Texte intégral
CARINE BECARD
A 2 jours du réveillon, nos producteurs de foie gras, nos éleveurs de chapons, nos ostréiculteurs se tiennent forcément prêts pour incarner ce qu'il est convenu d'appeler l'excellence de la cuisine française. Seulement, en pleine crise sanitaire, comment se portent-elles vraiment toutes ces filières agro-alimentaires, avec les petites tablées qui nous sont imposées, avec les restaurants qui sont restés fermés ? La situation est devenue pour elles extrêmement compliquée. Autant dire que l'alimentation en cette fin d'année est le gros dossier du ministre de l'Agriculture. Vos questions, vos témoignages, vos réactions, comme chaque matin au 01 45 24 7000. Julien DENORMANDIE, bonjour.
JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.
CARINE BECARD
Et merci d'avoir accepté notre invitation. Les producteurs de foie gras, commençons par eux, réalisent 70 % de leurs ventes sur ce seul mois de décembre. 40% de leurs débouchés se trouvent dans les restaurants. Alors, pour sauver la filière, vous profitez de Noël pour appeler au patriotisme gastronomique, c'est-à-dire que vous incitez le consommateur français à acheter local. Julien DENORMANDIE, est-ce que vous croyez vraiment que ça sera suffisant ?
JULIEN DENORMANDIE
C'est nécessaire, mais ça ne sera pas forcément suffisant. Alors c'est nécessaire, parce qu'effectivement notre pays a des produits d'excellence, ce qu'on appelle en cette fin d'année les produits festifs, vous en avez cités certains…
CARINE BECARD
Quelques-uns, oui.
JULIEN DENORMANDIE
Les chapons, les huîtres, la volaille, le foie gras, etc. Et donc on a ces produits d'excellence, et il est vrai que lorsqu'aujourd'hui nos compatriotes sont en train de faire leurs achats pour les réveillons, eh bien j'en appelle à ce patriotisme de consommation, à se dire que derrière chaque produit il y a des femmes, des hommes qui travaillent et qui font vivre nos territoires, qui donnent leur temps pour produire ces beaux éléments du terroir.
CARINE BECARD
Ces beaux produits.
JULIEN DENORMANDIE
Et donc il nous faut absolument les accompagner, les aider. Et par cet acte de consommation, par ce patriotisme gastronomique, de consommation, on a les moyens de les aider. Alors après, effectivement ça ne sera pas suffisant, c'est-à-dire qu'en plus de cela mon ministère, mes équipes, on déploie beaucoup d'énergie pour accompagner les filières, pour mettre en place des dispositifs d'aides, pour mettre en place des dispositifs de communication, des dispositifs de stockage, bref toute une série d'aides pour venir en soutien de ces filières. Mais encore une fois ce patriotisme gastronomique au-delà du plaisir de la table…
CARINE BECARD
Vous y croyez.
JULIEN DENORMANDIE
Moi j'y crois profondément. Il n'y a rien de tel que ces produits du terroir, que notre pays sait produire pour avoir des belles fêtes de fin d'année.
CARINE BECARD
Alors vous parliez également des aides financières, des exonérations de charges, les 10 000 € de fonds de solidarité, mais quand vous réalisez, et je reprends mon chiffre au départ, 70% de vos ventes sur le seul mois de décembre, est-ce que ces aides vous semblent à la hauteur des enjeux financiers pour ces exploitations ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien on s'adapte, c'est-à-dire qu'il y a les aides que vous venez de dire. Pourquoi il faut ces aides ? Parce qu'en fait beaucoup de ces secteurs ne sont pas des secteurs évidemment fermés, comme les restaurants, mais ce sont des secteurs qui dépendent profondément de secteurs qui eux sont fermés, et donc il nous a fallu les accompagner avec des exonérations de charges, avec des dispositifs de fonds de soutien, un gros travail qu'on a fait avec mes collègues de Bercy. Mais en plus de cela, en plus de ces aides dites traditionnelles, on accompagne les filières, et parfois des filières où on va dans la dentelle, je pense à la bière d'hiver, je pense au cidre, je pense à la pomme de terre, je pense aux produits de la mer, à chaque fois on essaie d'apporter les bonnes aides aux bons endroits pour des filières. Encore une fois…
CARINE BECARD
C'est-à-dire, vous faites quoi très concrètement par exemple…
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien c'est des aides…
CARINE BECARD
Plus importantes ?
JULIEN DENORMANDIE
Par exemple des aides de stockage. Dans le domaine du vin, parlons-en, le vin on a mis en place une série d'aides qui représentent plus de 250 millions d'euros depuis cet été, pour venir accompagner la filière. Et pour autant on sait que, à certains moments ça n'est pas encore suffisant, donc on ne cesse de travailler avec ces filières pour adapter nos aides. C'est très important, parce que vous savez ces filières c'est une partie de notre identité…
CARINE BECARD
Bien sûr.
JULIEN DENORMANDIE
Quand vous parler du vin, quand vous parlez des chapons, quand vous parlez de l'ostréiculture, de la pisciculture, ça fait vivre notre territoire et c'est une partie de notre identité. Donc moi je déploie beaucoup d'énergie pour venir les accompagner. Mais la meilleure des aides, encore une fois, qu'on peut faire à ces filières, c'est de se dire à chaque produit et c'est très important, à chaque produit il y a à côté, derrière, des femmes et des hommes qui travaillent, et si on veut les soutenir, eh bien consommons avec ces produits du terroir, consommons local, et j'en appelle encore une fois ce patriotisme de consommation.
CARINE BECARD
Alors, on l'a bien entendu, mais on parle de différents secteurs, là, combien de secteurs de l'agroalimentaire, j'imagine que c'est une mission pour vous de les cibler, combien de secteurs vont sortir totalement exsangues de cette crise sanitaire ?
JULIEN DENORMANDIE
Vous savez, la grande difficulté c'est pendant combien de temps encore la restauration dite hors domicile, notamment les restaurants, vont rester fermés. Evidemment…
CARINE BECARD
Je ne sais pas, vous appartenez au gouvernement, peut-être que vous avez une information à nous donner sur ça.
JULIEN DENORMANDIE
Non, mais tout le monde l'a bien en tête, on s'est fixé ce point de revoyure à la mi-janvier, et tout ça dépendra évidemment de la situation sanitaire…
CARINE BECARD
D'une troisième vague ou pas.
JULIEN DENORMANDIE
... et du comportement d'ailleurs de chacune et chacun d'entre nous pendant les fêtes de fin d'année. Mais beaucoup de ces secteurs dépendent de la restauration hors domicile, dépendent de la fermeture par exemple des restaurants, et donc tant qu'il y aura besoin de le faire, nous apporterons les soutiens nécessaires à ces filières, c'est très important, il ne faut pas que ce soit des victimes collatérales de la Covid 19.
CARINE BECARD
Mais ces filières, c'est le foie gras, donc on en parle depuis le début, c'est les volailles, c'est les crustacés, c'est le champagne dont on n'a pas encore parlé…
JULIEN DENORMANDIE
Mais vous avez même.
CARINE BECARD
C'est quoi d'autre encore ?
JULIEN DENORMANDIE
Vous avez le vin, vous avez certains types de viande, par exemple dans notre pays il y a certains types de viande qu'on mange plus au restaurant qu'on ne mange chez soi.
CARINE BECARD
Lesquels ?
JULIEN DENORMANDIE
Eh bien par exemple quand vous êtes chez vous, vous mangez beaucoup de steaks hachés, et moins de pièces nobles de certains animaux. Vous mangez moins de veau chez vous que vous n'en mangez dans les restaurants. Ce sont des habitudes culinaires qui sont prises et donc nous devons apporter ce soutien à ces filières qui ont moins de débouchés.
CARINE BECARD
Il y a le caviar également, qui souffre beaucoup la fermeture des restaurants, est-ce que c'est un secteur que l'Etat pourrait aider ?
JULIEN DENORMANDIE
On apporte effectivement, on ne le sait pas forcément, mais il y a une vraie filière du caviar français.
CARINE BECARD
Troisième producteur mondial.
JULIEN DENORMANDIE
Exactement, et donc on a, dans le cadre des soutiens à toutes ces filières de l'ostréiculture, de la pisciculture, bref à tous ces métiers de la mer ou des fleuves, on apporte des aides, des aides au niveau national et des aides au niveau européen. Donc oui, y compris ces filières d'excellence, font partie des secteurs que nous aidons, parce qu'il faut leur permettre de passer cette période difficile et de s'installer dans la durée sur notre territoire.
CARINE BECARD
Julien DENORMANDIE, pour tous ces producteurs, pour tous ces éleveurs, pour toute cette filière d'excellence, l'Etat français a déjà ou va au total débloquer combien ? Est-ce qu'on a une enveloppe ?
JULIEN DENORMANDIE
C'est très difficile à dire, parce qu'au fur et à mesure on augmente. Mais si je prends que…
CARINE BECARD
Une fourchette.
JULIEN DENORMANDIE
C'est des centaines de millions d'euros, ça se chiffre comme ça.
CARINE BECARD
Mais c'est 200 ou c'est 800 ?
JULIEN DENORMANDIE
Ah non, c'est beaucoup plus, c'est plus proche du milliard que de 200 millions d'euros. Je prends juste le secteur du vin, rien que le secteur du vin c'est plus de 250 millions d'euros. Mais au-delà, tous les secteurs qui sont impactés, ils ont l'aide du Fonds de solidarité, ils sont des exonérations de charges, donc vous voyez, c'est des montants qui sont considérables, mais pour vous dire à quel point ça n'est pas ça qui guide mon action, c'est vraiment le soutien à ces filières qui est ma seule boussole. Parce que moi je crois dans cette agriculture française, je crois dans nos métiers du vivant en France, je crois à leur apport pour le territoire, et je crois que je vais même aller plus loin, vous savez, au bien-fondé de manger local et de manger des produits frais. N'oublions jamais ce que nous disait HIPPOCRATE, HIPPOCRATE disait que le premier des médicaments c'est l'alimentation.
CARINE BECARD
C'était de bien manger.
JULIEN DENORMANDIE
Et cette alimentation elle a un impact direct sur notre santé, d'ailleurs c'est très intéressant, on le voit en ce moment dans toutes les études qu'on peut faire, à quel point le consommateur est de plus en plus demandeur de produits de bonne qualité, de produits frais, de produits locaux, parce que ça a un impact sur son alimentation et sur sa santé. Et donc moi je crois dans ces produits frais, ces produits locaux. Un, c'est meilleur pour notre santé, deux, c'est évidemment meilleur pour l'environnement, et trois, cuisiner des produits frais, c'est souvent en fait meilleur pour son portefeuille, contrairement à des idées reçues. C'est souvent moins cher quand on a le temps de cuisiner, et je dis ça avec beaucoup d'humilité, quand on a le temps de le faire, parce qu'on sait qu'il y a une inégalité sociale face à ça, mais quand on a le temps de le faire, eh bien souvent c'est aussi meilleur pour son portefeuille par rapport à acheter des lasagnes surtransformées et importées, eh bien moi je préfère où je conseille d'acheter 500 grammes de viande, des tomates, des oignons, et de le faire dans sa cuisine. Mais c'est très important vraiment, les produits frais, les produits locaux, moi c'est ma boussole, et je veux donner accès à chacune et à chacun à ces produits frais et à ces produits locaux.
CARINE BECARD
Alors, la crise sanitaire ce n'est pas la seule difficulté à laquelle sont confrontés les producteurs et les éleveurs, il y a aussi le Brexit, on va en parler, il y a aussi la grippe aviaire qui est réapparue. Combien d'élevages ont été touchés précisément en France ? Est-ce que vous savez ? Et combien ont dû être abattus ?
JULIEN DENORMANDIE
On a eu les dernières analyses hier soir, et ce matin c'est 9 élevages qui sont touchés. On a trois principaux départements : les Landes, la Vendée les Deux-Sèvres, avec un gros foyer dans les Landes où plus de 7 élevages sont touchés. C'est des milliers de bêtes qui ont dû être abattues. Mais je le dis, cet influenza aviaire, ce virus de…
CARINE BECARD
Cette grippe aviaire.
JULIEN DENORMANDIE
... aviaire, il n'est absolument pas transmissible à l'homme.
CARINE BECARD
Alors, c'est ça qui est un petit peu contradictoire.
JULIEN DENORMANDIE
Il n'est pas transmissible à l'homme…
CARINE BECARD
Donc pourquoi on tue les…
JULIEN DENORMANDIE
Donc il n'y a aucun risque de manger du poulet…
CARINE BECARD
Pourquoi on abat les élevages ?
JULIEN DENORMANDIE
... des canards, des oeufs, il n'y a absolument aucun risque, j'en appelle d'ailleurs à la consommation de ces beaux produits. Pourquoi on tue les élevages ? Tout simplement pour limiter la propagation vis-à-vis des autres élevages, c'est la raison pour laquelle on a un protocole sanitaire très clair, où on euthanasie les élevages qui sont impactés pour limiter sa propagation, parce que l'influenza aviaire n'a pas de conséquences sur l'homme, mais évidemment impacte les animaux et il est important de limiter sa diffusion. Donc ce matin on a 9 élevages, on a un système de biosécurité qui est très très fort dans notre pays, qu'on a beaucoup renforcé depuis les derniers épisodes d'influenza aviaire, y a maintenant 4 à 5 ans, et donc aujourd'hui on est en mesure d'apporter des mesures concrètes sur le territoire, pour essayer de canaliser l'expansion de ce virus.
CARINE BECARD
Troisième difficulté, je le disais, le Brexit notamment pour nos agriculteurs, rappelons que le Royaume-Uni est aujourd'hui le troisième partenaire commercial de la France, si les portes se ferment, ce seront des marchés en moins évidemment, là encore Julien DENORMANDIE, quelles sont les filières qui risquent d'être fortement impactées ?
JULIEN DENORMANDIE
Vous l'avez dit, vous avez raison, le Royaume-Uni est l'un de nos principaux partenaires commerciaux dans l'agroalimentaire, c'est principalement le secteur du vin, ensuite le secteur laitier…
CARINE BECARD
Le champagne, même en particulier ? Non, le vin globalement.
JULIEN DENORMANDIE
Les vins et spiritueux. Deuxièmement le secteur des produits laitiers, on exporte beaucoup de produits laitiers vers la Grande Bretagne, et troisièmement le secteur de la viande. Inversement on importe du Royaume-Uni surtout des ovins et des caprins, mais le sujet, vous avez raison, dès lors qu'il y a des fermetures de frontières, où il y a des difficultés d'accès au marché britannique, cela va avoir un impact sur nos filières, et donc on s'organise avec les filières pour fluidifier les débouchés d'une part, et pour aussi trouver d'autres débouchés. Mais vous savez, qu'il y ait, et on en parle beaucoup en ce moment de ce fameux deal ou no deal au niveau du Brexit, mais qu'il y ait un deal ou un no deal, la conséquence c'est qu'il va y avoir la constitution d'une frontière entre l'Europe et le Royaume-Uni, et qui dit frontière dit un certain nombre de contrôles, on ne le sait pas forcément, mais je vous le dis ce matin, depuis cet été, mon ministère, on a embauché pas moins de 300 personnes, principalement des vétérinaires ou des spécialistes du phytosanitaire pour contrôler les flux de marchandises. Parce que moi qu'est-ce que je veux éviter ? Si demain les Britanniques, le Royaume-Uni, fait des accords de libre-échange avec je ne sais quel autre pays, autour du monde qui ne respectent pas les mêmes normes…
CARINE BECARD
Les normes sociales, les normes environnementales, c'est ça ?
JULIEN DENORMANDIE
Sociales, environnementales, ou de production par exemple de la viande, eh bien moi je ne veux en aucun cas que le Royaume-Uni devienne une plateforme à partir de laquelle on n'importe ces produits qui ne respectent pas nos normes, au niveau du marché commun européen. Et donc on a mis en place, on a fait un gros travail qui est aujourd'hui opérationnel pour le 1er janvier, on a mis en place un certain nombre de dispositifs de contrôle, pour assurer aux consommateurs européens que l'ensemble des normes européennes dans la consommation, elles seront bien respectées et qu'on ne pourra pas importer depuis le Royaume-Uni, des produits qui ne respectent pas ces normes. Et vous savez, c'est l'une des grandes avancées de l'Europe, grandes avancées, l'Europe elle permet de protéger les consommateurs et on le voit, cette protection des consommateurs elle est essentielle vis-à-vis de la qualité de nos nutriments. Et puis le deuxième élément que moi je constate, que vous avez vu, depuis 24 heures que les frontières sont fermées, aujourd'hui il y a beaucoup de supermarchés au Royaume-Uni qui se disent « eh bien on arrive à des pénuries, des pénuries d'aliments ». Moi je crois profondément à la nécessité de renforcer notre souveraineté alimentaire. Je me bats tous les jours pour la souveraineté alimentaire dans notre pays. Eh bien ce qu'on voit, ce qu'on observe aujourd'hui au Royaume-Uni, donne raison à cette politique de souveraineté, faire en sorte que les filières de productions animales, végétales, aquacoles, elles soient souveraines dans notre pays, pour qu'on puisse avoir cette autonomie alimentaire, c'est essentiel.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 janvier 2021