'un territoire qui est parfois menacée. Si l'abattoir disparaît, l'indication géographique tombe. Ce serait le cas pour les agneaux du Quercy, par exemple.

Il est pour moi essentiel de pouvoir aider ces abattoirs de proximité. C'est pourquoi j'ai décidé d'inclure dans le plan de relance une enveloppe très importante pour les accompagner.

Les abattoirs territoriaux font parfois quelques bénéfices, mais le plus souvent ils gagnent peu ou pas d'argent, alors même que les collectivités locales les soutiennent souvent avec beaucoup de détermination.

Nous devons pouvoir leur apporter un soutien financier. Aujourd'hui, l'enveloppe est disponible ; le sujet est donc de faire remonter les projets, en lien avec les préfectures localement. Je vise plus particulièrement deux objectifs, d'une part la modernisation et la rentabilité de ces abattoirs, d'autre part la question du bien-être animal, pour diminuer le stress des animaux. Nous avons les moyens de notre ambition et je serai ravi d'en discuter avec vous, monsieur le sénateur.

Mme la présidente. La parole est à M. Édouard Courtial.

M. Édouard Courtial. Monsieur le ministre, qu'il me soit d'abord permis de dédier cette question à la mémoire de Laurent Darras, agriculteur décédé à la suite d'un accident dans son exploitation, hier, à Villers-Saint-Frambourg-Ognon, dans l'Oise.

Voilà quelques jours, le Président de la République déclarait : "Être jeune en 2020 n'est pas facile." Être agriculteur ne l'est pas davantage. Violences à leur encontre, surenchérissement du coût du travail, surtranspositions récurrentes, complexités administratives, désertification vétérinaire, transmission des exploitations : la liste des défis auxquels ils sont confrontés est longue et en découragerait plus d'un. Vivre honnêtement et décemment de leur travail arrive en tête de ces défis.

Pour les relever, l'État n'est pas à la hauteur des attentes des agriculteurs. De perpétuels allers-retours voient chaque avancée immédiatement chassée par une nouvelle déception.

Ainsi, la loi Égalim, qui a fait naître tant d'espoirs, n'a rien résolu ! Elle laisse aujourd'hui place à la colère, tandis que sont signés des traités internationaux qui mettent en péril notre production.

C'est le cas encore lorsque vous devez assumer l'interdiction des néonicotinoïdes, tout en promettant une solution alternative qui n'arrive toujours pas. Et vous voilà obligés – le Parlement vous en sait gré – de demander une dérogation indispensable !

Résultat, l'agriculture française décroche par rapport à ses concurrents. Pourtant, elle est un atout indéniable pour notre avenir, non seulement parce qu'elle assure notre souveraineté et notre sécurité alimentaire, et qu'elle est l'ADN de nos territoires ruraux, mais aussi parce qu'elle est un formidable moteur pour l'ensemble de notre économie et la vitrine d'un savoir-faire unique, reconnu et envié dans le monde entier.

Nos agriculteurs sont les premiers écologistes. Ils respectent cette terre qu'ils ont su apprivoiser. Notre agriculture est sans doute l'une des plus durables, voire la plus durable, du monde. Elle atteint un niveau d'exigence inégalé, avec des produits de qualité dont nous pouvons être fiers.

Monsieur le ministre, à quand une campagne de sensibilisation et une politique qui revalorisent la profession et défendent nos agriculteurs ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Monsieur Courtial, je vous remercie sincèrement pour votre question. Vous avez, ô combien, raison de ne pas tomber dans la critique facile, mais bien plutôt de valoriser ce beau métier d'agriculteur et d'éleveur !

J'en appelle à toute la jeunesse de France. Le monde agricole recrute, et il s'agit de métiers de passion. Quelle plus belle passion que celle du vivant, de la terre, de l'environnement ? Voilà ce qui anime nos agriculteurs !

L'agriculture est un métier d'innovation. Contrairement à nombre d'idées reçues, l'innovation est au coeur des métiers agricoles : machinisme, gestion raisonnée de l'ensemble des intrants, outils de transformation, autant de secteurs d'innovation dans lesquels notre pays est souvent leader mondial.

Au-delà de cette passion et de cette innovation, le métier d'agriculteur a l'une des plus importantes finalités qui soit, au service du peuple français : nourrir l'ensemble de nos concitoyens et leur donner confiance dans la santé nutritionnelle que j'évoquais, à l'instant, à cette tribune de la Haute Assemblée.

Le départ à la retraite d'un agriculteur sur deux dans les dix prochaines années constitue aujourd'hui un défi majeur. Nos lycées agricoles représentent un actif absolument considérable, ces lycées du vivant qui forment celles et ceux qui le souhaitent, tout au long de leur vie, en formation initiale comme en formation continue, aux métiers du vivant.

Ce sont des métiers de passion, d'innovation, de noblesse, des valeurs que nous devons défendre. J'ai pris cet engagement auprès des agriculteurs, celui de toujours me battre pour qu'ils puissent vivre dignement de leur métier. Je ne lâcherai rien !

Le deuxième engagement que je prends, monsieur le sénateur, est de faire en sorte que nous puissions lancer très rapidement cette campagne de communication. Dans le plan de relance, 10 millions d'euros y seront consacrés. Nous avons beaucoup travaillé à cette campagne avec les Jeunes agriculteurs (JA), car il y va de notre souveraineté : une agriculture sans agriculteurs est impossible.

Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Muller-Bronn.

Mme Laurence Muller-Bronn. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le développement des circuits courts est une tendance émergente de la consommation alimentaire, largement confirmée depuis l'épidémie de la covid-19. Cette crise sanitaire a développé l'attrait des consommateurs pour les produits locaux et pour la traçabilité des aliments. Elle a également révélé le soutien et la solidarité des Français envers les producteurs de proximité. Une relation de confiance s'est construite ; il est indispensable qu'une politique de soutien économique et fiscale vienne pérenniser cette relation.

Certes, ces filières bénéficient des aides de l'État, au même titre que les entreprises des secteurs touchés par la crise sanitaire. Cependant, au-delà des mesures d'urgence, nous devons conforter leur avenir.

À ce titre, la loi Égalim n'a pas permis de mieux structurer l'offre alimentaire produite sur le sol français, comme le Sénat a pu le constater dans son bilan d'application de la loi. Elle n'a pas non plus apporté les bénéfices économiques attendus pour les agriculteurs locaux. En effet, leurs revenus restent insuffisants, alors que la demande pour leurs produits augmente et que des emplois pourraient être créés, si l'État soutenait ces filières de manière pérenne.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué au début de ce débat la signature d'une série d'engagements avec les supermarchés, pour favoriser l'agriculture de proximité. Pourtant, permettez-moi de ne pas y voir la bonne solution.

Rendre les agriculteurs dépendants de la grande distribution, est-ce pertinent ? Les habitants ont pris de nouvelles habitudes d'achat de proximité. Nous devons garantir l'indépendance des agriculteurs, pour qu'ils puissent répondre aux attentes des clients d'aujourd'hui, lesquels participent aujourd'hui à la revitalisation des villages et villes de la France rurale, et favorisent le lien social dans nos communes rurales.

Monsieur le ministre, quelles mesures structurelles par le Gouvernement envisage-t-il de prendre pour soutenir l'ensemble de ces acteurs des filières locales ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Cet accord et ces engagements passés avec la grande distribution n'obèrent en rien nos autres actions. Ils ne sont en rien exclusifs d'autres mesures !

Lors du premier confinement, nous avons constaté l'attrait d'un grand nombre de nos concitoyens pour ces produits frais et locaux dans les supermarchés. Il m'a semblé très important de pouvoir pérenniser cette tendance, au bénéfice de nos agriculteurs.

Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas, en même temps, structurer les filières localement. Le plan de relance prévoit 60 millions d'euros à cette fin.

Nous créons aussi les PAT, qui permettent de développer les débouchés de proximité grâce à une meilleure articulation avec l'amont de la chaîne de production. Le plan de relance y consacre 80 millions d'euros.

Enfin, 50 millions d'euros sont destinés, dans le cadre dudit plan, aux cantines scolaires. Nous nous intéressons aussi à la restauration collective, qui représente un enjeu absolument essentiel. Nous devons jouer sur tous les tableaux, et la grande distribution en fait partie.

Nous allons finaliser cet accord avec la grande distribution. Nous avons déjà commencé ce travail avec les commerçants qui, depuis toujours, valorisent les circuits locaux ; les artisans, notamment, créent la valeur ajoutée de leurs produits. Il en va de même dans le domaine de la restauration collective. Pas plus tard que la semaine dernière, en dépit des grandes difficultés que rencontre ce secteur, tous les acteurs ont souhaité participer à cette démarche.

Il me semble fondamental de développer aussi bien l'export que les circuits courts, et pour ces derniers dans toutes leurs facettes, de l'amont à l'aval, quels que soient les circuits de distribution. Pour chacun de ces circuits, je m'y emploierai avec la même détermination.

Mme la présidente. La parole est à Mme Vivette Lopez.

Mme Vivette Lopez. Le débat qui nous réunit aujourd'hui, monsieur le ministre, vient opportunément mettre le sujet de l'alimentation durable, et donc celui de l'agriculture, au coeur de nos discussions. Nous ne pouvons que nous en féliciter.

Bien que cette thématique ne soit pas vraiment nouvelle, elle a pris ces derniers mois, à la faveur de la pandémie, un relief particulier. En effet, chaque Français a pu constater par lui-même, au fur et à mesure que les frontières fermaient, à quel point la souveraineté alimentaire de la France était nécessaire, à quel point le circuit court pouvait répondre aux besoins d'une population, à quel point la démultiplication des circuits d'achat devait faire l'objet de toute notre attention.

À cet égard, la mise en place de maisons des producteurs au sein de plusieurs bassins de vie semble avoir apporté des réponses satisfaisantes, pour les consommateurs comme pour les agriculteurs.

Le principe de ces structures est assez simple : il s'agit de réunir des producteurs qui s'engagent à respecter une charte des bonnes pratiques garantissant la qualité de leurs produits, et de mettre à leur disposition des locaux ou du foncier pour qu'ils puissent vendre directement leurs produits de saison. Aujourd'hui, 37 départements participent à cette démarche et organisent plus de 2 500 marchés qui sont, en outre, devenus de véritables outils d'animation et de développement des territoires, tout au long de l'année.

Néanmoins, si l'objectif est simple, la mise en oeuvre se heurte à deux difficultés majeures : le financement et la lisibilité.

En ce qui concerne le financement, chaque création d'une nouvelle maison des producteurs est le fruit d'un partenariat entre les producteurs, la chambre d'agriculture et les collectivités locales. Or les budgets respectifs sont contraints et l'aide de l'État s'avère nécessaire.

Pour ce qui est de la lisibilité, l'écueil semble être le même que pour le développement de sites marchands en ligne favorisant la consommation locale – voyez la campagne "Dans ma zone" en Occitanie…

Toutes les initiatives sont pertinentes, mais entre les plateformes des chambres consulaires, des associations d'élus, des collectivités, des commerces et des artisans de proximité, les professionnels et les consommateurs finissent par s'y perdre.

Au sortir de la pandémie, face à des budgets contraints, nous verrons un élan réel pour mailler le territoire avec des structures nouvelles, qui mutualisent les forces de chacun. Les agriculteurs le souhaitent, les Français y souscrivent également. Vous savez combien les Français ont toujours manifesté un attachement historique et culturel à leur alimentation.

Aussi, ma question est simple : quelle aide l'État serait-il prêt à apporter pour la création de nouveaux marchés des producteurs ou la professionnalisation des marchés existants ?

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Madame la sénatrice, je crois beaucoup à ces maisons des producteurs, ainsi qu'aux marchés de gros. Nous parlons souvent de Rungis, qui est un formidable exemple de l'excellence française, mais un peu moins des autres marchés qui maillent notre territoire et ne sont pas souvent associés à certaines initiatives et politiques publiques que nous mettons en oeuvre.

Je suis tout à fait d'accord pour accélérer et soutenir le développement de ces maisons des producteurs. Nous pouvons les financer au titre des PAT. Puisque ces projets visent à consolider les filières de l'amont à l'aval, en fonction des projets de territoire, ils peuvent parfaitement soutenir ces structures.

Lorsque l'État engageait entre 40 000 et 50 000 euros en faveur d'un PAT, la collectivité n'utilisait pas forcément ces sommes pour financer d'abord la maison des producteurs, tant les défis étaient déjà nombreux. En engageant des sommes vingt-cinq fois supérieures, soit 80 millions d'euros sur deux ans, versus 6 millions d'euros sur quatre ans, l'État donne des moyens à la hauteur de cette forte ambition, notamment – mesure que j'appelle de mes voeux – pour l'inclusion de ces maisons dans des PAT. Je suis prêt à travailler avec vous sur ces questions.

Madame la présidente, puisque je n'ai pas complètement épuisé mon temps de parole, je me permets de vous remercier pour la manière dont vous avez présidé ce débat et pour la mansuétude dont vous avez fait preuve à l'égard de mes réponses un peu longues.

Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et UC, ainsi que sur des travées du groupe Les Républicains.)

Mme la présidente. Monsieur le ministre, vous savez combien ce débat m'est cher !

(…)

Mme la présidente. Merci, mon cher collègue, vous avez été exemplaire ! Monsieur le ministre, je vous cède la parole.

M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation. Je souhaite remercier le sénateur Marchand d'avoir inscrit ce débat à l'ordre du jour.

La période actuelle nous montre qu'il convient de ne pas dissocier les sujets. L'alimentation est aussi une question de santé. La santé ne concerne pas seulement l'homme, mais l'ensemble de ses interactions avec le règne animal et le règne végétal. La politique « Une seule santé », en laquelle croient beaucoup d'entre vous, montre que cette approche holistique, globale et d'unité au sein du monde vivant est très certainement pertinente.

La complexité de la nature rend nos chemins certes difficiles à appréhender, mais passionnants à explorer. (M. Frédéric Marchand applaudit.)

Mme la présidente. Nous en avons terminé avec le débat sur le thème : « Alimentation durable et locale. »

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.


Source http://www.senat.fr, le 2 décembre 2020