Déclaration de M. Cédric O, secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications électroniques, sur la lutte contre l'illectronisme et l'inclusion numérique, au Sénat le 13 janvier 2021.

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  • Cédric O - Secrétaire d'Etat à la transition numérique et aux communications électroniques

Circonstance : Débat organisé au Sénat à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen

Texte intégral

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande du groupe du Rassemblement Démocratique et Social Européen, sur les conclusions du rapport fait au nom de la mission d'information "Lutte contre l'illectronisme et inclusion numérique".

Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses, dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.

Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis le Gouvernement répond pour une durée équivalente.

À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.

(…)

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le fond, la période que nous vivons est celle d'une grande transition.

D'une certaine manière, elle s'apparente à la mutation qui a eu lieu à la fin du XIXe siècle avec la mécanisation et le développement de l'utilisation du charbon, qui ont fait passer nos sociétés d'un modèle plutôt agraire à un modèle industriel, avec tout ce que cela a impliqué en termes de structuration de la société, de rapports économiques et d'émergence de nouvelles institutions. D'une certaine façon, cette période a façonné le monde tel que nous l'avons connu au XXe siècle.

Ce que nous sommes en train de vivre avec le numérique est à peu près similaire : ce qui est une transformation technologique, c'est-à-dire l'introduction du numérique dans l'économie, la société et dans nos vies, vient bouleverser l'ensemble du monde tel que nous le connaissons.

C'est vrai dans le domaine économique : nous assistons à l'émergence de nouvelles entreprises, de très grandes entreprises, qui sont des facteurs de complexité et une source de pouvoir, telles que nous n'en avons jamais connu. Je pense à de très grandes entreprises américaines et chinoises notamment.

C'est vrai dans le domaine du travail avec la transformation des relations sociales et, donc, des institutions qui en découlent.

C'est vrai aussi pour ce qui concerne la transformation du quotidien de nos concitoyens, poussée jusqu'à son paroxysme – on l'a vu – pendant le confinement. Le numérique est devenu l'épine dorsale d'une partie du fonctionnement de la société, allant jusqu'à modifier les relations interpersonnelles : je pense à la visioconférence qui nous permet de rester connectés à nos proches, mais surtout à l'utilisation des réseaux sociaux. Que nous considérions ce changement comme bon ou mauvais n'y change rien : il est déjà là et vient profondément changer notre société.

C'est vrai également – et mon propos n'est pas exhaustif – de notre démocratie. On observe une transformation du rapport des citoyens à la démocratie, sous la forme par exemple d'une remise en cause de la démocratie représentative. Cela peut même aller jusqu'à ce que l'on a observé dernièrement, à savoir notre difficulté à contrôler ou, en tout cas, à réguler ce nouvel espace qu'est le numérique. L'irruption du numérique dans nos vies pose de nombreuses questions, le cas du président Donald Trump en étant l'exemple le plus récent.

C'est vrai enfin des rapports géopolitiques, puisque l'ensemble de ces transformations technologiques se nourrissent l'une l'autre : l'émergence de la Chine dans cette révolution technologique est une réplique aux performances des États-Unis et aux difficultés que peut connaître l'Europe.

Pourquoi, me demanderez-vous, parler de ces grandes transitions durant ce débat sur l'illectronisme ? En réalité, les grandes transformations que je viens de mentionner sont particulièrement violentes pour nos sociétés. Ces moments de clair-obscur, comme dirait Gramsci, sont en effet porteurs d'énormément de nouvelles possibilités économiques, d'occasions à saisir pour l'économie de la connaissance, mais également de beaucoup de risques, en particulier celui d'une fracturation de notre société.

D'ailleurs, il est intéressant de constater à quel point le numérique est cité pour le rôle qu'il jouerait dans le déclenchement de certains événements récents, comme la révolte des « gilets jaunes », le Brexit, les ressorts du vote de la classe moyenne pour Donald Trump, et grosso modo dans la montée d'une forme de colère dans une partie de la population et des classes moyennes qui se sentent déclassées ou du moins laissées de côté par la révolution technologique, de la même manière qu'à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, la mécanisation de l'ensemble de l'économie avait abouti à un bouleversement des rapports sociaux.

L'obligation qui incombe aux pouvoirs publics et au gouvernement actuel, comme à ses prédécesseurs, est de faire en sorte d'accompagner cette transition, faute de quoi il est normal qu'une partie de la population, celle que Yuval Noah Harari appelle "les inutiles", se révolte contre une évolution qui ne lui correspond pas.

M. le sénateur Gold a cité un certain nombre de chiffres : aujourd'hui, 13 millions à 14 millions de Français se sentent éloignés du numérique ; un Français sur six ne sait pas se servir de l'outil numérique et n'utilise jamais un ordinateur ; un Français sur trois manque de compétences de base en matière numérique.

Il en résulte une inégalité factuelle, qui vient s'ajouter à d'autres inégalités : l'inégalité de l'accès aux services publics et privés. Ainsi, durant le confinement, certains de nos concitoyens n'ont certainement même pas su – poussons le raisonnement jusqu'à l'absurde – télécharger ou imprimer leur attestation de sortie, soit parce qu'ils ne disposaient pas d'une connexion internet, soit parce qu'ils ne savaient pas s'en servir. On se doute bien de l'énorme différence de vécu entre ceux qui étaient connectés et ceux qui ne l'étaient pas.

Mais le fond du problème n'est pas tant ce problème d'inégalité des droits qu'un problème de grammaire. Nous sommes confrontés à l'incompréhension grandissante, par une partie de nos concitoyens, en France et à l'étranger, des tenants et aboutissants des grands enjeux du monde dans lequel nous vivons. En effet, le numérique s'immisce partout, comme dans les processus de recrutement, par exemple ; il pose la question de l'utilisation des données, celle de la cybersécurité, celle de la manière dont ce monde évolue et, plus généralement, celle de la structuration du monde de l'information.

Ce qui est en jeu – et nous aurons l'occasion de revenir en détail sur ce que fait le Gouvernement en matière d'illectronisme –, c'est certes la question sociale, mais le fond du sujet, c'est la démocratie. Comment faire en sorte que l'ensemble des Français comprennent les enjeux actuels et soient suffisamment bien formés pour être des citoyens émancipés et autonomes dans un monde qui est de plus en plus numérisé ?

C'est pour répondre à cette question que le Gouvernement a fait de l'inclusion numérique un axe extrêmement important de sa politique. Je sais que votre mission d'information souhaitait un investissement plus important de notre part, mais je rappelle tout de même que les moyens consacrés à l'inclusion numérique, au sein du budget de l'État, sont passés entre 2017 et 2020 de 350 000 euros à 250 millions d'euros – je ferai observer à cet égard que l'illectronisme n'est pas apparu avec l'élection d'Emmanuel Macron… L'investissement dans ce domaine a beaucoup et progressivement augmenté pour faire en sorte que nous soyons à la hauteur des défis qui se présentent à nous.

Notre objectif est double : d'abord, accompagner les personnes en difficulté ; ensuite, accompagner les collectivités, qui sont la plupart du temps en première ligne, tout comme les autres acteurs concernés.

Toute la difficulté de l'exercice est de parvenir non seulement à mettre des moyens à disposition et à accompagner, mais également à structurer l'ensemble d'un secteur. En effet, le secteur de la médiation numérique, en partie du fait des apories de l'action de l'État, s'était structuré de façon un peu isolée, grâce au système D. Toute la complexité de notre action est de parvenir à la fois à mettre en oeuvre nos politiques publiques et à structurer les institutions.

Vous évoquiez les hubs numériques, monsieur Gold. On pourrait aussi parler de la mise en réseau des acteurs, qu'il s'agisse d'acteurs institutionnels, d'organisations non gouvernementales (ONG), de l'État, des préfectures, ou même des entreprises de l'économie sociale et solidaire. Pour nous, il est indispensable que toutes les initiatives soient prises en même temps.

Rester performant dans le domaine de l'innovation et faire en sorte que tout le monde reste à bord sont deux axes forts du plan de relance. J'aurai l'occasion et le plaisir de répondre à vos questions dans le débat qui va s'engager. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI et sur des travées du groupe UC, ainsi qu'au banc des commissions.)


- Débat interactif -

Mme la présidente. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.

Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, suivie d'une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.

Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.

Dans le débat interactif, la parole est à Mme Michelle Gréaume.

Mme Michelle Gréaume. En octobre 2017, les travaux du comité Action publique 2022 (CAP 2022) dévoilaient la volonté du Gouvernement de mettre en place des services publics totalement dématérialisés. Il s'agissait une nouvelle fois de faire des économies estimées à environ 450 millions d'euros.

Cette orientation posait, entre autres, la question de l'accès aux services publics. En effet, comme le rappelait Jacques Toubon, alors Défenseur des droits, près de 20% des Françaises et des Français ne peuvent pas faire leurs démarches en ligne aujourd'hui, soit parce qu'ils n'ont pas le matériel, soit parce qu'ils vivent dans une zone blanche, soit encore parce qu'ils n'en ont pas les compétences, voire parfois du fait du manque d'accessibilité des sites internet aux personnes souffrant de handicaps.

À titre d'exemple, selon l'institut CSA, 36% des personnes âgées de plus de 60 ans dans les Hauts-de-France étaient en situation d'exclusion numérique en 2018.

Ce constat pose forcément des questions.

Quid du devenir du principe d'égalité d'accès aux services publics ? Comment assurer un droit effectif, notamment en matière d'aides sociales, alors que les plus précaires sont les plus touchés par l'illectronisme ? Comment assurer notamment un droit effectif aux recours ?

Enfin, si l'école doit contribuer à la lutte contre l'illectronisme des enfants, d'autres dispositifs doivent être déployés pour les autres catégories de la population. À cet égard, les initiatives locales de médiation informatique doivent être saluées.

Face à cette situation, l'objectif envisagé par CAP 2022 d'une disparition progressive des accueils physiques pour atteindre le tout-numérique pose de sérieux problèmes. À cet égard, il me semble que l'axe n° 2 du rapport avance une piste intéressante, celle de la cohabitation permanente entre la démarche numérique et l'accueil physique. Il me semble toutefois que, en la matière, un accueil téléphonique servant d'appui ne suffira pas, et que c'est bien d'un accueil physique, d'une écoute et d'une aide qu'ont besoin les citoyennes et les citoyens de ce pays.

Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement prévoit-il de poursuivre la dématérialisation à marche forcée des services publics, rompant ainsi avec le principe d'égal accès à ces derniers ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, je souhaite revenir sur le projet que vous évoquez, autrement dit l'objectif d'une dématérialisation à 100%. Je voudrais en effet replacer les choses dans leur contexte.

D'abord, la dématérialisation n'est pas forcément une mauvaise chose, y compris en matière d'accès aux droits des personnes.

Pour ne citer qu'un exemple, il y a un an et demi environ, à Bayonne, le patron de la caisse d'allocations familiales des Pyrénées-Atlantiques m'a expliqué que, le jour où ses services avaient dématérialisé le processus d'actualisation des droits des usagers – vous le savez, ces droits sont actualisés chaque mois –, ils avaient divisé par trois le taux de non-recours aux aides sociales. Tout cela en simplifiant la démarche d'actualisation des droits pour en permettre un accès à la carte.

Vous avez cependant raison sur un point : le numérique facilite les choses pour un certain nombre de personnes, mais en laisse aussi d'autres de côté. Je n'ai aucune difficulté à reconnaître que les gouvernements successifs sont probablement allés trop vite dans la dématérialisation, et qu'ils se sont insuffisamment interrogés sur la meilleure façon d'améliorer la qualité de celle-ci.

Avant même d'évoquer ceux qui ne savent pas se servir d'internet, il faut se rendre compte que les sites internet sont trop compliqués, qu'on n'y trouve pas les numéros de téléphone et que l'on s'y perd facilement.

Ce gouvernement a donc effectué un double travail.

Il a d'abord restauré les services publics : je pense notamment aux espaces France Service, qui se déploient de manière constante depuis l'annonce de leur création.

Il a ensuite souhaité conserver une voie d'accès physique, c'est-à-dire un guichet, même si celui-ci peut faire l'objet de mesures de rationalisation, réintroduire un contact via des numéros de téléphone – ma collègue Amélie de Montchalin y est très attachée –, et travailler sur la simplification à la fois du vocabulaire utilisé et de la navigation sur les sites des services publics. On sait en effet combien le vocabulaire administratif et la complexité du web peuvent engendrer des difficultés au quotidien, y compris pour des personnes à peu près autonomes.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.

M. Jean-Marie Mizzon. Monsieur le secrétaire d'État, l'usage du numérique est devenu vital pour notre économie et notre société. Chacun le sait et en convient, singulièrement en ces temps de crise sanitaire.

Selon une enquête de l'Insee, en 2019, l'illectronisme concernait 17% de la population. Ce taux atteignait même 50 % si l'on tient compte du halo de l'illectronisme, c'est-à-dire ceux qui ne sont pas à l'aise avec le numérique et la dématérialisation des procédures.

Si le manque de compétences numériques est souvent une réalité, l'équipement même des ménages explique parfois l'inégalité devant l'inclusion numérique. Toujours selon l'enquête de l'Insee, le taux brut de non-équipement est minime dans l'agglomération parisienne – 8% –, 1,6 fois plus élevé dans les communes rurales et dans les unités urbaines de moins de 10 000 habitants – 13% – et 1,5 fois plus élevé dans les unités urbaines de plus de 10 000 habitants – 12%.

Les raisons de ce manque d'équipements sont connues : le manque de compétences, le coût du matériel ou de l'abonnement figurent parmi les plus citées. Lors des travaux de la mission d'information sur la lutte contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique que j'ai eu l'honneur et le plaisir de présider, ce constat a été dressé.

Dans son rapport d'information, mon collègue sénateur Raymond Vall, dont je salue le travail, a proposé plusieurs axes d'amélioration de la stratégie numérique du Gouvernement, avec notamment la création d'un fonds de lutte contre l'exclusion numérique. Ce fonds pourrait notamment contribuer à financer la remise d'un chèque équipement pour les ménages à bas revenus, soumise à la condition d'une participation à une formation financée par le pass numérique.

Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous nous éclairer sur les solutions envisagées par le Gouvernement pour améliorer l'équipement de ces ménages modestes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je tiens d'abord à vous remercier, vous et Raymond Vall, pour vos travaux sur le sujet.

Pour répondre très directement à votre question, l'exclusion ou la fracture numérique découlent de l'un de ces trois éléments : l'accès à une connexion, et donc à la fibre ou au mobile ; les usages, autrement dit savoir se servir d'internet ; enfin, l'équipement.

Le Gouvernement a opéré un choix extrêmement clair en se concentrant sur les usages. Même si je concède que la question s'est posée, nous avons décidé d'y "mettre le paquet" – pardonnez-moi cette expression – dans les semaines qui viennent, et ce pour plusieurs raisons.

La première raison tient à l'action des collectivités locales. Dans les années précédentes, les conseils départementaux et les conseils régionaux ont lancé beaucoup d'initiatives pour financer l'acquisition d'ordinateurs ou de tablettes pour les élèves.

L'honnêteté oblige à dire que ces opérations n'ont pas été un franc succès. Très souvent, soit parce que le professeur n'utilisait pas de tablette ou d'ordinateur en cours, soit parce que les élèves ne savaient pas suffisamment bien s'en servir, ces outils ont été laissés de côté, et ont été parfois même mis en vente sur internet. Nous avons donc sciemment décidé de commencer par changer les usages et faire progresser les Françaises et les Français dans ce secteur.

La seconde raison pour laquelle nous n'avons pas privilégié l'amélioration des équipements, c'est que les collectivités territoriales s'engagent beaucoup dans ce domaine, en investissant pour leurs administrés et en récupérant souvent des équipements donnés par des entreprises. J'étais à Trélazé il n'y a pas très longtemps : dans cette ville, la société CNP a fait don de 500 ordinateurs aux habitants d'un quartier difficile.

Il existe donc, dans certains territoires, des initiatives qui ne sont pas totalement satisfaisantes du point de vue de l'action publique, mais qui permettent tout de même d'attendre un peu. Je le répète, ce sont les usages qui concentrent aujourd'hui les efforts du Gouvernement.

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Kerrouche.

M. Éric Kerrouche. La pandémie agit comme un révélateur des faiblesses préexistantes de notre pays, comme celles qui concernent actuellement l'université.

Notre université est en souffrance, la jeunesse étudiante en détresse sociale et psychologique. Dans les premiers mois de cette crise, le tout-numérique a révélé crûment les inégalités sociales. La précarité de la jeunesse étudiante est aussi, et fatalement, une précarité numérique. Elle a conduit au décrochage pédagogique et à une démotivation massive de ceux que l'on nomme pourtant les digital natives.

C'est pourquoi une première question se pose : quels moyens le Gouvernement entend-il consacrer au monde universitaire, tout d'abord sur le plan matériel, en matière d'infrastructures, d'équipements ou d'abonnements ? Peut-on imaginer négocier des forfaits préférentiels pour les étudiants, par exemple ?

Une deuxième question se pose : l'illectronisme est également une question d'usage et de compétences des étudiants comme des enseignants. Quelles sont les mesures prévues par le Gouvernement en matière de formation et d'acquisition des compétences dans ce secteur ?

Enfin, si la crise sanitaire a accéléré la transformation numérique des universités, celle-ci s'est faite dans l'urgence, sans réflexion critique sur son acceptabilité. Or les drames humains que connaît la jeunesse étudiante et l'épuisement généralisé en sont le témoignage funeste : l'enseignement ne peut se réduire à un espace virtuel. Un parcours étudiant ne se construit pas dans une solitude monacale, derrière un écran qui amplifie la ségrégation sociale.

Cela me conduit à poser une dernière question : quel travail entendez-vous mener pour engager une vraie politique numérique de l'enseignement supérieur qui soit au service de l'avenir de la jeunesse étudiante ? En quoi consisterait, selon vous, une numérisation vertueuse de l'université ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je ne suis pas certain de pouvoir répondre à l'intégralité de vos questions en deux minutes. (Sourires.)

Ma collègue Frédérique Vidal et moi-même, en lien avec les opérateurs, avons porté une attention particulière à la question étudiante pendant cette crise, en tout cas durant le premier confinement. Notre réflexion a notamment concerné les forfaits internet, et la possibilité de ne pas les interrompre au bout d'un certain moment, afin que les étudiants puissent continuer à avoir accès aux données disponibles et à leurs cours.

Nous avons travaillé sur un autre point qui, je le sais, faisait partie des recommandations du rapport, mais qui n'est hélas pas envisageable sur le plan légal, à savoir le zero rating – pardonnez-moi cet anglicisme –, comme on l'appelle : cette pratique consisterait à exonérer les étudiants de frais financiers lorsqu'ils consomment des données sur le site de leur université, par exemple. Les consommations ne sont alors pas comptabilisées dans leur forfait.

Nous avons examiné de très près cette possibilité : en Europe, il existe un principe général de neutralité du net qui nous interdit juridiquement de mettre en place ce type de solution. Cela étant, nous avons tout de même pris des mesures pour que les étudiants ne soient pas bloqués.

Je vous rejoins volontiers sur l'idée que la période est extrêmement difficile pour nos étudiants : ils ont vécu une rentrée dématérialisée, ce qui ne constitue pas pour eux une vraie rentrée dans cette période particulière de leur vie, qui n'est pas si éloignée pour moi. (Sourires.)

Nous ne pouvons pas tendre vers une éducation complètement dématérialisée. En tout cas, je n'y crois pas. Il faut que nous trouvions un juste milieu à la longue, entre des cours en présentiel, qui permettent de maintenir l'interaction physique et humaine nécessaire entre un professeur et ses élèves et entre les élèves eux-mêmes, et des cours dématérialisés, qui peuvent présenter un intérêt dans certains cas.

Enfin, s'agissant de la politique de lutte contre l'illectronisme, nous ne nous sommes pas concentrés spécifiquement sur le public étudiant. En revanche, nous avons prévu d'accorder une attention particulière à cette population dans le cadre de l'action conduite par les 4 000 conseillers numériques que nous envisageons de déployer sur le territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Chaize.

M. Patrick Chaize. Au risque d'enfoncer une porte ouverte, l'illectronisme et l'inclusion numérique sont des problématiques transversales, à la croisée des chemins entre la culture, le social et l'aménagement du territoire. Je ne vous apprends rien en disant cela.

D'ailleurs, le rapport d'information de notre collègue Raymond Vall ne dit pas autre chose : "La priorité a longtemps été la couverture numérique du territoire, et non la maîtrise des usages par les personnes." Je m'autorise ici une petite précision. En réalité, quand on parle de maîtrise des usages, on parle également de fracture numérique.

De fait, la fracture numérique qui touche les territoires, si elle est d'abord physique en raison d'un déploiement insuffisant des outils de communication, est aussi sociale et culturelle. Dès lors, quelles réponses apporter aux défis de l'inclusion numérique ?

Le rapport d'information met le doigt sur le noeud gordien de cette histoire : "Dans certains territoires, le manque de médiateurs labellisés […] est criant." Ou encore : "La structuration des lieux de formation au numérique manque de clarté et plusieurs labels se sont déployés […] sans coordination. "

Surtout, le rapport précise que les interlocuteurs pour combattre l'illectronisme sont certes nombreux – les hubs France Connectée, les territoires d'action pour un numérique inclusif, les maisons France Services, les tiers-lieux « fabriques de territoire » –, mais qu'aucun ne peut assumer seul le poids d'une telle politique.

Je ne peux qu'approuver. On oublie pourtant trop souvent un acteur, même si le rapport l'évoque dans sa proposition n° 30. Cet acteur, tous les Français l'identifient. Celui-ci présente également l'avantage de disposer d'un maillage territorial idoine. Enfin et surtout, il est confronté, plus que tous les autres, aux défis de la numérisation. Vous l'aurez reconnu – enfin, je l'espère ! –, il s'agit de La Poste.

Aussi, ma question est la suivante : qu'attendez-vous, monsieur le secrétaire d'État, pour que le groupe La Poste devienne le bras armé de notre politique publique en faveur de l'inclusion numérique, et pour qu'il redevienne le lien entre tous les Français qu'il était par le passé ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Chaize, nous ne nous quittons plus, puisque nous échangions ensemble hier encore dans ce même hémicycle sur d'autres sujets. (Sourires.)

Vous abordez une question dont nous avons déjà discuté vous et moi à plusieurs reprises. Vous mettez le doigt sur le fond du sujet : le déploiement de l'inclusion numérique partout sur le territoire.

Cet enjeu est au coeur des actions qui seront menées grâce à l'enveloppe de 250 millions d'euros prévue dans le cadre du plan de relance du Gouvernement. C'est du reste la prégnance de cette problématique qui nous a conduits à prévoir un budget aussi important.

Le principal facteur limitant la mise en oeuvre d'une politique de médiation numérique efficace est le manque de médiateurs numériques. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement a annoncé le déploiement de 4 000 conseillers numériques partout sur le territoire, soit un doublement des acteurs disponibles. Il s'agit d'une sorte de « saut quantique » en matière d'offre d'accompagnement des Français dans les territoires.

Nous discutons avec tous les acteurs : les collectivités, les associations comme Emmaüs Connect, l'ensemble des associations qui s'engagent, les entreprises de l'économie sociale et solidaire – comme "Mon Assistant numérique" – qui, tous les jours, enseignent, accompagnent et forment les Français au numérique.

Nous discutons également avec le groupe La Poste : Philippe Wahl souhaite faire de l'inclusion numérique un axe fort de la politique de son groupe. Il souhaite mettre en place une stratégie qui permette de déployer les postiers sur le territoire, afin d'identifier toutes les personnes ayant besoin d'un accompagnement, notamment dans un certain nombre d'endroits où les collectivités seraient moins mobilisées ou moins dotées, là où les acteurs sont moins présents.

Ainsi, nous pourrions faire appel, via La Poste, à un certain nombre de conseillers numériques. En tout cas, je vous confirme la volonté de l'État de travailler avec ce groupe et la volonté de celui-ci de faire de l'inclusion numérique un élément central de sa politique dans les années à venir.

Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Jean Verzelen.

M. Pierre-Jean Verzelen. Je voudrais commencer par remercier mes collègues ayant participé à la mission d'information sénatoriale, ainsi que le groupe du RDSE d'avoir inscrit à l'ordre du jour ce sujet qui, en définitive, concerne tous les Français.

Si, évidemment, nous incitons tous à la formation des plus jeunes et à la formation tout au long de la vie sur les sujets du numérique, j'aimerais évoquer un pan entier de la population qui – ayons le courage de le dire – ne saura jamais se servir du numérique, pour des questions d'âge, de parcours de vie ou de situation individuelle.

Ces personnes, que nous ne parviendrons pas à former, ont besoin de services, notamment de services publics. Il faut absolument avoir à l'esprit qu'il est nécessaire de continuer à les accompagner.

Ainsi, il est indiqué dans le rapport de la mission d'information que les services publics et parapublics doivent impérativement conserver des lignes téléphoniques pour l'accueil des usagers. Si, en plus d'avoir les lignes téléphoniques, ils peuvent aussi avoir du personnel pour décrocher, et ce rapidement, c'est tant mieux !

Puisqu'il est question de service public, je voudrais évoquer le cas précis des maisons France Services.

Il reviendra donc aux collectivités locales d'assurer un certain nombre de services, soit via des lieux physiques, soit au travers d'un dispositif itinérant, se déplaçant de commune en commune. D'ailleurs, je pense que le service ainsi rendu sera de meilleure qualité, car les collectivités locales ont la connaissance du terrain.

En revanche, elles reprennent une compétence assumée jusqu'alors par l'État et par un certain nombre de ses services. Or, dans la vie, quand il y a transfert de compétences, il y a généralement, en parallèle, ce que l'on appelle un "transfert de moyens". Là, le compte n'y est pas : on parle d'une contribution d'une trentaine de milliers d'euros par maison France Service. Si l'on veut que les services portés par les collectivités locales soient utiles, l'État doit accroître son aide financière !

À ce titre, puisque l'on nous parle de déconcentration, pourquoi ne pas transférer des agents de l'État – qui resteraient agents de l'État – au sein de ces structures, afin, encore une fois, d'améliorer les services rendus à nos compatriotes ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur Verzelen, j'aurai quelques difficultés à vous annoncer maintenant, sur ces travées, une augmentation de l'enveloppe consacrée aux maisons France Services et je vous renvoie, pour cette discussion, à Jacqueline Gourault, ma ministre de tutelle.

Néanmoins j'abonde dans votre sens : sur les 13 millions ou 14 millions de Français, environ, qui sont éloignés du numérique, on estime pouvoir en former la moitié ; l'autre moitié ne sera jamais formée.

Cela exige de conserver des guichets d'accueil physique ou de réintroduire des numéros d'appel téléphonique, comme je l'indiquais précédemment, mais aussi de pouvoir faire "à la place de".

Accompagner, c'est l'objectif de France Service. C'est aussi ce qui nous pousse à consacrer une partie des 250 millions d'euros déployés dans le cadre du plan de relance à la distribution de ce que nous appelons des "kits d'inclusion numérique" aux secrétaires de mairie et aux travailleurs sociaux. Nous parlons précisément d'un effort de 40 millions d'euros – sur 250 millions d'euros, donc – pour équiper ces acteurs, qui sont en première ligne dans la lutte contre l'illectronisme, avec le développement d'outils comme Aidants Connect.

Ce dispositif, Aidants Connect, vise un objectif simple. Aujourd'hui, quand une personne fait une démarche numérique à la place d'une autre, celle-ci doit remettre à celle-là ses identifiants et mots de passe. On connaît tous l'exemple de ces travailleurs sociaux ayant en leur possession des pages noircies d'adresses e-mail et de mots de passe. C'est totalement illégal, mais il n'y a pas d'autre solution.

Nous avons donc créé Aidants Connect, que nous allons généraliser cette année, afin de fiabiliser sur le plan juridique cette relation entre l'aidant et l'aidé.

Nous travaillons également à faire progresser la formation au numérique des travailleurs sociaux. En effet, il y a les professionnels de la médiation numérique et tous les fonctionnaires – j'évoquais à l'instant les secrétaires de mairie –, mais les travailleurs sociaux se trouvent aussi en première ligne dans cette lutte et doivent être accompagnés.

Avec ces kits d'inclusion numérique, nous veillons donc, aussi, à aider ceux qui agissent "à la place de".

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian.

Mme Sophie Taillé-Polian. Comme vous l'avez souligné en introduction, monsieur le secrétaire d'État, nous faisons face à un enjeu de société majeur, à une transformation considérable.

Je vous remercie, d'ailleurs, d'avoir appréhendé le sujet d'une manière aussi large, car l'impression qui prédomine souvent est celle d'une politique extrêmement étriquée de l'État, se résumant à l'idée que cette transition représente une véritable aubaine pour qui veut réduire les dépenses publiques et les effectifs de fonctionnaires !

Vous parliez de médiation ; moi, je voudrais appeler à la création d'un grand service public du numérique, qui s'appuierait en premier lieu sur l'éducation nationale.

De très nombreux enseignants sont à former, de manière extrêmement approfondie. Ils doivent être formés pour pouvoir accompagner les élèves dans le maniement des outils, mais aussi, évidemment, pour les amener à être plus critiques face aux contenus qui se déversent sur eux. Je pense aux difficultés liées à l'utilisation des réseaux sociaux ou encore aux fausses informations qui circulent. L'investissement doit être massif et le plan de relance que vous évoquez, je crois, n'y suffira pas.

Au-delà de l'éducation nationale et des grands services publics, il faut aussi s'appuyer sur l'éducation populaire. Il me semble que celle-ci a fort à faire.

Quand je parle d'un grand service public, je n'envisage vraiment pas la construction d'une filière, tel que vous l'indiquiez. Il faut vraiment se dire que l'État et les collectivités ont un rôle majeur à jouer. Il s'agit, en effet, d'organiser une construction citoyenne face à un secteur du numérique – et c'est un enjeu extrêmement grave et prégnant à l'heure actuelle – structuré autour de multinationales, presque aussi puissantes que des États, mais absolument pas préoccupées par les questions démocratiques.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Dans le fond, madame la sénatrice Taillé-Polian, je crois que nous sommes plutôt d'accord… Il peut y avoir un débat sémantique sur le choix du terme – filière ou service public –, mais l'objectif que nous visons est en définitive le même : structurer le secteur grâce à l'injection d'argent public.

Pourquoi fais-je mention de filière, de secteur, et pas de service public ?

Aujourd'hui, énormément d'acteurs agissent sur le terrain, en première ligne : les collectivités territoriales ; des organisations non gouvernementales telles que Emmaüs Connect ; des entreprises de l'économie sociale et solidaire.

Dans une acception très jacobine de l'action de l'État, nous aurions pu décider que celui-ci allait embaucher, payer et déployer sur l'ensemble du territoire les formateurs. Mais nous avons pris une décision tout autre, d'ailleurs en lien avec l'ensemble des acteurs, qui saluent pour la plupart, me semble-t-il, cette approche. Nous avons opté pour le financement, via la Banque des territoires, de ce que nous appelons des hubs territoriaux, permettant de mettre en relation les acteurs et de les équiper, par exemple en développant des logiciels Pix. Il s'agit, dans le cas de cette plateforme, de travailler sur des standards pour évaluer l'illectronisme – sans standards, il ne peut y avoir de politique publique !

C'est donc pour travailler à la mise en relation des acteurs que nous avons investi dans des sociétés coopératives d'intérêt collectif (SCIC) : la SCIC Pix ou encore la SCIC Mednum. C'est aussi pour cela que nous avons proposé de financer le dispositif des conseillers numériques, en prévoyant une embauche, non pas par l'État, mais par les collectivités territoriales, par des associations comme Emmaüs Connect, voire, peut-être, par La Poste.

Le rôle de l'État – pour une fois, me direz-vous – n'a pas été de faire ; il a été de mettre en relation les acteurs.

Je manque de temps pour approfondir ce sujet, mais je vous rejoins sur la nécessité de suivre les jeunes. Une légende urbaine voudrait qu'il y ait une génération Y, née avec un téléphone portable à la main. Ce n'est pas vrai ! Le numérique, cela s'apprend ! C'est une grammaire particulière ! Si nous avons besoin de former les moins jeunes, il nous faut, aussi, accompagner les jeunes.

Mme la présidente. La parole est à Mme Sophie Taillé-Polian, pour la réplique.

Mme Sophie Taillé-Polian. Je n'appelle pas à la création de postes de fonctionnaires par milliers à travers la France en vue de l'instauration d'un service public unifié. Bien entendu, il s'agit plutôt de structurer les acteurs présents, qui sont notamment des acteurs associatifs ou du secteur de l'économie sociale et solidaire.

Mais l'idée que je défends, surtout, c'est que l'éducation nationale, qui est en soi, déjà, un service public, doit servir de cadre, tout comme elle peut aussi servir de lieu pour propager l'éducation au numérique – outils, logiciels, mais aussi contenus – dans le temps scolaire et en dehors du temps scolaire.

L'investissement, je pense, n'est pas encore à la hauteur.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nadège Havet.

Mme Nadège Havet. Le débat de ce jour intervient après l'adoption, hier soir, dans cet hémicycle, de la proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. Je suis intervenue sur les problématiques liées à la captation de notre attention, une ressource très, voire trop prisée, avec un coût cognitif pour les usagers et un coût écologique pour notre planète.

Il y a le trop… Il y a aussi le pas assez !

Lutter contre l'illectronisme et pour l'inclusion numérique, c'est l'ambition que Raymond Vall a affichée, en qualité de sénateur du Gers, rappelant par la même occasion que le Sénat est aussi la chambre du numérique, puisque son développement et son accessibilité ont tout à voir avec l'aménagement du territoire.

Le constat d'une fracture, ou plutôt des fractures numériques traversant la France a conduit à l'adoption de nombreuses mesures au cours de dernières années et, très récemment, dans le cadre du plan de relance.

Dans un document publié en octobre, Jean-François Lucas, sociologue de la ville numérique, aborde certaines propositions tirées du rapport de notre ancien collègue. Il rappelle que "la période de confinement et la crise sanitaire, sociale et économique que nous vivons n'ont fait qu'accélérer la place du numérique dans notre société et amplifier les risques d'exclusion lui étant liés, rendant, de fait, la problématique de l'inclusion numérique plus actuelle que jamais".

Deux constats ressortent, en effet, des conclusions du rapport de la mission d'information. D'une part, l'illectronisme, dont les conséquences sur le pacte social sont dévastatrices, a longtemps été sous-estimé. La crise en a été une révélatrice autant qu'une amplificatrice. D'autre part, la tendance a longtemps été à la couverture numérique du territoire, et non à la maîtrise des usages par les personnes. Il est notable que les moyens alloués par le passé – disons : au cours des vingt dernières années – n'ont pas été à la hauteur des enjeux.

C'est pourquoi je souhaiterais vous interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur l'intermédiation numérique et, plus spécifiquement, sur ces deux points : le développement des référents numériques au niveau des intercommunalités et l'état d'avancement dans la formation des médiateurs numériques et des médiateurs sociaux au numérique.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Vous avez commencé votre intervention, madame la sénatrice Havet, en évoquant la question du marché cognitif et de sa dérégulation. J'en profite pour conseiller aux membres de la Haute Assemblée la lecture du dernier livre de Gérald Bronner, intitulé Apocalypse cognitive, qui apporte des éléments tout à fait intéressants sur notre rapport aux réseaux sociaux et à l'information dans le cadre de la dérégulation du marché cognitif. Cela est parfaitement en lien avec la question que nous évoquons aujourd'hui : celle de l'illectronisme et de la capacité à comprendre comment évolue notre rapport à l'information.

Mais j'en reviens à la problématique de la formation des médiateurs numériques.

Nous avons donc annoncé le déploiement, dans les mois à venir, de 4 000 conseillers numériques sur le territoire. L'ensemble des acteurs engagés et, en premier lieu, les collectivités ont été invités dans ce cadre à postuler sur la plateforme en ligne conseiller-numerique.gouv.fr, ce que plusieurs milliers de collectivités ont fait.

Voilà quelques jours, j'ai signé la première convention de déploiement – pour trente conseillers – avec le département de l'Allier. Tous les niveaux de collectivités peuvent postuler au programme, mais nous avons effectivement choisi de nous appuyer sur les départements, compte tenu de leurs responsabilités en matière sociale, pour coordonner le déploiement au niveau local. Ce peut être également la région, quand celle-ci est investie sur le sujet.

Notre volonté est de proposer un dispositif le plus simple possible aux collectivités, afin d'avoir un déploiement le plus rapide possible. Nous discutons actuellement avec toutes celles qui ont présenté un dossier. J'aurai l'occasion, ce vendredi, de me déplacer dans un département limitrophe de Paris pour annoncer un autre déploiement de conseillers numériques.

Notre objectif, en tout cas, est bien de disposer, à la fin de l'année 2021, de plus de 2 500 conseillers numériques présents sur le terrain pour accompagner les Français.

Mme la présidente. La parole est à Mme Maryse Carrère.

Mme Maryse Carrère. Vous savez combien ce sujet est important pour le groupe du RDSE, monsieur le secrétaire d'État. Je me réjouis donc que nous puissions avoir ce débat et j'ai une pensée pour notre ancien collègue Raymond Vall, qui en est à l'origine.

Parallèlement à la lutte contre l'illectronisme, deux importants combats sont à mener.

D'abord, il faut s'assurer que les plus démunis aient accès aux outils informatiques. Nous parlons là de lutte pour l'inclusion numérique à tout âge et, sur ce sujet, je tiens à saluer le travail des collectivités. Ce sont elles qui, le plus souvent, fournissent, notamment aux jeunes, ces outils indispensables à leur réussite. Nous l'avons encore vu au moment du confinement.

Ensuite, il faut s'assurer que l'ensemble de la population dispose d'une connexion de haut ou de très haut débit. Ce rappel me semble important lorsque l'on sait que, dès demain, les plus de 75 ans pourront – et devront, peut-être – prendre rendez-vous dans un centre de vaccination par le biais de la plateforme Doctolib.

Je vous épargnerai les polémiques sur la collecte des données, mais, si l'initiative prise sous l'angle de la simplification est intéressante, il faudrait s'assurer que l'ensemble de nos concitoyens soient sur un pied d'égalité quant à l'accès à cette plateforme. Or je crains que ce ne soit pas le cas.

Pour une majeure partie, les nombreux Français concernés par l'illectronisme sont âgés et vivent dans des zones où l'accès à une connexion de qualité relève du parcours du combattant. Je ne souhaite pas polémiquer, ni même opposer les urbains aux ruraux, mais je crains que la solution Doctolib ne vienne surtout aider les populations non affectées par la fracture numérique.

Je ne suis pas opposée à la dématérialisation – loin de là ! Celle-ci permet de faire des économies, réduit les délais et évite de nombreux déplacements. Il faut néanmoins toujours veiller à ce qu'elle facilite les relations avec les usagers.

Mis en place depuis plus de cinq ans, le label "e-accessible" vise à valoriser les démarches d'accessibilité instaurées par les administrations.

Monsieur le secrétaire d'État, quand trois Français sur cinq, environ, estiment rencontrer des difficultés dans leurs démarches administratives en ligne, quel bilan pouvez-vous dresser de ce label ? Combien de nos administrations en sont titulaires ? Quelles pistes d'amélioration sont exploitables pour garantir un service public en ligne plus efficace ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Je voudrais d'abord apporter une correction à certains de vos propos, madame la sénatrice Carrère. La vaccination des plus de 75 ans, qui sera ouverte, je crois, à partir de demain, se fera en majeure partie dans des centres de vaccination et, effectivement, nous avons demandé à ces centres de vaccination de recourir à des systèmes d'information. Mais cela ne se réduit pas à Doctolib. Les centres ont le choix entre cette plateforme ou deux autres outils : KelDoc et Maiia. Ils sont parfaitement libres de choisir leur système de réservation.

Par ailleurs, si une réservation de créneaux par internet est prévue, le dispositif ne se limite pas à cela, pour tenir compte, évidemment, du fait que l'on s'adresse dans un premier temps à un public âgé. L'ensemble des 600 centres de vaccination disposeront également d'un numéro de téléphone.

D'ailleurs, j'invite les Françaises et les Français à se rendre, dès demain, sur le site sante.fr. Ils y trouveront la liste des 600 sites de vaccination, avec le lien pour réserver en ligne ou un numéro de téléphone pour prendre rendez-vous. En Allemagne, où la vaccination est ouverte aux plus de 70 ans – me semble-t-il –, on observe que la moitié des rendez-vous sont pris par téléphone et l'autre moitié via les plateformes de réservation.

S'agissant du label que vous avez évoqué, je crois malheureusement qu'il a été supprimé, en raison de son efficacité assez réduite.

Pour autant, nous sommes en train de déployer une stratégie du numérique en santé, qui m'apparaît être soutenue par l'ensemble des associations de patients et des acteurs du secteur de la santé, notamment parce qu'elle est extrêmement inclusive et accorde une attention particulière à l'accompagnement des patients dans leur usage du numérique – donc, à leur inclusion numérique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Nassimah Dindar.

Mme Nassimah Dindar. Je ne vais pas m'étendre, mes chers collègues, sur les chiffres qui ont été donnés : 14 millions de Français en situation d'illectronisme et 50% de nos concitoyens reconnaissant ne pas être à l'aise avec le numérique. La situation est pire dans les territoires ultramarins, où la fracture générationnelle est plus précoce et plus prononcée.

Monsieur le secrétaire d'État, vous avez évoqué les outils et les usages. J'aimerais également parler des publics.

Nous avons abordé les difficultés rencontrées par les publics vulnérables, que sont les personnes âgées ou encore la jeunesse et les étudiants. À La Réunion, comme dans les autres territoires ultramarins, la crise sanitaire a largement modifié le fonctionnement de notre société, avec une accélération des mutations managériales liée à la généralisation du télétravail ou une amplification de l'utilisation du numérique comme outil de la continuité pédagogique.

Mais, en matière de démarches administratives, le virage ne peut pas être pris de la même façon dans nos territoires, dans la mesure où, chez nous, l'illettrisme se conjugue encore avec l'illectronisme. Je parle ici de La Réunion, mais c'est aussi le cas à Mayotte.

Par ailleurs, comment pouvons-nous aborder ce virage sans laisser certains de nos concitoyens au bord du chemin quand, on le sait, les personnes handicapées restent malgré tout largement éloignées de l'outil numérique et que seulement 13% des sites sont accessibles pour ces publics ? Qu'en est-il des personnes âgées isolées ?

Monsieur le secrétaire d'État, dans les 250 millions d'euros du plan de relance affectés à l'inclusion numérique, quelle priorité l'État entend-il accorder aux personnes porteuses de handicaps, afin que la simplification, utile et indispensable, engendrée par les démarches administratives en ligne bénéficie au plus grand nombre ? Que compte faire le Gouvernement, en lien avec les collectivités, pour l'inclusion numérique des personnes handicapées ?

J'ai également bien noté l'existence du dispositif Aidants Connect. Comment se déploiera-t-il à La Réunion ? Combien de conseillers numériques y sont prévus ? Telles sont les questions que je me permets de vous poser pour mon territoire.

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Dans le cadre du déploiement de la stratégie nationale d'inclusion numérique, nous accordons une attention particulière aux territoires ultramarins.

Après ma visite en Guyane, voilà quelques mois, je vous annonce que je me rendrai normalement à La Réunion à la fin du mois de février, pour travailler sur cette thématique de l'inclusion numérique – mais pas uniquement, car La Réunion compte aussi des start-ups très prometteuses.

J'ai également eu l'occasion, récemment, d'évoquer la stratégie nationale d'inclusion numérique par visioconférence avec le Hub Ultra Numérique, qui est le hub d'inclusion numérique de La Réunion.

Je ne sais pas vous dire aujourd'hui, madame la sénatrice Dindar, combien de conseillers numériques seront déployés en outre-mer ou sur votre territoire en particulier. J'espère pouvoir avancer sur ce sujet d'ici à mon déplacement de la fin du mois de février.

Effectivement, vous mentionnez un problème qui vient percuter celui de l'illectronisme : l'illettrisme, s'il est présent dans certains territoires d'outre-mer, affecte aussi l'Hexagone. Je me suis rendu voilà peu dans l'Aisne, où le taux d'illettrisme atteint 17%.

On se rend bien compte à quel point, en cas d'illettrisme, le numérique devient facteur de difficultés supplémentaires. Lorsqu'il y a accueil en guichet, la personne concernée peut toujours présenter sa demande à l'oral. N'ayant pas accès à la lecture ni à l'écriture, elle rencontre encore plus de difficultés face à l'outil numérique. D'où la nécessité de maintenir des guichets d'accueil physique.

La question des personnes handicapées est, je pense, un sujet un peu particulier et différent de celui de l'illectronisme.

D'abord, parce que la dématérialisation peut être un facteur essentiel de simplification, notamment pour les personnes handicapées en situation de handicap physique. D'ailleurs celles-ci sont demandeuses d'une dématérialisation plus importante.

Ensuite, parce que cette question concerne plus l'accessibilité des sites internet que l'illectronisme, même si des recoupages existent entre les deux problématiques. À l'occasion de la Conférence nationale du handicap, j'ai annoncé notre volonté d'atteindre, d'ici à 2022, un taux de 80% des sites internet de l'État respectant le référentiel général d'accessibilité pour les administrations, ou RGAA. C'est un progrès très important et je crois que, sous la responsabilité de Sophie Cluzel, puis, aujourd'hui, d'Amélie de Montchalin, cette question de l'accessibilité des sites aux personnes en situation de handicap est traitée avec énormément d'attention.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas.

Mme Viviane Artigalas. À mon tour, je souhaite remercier le groupe du RDSE d'avoir mené cette mission d'information sur l'illectronisme, ayant abouti au constat – cela a déjà été dit – que 14 millions de Français ne maîtrisent pas le numérique et que près d'un Français sur deux n'est pas à l'aise dans cette pratique.

L'obligation de tenir les cours à distance a révélé une nette carence des compétences numériques, tant au sein du corps enseignant que chez les élèves et les étudiants.

La dématérialisation des services publics souligne également les graves inégalités existant entre les territoires, inégalités risquant de s'aggraver si cette dématérialisation est généralisée et exclut les autres moyens d'accès à ces services. Il est impératif de conserver des portes de sortie pour les usagers qui ne maîtrisent pas encore les outils numériques ou ne parviendront pas à le faire rapidement.

Le numérique est un écosystème global, qui touche désormais toute notre économie et une grande partie de notre vie quotidienne. Le besoin d'accompagnement est donc incontournable.

Le rapport sénatorial sur l'inclusion numérique propose, pour y répondre, la création d'une filière professionnelle de médiateurs.

Toute la question consiste, monsieur le secrétaire d'État, à s'assurer que ces emplois de médiateurs numériques soient pérennes et bien rémunérés, afin d'attirer des profils compétents. Il ne peut s'agir d'emplois mobiles et sans aucune durabilité. Pourquoi ne pas faire de ces médiateurs des agents de service public employés, notamment en milieu rural, dans les maisons France Services, lesquelles seront déployées dans chaque canton d'ici à 2022 ?

Que les médiateurs soient dépendants des collectivités territoriales ou rattachés au monde associatif, il apparaît indispensable que leur financement soit en partie, si ce n'est en totalité, pris en charge par l'État. Sur ce point précis, le Sénat a préconisé la mobilisation d'un fonds de 1 milliard d'euros d'ici à 2022, soit quatre fois plus que le montant alloué par le Gouvernement dans le cadre du plan de relance. Ces sommes pourraient participer à l'émergence de cette nouvelle filière professionnelle, par le lancement d'un plan national de formation et par une meilleure reconnaissance du métier de médiateur numérique.

Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d'État, dans quelle mesure le Gouvernement mettra en oeuvre ces propositions ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Votre intervention, madame la sénatrice, me donne l'occasion de revenir sur la stratégie de long terme en matière de soutien à l'inclusion numérique du Gouvernement.

Premier élément, nous travaillons au développement de la validation des acquis de l'expérience pour les médiateurs numériques actuellement en poste, afin de consolider la situation des personnels qui s'impliquent déjà sur le terrain. Jusqu'ici, effectivement, on avait plutôt recours au système D, ce qui n'ouvrait pas la voie à la certification professionnelle. Nous visons donc la professionnalisation du secteur, la médiation numérique étant un vrai métier.

Deuxième élément, nous travaillons sur le pass numérique, dont le sénateur Éric Gold a indiqué qu'il avait connu quelques difficultés de lancement.

Ce n'est pas totalement faux. Jusqu'à présent, nous avons consacré 40 millions d'euros à ce programme de pass numérique, déployé auprès de 87 collectivités. Mais nous avons fait face à une difficulté en termes de temporalité : le temps que nous signions les conventionnements, que les collectivités votent leur budget et entament le déploiement, les pass numériques sont arrivés sur le terrain au début de l'année 2020. Or, pour dépenser un pass numérique, il faut se rendre quelque part et les lieux ont tous fermé !

Mais notre volonté est bien de développer ce dispositif, pour faire du pass numérique, à long terme, une sorte de monnaie ou de moyen de financement des lieux qui ont une activité de médiation numérique.

Autrement dit, nous accélérerons le mouvement et la montée en compétences des lieux de médiation par le déploiement des conseillers numériques. Mais nous continuerons, au-delà du plan de relance, à financer l'inclusion numérique et nous entendons pour cela nous appuyer sur ce pass numérique, déployé par la société Aptic, dont le dirigeant Gérald Elbaz avait, je crois, été auditionné par la mission d'information.

Cet outil, à notre sens, peut être extrêmement efficace dans le financement de la lutte contre l'exclusion numérique.

Mme la présidente. La parole est à Mme Viviane Artigalas, pour la réplique.

Mme Viviane Artigalas. Nous ne doutons pas que le Gouvernement souhaite faire de la lutte contre l'exclusion numérique une politique publique structurelle. La meilleure preuve de cela sera d'abonder de façon significative les crédits alloués à l'inclusion numérique. Au regard des enjeux que j'ai évoqués, enjeux essentiels pour notre société, 250 millions d'euros, ce n'est pas assez ! Il nous faut une véritable ambition politique !

Je crois vous avoir entendu dire, monsieur le secrétaire d'État, que vous aviez fait mieux que vos prédécesseurs. Je vous rappelle tout de même que c'est vous qui avez voulu la dématérialisation des services publics et que la crise est passée par là. Il est donc extrêmement important de former aux usages. Vous devez y mettre les moyens !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.

Mme Pascale Gruny. La numérisation provoque une transformation globale de l'économie et les PME sont amenées à opérer rapidement leur propre révolution numérique, sous peine de ne plus être compétitives, voire de disparaître.

Or la France accuse un réel retard en la matière, comme en atteste son quinzième rang européen selon l'indice DESI, pour Digital Economy and Society Index, de la Commission européenne.

Quelques chiffres : un tiers des dirigeants ne se sentent pas à l'aise avec les outils numériques ; l'illectronisme frappe 19% des Français ; la pénurie de compétences en matière numérique se traduit par 191 000 postes à pourvoir d'ici à 2022.

Tout comme l'illettrisme empêche de s'exprimer à l'écrit, l'illectronisme exclut des modes de communication modernes et freine l'insertion professionnelle. Le premier confinement a révélé au grand jour les difficultés rencontrées par ces salariés contraints de passer au télétravail et ne maîtrisant pas l'outil numérique.

Il est donc urgent d'accompagner les TPE-PME pour relever le défi du numérique et de doter tous les actifs des compétences numériques minimales pour garantir leur employabilité. Cela exige de faciliter le financement de la formation au numérique dans les entreprises.

Monsieur le secrétaire d'État, compte tenu de l'importance du capital humain dans l'économie numérique, envisagez-vous de considérer enfin les dépenses de formation au numérique comme un investissement, en permettant aux PME et TPE soit d'amortir ces dépenses, soit de bénéficier d'un crédit d'impôt intégrant la formation des dirigeants et des salariés à l'utilisation des outils numériques ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous évoquez les retards de numérisation que subissent une partie de nos TPE et PME. En la matière, la France est effectivement classée seizième ou dix-septième sur les vingt-sept pays de l'Union européenne ; et vous avez pleinement raison de souligner que cette situation est liée, très largement, à une forme d'illectronisme des dirigeants et des salariés de ces entreprises.

En résulte une nécessité absolue : accompagner les créateurs, fondateurs ou présidents des entreprises, ainsi que leurs salariés, pour accélérer la digitalisation de nos TPE et PME. Pour certaines d'entre elles, c'est une question de survie – on l'a vu particulièrement pendant le confinement, avec la problématique de la digitalisation des commerces de centre-ville.

C'est pourquoi, en lien avec Alain Griset, nous travaillons pour que les 4 000 conseillers numériques que nous allons déployer puissent répondre à cette demande d'accompagnement, qu'il s'agisse des petits patrons ou de leurs employés.

C'est souvent lorsque ces dirigeants d'entreprise se présentent au guichet d'une maison France Service ou d'un secrétariat de mairie que l'on s'aperçoit qu'ils sont concernés par l'illectronisme. Par la même occasion, on peut alors se pencher sur leur situation personnelle et sur la situation de leur entreprise.

Pour autant, nous n'avons pas prévu de transformer les crédits de formation au numérique en crédits d'investissement pour les entreprises : cette question plus globale relèverait davantage de la ministre du travail. En tout état de cause, la digitalisation des TPE et PME est étroitement liée à la lutte contre l'illectronisme, partout dans nos territoires !

Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny, pour la réplique.

Mme Pascale Gruny. Monsieur le secrétaire d'État, vous ne répondez pas du tout à ma question. Vous me renvoyez à vos collègues : soit ! Mais j'espère tout de même que vous les croisez de temps en temps et que vous pouvez appeler leur attention sur tel ou tel sujet…

Au nom de la délégation sénatoriale aux entreprises, j'ai consacré un rapport à l'accompagnement de la transition numérique des PME. J'ai mené un certain nombre d'auditions dans ce cadre et je vous assure qu'il s'agit là d'un frein considérable.

Vous insistez sur les 4 000 conseillers numériques : mais pour aider tout le monde, particuliers et entreprises confondus, ces effectifs sont dérisoires ! J'ai bien peur que de graves difficultés ne persistent, alors même que les enjeux numériques ne s'imposeront pas dans dix ans, mais demain, et que la maîtrise de ces outils est essentielle pour l'employabilité.

Cela étant, je saisis cette occasion pour saluer l'initiative lancée, dans mon département, par le conseil départemental et par le préfet pour bâtir un plan inédit de lutte contre l'illettrisme et l'illectronisme – les deux vont effectivement de pair.

Mon département, dont vous avez parlé, est le berceau de la langue française : il a vu naître Jean de La Fontaine, Jean Racine et Alexandre Dumas. Mais aujourd'hui il est le premier département frappé par l'illettrisme, avec tout ce que cela implique en termes de RSA ou de chômage !

De leur côté, les entreprises ont besoin de personnes formées ; or, si elles ne viennent pas chez nous, c'est précisément parce qu'elles ne trouvent pas à y recruter. Vous ne cessez de citer les 4 000 conseillers qui vont être déployés pour accompagner je ne sais combien de personnes ; vous nous parlez également de France Service, mais ce n'est pas la réponse que j'attendais, et j'en suis bien triste !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul.

Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d'État, ma question rejoint celle de M. Chaize et j'espère qu'elle vous donnera l'occasion d'approfondir la réponse que vous lui avez apportée.

S'il existe un foisonnement d'offres de médiation et d'initiatives pour former nos concitoyens à l'utilisation du numérique, les difficultés, comme dans le cas de la lutte contre l'illettrisme, tiennent pour beaucoup à la capacité à identifier et à atteindre les bénéficiaires. Or La Poste peut jouer un rôle fondamental à cet égard.

Tout d'abord, grâce à son maillage territorial, avec ses 17 000 points de contact et par le biais de ses postiers, qui sillonnent toute la France, elle couvre toutes les zones géographiques, y compris les plus reculées.

Ensuite, ses agents sont régulièrement en contact avec des publics éloignés du numérique, personnes fragilisées ou isolées. Ils peuvent détecter leurs besoins avant de les orienter vers une formation. La Poste a ainsi mis en place, dès 2019, un plan pour l'inclusion numérique, des tests de détection, du matériel en libre-service, des médiateurs et des formations "coup de pouce" : elle pourrait très vite former un million de personnes.

Son président-directeur général, M. Wahl, l'a indiqué : il serait tout à fait favorable à ce que La Poste soit l'un des acteurs d'une politique publique de l'inclusion numérique.

À cette fin, il faudrait ajouter cette problématique à ses missions de service public. Néanmoins, il est évident que des ressources humaines et financières doivent, en contrepartie, lui être attribuées.

Votre gouvernement serait-il, de son côté, prêt à ajouter aux missions dévolues à La Poste l'inclusion numérique et à lui octroyer les moyens nécessaires à son exercice ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, votre question me permet de compléter ma réponse à votre collègue Viviane Artigalas, selon laquelle c'est nous qui avons lancé le mouvement de dématérialisation.

Madame Artigalas, pardonnez-moi de partager le fardeau. Quand nous avons été élus en 2017, le taux de dématérialisation était de 60 %. Nous l'avons certes porté à 70% ; mais, avant cette majorité-là, il y en avait une autre que vous connaissez bien, à laquelle j'appartenais aussi, et qui a pris beaucoup d'initiatives en la matière ; pour ce qui concerne la dématérialisation, la responsabilité est même partagée par l'ensemble des majorités qui ont été au pouvoir.

Madame Filleul, pour ce qui concerne votre question, j'aurai du mal à aller plus loin que dans ma réponse à M. Chaize.

Nous discutons actuellement avec Philippe Wahl de la manière d'associer La Poste au chantier de l'inclusion numérique.

Les postiers vont effectivement jusqu'aux particuliers : ils peuvent bel et bien jouer un rôle de détection de l'illectronisme, par exemple chez les personnes âgées qui ne sortent pas de chez elles. Ils peuvent également les accompagner en participant à la formation dans un certain nombre de cadres, dans les territoires où les collectivités territoriales ou d'autres acteurs ont moins d'initiatives ou de capacités d'action.

Nous travaillons également avec Philippe Wahl pour réunir l'ensemble des entreprises qui, d'une certaine manière, sont les acteurs de la dématérialisation : je pense aux banques, aux mutuelles, à la SNCF ou encore à Enedis.

De toute évidence, la gestion de la dématérialisation et des difficultés qu'elle entraîne va bien au-delà des services publics. Avec La Poste, nous travaillons à réunir ces entreprises, qui souvent soutiennent les points d'information médiation multiservices (Pimms), pour que, tous ensemble, privé, public et société civile réunis, nous apportions une réponse à la hauteur de la problématique à laquelle nous sommes confrontés !

Mme la présidente. La parole est à Mme Martine Filleul, pour la réplique.

Mme Martine Filleul. Monsieur le secrétaire d'État, un nouveau contrat d'entreprise est en préparation entre l'État et La Poste : ce travail serait l'occasion de généraliser les expérimentations que La Poste a déjà menées, que ce soit dans les quartiers de la politique de la ville ou dans les outre-mer.

Cette problématique doit être inscrite dans les missions de La Poste : ainsi, toutes les actions menées à ce titre pourront être financées !

Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.

M. Cyril Pellevat. Monsieur le secrétaire d'État, la lutte contre l'illectronisme n'est pas une problématique nouvelle, mais le confinement nous en a rappelé l'importance et a mis en lumière les dangers du tout-numérique.

Il est temps que les pouvoirs publics se saisissent réellement de ce sujet et que le numérique soit rendu plus inclusif.

En parallèle, le Gouvernement doit éviter la disparition de guichets physiques d'accès aux droits. Le Défenseur des droits a souligné cette nécessité dans son rapport de 2019 consacré à la dématérialisation et aux inégalités d'accès aux services publics. Il y recommande d'inscrire dans le code des relations entre le public et l'administration (CRPA) une disposition imposant de préserver plusieurs modalités d'accès aux services publics, afin que les personnes ayant des difficultés à utiliser les plateformes numériques aient toujours accès à leurs droits.

Le respect de cette obligation est particulièrement important pour les territoires de montagne, qui ne disposent pas encore d'une couverture numérique satisfaisante et dont les populations sont, de ce fait, plus susceptibles de souffrir de l'illectronisme.

Renforcer le déploiement des maisons France Services est une solution pour s'assurer de la préservation des guichets physiques. Il faut également y associer des travailleurs sociaux et des médiateurs numériques pour garantir un accompagnement généraliste et de qualité de la population.

Ces services publics de proximité seraient également chargés de détecter les publics ayant du mal à utiliser les outils numériques : ils pourront les aider à accéder à l'aide dont ils ont besoin pour mieux les appréhender. En effet, la formation aux outils numériques est un aspect essentiel de la lutte contre l'illectronisme. Elle doit être adaptée la diversité des publics qui en ont besoin.

En outre, l'échelon de mise en oeuvre de ce dispositif doit être adapté aux besoins des territoires : ceux où la population souffre le plus de l'illectronisme doivent faire l'objet d'une priorisation.

Loin de moi l'idée de diaboliser la dématérialisation : c'est une bonne chose. On estime par ailleurs qu'à terme elle permettra à l'État d'économiser 450 millions d'euros chaque année. Seulement, elle doit être mise en oeuvre de façon mesurée, graduée, et ne laisser personne de côté. En ce sens, une partie des économies dégagées grâce à la dématérialisation des services publics pourrait être utilement réorientée vers la lutte contre l'illectronisme et en faveur de l'accessibilité des plateformes numériques.

Ma question est donc triple : avez-vous prévu de rediriger une partie des économies réalisées grâce à la dématérialisation des services publics vers la lutte contre l'illectronisme et, si oui, à quelle hauteur ? Prévoyez-vous de prioriser la lutte contre l'illectronisme dans les territoires où la population est plus affectée et, si tel est le cas, comment comptez-vous identifier ces territoires ? Le Gouvernement s'engage-t-il à préserver plusieurs modalités d'accès au service public ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, je vous le dis d'emblée : nous préserverons bien entendu plusieurs voies d'accès au service public.

Vous m'interrogez également sur la manière d'investir les économies dégagées par la dématérialisation. Nous avons effectivement examiné les moyens de réinjecter une partie de cet argent dans la formation des Français au numérique. J'ai même travaillé un temps sur une déclinaison du principe pollueur-payeur, en vertu duquel, dès lors que vous dématérialisez, vous devez assumer davantage de responsabilités.

Pour ne rien vous cacher, on aurait vite abouti à une usine à gaz ; à tout le moins, il aurait été compliqué de poursuivre le travail de dématérialisation dans un tel cadre. D'ailleurs, j'ai eu l'occasion de le dire, y compris au sujet de l'accessibilité aux services publics : la dématérialisation n'est pas forcément une mauvaise chose – il y a quelques instants, j'ai cité l'exemple des caisses d'allocations familiales.

Aussi, sans imposer d'obligations supplémentaires aux instances qui dématérialisent, sans flécher les économies dégagées, nous avons décidé d'investir 250 millions d'euros à ce titre.

Il ne s'agit en aucun cas de se substituer aux collectivités territoriales, mais de les accompagner dans le déploiement des politiques d'inclusion numérique, en les mettant en réseau et en cartographiant l'offre de médiateurs numériques disponible. Jusqu'à présent, cette cartographie était très lacunaire. Or nous devons faire en sorte que les collectivités puissent répondre à l'appel d'offres des conseillers numériques.

Pour répondre à votre deuxième question, ce n'est pas nous qui allons prioriser ex ante les lieux où les besoins en inclusion numérique sont les plus grands. En effet, les situations sont extrêmement diverses : les besoins peuvent se trouver dans les villes comme dans les campagnes et concerner l'ensemble des classes d'âge.

Néanmoins, nous avons la volonté d'apporter une réponse aux besoins des collectivités et nous veillerons évidemment à garantir une péréquation entre les territoires, pour éviter la logique du « premier arrivé, premier servi » !

Mme la présidente. La parole est à Mme Else Joseph.

Mme Else Joseph. Monsieur le secrétaire d'État, ce débat relatif à l'illectronisme et à la fracture numérique met en lumière un problème saillant de la société.

Reconnaissons-le : internet a facilité les démarches. L'accès aux services publics a été encouragé dans nos territoires et il serait absurde de renoncer aux gains obtenus. Les derniers confinements ont même renforcé l'usage du numérique, plus ou moins subi, mais surmonté.

Il y a cependant des retards. Pour les combler, l'éducation nationale est appelée à jouer un rôle privilégié. Or elle subit des difficultés, comme l'a démontré la crise sanitaire.

Il faut d'abord dresser un état des lieux de ces problèmes, qui vont au-delà du simple accès à une tablette ou à un ordinateur personnel.

Comme l'a proposé la mission d'information, il faut élaborer une cartographie par académie. À cette fin, il faut se pencher sur les différentes difficultés rencontrées, dans chaque établissement, par les élèves et les enseignants et affectant la continuité pédagogique, qu'il s'agisse des infrastructures, des zones blanches ou des compétences numériques.

À cet égard, il convient de dresser un état des lieux détaillé des compétences numériques des enseignants et des élèves. Il faut, par exemple, recenser les élèves en situation d'illectronisme. Plusieurs de mes collègues l'ont souligné, il s'agit là d'une nouvelle forme d'illettrisme. À Charleville-Mézières, dans mon département des Ardennes, l'observatoire communal de la lecture publique s'est notamment penché sur ce problème, auquel il a consacré une expérimentation tout à fait intéressante.

Les enseignants ont été en première ligne, et je les salue. La question de leur formation à l'outil numérique pédagogique est posée : elle doit être obligatoire, au titre de la formation initiale ou continue. Pour autant, ne soyons pas béats et ne tombons dans les illusions d'une certaine digitalisation. Comme l'explique le rapport Vall, il s'agit de passer d'une logique du "100 % dématérialisé" à une logique du "100 % accessible". La dématérialisation ne doit pas être une solution pour fermer des services, mais une manière de les améliorer.

Monsieur le secrétaire d'État, ma question est simple : comment le Gouvernement entend-il accompagner cette démarche, en particulier auprès des acteurs de l'éducation nationale ?

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, vous avez raison d'évoquer le rôle central de l'éducation nationale dans la lutte contre l'illectronisme sous toutes ses formes. On ne naît pas avec un téléphone portable à la main et l'on aurait tort d'estimer que les problèmes d'accès aux services publics en ligne ne touchent que les personnes âgées.

Je l'ai déjà indiqué : j'ai eu l'occasion de me rendre dans la région de Bayonne pour assister à une session de formation que l'assurance maladie consacrait à son site en ligne. Le public ne comprenait que des jeunes de moins de 25 ans, dont les difficultés à appréhender l'outil numérique étaient extrêmement fortes. En effet, c'est une chose d'utiliser Instagram, d'envoyer des messages par Messenger ou d'aller sur Facebook avec son téléphone portable ; c'en est une autre d'actualiser son dossier pour Pôle emploi, de remplir sa déclaration d'impôt ou de rédiger un CV. D'ailleurs, les conseillers de Pôle emploi vous le diront : très souvent, lorsqu'ils demandent aux jeunes de leur faire suivre leur CV, leurs interlocuteurs ne comprennent pas ce qui leur est demandé.

Nous devons donc également accompagner les jeunes dans leur maîtrise des outils numériques et leur compréhension du monde. À ce titre, Jean-Michel Blanquer et le ministère de l'éducation nationale mènent, sur plusieurs aspects, un travail important.

Il s'agit, tout d'abord, de faire progresser l'éducation au numérique, avec la généralisation de l'heure et demie de cours hebdomadaire réservée à cette matière en classe de seconde ; ensuite, d'assurer l'identification par les chefs d'établissement, notamment à la suite du confinement, des élèves et des familles qui auraient des difficultés de connexion ; et, enfin, de sensibiliser les professeurs à la question du numérique. Il est parfois nécessaire de les accompagner eux-mêmes, car ils peuvent se sentir un peu délaissés – j'ai vécu cette situation en tant que parent d'élève –, pour qu'ils puissent accompagner leurs classes.

Bien entendu, il reste encore beaucoup de travail à accomplir : c'est une très grande transition, que nous devons accompagner. Mais, je vous le certifie, c'est un sujet que le Gouvernement prend à coeur !

Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Rojouan.

M. Bruno Rojouan. Monsieur le secrétaire d'État, mes propos rejoindront largement ceux des précédents intervenants.

Pour permettre l'essor du numérique, la stratégie française a consisté, pendant de nombreuses années, à se focaliser sur le déploiement d'infrastructures. Ce chantier est certes très important, mais il a relégué aux oubliettes la formation des usagers, qui est pourtant essentielle.

En procédant ainsi, on a mis la charrue avant les boeufs et, aujourd'hui, nos concitoyens en paient le prix. Les différents orateurs l'ont dit et répété, plus de 14 millions de Français ne maîtrisent pas l'outil informatique, alors que ce dernier est progressivement devenu indispensable dans notre société.

Pourtant, des associations et des collectivités ont, de longue date, engagé des actions pour lutter contre la fracture numérique. Dans la conquête actuelle, elles ne doivent pas être oubliées.

Il s'agit d'assurer une familiarisation à l'outil numérique dès le plus jeune âge, à l'école ou ailleurs, par exemple dans les centres sociaux, comme c'est le cas dans mon département ; de réévaluer régulièrement les nouveaux besoins ; et de former les personnes en situation d'exclusion, particulièrement dans la ruralité. Je pense par exemple au département de l'Allier, que vous connaissez bien désormais, pour vous y être rendu récemment ! On m'annonce d'ailleurs que vous y viendrez de nouveau samedi prochain.

Ce dernier axe doit particulièrement retenir notre attention. Un changement de cap doit s'opérer pour permettre un déploiement pérenne de la formation aux outils numériques. Il faut substituer à la logique d'assistance, en vertu de laquelle le médiateur fait à la place de la personne formée, une logique de savoir-faire, tendant à l'autonomie numérique.

Cette logique, celle du savoir-faire soi-même, est prioritaire, car l'environnement numérique évolue en permanence, peut-être même trop vite dans certains cas, et seule une compréhension globale des outils et des logiciels peut permettre à chacun d'envisager sans crainte ces changements à long terme.

Dans cette perspective, le lancement d'un plan national de formation au métier de médiateur et le regroupement sous une bannière unique de l'ensemble des réseaux et offres de formation numérique paraissent évidemment indispensables.

C'est un fait incontestable : l'inclusion numérique est devenue essentielle pour mener une vie normale. Pouvez-vous nous préciser comment vous voyez l'évolution, à long terme, des actions que lance aujourd'hui le Gouvernement en matière de formation ? Enfin, je vous incite à une certaine prudence avant de substituer le numérique à l'accueil !

Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Monsieur le sénateur, j'ai effectivement eu l'occasion de présenter en avant-première notre vision du numérique dans le beau département de l'Allier : je m'y suis rendu il y a quelques semaines pour signer, avec Claude Riboulet, président du conseil départemental, un accord relatif au déploiement de conseillers numériques.

Cette visite m'a également permis de préciser et d'illustrer ce que nous voulons faire, par exemple avec la visite du tiers-lieu du Mazier, du bocage numérique, à Bourbon-l'Archambault.

Notre volonté n'est pas de remplacer le Mazier et l'ensemble des tiers-lieux, qui accomplissent un travail exceptionnel sur l'ensemble du territoire ; nous souhaitons simplement donner aux collectivités et, le cas échéant, aux associations les moyens d'embaucher un médiateur numérique. Au Mazier, j'ai d'ailleurs rencontré une personne qui pourrait très bien être dans ce cas de figure et bénéficier du plan de recrutement des conseillers numériques.

Telle est notre volonté sur le long terme, au-delà des 250 millions d'euros du plan de relance : mettre en réseau, connecter et structurer l'ensemble des acteurs qui, depuis très longtemps, s'engagent en faveur de l'inclusion numérique, en leur donnant les outils dont ils ont besoin. J'y insiste, ils font un travail extraordinaire, mais il faut les accompagner : il faut garantir des standards et des outils communs, faute de quoi chacun aura tendance à réinventer la roue dans son coin.

Il s'agit aujourd'hui de professionnaliser et de structurer ce secteur : c'est le travail que nous devons mener à long terme. Déployer des conseillers numériques, c'est, en quelque sorte, mettre de l'essence dans le moteur. Il s'agit d'un effort indispensable ; mais encore faut-il s'assurer que ce moteur fonctionne dans la durée. C'est ce à quoi nous devons nous atteler à présent en structurant ce secteur !

(M. Pierre Laurent remplace Mme Nathalie Delattre au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. Pierre Laurent

vice-président

M. le président. La parole est à Mme Patricia Demas.

Mme Patricia Demas. Les conclusions du rapport sénatorial de Raymond Vall sur la lutte contre l'illectronisme montrent que la fracture numérique s'aggrave. La période que nous vivons en est d'ailleurs un révélateur supplémentaire : aujourd'hui, les Français coupés du numérique souffrent, à tous les niveaux, encore plus que les autres.

Monsieur le secrétaire d'État, nous le savons, les causes de l'illectronisme sont multiples et, pour reprendre l'une de vos expressions, il nous faut réellement passer un cap pour bâtir une politique publique de l'inclusion numérique au plus près des Français et des territoires.

Reste une question incontournable pour cet immense chantier, qui touche toutes les générations et tous les secteurs : celle des moyens. Ils restent insuffisants, malgré des avancées notables.

S'agissant des mesures engagées, je souhaite moi aussi revenir sur le dispositif des 4 000 conseillers numériques financés par l'État pour deux ans afin d'accompagner les usagers en difficulté ou, tout simplement, éloignés des fondamentaux.

Aussi, ma question porte sur les modalités de ces recrutements, tels qu'elles sont spécifiées dans l'appel à manifestation d'intérêt, et que vous voulez rapides.

D'après les informations que j'ai pu recueillir dans mon département des Alpes-Maritimes, il serait utile, pour les collectivités candidates, que les délais de quinze jours accordés pour contractualiser soient étendus à un mois. Cet assouplissement permettrait une meilleure organisation des recrutements, respectueuse, non seulement, des règles de la comptabilité publique et du droit public, mais aussi du souhait et des exigences du financeur. Il irait également dans l'intérêt des futurs conseillers.

Enfin, se pose la question cruciale de la pérennisation de ces contrats à leur terme, afin de s'inscrire dans une plus-value favorable aux territoires et aux usagers. Il en est de même des mesures favorisant les partenariats entre tous les acteurs territoriaux ou soutenant tout simplement l'ingénierie de projets, pour cette professionnalisation du secteur que vous appelez de vos voeux !

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.

M. Cédric O, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance et de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé de la transition numérique et des communications électroniques. Madame la sénatrice, au sujet du processus de contractualisation et de déploiement des conseillers numériques, je vous réponds sans détour : une fois que la collectivité aura candidaté, nous nous adapterons.

La durée de quinze jours a effectivement été évoquée, car notre volonté est d'aller assez vite pour que, dès le début de l'année prochaine, des conseillers numériques soient sur le terrain.

Vous l'avez rappelé, nous prévoyons 350 heures de formation pour faire de ces médiateurs numériques une véritable profession. Il faut prendre en compte le temps nécessaire pour conventionner, recruter et assurer cette formation et, en parallèle, il ne faut pas trop désespérer Billancourt ! (Sourires.) Mais, bien entendu, nous n'allons pas laisser de côté telle ou telle collectivité s'il lui faut quinze jours supplémentaires. J'y insiste, nous voulons avancer et nous saurons nous adapter le moment venu.

Vous évoquez également la pérennité de cet engagement, au-delà des 250 millions d'euros mobilisés sur deux ans. Nous en sommes pleinement conscients : le problème de l'illectronisme n'aura pas disparu dans deux ans, malgré cet important effort d'investissement consenti par l'État.

La pérennisation de ces emplois, ou en tout cas la pérennité de cette action, doit donc être envisagée. Vous avez raison de soulever la question. Toutefois, comme je l'ai dit aux représentants des associations de collectivités, il me semble préférable de prendre le problème dans l'autre sens.

Il y a quatre ans, 350 000 euros étaient alloués à l'inclusion numérique. Aujourd'hui, ces financements atteignent 250 millions d'euros. Pour l'heure, faisons en sorte que les conseillers numériques arrivent sur le terrain ; ma priorité est de déployer ces professionnels, pour que la politique d'inclusion numérique passe à une autre échelle !


Source http://www.senat.fr, le 20 janvier 2021