Extraits d'un entretien de M. Franck Riester, ministre du commerce extérieur et de l'attractivité, à Sud Radio le 5 mars 2021, sur la vaccination contre le coronavirus du personnel soignant, l'Union européenne et la gestion de la crise sanitaire, le commerce extérieur, l'attractivité économique de la France et les tensions commerciales avec les Etats-Unis .

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Franck Riester - Ministre du commerce extérieur et de l'attractivité

Média : Emission La Tribune Le Point Sud Radio - Sud Radio

Texte intégral

Q - Avant de voir le commerce et l'Europe, un mot sur le message d'alerte de Jean Castex hier soir, et Olivier Véran, aussi, au personnel soignant : vaccinez-vous ! 70% ne sont pas vaccinés. Est-ce qu'il faut aller jusqu'à une obligation, comment l'explique-t-on, au gouvernement ?

R - Ecoutez, quand on parle des personnels soignants, c'est d'abord un grand merci pour ce qu'ils font, depuis un an, au service de toutes celles et ceux qui souffrent du Covid, qui souffrent, bien évidemment, d'autres pathologies, mais qui souffrent d'abord du Covid. Et donc, on ne les remerciera jamais assez. Pour autant, il faut qu'ils se vaccinent. Il faut qu'ils se vaccinent pour se protéger, il faut qu'ils se vaccinent pour protéger les patients dans les hôpitaux. Il faut savoir qu'aujourd'hui la Covid est la maladie nosocomiale la plus importante à l'hôpital.

Donc il y a un message très fort envoyé par le gouvernement, et je pense qu'il faut une prise de conscience, qu'il est impératif que les personnels soignants se soignent. Pour eux, encore une fois, et aussi pour toutes celles et ceux qui viennent à l'hôpital.

Q - Oui, il y a eu un petit doute sur l'AstraZeneca, sur son efficacité, c'est cela ?

R - Oui, écoutez, voilà, il y a eu des doutes, maintenant les doutes sont levés, il y a des doses qui sont disponibles. Il faut en urgence que les personnels soignants se vaccinent. Une nouvelle fois, il faut appeler les personnels soignants à être, comme ils le sont depuis un an, à la hauteur de l'engagement exceptionnel qui est le leur.

Q - Oui. L'Europe est un peu dans la tourmente, là, sur, justement, la production et la fabrication, et la distribution aussi de la vaccination. Est-ce qu'il y a un problème ? Dans le sillage de la Hongrie, il y a de plus en plus de pays qui se tournent vers l'extérieur. On a vu que, là, c'est des lenteurs, l'Autriche et le Danemark veulent coopérer avec Israël, pour produire des vaccins de deuxième génération. Est-ce qu'il y a un gros problème, quand même, au niveau européen, vous qui êtes en charge aussi de l'Europe ?

R - Alors, deux choses : d'abord, on voit bien que cette pandémie, on n'y était pas prêt, à différents titres. On en a parlé suffisamment, il y a un an, sur les masques, on le voit aujourd'hui sur l'organisation de l'approvisionnement et la fabrication des vaccins. On regardera à la fin de toute la séquence de gestion de la crise sanitaire, la gestion vaccinale, ce qu'il en est exactement de la façon dont l'Europe a géré le dossier. Ce que l'on constate aujourd'hui, c'est qu'il y a deux choses principales : il y a premièrement la nécessité de produire davantage, et vous savez que, notamment, certains laboratoires, qui n'ont pas découvert certains vaccins, vont produire les vaccins des autres. C'est le cas, notamment, de Sanofi qui va monter en puissance en termes de production. Et deuxièmement, c'est l'accès ensuite, partout, à ce vaccin pour tous les Européens. Ce sont ces deux grands défis, qui posent des problèmes, qui challengent la solidarité européenne, qui challengent...

Q - Ma question était : est-ce que cela risque de diviser un peu l'Europe, là ?

R - Eh bien, je dis, c'est le challenge de la solidarité européenne, vous avez raison. Et nous appelons tous les pays européens à rester dans cette solidarité qui nous paraît être la force de l'Europe, et qui permet à la fois d'avoir des sécurités pour celles et ceux qui vont être vaccinés. Parce que l'on a choisi d'avoir des contrôles très stricts, justement, pour à la fois s'assurer de la sécurité, rassurer les femmes et les hommes qui sont vaccinés. Et puis, deuxièmement parce qu'on considère que la solidarité permet que tous puissent bénéficier des bienfaits des vaccins, que certains pays "passent sur le côté" de cette solidarité européenne, pour avoir, et le beurre, et l'argent du beurre...

Q - Oui, mais c'est parce qu'ils veulent aller plus vite !

R - ... c'est un sujet.

Q - Vous êtes en charge aussi...

R - Vous savez, pourquoi c'est un sujet ? Parce que quand on prend des vaccins qui ne sont pas validés par l'Agence européenne de santé, cela pose des questions de sécurité pour celles et ceux qui vont aussi bénéficier de ces vaccins. Et donc, ce n'est pas simplement parce que, " oh la la, il ne faut jouer que la solidarité européenne, parce que l'Europe l'a décidé, donc, on doit faire exactement comme l'Europe l'a fait ". C'est parce qu'on a fait ce choix-là pour garantir la sécurité de ceux qui sont vaccinés. Et donc d'aller chercher les vaccins sans passer par ces sécurités-là, c'est dangereux pour les populations.

Q - Vous êtes en charge du commerce extérieur et de l'attractivité, la balance commerciale a pâti de la crise sanitaire, sept milliards en moins, à peu près. C'était redouté. Est-ce que cela fragilise beaucoup nos entreprises qui exportent, notamment, et notre secteur ? Je pense par exemple au tourisme ou l'aéronautique.

R - Oui, vous avez raison, il y a eu sept milliards effectivement d'accroissement de notre déficit commercial de biens en 2020. Quand on voit la violence de la crise, on aurait pu craindre pire.

Q - On a limité les dégâts, c'est ce que vous nous dites.

R - Oui, on aurait pu craindre pire, et nous avons été particulièrement, nous, touchés, en France, parce que nous avons deux secteurs pour lesquels nous avons beaucoup de force à l'international, qui sont l'aéronautique et le tourisme, qui ont été particulièrement impactés par la crise Covid. Et donc, nous sommes particulièrement touchés.

Mais on voit que notre économie est résiliente, y compris au niveau des exportations, puisqu'à la fin de 2020, nous étions revenus quasiment au niveau des exportations de 2019, 93% en décembre, et avec une réduction, chaque mois, du déficit commercial. Pourquoi ? Parce que les entreprises se sont remises à exporter à partir du printemps, de plus en plus nombreuses, pour revenir, là aussi, au même nombre d'entreprises ou quasiment au même nombre d'entreprises exportatrices à la fin de l'année 2020, autour de 128.000 entreprises exportatrices. Ce qui est beaucoup plus, d'ailleurs, qu'il y a deux ou trois ans.

Et donc on voit que les entreprises françaises, et je les remercie, ont gardé l'esprit de conquête à l'international. Il faut même l'amplifier à l'international...

Q - C'est quelles entreprises ? C'est les grosses, les petites ? Là, je lisais ce matin que les grands patrons du CAC 40 sont optimistes, de Bernard Arnault à Alexandre Bompard, aux patrons de BNP Paribas et Airbus. Mais ils disent tous aussi : cela dépend un petit peu de l'accompagnement des décisions gouvernementales.

R - Bien sûr. On voit que, quand il y a des crises comme celle-là, les marchés bougent, les situations sont mouvantes. Et donc, c'est là où, peut-être, que nous, Français, qui sommes souvent plus audacieux, plus innovants, plus agiles, nous avons des opportunités à saisir. Et donc, c'est en ce moment qu'il faut aller à l'international. Et notamment, parce que, justement, il y a un accompagnement à cette action internationale, avec une partie du Plan de relance, France Relance, qui est dédiée à l'export, pour accompagner les entreprises qui souhaitent faire des démarches à l'international, pour les accompagner sur les financements, pour les accompagner sur la baisse du coût de prospection, pour les accompagner en envoyant des jeunes, pendant deux ans à l'international, pour aider ces entreprises.

Bref, on mobilise beaucoup de moyens pour permettre aux entreprises de relever le défi de l'international, à un moment où c'est stratégique et où il y a des opportunités à saisir. Pour autant, les réussites de la France à l'international, cela dépendra de plusieurs leviers. Le premier levier, c'est la compétitivité de notre pays, on va continuer à baisser les taxes, à simplifier la vie des entreprises. Cela dépend de l'accompagnement dans la crise. Et vous avez vu que Bruno Le Maire maintient, à la demande du Président de la République, des dispositifs d'accompagnement des filières qui sont les plus fragiles. Et puis, c'est la stratégie industrielle. Pour pouvoir vendre à l'international des produits...

Q - Eh bien, il faut déjà produire.

R - Il faut des produits qui soient innovants, qui fassent la différence avec leurs concurrents sur les marchés internationaux.

Q - Différences aussi de prix avec les Chinois, par exemple...

R - Bien sûr.

Q - ...les Asiatiques. Qui vont continuer de nous tailler des croupières, d'ailleurs !

R - D'où la compétitivité, d'où la baisse des impôts de production qui sont dans le plan de relance, et d'où la nécessité d'avoir une vraie stratégie industrielle pour que les investissements que nous faisons aujourd'hui, soutenus par l'Etat - les entreprises sont aujourd'hui soutenues par l'Etat dans les secteurs d'avenir, comme l'intelligence artificielle, l'hydrogène, la batterie électrique, les secteurs de santé, les biotechs, les techs, en général, nous permettent, demain, de vendre des produits innovants.

Et en ce qui concerne les Chinois, il faut aussi que l'Europe soit moins naïve, que nous nous protégions davantage. Et c'est tout le travail que nous menons et que je mène en tant que ministre du commerce extérieur, avec mes partenaires européens, au sein du Conseil des ministres du commerce européens, de moderniser la politique commerciale européenne pour que l'on se laisse moins "tailler des croupières", comme vous dites, par un certain nombre de nos concurrents, que l'on soit moins naïf avec les Chinois, que par exemple on ait un instrument, un dispositif juridique, qui nous permette d'exiger la réciprocité sur l'ouverture des marchés publics, que l'on ait des protections pour les aides d'Etat qui sont les aides d'Etat faites par le pouvoir chinois sur un certain nombre d'entreprises, qui viennent concurrencer de façon inéquitable nos produits, produits en Europe. Et donc, cette fin de la naïveté européenne, c'est une réalité concrète, je peux vous le dire, on travaille d'arrache-pied pour se doter d'instruments de protection de nos entreprises européennes.

Q - Franck Riester, assez rapidement, est-ce que, mis à part Amazon et Huawei, est-ce que la France est encore attractive ? Est-ce qu'elle attire des entreprises ? Vous avez vu le clin d'oeil à Amazon, parce que l'on dit c'est la déferlante, quoi.

R - Ecoutez, c'est ce que disent les grands investisseurs internationaux, que la France est attractive, que la France est transformée depuis 2017 et qu'elle est attractive. Et il y a les résultats qui le disent et qui le démontrent, aussi. Il faut savoir que la France était en 2019, en Europe, le pays le plus attractif, en termes de nombre de projets d'investissements directs étrangers sur son sol...

Q - Il y a deux ans.

R - Sur 2019, devant l'Allemagne et devant - pas deux ans, cela fait un an -, devant l'Allemagne et devant la Grande-Bretagne. En 2020, la France a une baisse moins importante de ses projets d'investissements que le reste du monde et que l'Europe. 17% baisse de ses projets d'investissements étrangers sur son sol, quand l'Europe en moyenne a baissé de 19%, et le monde de 33%. Alors, bien sûr, on est challengé par l'Allemagne, l'Allemagne est aussi très attractive. On voit qu'avec le Brexit, la Grande-Bretagne a perdu une partie de son attractivité et qu'on souhaite récupérer une partie, soit d'entreprises qui étaient installées en Grande-Bretagne, soit d'une partie d'investisseurs qui veulent investir en Europe et qui ont besoin d'investir plutôt dans le marché unique européen, pour pouvoir toucher le marché d'une meilleure façon que s'ils avaient investi en Grande-Bretagne.

Donc, vous voyez que les décisions qui sont prises depuis 2017 et les atouts qu'a la France, considérables en termes de recherche et développement, en termes de qualité des talents, en termes de qualité de formation, constituent des atouts considérables au service de l'attractivité, et donc, des investissements étrangers sur son sol.

Q - Deux questions économiques, encore, aussi, fondamentales. Le passeport sanitaire, vous, vous y êtes favorable pour le transport, pour voyager ?

R - Alors, vous savez qu'il y a deux choses : il y a le passeport, enfin, le pass sanitaire, pour aller au restaurant ou aller au théâtre, demain, cela, c'est une chose.

Q - Bien sûr.

R - Aujourd'hui, ce sont des activités qui sont fermées, et qui peut-être demain pourront être davantage ouvertes avec ce type de dispositif. Et puis, il y a le certificat vaccinal ou certificat médical pour pouvoir aller d'un pays à un autre, pour pouvoir bouger plus facilement.

Q - Bien sûr.

R - Et cela, c'est un travail qui est conduit au sein de l'Europe, et c'est une bonne chose, parce que, pour l'instant, c'est bien trop tôt pour pouvoir mettre en place ce type de dispositif. Mais ce n'est pas trop tôt pour y réfléchir, parce qu'il y a beaucoup de problématiques liées à ce type de certificats : les questions techniques, surtout si c'est numérique ; il y a des questions de fiabilité et d'interopérabilité, il y a des questions juridiques, il y a des questions éthiques. Et donc, on voit bien que c'est nécessaire de prendre le temps d'y travailler, pour être prêt à temps, le moment où on en aura besoin, et en tout cas, c'est là où c'est important, d'y travailler avec nos partenaires européens, puisqu'on sait qu'en Europe, il y a une libre circulation...

Q - Mais il en faudra un. Il faudra un certificat vaccinal, probablement ?

R - Ecoutez, on verra le moment venu si c'est...

Q - Vous travaillez dessus, cela veut dire que...

R - Si cela permet, à un moment, de faciliter la circulation, pourquoi pas ? Il ne faut pas l'écarter, travailler et voir quelles sont les éventuelles limites. En tout cas, cela ne pourra pas être simplement un certificat vaccinal. Il faudra regarder sûrement aussi à ce que l'on prenne en compte les tests PCR, que l'on prenne éventuellement en compte les questions d'immunité, pour que personne ne soit pénalisé, parce qu'il ne faudrait pas que ce soit une source d'iniquité.

Q - Et peut-être pour voyager, cet été, ou pour accueillir aussi les touristes en France ?

R - Eh bien oui, parce que l'on sait que le tourisme, c'est une activité essentielle pour notre pays, et qui souffre particulièrement aujourd'hui, comme vous le savez.

Q - Un mot sur les taxes américaines. Le gouvernement britannique a trouvé un accord notamment sur le whisky. Est-ce que c'est de bon augure pour le vin et les produits français surtaxés ?

R - Oui, c'est de bon augure. Et ce qui est de bon augure, aussi, ce sont les signaux qu'a envoyés l'Administration américaine, depuis quelques jours : le retour dans l'Accord de Paris, la levée du veto sur la nomination de la nouvelle directrice générale de l'OMC, le fait que, vous l'avez suivi, ils souhaitent travailler à une fiscalité internationale sur les services numériques, c'était la demande de la France, et d'y travailler au sein de l'OCDE ; et Katherine Tai, qui est la nouvelle ministre du commerce extérieur, mon homologue américaine, a dit dans son audition au Sénat qu'elle était favorable à sortir par le haut de, justement, ce contentieux Boeing-Airbus qui est à l'origine des taxes sur les vins et spiritueux français.

Et donc, on peut avoir un espoir et être relativement optimiste sur une issue favorable, en tout cas un signal favorable envoyé par les Etats-Unis, de suspension pendant x mois des taxes sur les vins et spiritueux et sur l'aéronautique, en tout cas, surtout sur les vins et spiritueux parce que ce sont les premières victimes collatérales de ce contentieux, pour nous laisser le temps de sortir par le haut du contentieux Boeing-Airbus, ce qui permettrait de lever à ce moment-là toutes les taxes sur tous les secteurs d'activité.

Q - Dans quelques semaines ?

R - Vous savez, cette guerre commerciale avec les Etats-Unis, elle est ridicule. Elle a été menée par Donald Trump, nous l'avons subie, mais nous avons défendu les intérêts européens, et nous allons continuer de le faire...

Q - Oui, mais il voulait se défendre, comme vous l'avez dit, tout à l'heure, "il ne faut pas être naïf face aux Chinois". C'est ce qu'il a fait, aussi !

R - Il ne faut pas être naïf vis-à-vis des Américains non plus. C'est pour cela que nous ne nous sommes pas laissé faire. Nous avons appliqué nos propres taxes, qui font bouger aujourd'hui l'Administration américaine, et j'espère qu'avec le changement d'administration, la nouvelle ministre va envoyer un signal fort à l'Union européenne. (...)


source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 mars 2021