Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi autorisant l'approbation de la décision (UE, Euratom) 2020/2053 du Conseil du 14 décembre 2020 relative au système des ressources propres de l'Union européenne et abrogeant la décision 2014/335/UE, Euratom (nos 3734, 3781).
- Présentation -
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé des affaires européennes.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État chargé des affaires européennes. Permettez-moi tout d'abord d'avoir à nouveau une pensée pour Marielle de Sarnez, qui a oeuvré tout au long de sa vie pour le combat européen qui lui tenait tant à coeur et qu'elle a si bien incarné.
Au terme d'une négociation de plusieurs années – s'agissant du budget de l'Union européenne pour la période 2021-2027 – et de près de huit mois de discussions – pour ce qui concerne le plan de relance européen –, je suis très heureux de vous présenter ce projet de loi visant à autoriser la ratification de la décision relative au système des ressources propres de l'Union européenne.
Son article unique, si vous l'adoptez, autorisera en effet le Gouvernement à ratifier la décision sur les ressources propres adoptée le 14 décembre par le Conseil de l'Union européenne.
Comme vous le savez, les traités européens prévoient qu'une telle décision ne peut entrer en vigueur qu'après ratification par l'ensemble des États membres selon leur procédure nationale respective. En France, aux termes de l'article 53 de la Constitution, cette ratification passe par la loi et doit donc être votée par le Parlement. S'agissant des ressources propres de l'Union européenne, c'est un exercice usuel, renouvelé tous les sept ans. Dans la période que nous vivons, l'adoption du budget européen et du plan de relance constitue un moment démocratique essentiel ; je voudrais donc en détailler un instant le contenu.
La décision relative aux ressources propres est le résultat historique auquel sont parvenues, notamment grâce à la France, les récentes négociations européennes.
En premier lieu, le texte permet l'application du volet relatif aux recettes de ce qui est depuis le 1er janvier 2021 notre cadre budgétaire et politique commun pour les sept prochaines années. Je le rappelle, ce budget permet le déploiement du cadre financier pluriannuel – CFP –, doté sur la période 2021-2027 de 1 074 milliards d'euros, soit une augmentation de 12% par rapport au budget précédent, celui de la période 2014-2020, et ce alors qu'un État membre, le Royaume-Uni, nous a quittés le 31 décembre.
La période budgétaire qui s'ouvre cette année est ainsi marquée, en particulier grâce à l'accord conclu le 10 novembre entre le Conseil et le Parlement européens, par le renforcement très important des moyens consacrés à des politiques fondamentales et prioritaires pour notre pays.
Je les évoquerai brièvement et de manière non exhaustive : plus de 26 milliards d'euros au total iront au programme Erasmus+ et donc à la mobilité étudiante, dont le budget est ainsi quasiment doublé ; 95 milliards d'euros seront dédiés au programme de recherche "Horizon Europe", ce qui représente une hausse de 50 % des moyens consacrés à la recherche, au développement et à l'innovation ; les moyens du programme spatial – dont le Président de la République a rappelé l'importance il y a deux semaines – augmenteront d'un tiers ; enfin, plus de 5 milliards d'euros seront consacrés de manière inédite et innovante à un nouveau programme dédié à l'Europe de la santé, ce qui nous permettra notamment de poursuivre le programme d'acquisition de vaccins ou d'équipements stratégiques pour faire face aux pandémies.
Dans le même temps – et il s'agissait d'une priorité française essentielle –, nous avons pu préserver le budget de la politique agricole commune, notamment les paiements directs sur sept ans à nos agriculteurs, et renforcer les moyens de la politique de cohésion, qui bénéficient aux régions, en particulier outre-mer.
Il est par ailleurs prévu, à la suite d'une demande française, que 30% des dépenses du budget européen pluriannuel soient pour la première fois consacrés à des dépenses de transition climatique et qu'aucun euro ne puisse être utilisé pour des investissements néfastes au climat ; une méthodologie commune permettra de le vérifier.
Par ailleurs, pour tenir compte des circonstances exceptionnelles que constituent la crise sanitaire et ses conséquences, la Commission européenne est pour la première fois autorisée à lever, au nom des vingt-sept États membres, une dette commune de 750 milliards d'euros afin de financer un plan de relance solidaire.
Vous le savez, c'est l'initiative prise le 18 mai 2020 par le Président de la République et la chancelière allemande Angela Merkel qui est à l'origine de ce véritable changement de paradigme. Il y a encore un an, le principe d'un emprunt commun restait un tabou pour de nombreux États en Europe. On nous disait que c'était impossible, que ni l'Allemagne, ni d'autres pays de l'Union européenne n'y étaient prêts. Nous avons surmonté cette réticence et démontré que, dans des circonstances exceptionnelles, nous étions capables, au niveau européen, d'innover et de faire preuve de solidarité ; c'était indispensable.
En effet, la crise a changé la donne. Nous avons compris qu'il nous fallait une réponse européenne commune et massive, que les outils budgétaires dont nous disposions depuis de longues années étaient insuffisants pour faire face à des besoins exceptionnels, notamment dans certains États membres particulièrement touchés, et que les taux d'intérêt étaient suffisamment faibles pour permettre de recourir à l'emprunt dans de bonnes conditions.
La méthode poursuivie depuis près de quatre ans a ainsi rencontré le succès : la France et l'Allemagne ont su surmonter leurs désaccords, parvenir à un compromis et formuler des propositions ambitieuses communes ; elles ont ainsi entraîné d'autres partenaires et surtout la Commission européenne, qui a eu l'audace de reprendre cette idée d'une dette commune et d'un plan de relance massif. Les deux pays ont expliqué, convaincu, rassemblé autour d'eux, jusqu'à ce qu'un accord, obtenu à l'issue du long Conseil européen qui s'est tenu entre le 17 et le 21 juillet dernier, permette de donner vie à ce projet historique.
Le plan de relance européen financera plus de 40% des mesures que la France a d'ores et déjà prises dans le cadre de son propre plan de relance : initiatives en faveur des jeunes, de la formation, du soutien aux entreprises, rénovation énergétique des bâtiments et renforcement de nos investissements dans de nombreux autres domaines prioritaires.
Au niveau européen, ce plan permet de coordonner l'accélération des transitions écologique et numérique grâce à l'adoption d'objectifs communs, que l'ensemble des États membres dont le plan de relance est en partie financé par ce budget européen exceptionnel devront obligatoirement atteindre. C'est ainsi que 37% – au minimum – des dépenses du plan de relance devront être alloués aux objectifs climatiques et 20% à la transition numérique.
En outre – et c'est un troisième point clé –, l'accord obtenu le 21 juillet acte une rénovation profonde du système des ressources propres de l'Union européenne. Celle-ci se traduit d'abord par la création symbolique, en 2021, d'une contribution – qui s'apparente d'ailleurs davantage à une forme de bonus-malus – fondée sur la quantité de plastique non recyclé émise par chaque État membre, mais surtout – de manière là aussi inédite, puisque c'est la première fois depuis les années 1970 –, par l'adoption d'un calendrier précis pour l'introduction de nouvelles ressources propres.
Ces nouvelles ressources permettront progressivement d'affirmer la solidarité européenne et de mettre fin à la logique du juste retour, dont les calculs délétères de solde budgétaire net tendent à assimiler à un simple tiroir-caisse l'Union européenne et ses bienfaits. Elles constitueront pour l'Union de nouveaux outils susceptibles d'être mis au service de ses politiques prioritaires. Elles permettront également de financer la relance, dont nous avons plus que jamais besoin – nous le voyons chaque jour –, sans que l'effort de remboursement des dépenses liées au plan européen ne pèse pas sur les citoyens ou sur les entreprises de l'Union.
Au-delà de ses aspects techniques, le plan de relance et la dette commune sont le signe d'une grande confiance dans la pérennité du projet européen. Si l'ensemble des pays membres acceptent de s'endetter ensemble pour quarante années – il est vrai dans d'exceptionnelles conditions financières –, c'est parce que chacun d'entre eux pense que l'Union sera en définitive capable de rembourser et donc croit, au fond, à sa prospérité future, à son développement et à la préservation de son unité. Dans le contexte que nous connaissons, celui du Brexit, un tel signe de confiance n'est pas négligeable.
Dès le premier semestre 2021, la Commission européenne fera ainsi des propositions concrètes et précises pour l'institution de nouvelles ressources propres : d'abord la taxation des services numériques, puis un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières de l'Europe. Leur application est prévue au plus tard d'ici 2023 ; c'est l'engagement qui a été pris par le Conseil et le Parlement européens en fin d'année dernière. La France défend fortement ce projet, qui sera un enjeu politique et législatif essentiel lorsqu'elle présidera l'Union européenne dans un peu moins d'un an, au premier semestre 2022.
Enfin, toutes ces avancées sur le plan financier s'accompagnent, et ce n'est pas anecdotique, d'un renforcement de nos valeurs. En effet, grâce à un règlement spécifique, le versement des aides sera pour la première fois conditionné au respect de l'État de droit. Vous le savez, ce nouvel instrument a été un temps refusé par deux États membres de l'Union européenne, la Hongrie et la Pologne…
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est toujours le cas !
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. L'accord n'en a pas moins été confirmé par le Conseil européen des 10 et 11 décembre, monsieur le député, et il s'applique à la gestion des fonds de l'Union européenne depuis le 1er janvier 2021. Parce que l'Europe n'est pas qu'un vaste marché, parce qu'elle n'est pas qu'un projet économique, parce qu'elle est un projet de puissance, formé autour de valeurs qui nous unissent, nous avons oeuvré pour surmonter le blocage et nous avons défendu l'idée simple mais indiscutable que la solidarité légitime au sein de l'Europe doit aller de pair avec une exigence politique commune, sans faiblesses, sur le plan des valeurs.
À ce stade, seuls trois pays de l'Union européenne ont procédé à la ratification de la décision qui vous est présentée aujourd'hui. Le processus complet de ratification du précédent cadre financier pluriannuel avait pris au total plus de deux ans – un délai qui n'avait rien d'inhabituel. Néanmoins, nous observons une mobilisation forte de l'ensemble des États européens dans ce domaine, laquelle traduit une volonté collective, face à la crise, de mettre en oeuvre le plus vite possible ces nouveaux instruments de solidarité. D'après les calendriers transmis par nos partenaires, nous pouvons donc espérer, si les vingt-sept parlements y consentent, que le processus de ratification sera achevé d'ici le début du mois de mai ; cela signifierait que nous aurions réussi à procéder à l'ensemble des ratifications en seulement quatre mois.
Mesdames et messieurs les députés, ce texte apparaît technique ; il est en fait éminemment politique et absolument primordial. Par un vote que j'espère favorable, vous pouvez apporter votre soutien à une Union qui se montre enfin prête à répondre, sans délais ni faiblesse, aux besoins exprimés par les Européens en temps de crise. J'espère que cet enjeu rassemblera le plus de monde possible. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)
(…)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. J'apporterai quelques éléments de réponse aux différentes interventions ou interpellations. D'abord, même si j'ai noté qu'il existait certaines oppositions, je salue le large soutien que différents groupes ont apporté à cet accord, à la dette commune qui permet de financer le plan de relance, au plan de relance lui-même et à plusieurs avancées budgétaires, soulignées par plusieurs d'entre vous.
Monsieur Herbillon, je vous remercie pour votre responsabilité : vous avez surmonté quelques réticences et témoigné, avec vigilance et exigence pour reprendre vos mots, du soutien de votre groupe. Le Gouvernement et la majorité reprennent à leur compte cette vigilance et cette exigence.
Ce n'est pas la fin de cette histoire. Et puisqu'il a été beaucoup question d'argent magique ou de baguette magique, ce n'est pas ici une question de baguette magique mais de combat politique.
M. Jean-Paul Lecoq. Ben oui !
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. Nous le poursuivrons sur les ressources propres et je me réjouis que certains d'entre vous partagent notre volonté de les obtenir. D'ailleurs, monsieur le président Mélenchon, vos proches, au Parlement européen – rappel qui vaut aussi pour Les Républicains –, soutiennent l'idée de ressources propres et ont voté le calendrier de leur introduction établi par le Parlement européen. Aussi, si nous partageons cette ambition, défendons-la ensemble. Si nous avions attendu un coup de baguette magique, nous ne disposerions pas de ce plan de relance. Je préfère que nous soyons exigeants et vigilants et que nous continuions à nous battre plutôt que de nous résigner et de ne rien obtenir. Sinon, encore une fois, nous ne serions pas parvenus à cette avancée majeure.
Je crois que c'est Jean-Louis Bourlanges qui a le mieux résumé, d'un point de vue archéologique et politique, la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pour ma part, je l'assume, n'avançons pas masqués : c'est là une avancée européenne historique même si je suis le premier à regretter avec vous le caractère technocratique de l'intitulé du texte – il n'est pas de mon fait et les termes « décision sur les ressources propres » sont mal choisis. Vous avez dévoilé la réalité de cet accord historique et je vous ferai une confidence puisque nous n'avons rien à cacher : cette question des ressources propres est la suite inévitable de l'accord sur la relance.
Beaucoup d'entre vous ont plaint, avec ironie, nos partenaires autrichiens, néerlandais et autres. Je ne les plains pas, je vous rassure, monsieur Dupont-Aignan. Je rappellerai les faits puisque vous êtes attachés à comparer les budgets entre eux, ce qui est du reste normal : nous le devons aux contribuables, aux citoyens français. La France contribue au budget européen, ce n'est pas nouveau et de toute façon je l'assume, et c'est pourquoi elle exige en particulier le respect minimum d'un certain nombre de valeurs politiques qui nous tiennent à coeur. Et non, monsieur le président Mélenchon, la Pologne et la Hongrie ne se sont pas soustraites à cette condition qui s'applique depuis le 1er janvier. Ces pays n'ont pas obtenu un droit au recours, car chaque État membre peut l'exercer aux termes du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : ce n'est donc pas une nouveauté. Ces pays feront un recours devant la Cour de justice de l'Union européenne ? Tant mieux, parce que je suis certain que cette dernière nous donnera raison. En attendant, les éventuelles atteintes à l'État de droit seront prises en compte dès le 1er janvier 2021. Aussi, pour chaque euro reçu depuis le début de l'année, Budapest devra rendre des comptes quant à l'État de droit.
Puisque nous en sommes aux comparaisons budgétaires, la France est le huitième contributeur net, derrière l'Autriche, les Pays-Bas, la Suède, le Danemark… Je ne m'en réjouis pas spécialement, mais je ne peux pas laisser dire que nous aurions négligé les intérêts du contribuable français et que nous serions le pays le plus mal loti en la matière au sein de l'UE, ce n'est factuellement pas vrai. Je regrette comme vous l'existence des rabais. Nous ne les avons pas créés et je regrette que nous n'ayons pu les supprimer. Je note que, par l'effet du Brexit, et cela vous réjouira sans doute, notre contribution globale au rabais diminue malgré tout. Ces rabais devront, à mon sens, être supprimés et je me félicite que vous partagiez sans réserve cette ambition.
Les ressources propres seront bel et bien instaurées quand, après 2027, nous serons collectivement engagés dans le remboursement du plan de relance. Vous évoquiez nos partenaires néerlandais, danois et autres, dits, parfois, « frugaux » : ils voudront moins que nous encore faire payer leurs contribuables plutôt que de faire payer les contribuables américains ou chinois par le biais de la taxe sur le carbone aux frontières ou de la taxe sur les services numériques. Il n'est pas vrai d'affirmer que l'instauration de ces taxations ou de ces ressources qui font payer les contribuables non européens n'avance pas : ainsi, déjà huit pays européens ont mis en place une taxe sur les services numériques. J'espère que nous continuerons d'avancer et, même si cela ne dépend pas que de moi, je vous en rendrai compte d'ici au début de la présidence française de l'Union européenne. Sur ces deux taxes, nous disposerons dès cette année d'une proposition de la Commission européenne. C'est un combat politique à mener, j'y insiste, et j'espère que nous aboutirons d'ici à 2022, afin que le budget européen dispose, avant même le début du remboursement du plan de relance, de ressources supplémentaires. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et Dem.)
source http://www.assemblee-nationale.fr, le 28 janvier 2021