Interview de Mme Barbara Pompili, ministre de la transition écologique, à Radio Classique le 22 avril 2021, sur le retour des Etats-Unis dans les négociations sur le climat, le financement de la transition écologique et l'énergie nucléaire.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

FABRICE LUNDY
L'invitée de Radio Classique ce matin, c'est Barbara POMPILI. Bonjour.

BARBARA POMPILI
Bonjour.

FABRICE LUNDY
Ministre de la Transition écologique. Vous venez aujourd'hui, le 22 avril, jour du climat. C'est le jour qu'a choisi Joe BIDEN pour faire revenir les États-Unis dans l'arène climatique quelque part avec ce grand sommet du climat auquel vont participer 40 chefs d'État et de gouvernement, à distance bien sûr, dont le président de la République française, monsieur Emmanuel MACRON. C'est important ou c'est symbolique ce qui va se dire, ce qui va se faire aujourd'hui, Barbara POMPILI ?

BARBARA POMPILI
C'est important. C'est important parce que ce sommet c'est les États-Unis qui reviennent autour de la table pour mettre tout leur poids sur le climat. Donc on avait réussi, nous l'Europe, justement à gérer la situation pendant que TRUMP était au pouvoir, et donc l'Europe a profité de ce moment-là pour se positionner un peu comme champion du climat. On a encore il y a deux jours pris des décisions importantes sur nos engagements de baisse d'émission de gaz à effet de serre.

FABRICE LUNDY
55% donc d'ici 2030.

BARBARA POMPILI
Voilà, d'ici 2030 avec un paquet de lois qui vont permettre d'y arriver mais le fait que les États-Unis reviennent autour de la table, c'est important. Nous avons la Chine qui doit prendre des engagements et nous avons…

FABRICE LUNDY
Pardon, vous y croyez aux engagements de la Chine ?

BARBARA POMPILI
Je crois que la Chine a besoin de se positionner sur la scène internationale aussi comme un leader, et même en Chine on se rend compte que la question du climat ne peut plus être écartée. D'ailleurs ils ont pris quelques engagements. Ils ont pris des engagements sur la baisse de gaz, les fameux HFC qui sont les gaz de refroidissement, les gaz qu'on trouve dans les clim', mais ils doivent aller plus loin. Et donc là, les États-Unis doivent jouer ce rôle aussi de fédérateur. Mais n'oublions pas encore une fois que c'est un jalon vers la COP26 qui est en train de se passer aujourd'hui, et que nous devons emmener le plus de pays possible vers la réduction des émissions de gaz à effet de serre. C'est ça le plus important.

FABRICE LUNDY
Alors on voit également - on reviendra sur les engagements européens dans un instant - mais on voit, et c'est madame Janet YELLEN qui le disait cette nuit, la secrétaire d'État au Trésor, qui expliquait que l'impulsion aussi, elle comptait beaucoup sur le secteur privé et on a vu comment les banques occidentales s'engagent également dans la neutralité carbone de leur portefeuille d'ici 2050. BNP PARIBAS, SOCIETE GENERALE, CREDIT AGRICOLE ont décidé de ne pas financer le projet de TOTAL en Ouganda. Est-ce qu'elles ont bien fait, Barbara POMPILI ?

BARBARA POMPILI
Oui. C'est un signal important. On a besoin que les banques, qui sont évidemment les plus grands créanciers, puissent montrer l'exemple et montrer que des investissements d'avenir, ce sont des investissements qui protègent le climat. Et donc ces gestes-là sont des gestes qui sont très regardés y compris dans les autres pays du monde. Et donc montrer que y compris les banques maintenant se tournent vers des investissements plus verts, c'est important. Après, il y a encore beaucoup d'efforts à faire puisqu'il y a encore beaucoup d'investissements des banques qui sont des investissements sur des projets qui sont des projets carbonés. Donc très bien, ce signal est important, il faut continuer.

FABRICE LUNDY
Le secteur privé, vous avez confiance dans les ambitions, le mouvement que peut donner le secteur privé justement dans cette transition énergétique ? Les entreprises, je pense à elles en premier.

BARBARA POMPILI
Les entreprises voient que si elles ne s'engagent pas dans le changement dans la transition écologique, elles perdent un rendez-vous important et elles survivront assez peu longtemps en fait. Donc on a besoin que tout le monde s'y tourne, les entreprises l'ont compris. Nous, dans la loi sur le climat que nous avons travaillée jusqu'à la fin de la semaine dernière à l'Assemblée nationale, nous avons aussi mis un chapitre qui va permettre d'avoir un minimum de gouvernance, y compris des entreprises qui vont montrer comment elles s'engagent et qui vont mettre en place des indicateurs de suivi de ces engagements. Je crois que c'est très important parce qu'on ne peut mesurer que quelque part ce qu'on mesure. Et aujourd'hui, on a trop peu de ces jalons qui nous permettent de le vérifier.

FABRICE LUNDY
Mais les chefs d'entreprise, ils sont responsables. Ils savent où ils vont. Ils n'ont peut-être pas besoin de tous ces indicateurs. Est-ce que justement dans la loi climat, est-ce qu'il n'y a pas trop de contraintes ? J'allais dire de nouvelles contraintes une fois de plus - en plus dans ce climat de crise économique, évidemment crise sanitaire mais crise économique - qui pèsent sur les entreprises et que vous leur imposez quelque part pour qu'elles fassent bien en direction du climat ?

BARBARA POMPILI
Dans ces cas-là, il faut regarder tout dans son ensemble. Quand on voit que l'on a un plan de relance à 30 milliards pour la transition écologique…

FABRICE LUNDY
Oui, c'est le tiers de l'enveloppe exactement.

BARBARA POMPILI
Dont beaucoup sont tournés vers les entreprises pour aider à décarboner leurs process de production, pour aider à lancer des filières notamment dans le bâtiment pour la rénovation des logements, mais aussi sur les transports. Bref, on aide énormément les entreprises à se tourner vers la transition écologique. Mais notre rôle en tant que politiques, c'est de donner des directions, de donner le cadre. Et après dans ce cadre, les entreprises évidemment font leur travail.

FABRICE LUNDY
On évoquait les objectifs européens qui ont été annoncés hier de 55% de baisse des émissions de CO2 d'ici 2030. Vous votre loi climat, c'est une trajectoire de baisse de 40%. Est-ce que la loi n'est pas déjà obsolète avant même d'avoir été votée ? On a 40% d'un côté – la France – et on a 55%, l'Europe.

BARBARA POMPILI
Parce que d'abord les 55%, ce sera une moyenne européenne. Tous les pays ne partent pas du même niveau d'émissions de gaz à effet de serre, et donc les efforts seront forcément différents. Mais ce qui est très important, c'est de donner signal et puis dans la loi, c'est de donner des impulsions pour des grands changements. Nous ce qu'on fait dans cette loi, c'est qu'on va mettre l'écologie dans la vie quotidienne des Français. Ça va devenir pratique. Quand vous allez aller faire vos courses, vous allez avoir une étiquette qui va vous dire si le produit que vous achetez est bon ou mauvais pour l'environnement. Quand vous allez avoir besoin de rénover votre logement, vous allez avoir un accompagnateur qui va vous aider de A à Z, c'est-à-dire à faire le diagnostic de vos besoins, vos plans de financement. Vous allez avoir une aide pour le reste à charge pour pouvoir payer vos travaux. Quand vous allez vouloir vous déplacer, vous prendrez plutôt le train que l'avion. Vous avez des mesures comme ça qui sont des mesures de vie quotidienne qui vont changer la vie des gens et qui vont l'améliorer. On va mettre en place des zones à faible émissions qui vont faire qu'on va abaisser par exemple dans une ville comme Paris la pollution de 40% en 4 ans. Ça, ça va changer la vie des gens. Quand vous vous promenez avec votre poussette, avec l'enfant qui est en train de respirer les gaz d'échappement, vous voyez bien de quoi je parle.

FABRICE LUNDY
Une poussette qui, à Paris, slalome entre les travaux divers et variés. On ne revient pas sur cette polémique, vous n'êtes pas en charge de la mairie de Paris, Barbara POMPILI. Juste, on a vu comment l'Europe avance justement, et notamment la finance verte. Mais hier, il y a eu un petit souci quand même : c'est Bruxelles qui botte en touche sur le financement du nucléaire et du gaz, cette fameuse taxonomie, cette classification des activités selon lesquelles les investisseurs vont aller ou ne pas aller etc. Question importante : le nucléaire est-elle une énergie durable ? Parce que là apparemment, il y a débat. Moi je pensais que c'était clos mais apparemment, ça ne l'est pas Barbara POMPILI.

BARBARA POMPILI
Le nucléaire est une énergie décarbonée. Donc en France, on a un mix on a un mix électrique qui est largement décarboné parce que nous avons du nucléaire et parce que nous avons, et nous devons développer d'ailleurs beaucoup plus que nous ne le faisons actuellement, nous devons augmenter la vitesse des renouvelables, puisque là nous sommes sur deux types d'énergie décarbonée. Le nucléaire peut aider dans certains cas à passer le cap. Maintenant est-ce que…

FABRICE LUNDY
Mais pardon, est-ce qu'il peut aider à passer le cap ? Ou ça reste malgré tout dans l'absolu une énergie décarbonée finalement dont on ne peut pas se passer en France ? Le nucléaire a apporté son efficacité depuis toutes ces décennies.

BARBARA POMPILI
Quand on a 70% de son mix électrique qui est sur le nucléaire, même le plus antinucléaire du monde ne vous dira pas qu'on peut arrêter en 5 minutes le nucléaire. Le nucléaire en France, que l'on en sorte ou que l'on n'en sorte pas, on a encore plusieurs décennies avec le nucléaire. Et donc le nucléaire qui est décarbonné est un point pour la France qui doit baisser ses émissions de gaz à serre et, du coup, qui le fait aussi sur des secteurs qui ont été un peu négligés comme les logements ou les transports pendant trop longtemps. Après quand on veut faire la transition, on doit d'abord et avant tout développer les énergies renouvelables, surtout dans notre pays, pour pouvoir avoir des mix plus équilibrés. Ne dépendre que d'un seul type d'énergie, c'est dangereux.

FABRICE LUNDY
On arrivera à rééquilibrer ? Parce que vous avez rappelé : 70%, et on a vu comment cet hiver justement après avoir fermé Fessenheim, on a été obligé de réactiver soit des centrales thermiques ou d'importer de l'énergie.

BARBARA POMPILI
Non. Alors ce n'est pas à cause de la fermeture de Fessenheim, c'est parce que la crise de la Covid a fait que beaucoup d'opérations de maintenance qui n'ont pas été faites au moment du premier confinement ont dû être repoussées après.

FABRICE LUNDY
Et s'il y avait eu Fessenheim, peut-être que ça aurait été…

BARBARA POMPILI
Non. Fessenheim, c'étaient deux réacteurs. Enfin là, on avait plusieurs dizaines de réacteurs qui étaient concernés par les opérations de maintenance donc ce n'est pas la même chose, et on n'a pas rallumé de centrales à charbon. Même l'année dernière on a utilisé moins de charbon que les années d'avant : on est à moins d'un pourcent production du charbon et on va fermer nos dernières centrales à charbon avant 2022. Donc regardons les choses en face : le nucléaire pose des problèmes en termes de déchets, le nucléaire pose des questions en termes d'équilibre financier. Nous en France, nous développons les renouvelable, nous rééquilibrons le mix d'ici à 2035 et après, on verra.

FABRICE LUNDY
Dernière question sur la 5G. Il y a eu un rapport qui a été publié hier par l'Agence nationale de santé, l'ANSES, qui dit : pour l'instant, en l'état actuel des choses, pas de nouveaux risques identifiés.

BARBARA POMPILI
Tout à fait.

FABRICE LUNDY
« Pour l'instant » ça veut dire - je ne sais pas - prudence ou finalement on peut déployer la 5G en France ? Il y a eu beaucoup de polémiques peut-être un peu stériles dans certaines villes justement pour s'opposer à ce vecteur de progrès.

BARBARA POMPILI
Ça veut dire que sur les fréquences qui sont utilisées aujourd'hui par la 5G et qui sont les mêmes que celles qui étaient utilisées pour la 4G et la 3G, l'ANSES n'a pas identifié de problèmes sanitaires particuliers. Quand ils disent « pour l'instant », c'est parce qu'il va y avoir une nouvelle bande fréquences qui est de 26 gigahertz qui va éventuellement être utilisée plus tard pour la 5G. Et pour cette bande fréquences-là, nous n'avons pas encore tous les éléments donc l'ANSES va continuer de travailler sur cette bande fréquences-là. Mais pour celles qui sont utilisées aujourd'hui, l'ANSES n'identifie pas plus de questions que pour la 4G.

FABRICE LUNDY
Il y a eu de la surenchère du côté de Lyon, du côté de Grenoble, de Strasbourg, de Paris aussi contre la 5G. ?

BARBARA POMPILI
Je crois qu'au-delà de cette question de la 5G, il y avait la question de l'impact environnemental du numérique. Et l'impact environnemental du numérique, il est important mais n'oublions pas que 75% de cet impact c'est dû à la fabrication des téléphones portables, des ordinateurs etc. Donc le travail que nous avons à faire, c'est peut-être d'éviter d'acheter un portable quand ce n'est pas nécessaire, quand il fonctionne encore très bien, aller vers les portables qui sont…

FABRICE LUNDY
D'accord. J'ai cru que vous vouliez qu'on arrête d'acheter des téléphones portables comme certains veulent qu'on arrête, je n'en sais rien, de prendre l'avion.

BARBARA POMPILI
Non, non, non. Mais par exemple développer le reconditionner et puis regarder comment nous consommons le numérique. Il y a une feuille de route que nous avons mise en place avec Cédric O qui permet d'apporter un certain nombre de réponses.

FABRICE LUNDY
Merci beaucoup Barbara POMPILI, ministre de la Transition écologique, ce matin sur Radio Classique.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 avril 2021