Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, ministre de l'industrie, à Europe 1 le 5 mars 2021, sur la livraison et la production des vaccins contre le coronavirus.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK
Bonjour et bienvenue à vous, Agnès PANNIER-RUNACHER.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour Sonia MABROUK !

SONIA MABROUK
Le Premier ministre promet donc 10 millions de primo-vaccinés à la mi-avril. Autre promesse, 30 millions d'ici à l'été, des promesses mais est-ce que vous avez, Madame la ministre, obtenu des garanties sur les livraisons de doses en temps et en heure ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
En tout cas, j'ai des livraisons en temps et en heure qui permettront de vacciner 10 millions de personnes donc au total mi avril et 30 millions d'ici l'été parce que nos commandes nous permettent d'avoir plus de doses que celles qui sont aujourd'hui annoncées et les capacités de production européennes sont cohérentes avec ces livraisons.

SONIA MABROUK
On va parler de la production mais sur les livraisons, ça veut dire, Agnès PANNIER-RUNACHER que vous disposez de données précises sur le calendrier de fourniture de la part de PFIZER et d'ASTRAZENECA ? Là, je parle du deuxième trimestre 2021.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je dispose de données précises sur le calendrier de fourniture, je dirais, mois par mois à ce stade et semaine par semaine pour le mois d'avril et donc j'ai un confort sur les chiffres annoncés par le Premier ministre et surtout, ces chiffres sont crédibles parce qu'ils correspondent à la montée en capacité des sites de production.

SONIA MABROUK
Et quels sont ces chiffres ? Combien de doses seront livrées à l'Union européenne et là, je parle du deuxième trimestre 2021 ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, moi, je pense qu'il faut prendre les chiffres français puisque les gens l'ont en tête et comme vous le savez, nous sommes une proportion des doses livrées à l'Union européenne. Nous avons eu 7 millions de doses qui ont été livrées en janvier et en février et nous en aurons trois fois plus en mars et en avril, donc une vingtaine de millions et nous allons continuer à augmenter sur cette tendance.

SONIA MABROUK
Mars, avril, donc l'inconnue reste le mois de mai, le mois de juin.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Plus les doses sont éloignées en livraison, moins on a, je dirais, de visibilité mais si vous prenez les livraisons ne serait-ce que de mars, avril, vous voyez bien qu'on est capable puisque ça fera un socle et que la production continue à augmenter. Donc chaque mois qui passe, on est capable d'augmenter les livraisons, on a doublé les livraisons de février par rapport à janvier, on va continuer à augmenter, je dis qu'on triple les livraisons mars / avril versus janvier / février, et donc ce socle est assuré et ensuite, on continue à faire augmenter le nombre de livraisons. C'est aussi lié aux autorisations de mise sur le marché d'un certain nombre de
vaccins.

SONIA MABROUK
Certes mais aussi à ce que ASTRAZENECA, PFIZER notamment livrent bien le nombre de doses prévues à l'UE alors qu'au premier trimestre, ce ne fut pas le cas, ça n'a pas été le cas.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, si, pour BIONTECH, je le redis, BIONTECH a parfaitement respecté son contrat, il a eu un manque une semaine mais au total …

SONIA MABROUK
Chaque jour compte à ce rythme !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Au total, ils ont livré plus de doses, plus de doses et donc je souhaite le dire et ASTRAZENECA au contraire a eu, et nous en avons beaucoup parlé, un problème de production et on voit …Le sujet n'est pas d'avoir un problème de livraison, le sujet est d'avoir un problème de production et ce problème de production, lui, a conduit à revoir assez drastiquement ses capacités de livraison et donc nous sommes aujourd'hui sur un socle qui est plus bas et sur lequel ils sont en train d'augmenter progressivement.

SONIA MABROUK
Oui mais est-ce qu'il n'y a pas une suspicion, Agnès PANNIER-RUNACHER ? Voilà ce qui se passe en Italie. L'Italie vient de bloquer l'exportation de 250 000 doses de vaccins d'ASTRAZENECA vers l'Australie, des doses mises en bouteille près de Rome. Donc l'Italie garde en réalité les doses sur son territoire avec l'aval de Bruxelles. Est-ce que c'est un moyen de faire pression sur les labos, sur les entreprises ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bien sûr que c'est un moyen de faire pression et nous l'utilisons. Ursula VON DER LEYEN a mis des licences d'exportation, des autorisations d'exportation sur les doses de vaccins parce que ça nous permet au-delà des discussions classiques que nous pouvons avoir avec ASTRAZENECA d'obtenir qu'ils reconvergent vers le contrat initial.

SONIA MABROUK
Donc vous avez bien des doutes ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, je n'ai pas de doute sur le socle qui est annoncé puisque ce socle correspond à leur calendrier de livraison mais ils ne sont pas encore revenus, ils ne sont pas encore revenus au contrat et donc nous utilisons tous les leviers. Vous savez que nous avons lancé une inspection en janvier du site de production belge et que nous avons, ensuite, sur cette base-là lancé des inspections dans toutes les sites d'enflaconnage qui dépendaient de ce site belge, nous avons établi qu'il n'y avait pas eu de livraison en dehors de l'Europe depuis ce site belge. Nous avons établi qu'il y avait des difficultés de production depuis ce site belge mais dans le contrat que nous avons avec ASTRAZENECA, nous ne sommes pas exclusivement dépendants de ce site et donc rien n'interdit à ASTRAZENECA de livrer depuis d'autres sites. Et c'est pour ça que l'Italie a bien fait de bloquer ces livraisons.

SONIA MABROUK
Mais c'est du protectionnisme, il faut l'assumer.

AGNES PANNIER-RUNACHER
C'est du rapport de force et je crois que personne ne reprochera d'installer un rapport de force …

SONIA MABROUK
Mais ne jouons pas sur les mots …

AGNES PANNIER-RUNACHER
…avec les laboratoires pharmaceutiques. Moi, j'ai trop entendu des gens qui nous disaient « vous n'avez pas été suffisamment directifs dans la négociation ». Non, nous faisons respecter un contrat et nous utilisons l'ensemble des leviers à notre disposition mais nous sommes aussi en contact avec les pays avec lesquels ASTRAZENECA est en lien contractuel de façon aussi à faire en sorte que les populations soient vaccinées parce qu'il faut avoir un juste chemin. Il faut que toute la planète soit vaccinée.

SONIA MABROUK
Oui mais pendant qu'on se débat justement là par exemple avec ce qu'on fait en Italie, la réalité est têtue, Agnès PANNIER-RUNACHER, le Royaume-Uni a un nombre record de vaccinés en Europe, ASTRAZENECA pour eux, c'est une fierté nationale en Angleterre. Pourquoi ne pas reconnaître le pari réussi anglais ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais je crois qu'on le reconnaît parfaitement !

SONIA MABROUK
Ah, c'est la première fois qu'on le dit !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Le Royaume-Uni sur le vaccin a effectivement eu une campagne qui est réussie, comme Israël. On peut le reconnaître. Nous sommes la 4ème, je dirais, le 4ème ensemble de pays au monde à vacciner. Je le redis parce que le Royaume-Uni, Israël, les Etats-Unis …

SONIA MABROUK
Non mais là, je parle d'Etats Nations …

AGNES PANNIER-RUNACHER
Nous sommes les quatrièmes.

SONIA MABROUK
Je ne parle pas de l'Europe, l'Angleterre …

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les quatrièmes, c'est l'ensemble des 27 Etats et je peux vous dire que s'il n'y avait pas eu l'Union européenne, vous auriez eu au moins deux tiers, si ce n'est les trois quarts des Etats européens, qui auraient été en grande difficulté parce qu'ils n'auraient pas été en situation de pouvoir négocier des contrats et d'autres, avec un risque de génération de variant et de circulation du virus où, suivant les frontières, d'un côté, vous avez des doses, de l'autre côté, vous n'en avez pas …

SONIA MABROUK
Mais ça, c'est un signe, Madame la ministre …Vous ne savez pas …

AGNES PANNIER-RUNACHER
Et on n'aurait pas eu assez de production.

SONIA MABROUK
Comment savez-vous ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Parce que ce qu'a réussi à faire l'Europe, pardon, ce qu'a réussi à faire l'Europe, elle a réussi à organiser des chaînes de production entre pays européens, ce qui permet d'avoir plus de doses aujourd'hui.

SONIA MABROUK
Attendez, aujourd'hui, plusieurs pays d'Europe centrale ont choisi de se tourner très pragmatiquement vers les vaccins russes ou chinois sans attendre aucune autorisation, Hongrie, Slovaquie, République tchèque et l'Autriche y réfléchit. C'est normal qu'ils pensent à leur population d'abord ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Qu'on pense chacun à nos populations, c'est notre travail. Après, il y a les risques qu'on prend vis-à-vis de cette population, c'est-à-dire est-ce que chacun est à l'aise à administrer des vaccins qui n'ont pas reçu d'autorisation de mise sur le marché ?

SONIA MABROUK
Le vaccin russe selon une étude est efficace, il est en train d'être examiné en Europe !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais nous ne venons d'obtenir les données que maintenant ! Comme vous le savez, les Russes viennent de nous communiquer l'intégralité des données permettant d'analyser leur pertinence qu'hier ou avant-hier. Ce qui est très bien. Moi, je suis très positive sur ça !

SONIA MABROUK
Oui mais est-ce que le principe de précaution n'a pas tué le risque ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Juste un point sur les Russes parce que c'est important. Les Russes ont vacciné près de deux fois moins de leur population que les Français, deux fois moins !

SONIA MABROUK
Ils nous proposent de vacciner 50 millions d'Européens d'ici à l'été.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais où sont les doses ? S'ils n'arrivent même pas à vacciner leur population, où sont les doses ? Je crois qu'il ne faut pas être piégé par des menées géopolitiques qu'on peut comprendre, que la Chine, que la Russie aient envie de montrer que, eux, ils ont un vaccin mais la réalité des chiffres, c'est que la Chine et la Russie ont moins vacciné que les Européens.

SONIA MABROUK
Mais Madame la ministre, l'Autriche et le Danemark et là, je ne parle pas d'Hongrie ou de Slovaquie, négocient en ce moment avec Israël sur les vaccins de deuxième génération pour lutter contre les éventuelles mutations. En dehors du cadre européen, il a volé en éclats, ce cadre ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Je ne crois pas !

SONIA MABROUK
Vous ne voulez pas le croire !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Parce que justement, il me semble que les Danois et les Autrichiens ont eu un propos beaucoup plus modéré hier sur ce sujet-là et surtout, ce cadre, c'est ce cadre-là qui leur fournit aujourd'hui beaucoup de doses. C'est ce cadre-là qui fait que l'Autriche peut bénéficier d'une solidarité particulière.

SONIA MABROUK
Pas assez rapidement à leurs yeux, reconnaissez-le ! Pourquoi ils font ça ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, moi, je vous le dis très simplement, ils sont revenus en arrière, ils essayent vis-à-vis de leur opinion publique de justifier des actions complémentaires mais la réalité, c'est si demain il n'y a pas d'Union européenne, il n'y a pas de dose en Autriche, il n'y a pas de dose au Danemark et ça, il faut le dire aux Français, il faut le dire aux Européens. Si l'Union européenne n'avait pas été là, il n'y aurait pas eu de doses et surtout, ce n'est pas parce que nous n'avons pas eu trop d'Union européenne que nous n'avons pas pu aller plus loin …

SONIA MABROUK
Pas assez, vous voulez dire !

AGNES PANNIER-RUNACHER
…c'est parce que nous n'avons pas eu assez d'Union européenne. L'Union européenne n'avait pas les compétences pour faire ce qu'ont pu faire les Etats-Unis avec leurs …et c'est ça, qui est important.

SONIA MABROUK
Est-ce que les Etats Nations ne sont pas plus à même à défendre leurs intérêts en matière de santé que la Commission européenne qui a allié quand même des retards conséquents ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Mais quels retards ?

SONIA MABROUK
Aucun retard, il n'y a eu aucun retard dans les livraisons ?!!!

AGNES PANNIER-RUNACHER
Non, quels retards la Commission européenne a-t-elle eus en plus par rapport aux Etats Nations ? Qu'est-ce qui prouve que les Etats-Nations individuellement auraient fait mieux ? Rien en réalité car sur 180 pays …

SONIA MABROUK
Si je vous donne l'exemple de l'Angleterre …

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui mais c'est un pays sur 180 !

SONIA MABROUK
Pas n'importe lequel !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Moi, je peux vous donner l'exemple des 179 autres pays qui aujourd'hui sont en retard, plus en retard que l'Union européenne. C'est pour ça que l'Union européenne est sans doute un « idiot utile » qu'on accuse assez facilement mais en réalité, pourquoi la France a soutenu l'Union européenne ? Parce que nous, par exemple, en France, nous avons eu besoin, nous avions besoin des autres Européens pour produire du vaccin. Nous avons des capacités d'embouteillage, d'enflaconnage importantes mais nous n'avons pas de capacités pour produire le principe actif de l'ARN Messager. On aurait fait quoi ?

SONIA MABROUK
Justement, vous parlez, Agnès PANNIER-RUNACHER, de ces capacités de production ou plus précisément en fait, d'enflaconnage. Rassurez-nous : est-ce qu'on a anticipé en France parce qu'on va commencer chez nous la production ou le conditionnement, est-ce qu'on a assez de flacons, de bouchons, de personnels, d'experts pour cela ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, nous sommes en train de travailler dessus. D'abord, on a anticipé puisque dès le mois de juin, nous avons lancé avec Olivier VERAN un appel à projet pour financer ces lignes de production. Et comme vous le savez, une usine de vaccin, ça prend du temps. Je crois que Nicolas CANTELOUP le disait tout à l'heure …

SONIA MABROUK
Expert en enflaconnage de vaccins bien connu !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Il ne suffit pas d'être dans sa cuisine et de tourner la recette de cuisine, ça prend du temps et ça prend en temps normal 24 à 30 mois. Là, on l'a fait en 9 mois, 10 mois, 11 mois et ces aides que nous avons données permettent aujourd'hui à trois sociétés implantées en France, à trois sites français de démarrer la production en mars, en avril et probablement en mai puisque ça dépend d'une autorisation de mise sur le marché, donc on va dire, mai, juin. Et SANOFI par ailleurs a pris sur lui de produire pour deux de ses concurrents une partie en France pour JOHNSON & JOHNSON et une partie en Allemagne à proximité du site de production de BIONTECH parce que comme vous le savez, c'est une logistique à moins 80 degrés, donc il ne faut pas trop que ça se déplace !

SONIA MABROUK
La production, en tout cas le conditionnement démarre en France et on verra, mise sous tension en tous les cas de ces différents éléments. On va demander l'avis de Nicolas CANTELOUP aussi ce qu'il en pense. Merci Agnès PANNIER-RUNACHER d'avoir été notre invitée ce matin. Bonne journée à vous et à nos auditeurs !

AGNES PANNIER-RUNACHER
Merci beaucoup !


Source : Service d'information du Gouvernement, le 5 mars 2021