Texte intégral
R - Mon sentiment profond - moi, je suis un Européen convaincu - : j'aurais aimé que le Royaume-Uni reste dans l'Union européenne. Donc c'est une déception et un jour triste, demain soir, quand effectivement ce Brexit aura lieu. Il faut en tirer des leçons parce qu'il y a eu un malaise britannique qui s'est exprimé dans ce référendum de 2016 il y a déjà quatre ans, des contestations sur l'Union européenne et ce qu'elle fait, est-ce qu'elle est assez efficace, est-ce qu'elle est puissante, assez forte. Cela il faut l'entendre et c'est d'ailleurs ce que le Président de la République défend depuis le premier jour, depuis sa campagne présidentielle et comme chef de l'Etat. Et je crois qu'on marque des points à cet égard, un plan de relance européen, l'achat des vaccins en commun qui nous a permis de les avoir de manière plus sûre et moins chère. Nous avançons à l'égard de la Chine, nous l'avons vu encore aujourd'hui, etc...
Mais il faut aussi savoir ce qu'il s'est passé dans la campagne du référendum britannique. Beaucoup de mensonges...
Q - On va y revenir Clément Beaune, on va prendre le temps d'y revenir ensemble. Je voudrais justement, et vous pourrez dire votre analyse sur Boris Johnson et notamment la campagne des Brexiters.
(...)
Q - Boris Johnson, on connaît son parcours, est-ce que vous le rangez dans ces populistes qui ont fait leur carrière, leurs succès politiques nationaux sur le dos de l'Europe et des craintes qu'elle peut susciter ?
R - Boris Johnson, c'est le Premier ministre d'un pays voisin, allié, d'une grande démocratie. Il a gagné des élections, le référendum, il a aussi été gagné sur le Brexit...
Q - En pourfendant l'idée de l'Union européenne...
R - Oui.
Q - Et en disant qu'elle coûtait cher, qu'elle était lente, qu'elle était lourde et qu'elle empêchait les Britanniques d'exporter, etc...
R - C'est ça qui est important, parce que c'est ce genre...
Q - De mensonges, vous disiez cela tout à l'heure...
R - Oui, ce sont des mensonges.
Q - Mais il n'est pas populiste pour autant ?
R - Non, je ne personnalise pas. Ce que je veux dire, c'est qu'il y a eu une campagne, en 2016, où on a vendu aux Britanniques que c'était facile et agréable de quitter l'Union européenne. On a eu (ce n'est pas nous qui l'avons imposé) quatre ans de négociation. Ils avaient dit un an. Cette histoire a commencé à l'été 2016.
Si le monde de sortie de l'Union européenne était si agréable et facile que cela, cela se saurait et cela se serait fait plus vite. Qu'est-ce qui s'est passé ? On a dit : on reprend le contrôle de nos lois, de nos normes, etc... La vérité, c'est que dans l'accord qui a été signé - je pense que c'est d'ailleurs une bonne chose pour nous - le Royaume-Uni accepte en échange de l'accès au marché européen de continuer à suivre toutes une série de normes essentielles, alimentaires, sanitaires, environnementales, etc... C'est d'ailleurs très important, parce que pour les citoyens français - les entreprises françaises - et européens, il est hors de question qu'on importe un certain nombre de produits du Royaume-Uni ou d'ailleurs, sans vérifier le respect de normes.
Donc moins de paperasseries, moins de bureaucratie, cela me fait parfois sourire, parce qu'en réalité, ce sera plus de formalités et de contrôles douaniers, sanitaires, aux frontières entre l'Union européenne et le Royaume-Uni pour ceux qui veulent exporter ou importer du Royaume-Uni. Donc ce que je regarde, c'est ce qui a été promis. Et c'est une leçon pour nous - à la limite, le choix des Britanniques, il leur appartient -. Mais il y a beaucoup de forces en Europe qui disent : l'Union européenne, c'est un carcan ; l'Union européenne, ce sont des normes dont on pourrait se débarrasser ; on pourrait signer des accords formidables avec d'autres gens ; on pourrait être mieux protégé. Or regardez les pêcheurs britanniques : est-ce qu'ils disent merci aujourd'hui aux Brexiters ? Je ne crois pas.
Donc il faut bien réfléchir, quand on parle de souveraineté, quand on parle de retrouver un chemin national - nationaliste en réalité, et isolé - à ce que cela veut dire. Le programme Erasmus, c'est un symbole, je crois, qui dit tout. On a promis à la jeunesse britannique qu'elle resterait européenne, qu'elle resterait projetée vers le monde, ce n'est pas vrai.
Q - Ils en sortent du programme Erasmus, ils vont en sortir les Britanniques. Qu'est-ce que vous dites aux jeunes Français de Londres, qui nous regardent d'ailleurs, qui sont inquiets. Est-ce que vous leur garantissez - c'est dans l'accord - mais est-ce qu'ils ne vont pas voir leurs frais de scolarité flamber ? Passer de quelques centaines d'euros aux 10.000 livres annuelles ? Par contre, ceux qui vont vouloir tenter l'aventure, eux, paieront le prix fort. Ça, c'est un échec quand même pour les Européens ?
R - Oui, mais attendez, il faut que chacun assume ses responsabilités.
Q - Oui, mais les Français vont en payer aussi le prix ? Et puis les Allemands, et puis les Italiens, qui voulaient aller à Londres...
R - Mais quand on fait le choix du repli et de la non-coopération, du repli que je considère nationaliste, oui, c'est mauvais pour tout le monde, à commencer par soi-même. Je crois que c'est une mauvaise nouvelle d'abord pour le Royaume-Uni. C'est un choix souverain, je le respecte ; je crois que c'est une mauvaise nouvelle. Et je crois qu'un certain nombre de choses qui ont été promises, on verra qu'elles ne se réaliseront pas, on le voit déjà. Donc moi, je ne veux pas de cela pour la France, je ne veux pas de cela pour l'Europe. C'est ça mon combat essentiel, notre combat essentiel.
Il y a des impacts. Il y a des impacts malheureusement effectivement sur nos pêcheurs, il y a des impacts parfois sur nos étudiants...
Q - Qu'est-ce que vous leur dites ce soir aux étudiants qui nous écoutent ?
R - Ceux qui sont aujourd'hui dans le cursus britannique, leur situation ne sera pas changée, ne sera pas affectée. En revanche, ceux qui voudraient demain entreprendre des études au Royaume-Uni, oui, ce ne sera pas les mêmes conditions. Je le regrette, mais c'est le choix des Britanniques. Ce que nous, nous leur garantissons, c'est que le budget d'Erasmus va augmenter de 70%. Il y aura des offres ailleurs, partout dans le monde, partout en Europe. Dans beaucoup de pays. Ils pourront aller ailleurs. Certes, c'est dommage pour le Royaume-Uni et pour eux que nous n'ayons pas cette opportunité-là. Mais il y en aura beaucoup d'autres et d'ailleurs pour des jeunes qui aujourd'hui n'ont pas accès à Erasmus, puisqu'on parle souvent des étudiants, je pense par exemple aux apprentis qui sont des publics justement plus exclus de ces programmes qui leurs seront ouverts désormais.
(...)
R - Cet accord, je crois qu'il fait trois choses, il faut quand même le rappeler, parce que c'est très compliqué, c'est 1200 pages. D'abord il a défendu nos intérêts fondamentaux. Je crois que par rapport aux promesses des Brexiters qui avaient expliqué que c'était la souveraineté retrouvée en tout point, on est très loin de cela. La pêche, c'est un bon exemple : vous dites pas de quota, ce n'est pas vrai. 75% des quotas actuels dont nous disposons, nous les gardons. Pendant les six prochaines années de manière certaine, ils vont baisser progressivement. Et au-delà, les Britanniques pourraient décider effectivement de réduire l'accès, mais il y aurait des mesures de rétorsion qui sont extrêmement dissuasives. Donc ce n'est pas du tout...
Q - Non, mais ils gardent l'accès à notre marché !
R - Ils gardent l'accès à notre marché...
Q - Sans condition quasiment !
R - Non, ça ce n'est pas vrai. Deux choses. D'abord c'est aussi notre intérêt de commercer librement avec le Royaume-Uni, parce que je rappelle pour la France, et pour les 150 000 entreprises françaises qui sont concernées, c'est aujourd'hui le premier excédent commercial de la France au monde, le Royaume-Uni. C'est aussi une des premières destinations touristiques. Donc tout ça, c'est aussi intéressant pour nous. Nous ne l'avons pas fait pour les beaux yeux des Britanniques, nous l'avons fait pour nous. Et puis, c'est encore un point très important et nous serons vigilants dans l'application de l'accord, parce que là est la clé : pour accéder à notre marché - c'est pour cela qu'elle a été aussi longue, cette négociation, aussi difficile - nous avons posé des conditions très strictes en matière d'aides d'Etat, par exemple, pour qu'il n'y ait pas de distorsions, de décalages, de concurrences, entre nous et les Britanniques. Pour que, par exemple, les normes que nous imposons à nos industries en matière environnementale, en matière sanitaire, de qualité alimentaire, nous les imposions aussi aux Britanniques et nous les vérifiions. D'où les contrôles à l'entrée.
Donc cela n'est pas un accès qui est sans condition du tout, du tout, du tout ! Moi je dis à tous ceux qui disent : regardez, finalement, c'est sympathique, on peut sortir... ce n'est pas si facile que ça de sortir d'un grand club. Le faire de manière complètement brutale, comme l'ont envisagé à un moment les autorités britanniques. Elles ne l'ont pas fait à la fin, parce qu'elles savent ce que cela veut dire.
Et ils restent avec un accès à notre marché en respectant un certain nombre de nos règles, et sans les décider. C'est nous qui décidons de ces règles. Donc vous voyez que le charme de la frontière, de la souveraineté nationaliste, tout cela, je crois qu'il ne faut pas s'y tromper : c'est une fable, c'est une illusion, et c'est à la fin un mensonge.
Q - Est-ce que tout est prêt pour demain ? Parce que, à partir du 31 décembre, du premier janvier 0 h ou du 31 décembre minuit, il n'y a certes plus de droits de douane, mais il y aura de contrôles, puisque chacun revient sur son territoire, on ne peut plus, ni pour les marchandises, ni pour les personnes, circuler librement. Les effectifs - nos caméras seront à Douvres demain - vous nous dites ce soir que tout est prêt, ou il y aura des embouteillages, des files d'attente ?
R - Je serai moi-même d'ailleurs avec Olivier Dussopt, le ministre en charge des douanes, sur place le 1er janvier pour vérifier que tout cela fonctionne, à Calais, à Boulogne.
Q - Les effectifs ont été renforcés ?
R - Oui, nous nous sommes préparés. Nous nous sommes préparés depuis deux ans. Parce que le Brexit a été malheureusement parfois un long feuilleton. Et donc on a eu plusieurs fois des moments où le départ devait s'acter. Donc on a recruté 600 douaniers, encore 100 supplémentaires, 700 au total, qui sont consacrés au Brexit, dans nos ports, dans nos aéroports, dans nos gares. Nous avons recruté plus de 300 vétérinaires pour vérifier - c'est très important pour ceux qui nous écoutent, pour les consommateurs - pour vérifier que tous les produits britanniques respecterons scrupuleusement nos règles, sanitaires et alimentaires. Ils vérifieront chaque lot de viande ou d'autres produits britanniques qui rentrera sur notre territoire. Et puis, près de 300 policiers aux frontières, parce que c'est vrai, quand on quitte l'Union européenne, on n'a plus aussi la liberté de circulation. Et donc nous contrôlerons les durées de séjour de tous les Britanniques qui rentrent sur le territoire européen.
Pour ces contrôles, nous avons fait le maximum pour qu'ils soient rapides, sûrs, efficaces, d'où ces recrutements, les investissements informatiques, les investissements de plusieurs dizaines de millions d'euros, de l'Etat, des collectivités, de nos ports. Et c'est cela qui est prêt à Calais, au Havre, ailleurs en France, je suis allé le vérifier avant, avec plusieurs autres membres du gouvernement, avec le Premier ministre, et nous irons le vérifier dès le 1er janvier. Peut-être qu'il y aura des réglages, des ajustements, des difficultés. Nous allons en parler avec les services de l'Etat. Nous réagirons le plus vite possible pour nous adapter, parce que nous passons - et je veux le dire à toutes les entreprises, notamment, tous celles qui ont à importer ou à exporter - c'est différent à partir de demain.
Q - Qui craignent une baisse de leurs chiffres d'affaire. Vous leur dites quoi ce soir ?
R - Je leur dis...
Q - 120.000 entreprises - c'est le reportage que l'on avait prévu, mais on a été pris dans notre conversation - qui craignent une baisse du chiffre d'affaire avec ce Brexit, plus de documents à fournir, des échanges qui ne sont pas taxés, un coût supplémentaire pour les PME... En quelques mots, qu'est-ce que vous leur dites ce soir ?
R - Il faut être cohérent. On ne peut pas nous dire : ah, il ne fallait pas accepter le deal, parce que ce n'était pas grave d'avoir un no-deal... cela aurait été encore beaucoup plus compliqué.
Q - Mais là, ce ne sont pas des politiques qui parlent, ce sont des entrepreneurs...
R - Je sais, on les a rencontrés à plusieurs reprises. Nos services, les douanes en particulier, ont fait un travail très précis de contact des fédérations professionnelles des différentes filières des entreprises. Il y a beaucoup d'informations, on va être très pragmatique, sur Internet : www.brexit.gouv.fr pour aller voir les formalités nouvelles. Et nous avons fait tout pour nous préparer, pour recruter des gens...
Q - Vous leur dites : pas d'inquiétude ? Il y aura peut-être une baisse...
R - Non, je leur dis : préparez-vous. D'abord regardez ces formalités. Nous avons tout fait avec cet accord pour que le commerce soit le plus facile possible néanmoins, dans le respect d'une concurrence juste pour eux, pour que les Britanniques n'aient pas d'avantages. Les formalités, nous les accompagnerons pour les faire. Et nous avons essayé de faire en sorte aussi que tout soit le plus dématérialisé possible, en ligne, accompagné par les services de l'Etat localement, en région, comme les douanes.
Donc, il y aura cette petite phase. Il faut que chacun fasse un petit travail de préparation et de vérification dans les dernières heures. Beaucoup a été fait. Et nous accompagnerons tout le monde, financièrement et dans ses démarches, après le 1er janvier aussi.
Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 6 janvier 2021