Déclaration de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé, sur l'évolution de la situation sanitaire et les mesures nécessaires pour y répondre, au Sénat le 1er avril 2021.

Prononcé le 1er avril 2021

Intervenant(s) : 

Circonstance : Débat et vote sur une déclaration du Gouvernement sur le thème "Évolution de la situation sanitaire et mesures nécessaires pour y répondre", au Sénat le 1er avril 2021

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat et d'un vote, relative à l'évolution de la situation sanitaire et aux mesures nécessaires pour y répondre, en application de l'article 50-1 de la Constitution.

Cette séance s'organisera en deux temps.

Après la déclaration du Gouvernement, la parole sera donnée à un orateur de chaque groupe.

Ensuite, nous procéderons au vote par scrutin public sur cette déclaration, en application de l'article 39 de notre règlement.

(…)

M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités et de la santé.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. Monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d'abord à vous remercier pour la qualité de ce débat. À l'écoute de vos interventions, j'ai compris que peu de groupes se prononceront. C'est votre choix de voter ou de ne pas voter.

En revanche, madame la présidente Assassi, le fait de provoquer un débat suivi d'un vote comme celui qui nous réunit est bien conforme à la Constitution. Si ce n'était pas le cas, vous seriez comme nous occupée à d'autres affaires.

Sur le fond, un certain nombre de questions ont été posées. Monsieur le président Marseille, vous nous avez tout d'abord interpellés sur la priorisation de la vaccination, notamment à destination des enseignants.

Comme vous le savez, depuis le début nous avons vacciné de manière prioritaire les publics les plus fragiles par tranche d'âge. À ce jour, 92 % des résidents d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont protégés. La vaccination a ensuite progressé chez les plus de 75 ans, puis chez les plus de 70 ans, et elle sera bientôt ouverte aux plus de 60 ans.

À un moment donné, nous aurons suffisamment protégé les publics les plus vulnérables, celles et ceux qui vont en réanimation et qui décèdent des formes graves du covid. Nous observons déjà – et c'est heureux – que la vaccination permet d'enregistrer une baisse de la mortalité par rapport à l'intensité de l'épidémie. Nous pourrons ensuite vacciner des publics prioritaires.

Vous posez une question très légitime : qui est considéré comme appartenant à un public prioritaire et qui ne l'est pas ? Le Président de la République a souhaité que les enseignants, eu égard au fait que les classes sont restées ouvertes beaucoup plus longtemps que dans les pays qui nous entourent, puissent être vaccinés rapidement. Il a également évoqué les forces de l'ordre, qui peuvent être amenées à intervenir, y compris physiquement, auprès de personnes potentiellement contagieuses sans pouvoir forcément garantir le respect des distances.

Jean-Michel Blanquer, qui se mobilise à juste titre depuis des semaines en faveur de la vaccination des enseignants, a proposé – je trouve l'idée très bonne – de commencer par vacciner les enseignants au contact des enfants en situation de handicap. Chacun, dans cet hémicycle, pourra, me semble-t-il, reconnaître que c'est une proposition aussi juste que pragmatique. Je souhaite que nous puissions la concrétiser très rapidement.

Plusieurs questions ont ensuite été posées sur les autotests.

Je précise d'abord que, si vous voulez comparer la France et l'Allemagne en termes de nombre de tests réalisés – c'est votre droit –, il faut aller au bout de la comparaison. La France réalise 3 millions de tests par semaine, dont un tiers, soit 1 million, sont des tests antigéniques, qui sont réalisés en laboratoire, en pharmacie, par des médecins de ville, par des infirmiers et par tous types de soignants. Ces tests sont gratuits et sans ordonnance.

Outre-Rhin, les tests antigéniques ont été introduits en population générale il y a à peu près un mois, à raison d'une livraison de 40 000 tests remboursés, le reste faisant appel à du reste à charge pour les populations. L'Allemagne disposera désormais de tests PCR et d'autotests, alors que nous disposons pour notre part de tests PCR et de tests antigéniques depuis des mois et des mois, et que nous allons introduire des autotests.

Je dis bien des autotests, et non pas les autotests, car il faut distinguer les autotests de bonne qualité qui n'ont pas encore de marquage CE mais que nous allons autoriser en fast track afin de les rendre disponibles le plus vite possible, et des autotests de mauvaise qualité, dont la sensibilité est telle que, si vous jetez une pièce en l'air, vous avez plus de chance de tomber sur un bon résultat. Si nous mettions de tels autotests à disposition des Français, mesdames, messieurs les sénateurs, vous ne manqueriez pas de nous en faire reproche d'ici à quelques semaines, considérant que nous aurions joué avec la santé des Français.

Depuis le début de cette crise, le leitmotiv est qu'il faut aller vite – vous avez raison –, qu'il faut aller fort, qu'il faut refuser tous les blocages, tous les obstacles quand ils sont inutiles, mais qu'il ne faut pas faire n'importe quoi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, si certaines des propositions qui ont émané du Sénat étaient de bonnes propositions, d'autres, qui s'apparentaient à des formes de saine pression, ne se sont pas avérées gagnantes. Monsieur le président Retailleau, je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler les débats que nous avons eus sur un médicament dont on sait aujourd'hui qu'il ne fonctionne pas.

M. François Patriat. Très bien !

M. Olivier Véran, ministre. J'ai même été rendu coupable de ne pas vouloir le prescrire comme des bonbons à tous les Français.

Après avoir distribué ce médicament dans des sachets en plastique à des dizaines de milliers de personnes, le président du Brésil, Jair Bolsonaro – que je ne cite pas souvent –, a indiqué que, s'il ne fonctionnait pas, ce médicament n'avait sans doute tué personne…

Monsieur le sénateur, je n'ai pas à rougir d'avoir tenu tête à des discours, qui, bien que futiles, furent parfois assez virulents et qui, dans la bouche de certains de vos collègues – pas dans la vôtre, bien sûr –, confinaient parfois à la démagogie.

J'en viens aux lits de réanimation.

Nous avons évoqué ce sujet ensemble il y a plusieurs mois de cela, monsieur Retailleau, et vous avez bien compris la situation car vous savez comment fonctionne la montée de lits de réanimation : vous savez qu'on mobilise les équipes et qu'on les transfère d'une unité de soins vers des unités de réanimation éphémères ou durables pour soigner les malades.

Des unités durables ont été ouvertes, par exemple à Paris ; 150 lits de réanimation ont été créés à l'hôpital Henri-Mondor l'année dernière et 60 seront encore créés cette année. Nous augmentons donc nos capacités durablement.

Parallèlement, nous transformons également des blocs opératoires et des salles de réveil pour augmenter ponctuellement nos capacités. Cela suppose de mobiliser du personnel – nous recrutons les étudiants, les retraités, la réserve sanitaire, les libéraux, les salariés, et toutes ces personnes traversent le pays quand il le faut pour venir en aide à leurs collègues –, mais cela nécessite aussi des déprogrammations. Il y a un an, nous sommes ainsi montés à 10 400 lits, mais nous n'avons pu le faire qu'au prix d'une déprogrammation intense.

Il y a un an, j'avais demandé l'activation du plan blanc dans tous les hôpitaux, en exigeant la déprogrammation de tous les actes dans toute la France pour que nous soyons prêts, parce que nous ne savions pas à quelle vitesse monterait la vague. Aujourd'hui, nous savons à quelle vitesse monte la vague : entre 50 et 100 patients sont admis en réanimation chaque jour. Nous déployons donc entre 50 et 100 lits de réanimation supplémentaires chaque jour.

Si je demandais aux établissements publics et privés de déprogrammer tous les soins pour monter d'un seul coup à 10 000 lits, créant ainsi 3 000 lits de réanimation vacants dans l'attente de patients qui ne seraient pas encore malades, vous ne manqueriez pas de me demander si je n'aurais pas perdu la boule et de pointer que tous les patients qui n'auraient pas été opérés pendant des semaines auraient pu l'être si j'avais procédé à la montée des lits de réa au dernier moment.

Mesdames, messieurs les sénateurs, faites confiance à nos soignants !

Eux sont en permanence au contact des malades. Ils savent quand ça devient chaud et qu'il faut ouvrir de nouveaux lits ou de nouvelles unités. Ils sont accompagnés au quotidien, jour et nuit, dans les plans de déprogrammation qui nous permettent d'augmenter nos capacités d'accueil.

Vous nous avez également interrogés sur le pass sanitaire.

Notre pays a une passion de l'égalité, à raison d'ailleurs. Un débat démocratique doit avoir lieu, notamment au sein des chambres parlementaires ; mais ma conviction personnelle est que, le jour où l'on pourra rouvrir des lieux pour le public, ils devront rouvrir pour tous. Je considère qu'on ne peut pas permettre à des Français qui seraient vaccinés d'aller manger au restaurant et l'interdire à ceux qui ne le sont pas. J'ai peut-être tort. Je n'en prends pas le pari, je vous livre simplement une opinion qui n'a pas de conséquence à l'heure à laquelle je vous parle. Nous menons actuellement des travaux préparatoires à la fois juridiques, sanitaires, scientifiques et légistiques. À leur issue, nous pourrons avoir ce débat crucial pour l'avenir de notre pays.

M. Bruno Retailleau. Il faut d'abord vacciner !

M. Olivier Véran, ministre. Enfin, vous avez, non pas posé la question, mais affirmé qu'il était trop tard pour confiner et qu'il aurait été préférable de le faire plus tôt.

Je vais vous dire très exactement ce que nous nous serions dit si le pays avait été confiné le 29 janvier : nous serions aujourd'hui en train de parler du confinement, car confiner le 29 janvier n'aurait pas suffi à empêcher le variant de monter. Le confinement n'a empêché le variant de monter ni en Allemagne, ni en Italie, ni dans les autres pays qui ont confiné pendant des semaines et des mois.

Aujourd'hui, nous pouvons constater que nous avons gagné du temps, du temps de liberté, certes sous contrainte et avec un couvre-feu, mais du temps de liberté quand même. Les commerces et les écoles sont restés ouverts en France beaucoup plus longtemps qu'à l'étranger.

Monsieur Retailleau, vous nous avez demandé si le risque juridique qui pouvait peser sur nos épaules était susceptible de nous freiner dans certaines décisions. Permettez-moi de vous répondre par une métaphore tirée d'un vieux film, Bienvenue à Gattaca, que j'apprécie beaucoup parce qu'il m'effraie autant que je le trouve esthétique.

M. Julien Bargeton. Excellent film !

M. Olivier Véran, ministre. Une nuit, deux frères s'affrontent à la nage en mer. L'un, qui souffre pourtant d'un handicap, parvient à aller plus loin que son grand frère en pleine forme. Ce dernier lui demande : « Comment as-tu fait ? » Son petit frère lui répond : « Je n'ai jamais économisé mes forces pour le retour. »

Quand on gère une crise sanitaire comme nous le faisons depuis treize mois, monsieur le sénateur, on ne peut économiser ni ses forces ni son énergie. Nous faisons ce que nous pensons être bon, car l'enjeu est de protéger les Français. (Applaudissements sur les travées des groupes RDPI et INDEP.)


source http://www.senat.fr, le 13 avril 2021