Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport " Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner "remis au Gouvernement par MM. Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann en novembre 2019.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
(…)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État chargée de l'économie sociale, solidaire et responsable. Le 26 novembre 2019, les députés Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin, que je salue, remettaient aux ministres de la justice, de l'intérieur et des comptes publics un rapport intitulé " Investir pour mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner ". Ce rapport porte, vous l'avez tous rappelé, sur un axe fort de la politique pénale du Gouvernement : comment donner du sens et de l'efficacité à la peine, par le biais des saisies et des confiscations ? En d'autres termes, et selon la formule de Laurent Saint-Martin, comment mieux frapper au portefeuille ?
La mission constate que le cadre législatif est abouti mais que notre dispositif d'identification de saisie et de confiscation des avoirs criminels peut clairement gagner en efficacité. Elle formule aussi trente-quatre propositions d'actions. Il convient donc ce jour, un peu plus d'un an après la publication du rapport, de dresser devant la représentation nationale un premier bilan de ce qui a déjà été fait et de ce qui l'est actuellement.
Ce premier bilan est positif puisqu'un tiers des trente-quatre propositions ont déjà été appliquées – j'y reviendrai – et que d'autres vont l'être très prochainement.
L'organisation de l'action gouvernementale était un vrai sujet. La mission invitait à juste titre les ministères concernés, intérieur, justice et comptes publics, à renforcer la stratégie interministérielle d'appréhension des avoirs criminels : il s'agit de la première proposition du rapport. Cette stratégie est très concrètement en cours de consolidation, sous l'égide de l'AGRASC, qui a fêté, vous l'avez dit, ses dix ans.
L'action gouvernementale s'est améliorée à plusieurs titres. D'abord, le ministère de la justice a engagé avec l'AGRASC un chantier de fond en matière de statistiques, auquel le ministère de l'intérieur a été associé. Ensuite, le réseau des magistrats référents en matière de saisies et confiscations au sein de chaque juridiction de première instance et d'appel s'est attelé à diffuser plus activement les évolutions législatives et jurisprudentielles en matière d'appréhension des avoirs criminels et de gestion des scellés, ainsi que les bonnes pratiques. La direction des affaires criminelles et des grâces rappelle également dans ses circulaires thématiques la priorité qui doit être accordée à l'identification et à la saisie des avoirs criminels en vue de leur confiscation. Enfin, en collaboration avec l'AGRASC, la DACG a procédé à la refonte du guide des saisies et confiscations élaboré en 2015 ; la nouvelle version a été publiée sur son site intranet le 5 janvier dernier, ce qui constitue un outil utile, pédagogique, juridique, technique de référence pour l'ensemble des praticiens.
S'agissant de l'action de l'AGRASC, la mission préconisait un redimensionnement qui s'appuierait sur la création d'antennes régionales, au plus près des juridictions – il s'agit de la proposition no 5 du rapport. Une expérience en ce sens est menée depuis le début du mois : deux antennes régionales expérimentales ont ouvert leurs portes à Lyon et à Marseille, le 1er mars, dans les locaux de la DGFIP. Elles sont composées de quatre agents à Lyon et de six à Marseille, outre un magistrat coordonnateur. Leurs missions sont de trois ordres : identifier et tracer les bien saisis et confisqués ; mieux gérer certains biens meubles saisis ou confisqués en développant les ventes avant jugement et les affectations au service ; agir en soutien et en conseil des magistrats et des enquêteurs, notamment par des actions de formation. À terme le dispositif pourrait être étendu si l'expérimentation s'avérait concluante.
La proposition n°4 était d'assurer " une meilleure cohérence entre les missions de même nature au sein de la PIAC et de l'AGRASC ". Des rencontres régulières ont d'ores et déjà lieu entre ces deux instances pour fixer une doctrine commune d'intervention et une meilleure répartition des missions de formation.
Enfin, dans le but d'étendre la portée des saisies et des confiscations, le rapport formule plusieurs recommandations d'évolutions normatives. La première concerne l'instauration d'une procédure d'enquête post-sentencielle. Aujourd'hui, il est permis d'identifier le patrimoine acquis frauduleusement pour en prononcer la confiscation à l'audience. L'ambition de cette proposition est de permettre l'identification du patrimoine de la personne après la condamnation et ainsi d'exécuter la peine de confiscation lorsqu'aucune saisie n'aura été opérée préalablement. Le Gouvernement approuve pleinement l'idée d'un tel dispositif.
Une deuxième évolution concerne la restitution des biens dits mal acquis. Il s'agit ici de créer un dispositif de retour des biens mal acquis aux populations spoliées, directement ou indirectement. Je souhaitais éclaircir ce point, évoqué par Laurent Saint-Martin. Ce dispositif est d'ores et déjà en cours de mise en oeuvre, après qu'un amendement au projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 19 février 2021. Ce dispositif prévoit d'affecter le produit des biens mal acquis au financement d'actions de coopération et de développement aux populations des pays concernés. Cette avancée nous met en conformité avec nos engagements internationaux et présente une forte dimension symbolique et morale.
Une dernière recommandation vise à étendre les possibilités de statuer sur le devenir du bien meuble avant toute saisie au fond. Le Gouvernement partage là aussi cette analyse : le recours à la vente avant jugement est identifié comme un véritable levier de meilleure efficacité. C'est l'objet de la diffusion imminente d'une dépêche du ministère de la justice rappelant l'apport opérationnel de l'AGRASC au soutien des juridictions.
Vous avez également, mesdames, messieurs les députés, abordé le sujet budgétaire. À ce propos, je souhaitais vous indiquer que la loi de finances pour 2021 a procédé à une évolution majeure : désormais le Parlement suivra le plafond d'emplois, les recettes et les dépenses.
Vous le voyez, que ce soit au plan organisationnel, au plan des expérimentations, mais aussi au plan budgétaire, le Gouvernement s'est pleinement emparé des recommandations ambitieuses de MM. Warsmann et Saint-Martin. Nous avons travaillé activement à faire progresser les réformes, à identifier les voies et moyens de gagner encore plus en efficacité, enfin à donner à l'AGRASC les moyens juridiques et humains d'améliorer l'amplitude et surtout l'efficacité de son action. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM. – M. David Corceiro et M. Jean-Luc Warsmann applaudissent également.)
M. le président. Nous abordons la deuxième partie de ce débat, consacrée aux questions des groupes. Je vous rappelle que la durée des questions ainsi que celle des réponses est limitée à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique.
La parole est à Mme Agnès Thill.
Mme Agnès Thill (UDI-I). Madame la secrétaire d'État, les trente-quatre propositions du rapport de nos collègues Warsmann et Saint-Martin constituent pour nous un point d'étape important. Nous saluons le fait qu'un grand nombre de ces propositions ont été reprises, notamment dans le cadre de la première lecture du projet de loi de programmation relatif au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales pour l'inscription et la définition tant attendues dans la loi de la notion de biens mal acquis. En revanche, nous continuons à nous interroger sur d'autres propositions intéressantes restées encore jusqu'à maintenant sans concrétisation. Je voudrais vous en signaler deux.
La première porte sur l'information du Parlement au sujet de l'utilisation de ces produits de cession. Les modalités pratiques de leur restitution, notamment les modalités budgétaires, restent floues. On nous dit qu'elles seront définies ultérieurement. Êtes-vous en mesure, madame la secrétaire d'État, de nous les préciser aujourd'hui ou au moins de nous dire à quelle échéance ces précisions interviendront ?
Le second point que je souhaite soulever est relatif à la proposition no 31 du rapport. Nous aimerions savoir comment le Gouvernement souhaite mettre en oeuvre l'élargissement du droit de communication à des fins de vérification de la situation fiscale du mis en cause, au moment où les biens saisis sont restitués.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. Le Gouvernement s'est effectivement engagé à mettre en place un dispositif de restitution des produits de cession des biens mal acquis aux populations des États concernés, proposition du rapport qui fait consensus.
La restitution intervient une fois les recettes récupérées, par le biais d'un mécanisme budgétaire impliquant l'ouverture de crédits en loi de finances. Les circuits de financement feront l'objet d'une traduction concrète dans le prochain projet de loi de finances.
S'agissant de la proposition no 31, je ne dispose pas d'éléments plus précis à vous apporter. Je m'engage à transmettre votre question au ministère de la justice.
M. le président. La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis (FI). Ma question est simple : qu'attendez-vous depuis deux ans pour augmenter les effectifs de tous les services qui concourent à la lutte contre la délinquance économique et financière et qui rapportent de l'argent aux caisses de l'État – je parle de millions, et même de milliards ?
Le parquet national financier a accueilli un magistrat supplémentaire en deux ans pour porter leur nombre à dix-huit. Sur les vingt magistrats du parquet de Paris, seulement sept ont rejoint la nouvelle juridiction nationale de lutte contre le crime organisé – JUNALCO –, les treize autres étant restés au parquet de Paris. L'AGRASC a bénéficié de deux équivalents temps plein supplémentaires. L'Agence française anti-corruption a perdu des effectifs depuis l'année dernière. Il suffit de faire le tour de tous les services : à l'office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, stagnation des effectifs et même légère baisse actuellement dans l'attente de mutations ; même chose à l'office central de répression de la grande délinquance financière.
Que vous faut-il ? On ne parle même plus d'interministérialité, je ne m'adresse qu'à Bercy qui est seul représenté ce matin et qui tient les cordons de la bourse. Où est passée la volonté politique ? Y en a-t-il seulement une ?
Je m'en souviens, pendant la mobilisation des gilets jaunes, le Président de la République Emmanuel Macron jugeait scandaleux que des gens ne paient pas leurs impôts et se soustraient à l'effort collectif par des manoeuvres frauduleuses. Et puis, rien ! Prenons l'exemple de la TVA : un rapport de 2019 pointe les manquements aux obligations de déclaration fiscale des entreprises hors Union européenne qui utilisent les places de marché. Alors que la fraude à la TVA dans notre pays se chiffre à plusieurs centaines de millions d'euros, seulement vingt-trois enquêtes ont été ouvertes par le parquet national financier, lequel fait ce qu'il peut car il manque d'assistants de justice.
Que vous faut-il ? Avec votre état d'esprit, vous devriez le comprendre : c'est rentable pour la puissance publique de dépenser de l'argent dans ce domaine.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. Vous le mentionnez pour la deuxième fois, alors je vous réponds : je suis là ce matin, avec l'engagement qui me caractérise, pour répondre de l'action interministérielle du Gouvernement. Le débat concerne la Chancellerie, le ministère des comptes publics et le ministère de l'intérieur. Je sais que vous êtes, autant que je le suis, heureux de me voir ce matin où je représente à la fois Bercy et les autres ministères.
Je peux vous assurer que le Gouvernement est mobilisé et a fait bouger les lignes depuis 2017. Vous n'en conviendrez certainement pas, mais je vous rappelle quelques éléments.
En 2019 et 2020, les biens saisis représentent plus de 500 millions d'euros – 560 exactement – contre un peu moins de 295 millions en 2012, soit presque un doublement. Nous avons continué à augmenter les effectifs mais surtout les moyens du ministère de l'intérieur. Sur le montant des saisies en 2019, 18 millions d'euros lui sont revenus pour former et équiper les policiers et les gendarmes ainsi que pour améliorer la fidélisation des enquêteurs sur les filières très spécialisées.
M. Ugo Bernalicis. C'est faux !
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. Le ministère réfléchit également à des primes supplémentaires.
Vous serez sans aucun doute en désaccord…
M. Ugo Bernalicis. Ce n'est pas une question de désaccord ! On parle de faits inscrits dans un rapport de l'Assemblée nationale ! Je peux vous le faire transmettre par Jacques Maire si c'est plus efficace !
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. …mais je vous assure que le Gouvernement est mobilisé.
M. Ugo Bernalicis. Ce ne sont plus des contrôles, ce sont des blagues !
M. le président. La parole est à Mme Naïma Moutchou.
Mme Naïma Moutchou (LaREM). Vous connaissez, madame la secrétaire d'État, mon engagement sur les sujets ayant trait à la justice mais aussi au développement de la solidarité. J'ai eu l'occasion, il y a quelques mois, de remettre au Premier ministre un rapport sur la philanthropie à la française. J'en suis convaincue, les deux sujets sont liés : la justice a un rôle à jouer en matière de solidarité.
C'est ce que suggère le rapport de nos collègues Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann dont je tiens ici à saluer la grande qualité, dans la proposition no 23 qui prévoit un système de réaffectation sociale des biens. En résumé, l'AGRASC pourrait mettre des biens immobiliers saisis à disposition d'associations qui poursuivent un but d'intérêt général ou qui sont reconnues d'utilité publique, le cas échéant à titre gratuit. Il s'agit d'une proposition consensuelle, qui est aussi un moyen de répondre à la crise que nous traversons. Elle est consensuelle parce qu'elle figure également dans la proposition de loi de notre collègue Sarah El Haïry visant à améliorer la trésorerie des associations qui était jusqu'à présent bloquée dans la navette parlementaire.
Ma question est simple : nous espérons des bonnes nouvelles sur la traduction législative de la proposition. Pouvez-vous nous confirmer que la disposition sera bientôt examinée par le Sénat ? Dans le cas contraire, celle-ci pourrait-elle être incluse dans un autre texte ? Pouvez-vous également nous assurer de votre soutien à un tel dispositif ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. Vous m'interrogez d'abord sur la socialisation des biens en règle générale. Sans remettre en cause, bien au contraire, l'opportunité d'un tel dispositif, il faut d'abord en définir les contours. C'est l'objet de l'expertise menée actuellement par différents services, notamment afin d'évaluer les conséquences directes pour les services enquêteurs qui sont intéressés aux résultats des activités de saisie et de confiscation. En effet, une telle affectation les amputerait d'une partie de leurs recettes.
Il semble également que l'affectation sociale des biens puisse emprunter d'autres canaux. Ainsi, sous l'impulsion de Laurent Saint-Martin, la loi de finances pour 2021 a autorité l'affectation des biens meubles saisis dans le cadre d'une enquête aux services judiciaires et, partant, au ministère de la justice. Il s'agit d'une avancée sociale. Les services judiciaires, dès lors qu'ils sont amenés à jouer un rôle dans les saisies, étaient demandeurs d'un retour sur investissement.
Enfin, la proposition aurait pour effet de diversifier un peu plus les flux financiers dont bénéficie l'AGRASC. Or, le rapport incite, à juste titre, à une simplification de ces mêmes flux – j'y suis favorable.
À titre expérimental, au terme d'un accord politique, un bien immobilier confisqué par le tribunal judiciaire de Paris, en exécution d'une demande d'entraide italienne, a été mis à disposition de l'Amicale du nid, association d'aide et de soutien aux personnes prostituées. L'État français a par conséquent renoncé, au moins temporairement, au produit de la vente qui aurait dû lui revenir pour mettre le bien à disposition de l'association précitée.
Enfin, s'agissant de la proposition de loi visant à améliorer la trésorerie des associations – je connais votre intérêt pour ce sujet, madame Moutchou –, nous avons une bonne nouvelle puisqu'elle est inscrite à l'ordre du jour du Sénat à compter du 12 mai. Le texte est cohérent avec l'expérimentation que je mentionnais à l'instant. Même si la navette a été longue, l'issue est positive.
M. le président. La parole est à Mme Naïma Moutchou, pour une seconde question.
Mme Naïma Moutchou (LaREM). Pour mettre un terme aux trafics divers et variés qui gangrènent certains de nos territoires, Laurent Saint-Martin l'a très bien dit, il faut frapper les délinquants au portefeuille. Pour ce faire, il faut mener ce que l'on appelle des enquêtes patrimoniales. Or les juridictions se trouvent souvent démunies pour faire procéder à ce type d'investigations. Aujourd'hui, ces enquêtes sont relativement pauvres voire, dans certains cas, inexistantes. Elles ne permettent pas d'établir un lien entre le patrimoine du délinquant et son activité criminelle.
De même, les biens qui sont en relation directe avec une infraction ne font pas toujours l'objet d'une confiscation. Je vous donne un exemple : une personne condamnée pour proxénétisme dont les appartements avaient été saisis au cours d'une enquête se les est vus restituer par la juridiction alors qu'ils étaient le lieu où s'étaient déroulées les infractions. Cela pose question.
Je voudrais mettre en valeur la proposition no 18 du rapport, qui vise à rendre obligatoire sauf motivation contraire, bien sûr, la confiscation des biens qui sont en relation directe avec une infraction. Le rapport suggère également d'étendre le champ d'application de la confiscation en valeur qui permet de confisquer les biens du condamné dont il ne peut pas justifier l'origine – pour avoir un peu pratiqué la matière, je sais que ce sont des cas relativement fréquents. Aujourd'hui, cette peine complémentaire est réservée aux infractions qui sont punies d'au moins cinq ans d'emprisonnement alors qu'elle pourrait être utile pour certains délits punis de peines moindres.
Ces pistes nécessitent une modification législative. Le projet de loi sur la confiance dans l'institution judiciaire que le garde des sceaux doit présenter dans quelques semaines peut être le véhicule idoine pour traduire certaines propositions, dont celle que je viens de rappeler. Il faut évidemment qu'il y ait ce qu'on appelle une accroche dans le texte. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous nous en dire plus ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. S'agissant des enquêtes patrimoniales, elles sont menées presque systématiquement aujourd'hui par les enquêteurs, policiers et gendarmes, grâce aux moyens spécifiques en matériel et en formation qui leur ont été alloués, comme je l'indiquais à M. Bernalicis tout à l'heure. Ces moyens sont le fruit des confiscations et ventes réalisées par l'AGRASC ; ils s'élèvent, en 2020, à environ 18 millions d'euros. Cette somme finance des formations de haut niveau pour les enquêteurs et des matériels de haut niveau – logiciels, licences – à l'appui des enquêtes patrimoniales. Les moyens dédiés aux enquêtes patrimoniales sont ainsi consolidés.
Quant à la confiscation obligatoire, elle pose encore des problèmes de proportionnalité des peines. Elle n'est pas possible dans tous les cas. Le projet de loi que vous mentionnez pourrait être l'occasion d'avancer ou, à tout le moins, d'échanges approfondis avec le garde des sceaux sur ce sujet.
Au sujet de la proposition no 5 que vous avez citée, un magistrat coordonnateur des antennes régionales a été recruté le 1er mars 2021. Les services judiciaires ont été autorisés, dans la loi de finances pour 2021, à se voir affecter des biens meubles saisis dans le cadre d'une enquête judiciaire, comme c'est actuellement le cas pour la police ou la gendarmerie. Une telle extension permet d'intéresser plus directement les services judiciaires aux missions de l'AGRASC ainsi que d'assurer une meilleure communication entre tous les acteurs de la chaîne judiciaire – c'est aussi un élément important.
M. le président. La parole est à M. David Corceiro.
M. David Corceiro (Dem). J'aimerais tout d'abord saluer le travail de MM. les rapporteurs, Jean-Luc Warsmann et Laurent Saint-Martin, dont la rigueur a abouti à un rapport complet qui doit permettre la refondation d'un pan entier de notre système judiciaire.
Le rapport met en lumière la nécessité pour l'État d'affirmer une politique efficace et cohérente en matière d'avoirs criminels. Cela implique que la logique patrimoniale irrigue l'ensemble de la chaîne pénale et demande d'investir afin de donner aux services d'enquête et aux juridictions les moyens d'appliquer la nouvelle politique de saisie et de confiscation.
Depuis la loi Warsmann de 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, nous assistons à un changement sémantique dans la perception des peines judiciaires. À titre d'exemple, la confiscation des biens ayant contribué à l'enrichissement illicite des personnes condamnées est perçue comme une excellente sanction, parfois même plus pédagogique que la peine d'emprisonnement car elle sanctionne les activités criminelles antérieures et ne permet pas aux coupables de bénéficier du bien mal acquis pour la suite.
Un renforcement du statut juridique de la confiscation des biens est-il envisageable, madame la secrétaire d'État, d'autant que son application serait rendue possible par une large réorganisation de l'AGRASC ? Peut-il constituer une piste dans le cadre des grandes réflexions du ministère de la justice sur les sanctions alternatives ? Croyez-vous nécessaire d'envisager une réorganisation des textes relatifs aux peines complémentaires de confiscation et de saisie, aujourd'hui éparpillés et comportant des renvois qui ne sont pas toujours très clairs ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. Le reversement à la gendarmerie des fonds de concours de l'AGRASC constitue en effet un sujet important. En l'état actuel des textes, la gendarmerie bénéficie d'une partie du fonds de concours consacré à la lutte contre la délinquance ; les crédits de l'AGRASC représentent 1,5 million d'euros et ceux de la MILDECA – mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives – 4,5 millions, soit 6 millions en tout. En 2020, l'AGRASC a ainsi financé sept projets présentés par la gendarmerie nationale, pour un montant total de 20,5 millions, grâce à ce fonds.
Plus largement, votre question portait sur les flux financiers de l'AGRASC, dont la complexité peut éveiller une certaine défiance concernant l'utilisation du produit des confiscations. Actuellement, les dépenses d'intervention de l'AGRASC alimentent les budgets ministériels, par l'intermédiaire de fonds de concours, en contrepartie des actions menées par les services enquêteurs. Ce lien d'intéressement, que j'ai mentionné il y a quelques instants, doit être préservé par la réforme que préconise le rapport de MM. Warsmann et Saint-Martin afin de simplifier ces flux : cette réforme est nécessaire, mais, encore une fois, elle ne doit pas compromettre l'intéressement des acteurs de police judiciaire sur le terrain, maillon essentiel du dispositif.
Vous l'avez dit : les fonds de concours ne sont qu'imparfaitement retracés – pour recourir à un euphémisme – dans les documents budgétaires transmis au Parlement. Nous devons absolument progresser dans ce domaine, et je ne doute pas que les membres de la commission des finances proposeront des solutions, à l'automne, dans le cadre de l'examen du prochain budget. Quoi qu'il en soit, la traçabilité de ces fonds au sein des documents budgétaires est un vrai sujet de réflexion.
Enfin, les avoirs s'accumulent aussi sur le compte de la Caisse des dépôts et consignations : dernièrement, une équipe temporaire de cinq personnes a été créée pour apurer les dossiers les plus anciens et faire remonter les recettes dues au budget général. C'est là une avancée significative, même si elle ne suffira pas, l'essentiel étant de prévenir la constitution d'un tel stock.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Bournazel.
M. Pierre-Yves Bournazel (Agir ens). Je voudrais tout d'abord saluer le travail, l'engagement et les propos de Laurent Saint-Martin au sujet de la lutte contre les réseaux mafieux et l'organisation de la délinquance financière. L'AGRASC possède un circuit de gestion très atypique : elle est entièrement financée par le produit des ventes de biens confisqués auxquelles elle procède et par les intérêts des sommes qu'elle conserve sur son compte à la Caisse des dépôts. Ce financement est malheureusement opaque d'un point de vue budgétaire, aléatoire et peu vertueux. En outre, l'excellent rapport de Laurent Saint-Martin et Jean-Luc Warsmann souligne qu'une fois prélevés ses frais de fonctionnement, l'AGRASC reverse une partie de ces revenus, par l'intermédiaire de fonds de concours, à des entités intéressées aux confiscations. C'est le cas de la MILDECA, ou encore des services chargés de la prévention de la prostitution ou du financement de la lutte contre la délinquance et la criminalité. Or ces mécanismes contreviennent aux principes budgétaires d'unité et d'universalité ; de plus, ils sont soustraits à l'examen et à l'autorisation du Parlement.
La dernière loi de finances a certes accompli un progrès important, puisque l'AGRASC figure désormais parmi les opérateurs du programme 166 " Justice judiciaire " ; ses emplois doivent respecter un plafond adopté par le Parlement. Cependant, son mode de financement reste inchangé et, à ma connaissance, les fonds de concours subsistent. Madame la secrétaire d'État, ne pensez-vous pas qu'il faudrait aller encore plus loin et normaliser tout cela ?
M. Laurent Saint-Martin. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Olivia Grégoire, secrétaire d'État. Merci de votre question, monsieur Bournazel. J'y répondrai évidemment par l'affirmative : aller toujours plus loin, c'est dans ma nature ! En attendant, et pour compléter la réponse que j'ai faite à M. Corceiro, vous avez vous-même évoqué l'évolution majeure produite par la loi de finances pour 2021 : l'AGRASC a enfin été inscrite en tant qu'opérateur dans un jaune budgétaire, si bien que le Parlement pourra suivre non seulement son plafond d'emplois mais ses recettes et ses dépenses, de la même manière que pour tous les autres opérateurs de l'État. Il était temps ! Ce progrès était attendu et souhaité.
Quant au travail de l'équipe chargée d'apurer le stock des affaires dont les fonds sont placés sur un compte de la Caisse des dépôts, il vise à augmenter la productivité de l'AGRASC et à maximiser la part de ses recettes reversée au budget général de l'État. Actuellement, je le répète, cette équipe est composée de cinq personnes qui se consacrent exclusivement à cette tâche : nous pourrions envisager avec la Caisse des dépôts de la faire monter en puissance, toujours avec l'objectif d'une meilleure visibilité budgétaire de l'AGRASC – objectif que nous partageons avec vous, monsieur Bournazel, comme avec M. Corceiro. Encore une fois, cette question est importante ; dans les prochains mois, nous ne saurions nous dispenser de réformer les flux de cette agence, notamment ses dépenses d'intervention, qui prennent aujourd'hui la forme de fonds de concours.
M. le président. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 30 mars 2021