Interview de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, à Public Sénat le 22 janvier 2021, sur les doses de vaccin, les conséquences de la crise sanitaire sur la petite enfance et les questions liées à l’inceste, à la prescription et au seuil d’âge.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Adrien Taquet - Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance

Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Et notre invité politique ce matin, c'est Adrien TAQUET. Bonjour.

ADRIEN TAQUET
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous, secrétaire d'Etat chargé de l'Enfance et des Familles. On a beaucoup de sujets à évoquer avec vous. On est ensemble pendant plus de 20 minutes, pour une interview en partenariat avec la Presse quotidienne régionale, représentée par Denis CARREAUX de Nice Matin. Bonjour Denis.

DENIS CARREAUX
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous ce matin. On commence évidemment par la crise sanitaire, Adrien TAQUET. Olivier VERAN, qui était devant les sénateurs hier matin, il leur a dit qu'en fonction des livraisons de doses, il n'était pas sûr de pouvoir vacciner d'ici l'été les 15 millions de Français fragiles. Et le soir, au 20 heures, eh bien il nous dit que l'objectif c'est de vacciner 43 millions de Français au mois de juin, et la totalité des Français fin août. Est-ce que vous pouvez nous expliquer cette contradiction ? Quel est le VERAN qui dit la vérité ?

ADRIEN TAQUET
Oh, écoutez, je pense que, je suis même convaincu pour être au quotidien avec lui, qu'Olivier VERAN, comme le reste du gouvernement, je le redis avec force comme j'ai pu le dire mercredi devant les sénateurs, fait monde de transparence vis-à-vis des Français. On s'y évertue depuis le début de la crise. Ce qu'a dit Olivier VERAN, effectivement, c'est que si, si l'ensemble des doses que nous avons commandées dans le cadre de l'Union européenne, des différents laboratoires, nous sont effectivement livrées, parce que pour certains d'entre elles, elles auront reçu l'autorisation, ce qui n'est pas le cas encore de tous les vaccins de l'ensemble des laboratoires, et vu la montée en charge progressive de la vaccination, puisqu'il faut s'en réjouir, après les quelques difficultés du début, peut-être des premiers jours, oui il y a eu quelques personnes qui effectivement ont attendu au téléphone, il y a eu quelques rendez-vous qui ont été déprogrammés, mais aujourd'hui ce sont plus de 100 000 de nos concitoyens qui sont vaccinés chaque jour. On dépend toujours des doses dont nous disposons, nous avons aujourd'hui été livrés je crois de 1,9 million de doses. Nous vaccinons 100 000 personnes. Nous avions annoncé que d'ici la fin janvier, le Premier ministre avait dit qu'on espérait avoir vacciné un million de nos concitoyens, ça sera franchi ce week-end je crois, donc on voit bien qu'on est en phase ascendante. Donc si on poursuit sur ce rythme-là, et une fois encore si l'ensemble des doses nous sont livrées, une fois encore on dépend de ce stock, enfin voilà, et ça je pense qu'on l'a dit depuis le départ, c'est une donnée, eh bien nous pouvons espérer effectivement avoir, d'ici l'été, avoir vacciné une grande majorité voire la quasi-totalité de nos concitoyens. Mais voilà, restons prudents. Je crois…

ORIANE MANCINI
Mais compte tenu des connaissances que vous avez, ça dépend évidemment des livraisons, du stock des livraisons…

ADRIEN TAQUET
Absolument.

ORIANE MANCINI
Ça dépend de la validation aussi de certains vaccins, compte tenu de l'état de vos connaissances aujourd'hui, est-ce qu'on est plutôt sur les déclarations du matin, à savoir on n'est pas sûr de pouvoir vacciner tout le monde d'ici l'été ?

ADRIEN TAQUET
Moi j'ai écouté Olivier VERAN hier soir, il a fixé le cadre, c'est celui que je viens de vous exposer, je crois de toute façon que l'année que nous venons de traverser, nous a tous conduits, je l'espère, à un peu de prudence et de modestie aussi probablement. Voilà, donc écoutez, c'est la dynamique dans laquelle on s'inscrit, c'est ce qu'on essaie de faire. Vous savez, il y avait beaucoup de polémiques, souvenez-vous, sur les tests, aujourd'hui on n'en parle plus du tout, on teste des millions de nos concitoyens chaque mois, je pense qu'on est un des pays qui doit tester le plus en Europe. Bon. Voilà. Donc les choses sont dans les bonnes dynamiques.

ORIANE MANCINI
En revanche il y a des polémiques sur les doses de vaccination, vous les entendez notamment de la part des élus locaux, qui disent : on est prêt mais on n'a pas les doses. Alors, vous avez provoqué un peu un tollé mercredi au Sénat lors des questions d'actualité au gouvernement, vous avez invité les maires à ne pas ouvrir plus de centres de vaccination que ce que l'Etat leur a demandé, vous les avez invités à ne pas prendre plus de créneaux de réservations que ce que le nombre de doses leur permet de faire. Est-ce que vous regrettez ce que vous avez dit au Sénat et est-ce que c'est vraiment le moment de pointer du doigt les maires ?

ADRIEN TAQUET
Alors, ce que j'ai commencé par dire, et c'est la conviction du gouvernement et du Premier ministre évidemment, c'est que la réussite de la campagne vaccinale elle repose sur la bonne coopération et la bonne articulation, entre les services de l'Etat et les pouvoirs publics locaux. Et quand je dis les pouvoirs publics locaux, ce ne sont pas que les élus locaux, c'est aussi l'Etat déconcentré, c'est aussi les ARS, c'est aussi les préfets, qui ont un rôle important à jouer dans ce déploiement et cette déclinaison territoriale de la politique vaccinale. Mais c'est vrai qu'au début, dans les premiers jours, effectivement, je vous l'ai dit, on dépend beaucoup de stocks de vaccins dont nous disposons collectivement. On avait dit effectivement à un certain nombre de responsables locaux qui avaient, je ne sais pas, 500, 1 000 doses de disponibles, et donc ça ne servait à rien d'ouvrir 3 000 ou 5 000 rendez-vous, créneaux horaires. Et c'est là qu'il a pu y avoir un peu de friction et un peu effectivement de déception des Français. Je pense très sincèrement, oui c'est un peu, il y a eu un peu de polémique mercredi, moi je ne veux pas être dans la polémique, vraiment pas, je pense que tout ça se régule depuis. Mais oui, je me suis permis de dire…

ORIANE MANCINI
Mais qu'est- ce que vous avez voulu dire, juste qu'on comprenne, qu'il y a eu un peu de démagogie de la part des maires qui en font trop ?

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, il y a eu un peu de jeu politique, mais comme on avait pu le voir à d'autres moments sur les masques, moi j'ai vu, même dans mon département, dans ma région, quelques élus locaux qui avaient pu essayer de comment dire, oui, peut-être de profiter de ce moment-là pour faire un peu de politique. Bon, tout ça je pense très sincèrement je vous le dis vraiment sincèrement, n'est pas grave c'est aussi les difficultés de… Je veux dire, mener une campagne de vaccination comme ça au niveau national, avec des nouveaux vaccins, des procédures dont vous savez, d'acheminement, de conservation des vaccins, qui sont très compliquées pour tout le monde. Voilà, c'est normal qu'il y ait un peu de frictions, je pense que ça ne mérite pas qu'il y ait des polémiques, ni d'un côté, ni de l'autre, je prends ma part, et voilà, et je pense que ça se régule et que dans quelque temps on n'en parlera plus, comme aujourd'hui on ne parle plus des tests. Voilà.

DENIS CARREAUX
Vous parlez de jeu politique, mais on voit que certaines collectivités sont très très engagées et très très impliquées sur la mise en place du processus de vaccination…

ADRIEN TAQUET
Je le reconnais, absolument. Bien sûr, il le faut.

DENIS CARREAUX
… et gèrent la logistique.

ADRIEN TAQUET
Bien sûr.

DENIS CARREAUX
Est-ce que ce n'est pas aller un peu loin que de dire que certains jouent un jeu politique ?

ADRIEN TAQUET
C'est un constat que je me suis permis de faire, mais dans la très grande majorité des cas, je vous rejoins absolument, c'est effectivement l'engagement des élus locaux, mais aussi enfin, excusez-moi, aussi des services de l'Etat déconcentré, j'aimerais qu'on… On leur tape souvent dessus, moi j'aimerais aussi leur rendre hommage, aux agents dans les préfectures, dans les ARS, qui depuis un peu plus d'un an maintenant, dorment peu pour essayer de faire en sorte que nous traversions cette crise sanitaire, il faut aussi savoir leur rendre hommage. Parce que j'entends beaucoup d'élus, que ce soit à l'Assemblée nationale ou au Sénat, leur taper dessus, et je pense qu'il faut aussi leur rendre hommage et de la très grande majorité des cas, évidemment quasi-totalité, les élus locaux sont très investis, très engagés, et je le redis, et une fois encore, mes interventions commençaient je crois, vous vérifierez sur les bandes, à chaque fois par ça, par rendre hommage et par pointer la nécessité de cette bonne articulation, et cette bonne coopération main dans la main avec les élus locaux, pour toutes les raisons que vous exposez.

DENIS CARREAUX
Olivier VERAN n'a pas annoncé hier soir de nouvelles mesures et le porte-parole du gouvernement a expliqué qu'il n'y en aurait pas avant la semaine prochaine. Olivier VERAN dit vouloir attendre l'effet du couvre-feu. Quand on décortique les chiffres, et c'est ce qu'on à Nice Matin, dans un article qui a été publié ce matin, on voit que le taux d'incidence baisse un petit peu depuis la mise en place du couvre-feu à 18h00 le 2 janvier, mais baisse finalement très peu, est-ce que ça ne démontre pas l'inefficacité ou en tout cas le fait que le couvre-feu ce n'est pas suffisant ?

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, effectivement, sur une quinzaine de départements qui avaient mis en place le couvre-feu de façon anticipée par rapport au reste du pays, on voit un effet sur l'incidence. Est-ce que ça sera suffisant ? Notamment par rapport à la circulation du fameux variant anglais, dont on voit et on sait un peu quasi mécaniquement, c'est une course contre la montre…

DENIS CARREAUX
C'est 5 % des cas dans les Alpes-Maritimes aujourd'hui.

ADRIEN TAQUET
Oui, et je crois qu'au niveau national ça doit être autour de 2, 2,5, mais ça évolue très vite, par définition malheureusement. Est-ce que ça sera suffisant pour contenir ? Je ne sais pas. Ce que l'on fait à chaque fois, les Français commencent à en avoir l'habitude, on sait qu'il y a toujours des délais de deux semaines, trois semaines, plutôt deux maintenant, pour voir l'impact des décisions que l'on prend sur notamment le système hospitalier, c'est la raison pour laquelle on a dit qu'on allait attendre effectivement le milieu de semaine prochaine pour prendre des mesures. J'imagine qu'il y aura un Conseil de défense mardi ou mercredi, c'est généralement dans ces eaux-là que ça se passe et que des mesures seront prises. Aujourd'hui je ne peux pas vous dire, c'est la grande question, c'est est-ce qu'on va vers un confinement ou pas, est-ce que le gouvernement est en train de préparer les esprits à ça, très sincèrement je n'en sais rien. Effectivement les tendances ne sont pas extrêmement positives, on voit que les entrées en hospitalisation ont plutôt tendance à augmenter, en réanimation de la même façon. Voilà. Donc la tension sur le système hospitalier commence à augmenter, on sait que ce variant anglais se diffuse très rapidement, voilà, de façon un peu exponentielle, c'est ce qu'on a constaté dans les pays européens, donc on essaie de contenir, c'est ce qu'on a fait, il y a la course contre la montre avec le virus aussi, voilà, c'est une course contre-la-montre plus que jamais, aujourd'hui.

DENIS CARREAUX
Avec l'enjeu et le risque des vacances scolaires qui arrivent à partir du 5 février, il avait été envisagé à un moment d'allonger les vacances scolaires, est-ce que c'est un scénario qui peut être à nouveau mis sur la table ?

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, une fois encore moi je ne veux pas vous faire de fausses annonces ou risquer de… C'est effectivement, je ne peux pas dire mieux que ce que vous venez d'évoquer, ça avait été envisagé, je ne sais pas si ça sera quelque chose de retenu. Voilà, je pense qu'il faut vraiment attendre la semaine prochaine pour voir ce sera décidé.

ORIANE MANCINI
Est-ce que ce contexte sanitaire a des conséquences sur la petite enfance, dont vous avez la charge ? On a lu Marlène SCHIAPPA dans le Parisien, dire que les signalements pour les violences faites aux femmes avaient augmenté de 60 % durant le second confinement. Est-ce que vous avez constaté une augmentation des violences sur les enfants et de combien ?

ADRIEN TAQUET
Alors, il y a deux types de conséquences, il y en a probablement plus. Il y a évidemment des conséquences au niveau de la scolarité. On sait que le confinement, les difficultés actuelles de scolarité, potentiellement accroissent les difficultés antérieures. Il y a des conséquences sur les violences, effectivement, notamment pendant le premier confinement. Il y a un double effet, c'est-à-dire qu'effectivement la famille, dans certains cas, est un lieu de danger pour certains enfants, et donc on avait notamment au cours du premier confinement renvoyé les enfants chez eux, et pareil on avait fermé les écoles donc on avait perdu nos yeux. Parce qu'en réalité l'école est l'endroit qui fournit le plus d'informations préoccupantes. Donc il y avait un double effet comme ça. On s'était mobilisé, les Français s'étaient mobilisés, étaient beaucoup plus vigilants, certaines semaines les appels au 119 avaient augmenté de 4, le numéro de l'enfance en danger, le 119, avait augmenté de 80 %. Ça traduisait à l'époque probablement une augmentation des violences et ça s'est révélé être le cas, quelques mois après les remontées des CHU, notamment des urgences pédiatriques, nous montrent que, en gros, si vous voulez, sur le premier confinement, ça vaut pour surtout les hôpitaux parisiens, vous avez eu de 30 % de baisse des hospitalisations pédiatriques, parce qu'il y a eu moins de bobos dans la cour, parce qu'il n'y avait plus la cour etc., mais parmi les hospitalisations pour les enfants, il y a eu une hausse de 50 % pour faits de violence. Donc il y a eu un phénomène d'augmentation. Et puis il y a un deuxième effet qui me préoccupe tout autant, enfin il n'y a pas de hiérarchie évidemment, mais c'est la question des conséquences psychologiques de la crise sur les enfants. Les conséquences psy, à la fois sur les tous petits. Vous avez des enfants qui sont nés il y a un an, eh bien les professionnels qu'ils ont vu de la petite enfance, ils les ont vus masqués depuis un an quasiment, c'est la raison pour laquelle moi j'ai, et je remercie la Caisse nationale d'allocations familiales, la CNAF, j'ai demandé à son Conseil administration il y a quelques mois, de voter un budget exceptionnel pour fournir l'ensemble des professionnels de la petite enfance de masques transparents, parce qu'on sait à quel point pour un tout jeune enfant c'est important de voir les sourires, les visages, les expressions du visage, c'est important pour son développement. Donc il y a ça. Etre très attentif sur les plus âgés, mais pas très très âgés encore, à partir de 6 ans, qui portent le masque à l'école désormais. Bon. Donc on regarde et on développe un certain nombre d'outils, notamment pour permettre aux professionnels de l'Education nationale d'un côté et aux parents de l'autre, de pouvoir déceler un mal-être chez leur enfant. Et puis troisième population encore plus, dont la santé mentale se dégradait déjà depuis plusieurs années, ce sont les adolescents. Et donc là on est très très sensible, moi je regarde les signaux faibles, j'ai fait une réunion avec un ensemble de pédopsychiatres, la présidente de la Société française de pédiatrie en novembre, on a réitéré ça avec le président de la République, qui est lui aussi très inquiet sur ce sujet-là, c'était il y a de ça 10 jours, le président de la République a fait un certain nombre d'annonces à la suite de ça, d'une part en convoquant des Assises de la santé mentale, notamment sur les enfants, avant l'été et en nous demandant de travailler au renforcement de la médecine scolaire d'un côté, et à voir comment on peut faire en sorte de rembourser peut-être des consultations de psy pour les enfants. Bref, il y a une grosse préoccupation sur la question de la santé mentale, et une fois qu'on sera sorti de la crise sanitaire, ça ne va pas s'arrêter, parce qu'on peut anticiper que la dégradation de la situation économique va se poursuivre ou s'amplifier, que vous allez donc avoir des cellules familiales, des gens qui vont perdre leur boulot, avec des tensions, et donc des risques sur les enfants. Voilà. Il faut être vigilant.

ORIANE MANCINI
L'autre sujet important, Adrien TAQUET, c'est la question de l'inceste. Le livre de Camille KOUCHNER a libéré la parole, vous avez vu ce déferlement de témoignages sur les réseaux sociaux, sous le #metooinceste. Est-ce que vous avez été surpris par l'ampleur de ces témoignages et surtout comment le gouvernement va y répondre ?

ADRIEN TAQUET
Alors, j'ai été déjà impressionné par le courage des victimes. Et, pas surpris non, parce que moi la question des violences faites aux enfants et en particulier des violences sexuelles, dont l'inceste, mais pas que, mais dont l'inceste, moi c'est un des combats forts de ma mandature comme on dit. C'est un sujet que j'ai pris tout de suite, dont je parle beaucoup, parce que je pense qu'il faut parler, il faut briser le mur du silence, il faut en faire un, j'allais dire, la situation des enfants dans ce pays face à la violence et à la violence sexuelle est telle, c'est-à-dire est tellement catastrophique, que ce n'est pas le gouvernement tout seul et le ministre avec ses petits bras, qui va la résoudre, ces quand ça ce sera devenu un sujet de société, et c'est ce qui est en train de se faire. Et je peux vous dire que depuis 2 ans, moi pour venir parler sur les plateaux de télé de ces sujets-là, je me galérais un peu. Donc c'est très bien enfin qu'on en parle, et vous avez évidemment votre rôle à jouer. Les victimes l'ont, elles sont en train de le faire, il faut qu'on accompagne cette parole, il faut qu'on apporte des solutions, je vais vous en parler, mais il faut que ça reste à la Une de l'actualité. Je veux dire, demain il va peut-être se passer un truc et puis on passera à autre chose. Là ça n'est plus possible. Effectivement, les coups de boost, c'est ce que je disais hier au moment des débats sur la proposition de loi Billon…

ORIANE MANCINI
On va en parler.

ADRIEN TAQUET
… puisque j'étais au ban avec Eric DUPOND-MORETTI, c'est depuis, aussi loin qu'on puisse s'en souvenir, et probablement avant, c'est depuis le milieu des années 80, Eva THOMAS, qui à la télé parle de l'inceste. Puis Denise BOMBARDIER, puis vous avez eu Sarah ABITBOL, et puis Andrea BESCONF. Bref il y a des coups de boutoir comme ça, on en parle, on parle des chiffres, tout le monde tombe de sa chaise, et puis on les oublie le lendemain. Bon, là les coups de boutoir sont de plus en plus forts, de plus en plus rapprochés, et donc on peut espérer qu'enfin, enfin on va pouvoir collectivement faire face à sujet. Parce que ça va secouer. Parce qu'en réalité, quand on regarde les chiffres, vous les connaissez, un Français sur dix qui aurait été victime d'inceste, on ne parle que de l'inceste, il y a tous les autres types de violences sexuelles qui n'ont pas lieu dans la famille, dans un cadre sportif, dans une institution. Un Français sur trois qui dit connaître quelqu'un victime d'inceste, c'est-à-dire que là, chacun d'entre nous, nous sommes soit victime ou avons dans notre entourage très proche, un agresseur.

ORIANE MANCINI
Mais quelles réponses, alors, Adrien TAQUET ?

ADRIEN TAQUET
Alors, les réponses elles sont de plusieurs ordres. Elles sont déjà en train d'être déployées pour certaines, et il faut aller plus loin. Nous on a travaillé dès le début, dès mon arrivée moi en janvier 2019, oui, c'est ça, on a travaillé sur un plan de lutte contre les violences, avec les associations, avec les ministères, parce que c'est très interministériel évidemment, et donc j'ai présenté un plan de lutte contre les violences faites aux enfants, le 20 novembre 2019, qui était le 30ème anniversaire de la Convention internationale des droits de l'homme. Il y a 22 mesures là-dedans, il y a certaines qui portent sur les violences sexuelles. A la fois prévention, formation, et là on peut aller plus loin, très clairement, on forme mieux les magistrats, on peut mieux former les professionnels de santé, je pense qu'on peut mieux accompagner encore les fois celle de l'Education nationale, on en parlait tout à l'heure, même si ce sont aujourd'hui les premiers pourvoyeurs. Je pense qu'il faut qu'on sensibilise davantage les enfants eux-mêmes, et ça on y travaille avec Jean-Michel BLANQUER et on va accélérer là-dessus. Il faut, il y a tout un travail sur le recueil de la parole de la victime. Vous savez, quand vous avez un enfant de 4 ans qui a été victime d'un viol, par son père, eh bien recueillir sa parole, ce n'est pas simple. Ça ne se fait pas dans un commissariat, avec des gens pas formés. Donc on a développé, on déploie ce qu'on appelle des unités d'accueil pédiatrique, c'est à l'hôpital, des professionnels formés, un regard pluridisciplinaire, c'est filmé, et il y en aura un par département d'ici 2022. Bon. On lutte contre les pédocriminels, on a durci les peines pour les personnes qui consultent des sites pédopornographiques, ces gens-là seront de fait désormais automatiquement inscrits au fichier des agresseurs sexuels. On a élargi tout ce qui est contrôle des antécédents judiciaires, des gens qui travaillent avec les enfants, etc. etc. Donc il y a des choses, mais faut aller plus loin, il faut accompagner cette parole et il faut faire, #metooinceste est évidemment formidable, je crois qu'on est à près de 100 000 témoignages, enfin voilà, donc là il y a une vague, elle est formidable. Tout le monde ne va pas sur Twitter, tout le monde n'a pas la parole. Vous savez, il y a une population qui est plus touchée que les autres, c'est les enfants en situation de handicap. Il y a des gens qui ne parlent pas, il y a des gens qui sont déficients mentaux, qui ont des problèmes psychiques, ça aussi c'est un sujet. Bon voilà, et donc il y a tout ça tout ça à faire.

DENIS CARREAUX
Alors, il y a une question centrale sur ce sujet, qui est celle de l'imprescriptibilité. La plateforme de démocratie participative Make.org, dévoile aujourd'hui les résultats d'une consultation citoyenne sur les violences faites aux enfants, et plus de 80 % des participants sont favorables à ce principe de l'imprescriptibilité. Est-ce que, comment on peut avancer sur ce sujet ?

ADRIEN TAQUET
Alors, il y a effectivement deux sujets qui cristallisent un peu les débats, et ils sont importants, et le gouvernement, et je pense que nous en avons fait montre hier, à l'occasion de la PPL Billon et c'est une première étape, veut avancer et va avancer sur le sujet. Ces deux sujets, c'est la question de l'âge du consentement et d'un éventuel seuil, et puis il y a la question de l'imprescriptibilité. Ils sont centraux, ils sont importants, mais une fois encore la question des violences sexuelles et l'inceste, c'est évidemment bien plus large que ces seules deux questions, on a parlé de prévention, de lutte etc. Et d'accompagnement psychologique des victimes…

ORIANE MANCINI
Mais quand même, la réponse juridique est importante.

ADRIEN TAQUET
Oui oui, je vais… Oui elle est importante, mais ce n'est pas parce qu'on va passer l'imprescriptibilité pour les crimes à partir de maintenant, pour les 30 prochaines années, ou bouger sur l'âge du consentement, que ça va résoudre la question des violences sexuelles dans notre pays. Enfin, que les choses soient très claires aussi là-dessus, mais…

DENIS CARREAUX
Ça ne va pas tout résoudre mais ça fait partie d'une manière de faire avancer le sujet.

ADRIEN TAQUET
Evidemment, évidemment et même en termes de signal social donné. C'est indéniable. Mais la prise en charge psychologique aujourd'hui des victimes qui est défaillante, est aussi un sujet, et on va y travailler. Sur la question de l'imprescriptibilité, écoutez, hier a été adopté, il y a eu des débats très intéressant, de très très bon niveau d'ailleurs parmi les sénateurs et avec le garde des Sceaux il faut le reconnaître sur ce sur cette question-là. Ça soulève un certain nombre de problèmes juridiques, de hiérarchie aussi, parce que si vous mettez l'imprescriptibilité pour effectivement un crime sexuel sur enfants, pourquoi pas sur les crimes tout simplement avec tortures sur enfants qui sont tout aussi horribles, enfin sans faire de hiérarchie entre les uns et les autres. Bon. Hier a été adopté quelque chose d'assez intéressant, même si peut-être il faudra le réécrire techniquement, c'est la question de la prescription glissante. C'est-à-dire si un nouveau crime est constaté, il suspend les mécanismes de prescription qui étaient à l'oeuvre. C'était une proposition, un amendement socialiste, sauf erreur…

ORIANE MANCINI
Oui, de Marie-Pierre de LA GONTRIE.

ADRIEN TAQUET
Voilà, de Marie-Pierre de LA GONTRIE, qui … plutôt opposée, sans vouloir parler pour elle, à la question de la prescribilité, c'est assez divisé, même parmi les associations, même parmi les psychiatres, vous avez des psychiatres qui sont très favorables, Muriel SALMONA par exemple, une grande psychiatre sur ces sujets-là, vous en avez d'autres, Hélène ROMANO par exemple qui le sont moins, et effectivement Marie-Pierre de LA GONTRIE n'est pas. Bon, cet amendement a obtenu le l'avis favorable du gouvernement, du garde des Sceaux, donc c'est une première avancée qui répond je pense…

ORIANE MANCINI
Celui-là, vous allez le reprendre à votre compte.

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, en tout cas on a émis un avis favorable là-dessus. Alors, vous l'avez probablement noté, je ne sais pas si vous voulez m'interroger, mais on va nous continuer à travailler aussi, de toute façon là on est dans la navette parlementaire…

ORIANE MANCINI
Mais non, mais on va vous interroger justement, parce que là on est dans la navette parlementaire, donc le texte a été, c'est une proposition, le texte a été voté hier au Sénat. Pour qu'il aille à l'Assemblée il faut qu'il soit repris, soit par les députés, soit par le gouvernement. Est-ce que le gouvernement va le reprendre ce textes et l'inscrire à l'ordre du jour de l'Assemblée ?

ADRIEN TAQUET
Alors, le gouvernement veut avancer sur ces sujets-là, veut avancer sur la question du seuil d'âge, veut avancer sur la question de l'imprescriptibilité, en tout cas d'une prescription, veut avancer sur d'autres sujets, qui restent encore ouverts, qui n'ont pas trouvé forcément de réponse hier, qui sont des sujets compliqués, la question de l'inceste, aujourd'hui circonstance aggravante, est-ce qu'on doit en faire un crime spécifique ?

ORIANE MANCINI
Oui ou non ?

ADRIEN TAQUET
Alors, ce ne sont pas des questions auxquelles on répond par ou par non…

ORIANE MANCINI
Non, mais est-ce que vous y réfléchissez ?

ADRIEN TAQUET
Non mais je vais vous dire…

ORIANE MANCINI
C'est Brigitte MACRON, elle-même qui dit qu'il faut une forme judiciaire sur ces sujets.

ADRIEN TAQUET
Non mais je vais vous répondre, ça ne se répond pas par oui ou par non, ça a deux, trois implications juridiques, mais aussi pour les victimes, en réalité, parce que c'est à elles qu'il faut penser avant tout, c'est la raison pour laquelle le président de la République nous a demandé, à Eric DUPOND-MORETTI et à moi-même, de mener une petite concertation rapide auprès de l'ensemble des parties prenantes, notamment les associations, les juristes spécialisés etc. pour que dans le cadre de, cette navette parlementaire, le gouvernement puisse aussi avancer, façonner son idée sur ces différents sujets. Voilà, il y aura 4, 5 thèmes qui seront mis sur la table, ceux qu'on vient d'évoquer.

ORIANE MANCINI
Concertation qui débute quand ?

ADRIEN TAQUET
Qui va débuter la semaine prochaine avec le garde des Sceaux, et qui va nous permettre à nous de nous faire notre idée sur ces sujets-là, et pour au moment du retour de la navette parlementaire, pouvoir avoir une position définitive du gouvernement, étant entendu que je ne sais pas, je ne sais pas répondre à la question que vous allez me poser, je ne sais pas quel sera le véhicule. Ce que je peux vous dire c'est que…

ORIANE MANCINI
Non mais juste, il vous a demandé une concertation, donc qui débute la semaine prochaine, il vous a donné une échéance j'imagine pour la mener.

ADRIEN TAQUET
Oui, de toute façon il faut que les choses avancent dans les semaines à venir. Donc, est-ce que ça sera une reprise, sincèrement je ne sais pas…

ORIANE MANCINI
Si ça sera une reprise du texte d'Anne BILLON, ou si vous allez faire votre propre loi.

ADRIEN TAQUET
Ce que je sais c'est que le gouvernement veut avancer et veut avancer vite, donc on va déjà se mettre d'accord sur le fond, après avoir parlé un peu avec les différents acteurs, c'est à peu presque ce que pensent les uns et les autres, mais on a ce besoin d'échanger encore, notamment en fonction de ce qui a été adopté hier et ce qui s'est passé hier. On va se positionner là-dessus, et après est-ce que ça sera une reprise Billon … ou les députés de la République En Marche, est-ce que ça sera une PPL spécifique, il y a quand même une députée, Alexandra LOUIS, qui travaille depuis quelques temps sur ce sujet-là, qui avait été rapporteur de la loi de Marlène SCHIAPPA. Est-ce que ça sera un projet de loi, est-ce qu'on ira s'accrocher sur une autre proposition de loi portée par des députés, franchement je ne sais pas. Ce qui compte…

ORIANE MANCINI
Vous ne savez pas la manière, mais vous nous dites ce matin que la loi, la proposition de loi Billon ne restera pas uniquement à l'état du Sénat, que le gouvernement va s'en emparer, sous une forme ou sous une autre et que ce sujet sera travaillé au Parlement.

ADRIEN TAQUET
Le sujet, la question du consentement, de la prescription, de qu'est-ce qu'on, est-ce que l'inceste est un crime spécifique ou pas, bref toutes ces questions-là ne sont pas des questions simples, nous allons avancer sur le sujet, ça je vous le confirme.

ORIANE MANCINI
Un dernier mot Denis pour terminer, sur l'aide sociale à l'enfance peut-être ?

DENIS CARREAUX
Vous avez présenté votre feuille de route concernant la petite enfance, vous admettez vous-mêmes que le calendrier est plutôt serré, qu'il reste un an utile, quelle est votre priorité ?

ADRIEN TAQUET
Alors, effectivement, eh bien écoutez, moi j'essaie depuis un an de gérer la crise, notamment au plus près des acteurs, qu'ils soient de la petite enfance, qu'ils soient de l'aide sociale à l'enfance, vous imaginez quand on a fermé l'école pour les foyers, ça a été compliqué…

DENIS CARREAUX
Mais est-ce qu'on peut avancer sur les réformes quand même ?

ADRIEN TAQUET
On essaie, et on pousse, et je remercie, parce qu'on sollicite beaucoup beaucoup les acteurs, les différents acteurs, et j'essaie, et moi je pousse je pousse je pousse, parce qu'il faut aussi que la vie continue, il y a aussi des sujets importants, on a initié des choses, on a fait bosser des gens, moi je veux que les choses aillent à leur… Oui, et donc il y a une espèce de dictature de l'urgence là que je ressens chaque matin quand je me lève, il y a pas mal de sujets initiés sur la petite enfance, on a déjà fait des choses, réforme des modes d'accueil, congé paternité, tout ça un peu dans le… c'est le projet des mille premiers jours de l'enfant, et donc ça on va continuer à le déployer cette année. Et puis il y a la réforme de l'aide sociale à l'enfance, on pourrait en parler longtemps, je pense que ça intéresse plus un certain nombre de vos auditeurs, dans les départements…

ORIANE MANCINI
Vous préparez une loi là-dessus ?

ADRIEN TAQUET
Ça fait un an et demi, on prépare effectivement un texte, c'est un an et demi de concertations, moi je bosse beaucoup avec l'Association des départements de France, avec les départements, avec les associations, avec les anciens enfants protégés, notamment pour renforcer la gouvernance, c'est un peu techno, il n'y aura pas que ça, mais notamment la gouvernance, le pilotage de cette aide sociale à l'enfance, qui est une compétence partagée entre les départements et l'Etat, et l'éducation, la santé, c'est beaucoup chez nous que ça se passe, il faut qu'on s'organise tous, autour de l'enfant, pour éviter les ruptures et pour améliorer la prise en charge. Ça devrait arriver au premier trimestre, enfin ça va arriver au premier trimestre de cette année.

ORIANE MANCINI
En Conseil des ministres ?

ADRIEN TAQUET
Si c'est une PPL…

ORIANE MANCINI
Ça sera une PPL ?

ADRIEN TAQUET
On est en train de voir ça, ça sera probablement une PPL.

ORIANE MANCINI
D'accord, donc examinée au Parlement d'ici quelques semaines.

ADRIEN TAQUET
D'ici la fin du premier trimestre, oui.

ORIANE MANCINI
Vous viendrez nous en reparler, Adrien TAQUET, j'espère.

ADRIEN TAQUET
Avec très grand plaisir, parce que c'est un sujet très intéressant.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup.

ADRIEN TAQUET
Merci à vous.

ORIANE MANCINI
Merci d'avoir été avec nous ce matin.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 25 janvier 2021