Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 24 et 25 juin 2021.
Dans le débat, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargé des affaires européennes. Madame la présidente, messieurs les présidents de commission, monsieur le rapporteur général, je suis ravi de venir de nouveau devant le Sénat pour évoquer les principaux enjeux du Conseil européen à venir, qui se tiendra les 24 et 25 juin prochain. Auparavant, si vous le permettez, parce que les deux sommets sont étroitement liés, je vais revenir sur les débats qui ont animé le sommet précédent des 24 et 25 mai. Ce Conseil européen extraordinaire s'est articulé autour de trois sujets principaux : la gestion de la pandémie de la covid, la lutte contre le changement climatique et plusieurs dossiers internationaux, parmi lesquels l'un était d'actualité immédiate, celui de la Biélorussie ; les autres concernaient la Russie, le Mali et le Brexit.
Concernant la question sanitaire, alors que la courbe épidémiologique tendait à s'inverser partout en Europe, les dirigeants européens ont exprimé une grande vigilance face à l'apparition de nouveaux variants. Ce risque appelle des efforts maintenus de séquençage, de protection et une accélération de la cartographie européenne de ces variants de manière à suivre ensemble la situation dans les pays tiers.
Cela étant, les évolutions constatées en matière de vaccination ont été une source de soulagement et de satisfaction. À la fin du mois de mai, 300 millions de doses de vaccins avaient été livrées dans l'Union européenne et près de 250 millions de doses avaient été administrées. Ces chiffres ont augmenté depuis : aujourd'hui, en moyenne, près de 50% de la population adulte européenne a reçu au moins une première dose de vaccin. Comme vous le savez, ce chiffre dépasse les 52% en France. La vaccination pour les jeunes de 12 à 15 ans démarrera dans quelques jours dans notre pays, l'Agence européenne des médicaments ayant approuvé l'utilisation du vaccin Pfizer-BioNTech pour cette tranche d'âge.
L'heure est donc à la levée progressive des restrictions, grâce notamment à des mesures de coordination européenne. Le certificat numérique, parfois appelé pass sanitaire européen, devrait être adopté définitivement dès demain par le Parlement européen. Étant reconnu partout en Europe à compter du 1er juillet, il contribuera à faciliter les déplacements au cours de la saison touristique qui s'ouvre devant nous. Cependant, nous devrons rester prudents. C'est pourquoi la réouverture progressive obéira à une double approche : elle sera ciblée sur les pays dans lesquels la situation sanitaire s'est significativement améliorée, que l'on qualifie parfois de " verts " dans la terminologie française et européenne, tout en reconnaissant la preuve de vaccination ; dans le même temps, de la manière la plus coordonnée possible, elle sera très stricte dans des pays dits " rouges ", dans lesquels la circulation des variants que j'évoquais se maintient, voire s'accélère.
L'heure est aussi à la solidarité internationale. J'y insiste, parce que des reproches ont parfois été nourris à l'égard de l'action européenne en matière de vaccination. Or, en la matière, nos valeurs et nos engagements internationaux sont en jeu, ainsi que notre sécurité sanitaire de long terme. Un objectif a été fixé à l'occasion de ce sommet européen : donner au moins 100 millions de doses de vaccin d'ici à la fin de l'année aux pays qui en ont le plus besoin. La France et l'Allemagne se sont engagées à livrer au moins 30 millions de doses.
Durant le sommet européen de la fin du mois de mai, l'enjeu climatique a également été évoqué ; il a donné lieu à un débat d'orientation générale. Compte tenu de l'ampleur et de la difficulté des efforts pour atteindre l'objectif de 55% de réduction des émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, la Commission proposera des mesures législatives le 14 juillet prochain. Celles-ci feront l'objet de débats plus détaillés et conclusifs, probablement à l'occasion du sommet européen du mois d'octobre.
Je veux dire un mot d'un dossier international évoqué en raison de l'actualité : le cas biélorusse. Le lendemain du détournement aussi spectaculaire que terrifiant de l'avion européen de la compagnie Ryanair, qui circulait entre des capitales européennes avec des passagers européens en majorité, des sanctions et des interdictions de survol ont été prises de manière unanime et rapide par l'Union européenne.
Je ne sais pas s'il faut les ranger dans la catégorie des dossiers internationaux, mais je veux dire un mot du Brexit et de nos relations avec le Royaume-Uni, puisque le Sénat, singulièrement sa commission des affaires européennes, suit ce dossier de très près. À la demande de la France, le sujet a été évoqué par les chefs d'État ou de gouvernement. La préoccupation est forte concernant la mise en oeuvre incomplète, pour le dire pudiquement, de l'accord par la partie britannique, ainsi que la nécessité absolue de sa mise en oeuvre complète, rapide et intégrale. Cela vaut pour la question de la pêche, qui préoccupe nos concitoyens, mais aussi, parce que la paix est en jeu, pour la question du protocole nord-irlandais, qui concerne toute l'Europe.
Une partie de ces débats se prolongera durant le Conseil européen ordinaire des 24 et 25 juin prochain. Cette réunion abordera, dans un peu plus de quinze jours, les suites de la gestion de la crise sanitaire, ainsi que la relance économique, la situation migratoire et deux sujets internationaux voisins et hautement sensibles : le dossier de la Turquie et la question russe.
Sur la covid-19, je ne reviendrai pas sur les éléments que j'ai indiqués il y a un instant. Il est temps toutefois de réfléchir aux conséquences que l'Europe doit tirer de cette crise et de sa gestion, que nous avons essayé de coordonner au mieux.
Nous sommes parvenus récemment à un certain nombre d'avancées – la cartographie des variants, la définition de critères pour classer les pays en fonction de leurs risques, le certificat sanitaire –, mais la coordination a été tardive et insuffisante. Vous le savez, la compétence sanitaire européenne était inexistante au début de la crise. Nous devons forger cette Europe de la santé de manière pragmatique. Il nous faudra avancer sur au moins deux sujets, qui seront abordés par le Président de la République au cours de ce sommet européen.
Tout d'abord, il convient de créer une agence sanitaire européenne chargée de financer l'innovation et la recherche médicale. Des initiatives européennes ont d'ores et déjà eu lieu, mais nous devons les amplifier. L'un des grands avantages dont ont bénéficié certains de nos partenaires, notamment les États-Unis, dans la réponse vaccinale à la crise a été leur capacité d'innovation et de réaction rapide, le reste ayant sans doute été moins bien géré, en comparaison.
Nous ne disposons pas d'une telle agence au niveau européen, en tout cas pas de manière collective et avec des moyens suffisants. Le projet existe, il s'appelle HERA, inspiré de l'agence fédérale américaine Barda. Cependant, les financements consacrés à la préfiguration de cette agence sont encore très limités, comme nous l'avions évoqué dans cet hémicycle. Il serait utile, à mon sens, et dans l'intérêt collectif, que la France pousse en faveur d'une ambition plus grande sur cette question du financement de l'innovation et d'une agence sanitaire européenne. C'est ce que nous ferons.
Ensuite, il importe de renforcer nos capacités à suivre l'épidémie. Nous n'avons pas de cartographie commune – nous l'avons construite tout récemment, et elle est encore objectivement balbutiante – permettant de comparer nos données. Cette Europe de la santé doit aussi être une Europe de l'harmonisation des données et de la comparaison fiable, pour travailler et agir ensemble sur les mesures de restriction aux frontières et de protection que nous avons dû mettre en place pendant la crise. La coordination a été nécessairement incomplète en raison de ces manques.
Nous aborderons la question de la relance économique, évidemment liée à la crise de la covid. Nous en avons souvent discuté : nous avons franchi une étape très importante avec la ratification par les vingt-sept États membres avant la fin du mois de mai, il y a donc quelques jours, de la décision sur les ressources propres, que votre assemblée avait approuvée au début du mois de février. J'aurais aimé que ce succès soit plus précoce, mais il est tout de même intervenu plus tôt que prévu.
Le délai a été long : dix mois au total se sont écoulés entre l'accord politique et la ratification définitive. C'est normal, c'est le temps démocratique européen, impliquant le Parlement européen et l'ensemble des assemblées des États membres. Cependant, cela a été plus rapide que les fois précédentes, alors même qu'il n'y avait alors pas de plan de relance à financer, mais un budget ordinaire sur sept ans.
La décision « ressources propres » est en vigueur. Elle a permis à la Commission européenne de lancer, dès le 1er juin, le processus d'émission d'une dette commune pour financer le plan de relance ; cette première émission aura lieu au cours du mois de juin et deux autres se produiront au cours du mois de juillet. Cela permettra de lever plusieurs milliards d'euros avant le début de l'été.
Pour la France, les sommes en jeu dans la première tranche concernent le préfinancement de notre enveloppe nationale de plus de 40 milliards d'euros, soit environ 5 milliards d'euros de premier versement que nous attendons au mois de juillet.
Un autre sujet très différent sera aussi discuté lors de ce sommet européen : la question migratoire. Nous le savons, nous n'avons pas seulement été confrontés, ces dernières années, à des crises migratoires ; nous faisons face à un phénomène migratoire durable, dont les résurgences récentes, parfois ponctuelles, traduisent un mouvement plus profond et nous rappellent que ce sujet européen n'est pas résolu. Nous l'avons constaté de manière très spécifique à Ceuta ; nous le voyons, de manière peut-être plus significative, avec les arrivées qui ont repris ces dernières semaines sur les côtes italiennes, à Lampedusa en particulier.
Nous avons besoin d'avancer rapidement sur le pacte sur la migration et l'asile européen. La proposition que la Commission européenne a refondue et formulée à la fin du mois de septembre dernier semble correspondre à un bon équilibre, mais le consensus politique pour l'adopter n'est pas encore atteint.
La France et l'Italie, en particulier, travaillent de concert pour que nous puissions ouvrir ce débat de nouveau, s'agissant notamment de la relation avec les pays tiers, condition de la protection de nos frontières, de la régulation des arrivées, des reconduites effectives et de la solidarité européenne. L'objectif que j'appelle de mes voeux est que nous puissions avancer avant la présidence française sur ce dossier migratoire dans ses différentes composantes de responsabilité, de solidarité et de protection des frontières.
C'est sur ce dernier volet que nous avons le mieux progressé, par la montée en puissance de notre agence Frontex, dirigée par l'un de nos compatriotes, par la mise en place de certaines opérations qui n'ont pas toujours pour but direct la protection de nos frontières, mais qui y contribuent, comme l'opération Irini.
En revanche, nous n'avons pas encore avancé sur les règles de responsabilité du contrôle aux frontières et sur la solidarité européenne. L'une ne peut aller sans l'autre, puisque nous ne pouvons légitimement pas demander un effort supplémentaire à des pays comme l'Italie, la Grèce ou l'Espagne, pays de première entrée, si nous ne sommes pas capables de leur garantir une solidarité minimale. Celle-ci ne se fera pas au détriment de la France, puisque nous prenons notre part, mais elle doit associer un plus grand nombre de pays européens. Or certains sont aujourd'hui encore réticents à cet équilibre et à cette solidarité européenne.
Nous évoquerons de nouveau la question turque – laquelle n'est pas dépourvue de lien avec ce qui précède – à la demande de la France. À la suite de nos demandes au Conseil européen du mois de décembre, des sanctions ont été préparées, des mesures de fermeté élaborées, de manière consensuelle, et un dialogue s'est réengagé avec la Turquie. Les quelques signaux positifs en matière de retrait des bateaux en Méditerranée orientale ne suffisent pas aujourd'hui, à notre sens, à témoigner d'une volonté d'apaisement et de désescalade de la Turquie en Méditerranée.
Nous aurons cette discussion au Conseil européen, elle est difficile ; la France a fait bouger les lignes par les signaux de fermeté qu'elle a envoyés tout au long de l'année 2020. Nous sommes toujours prêts à entretenir un dialogue constructif avec la Turquie, mais c'est à la Turquie de donner clairement un signal de désescalade en Méditerranée orientale, en Libye, par ses comportements dans certaines crises en Asie centrale, pour que nous continuions à nous engager dans ce dialogue. Ce n'est pas encore le cas. Je signale à cet égard que des comportements internes, comme le retrait de la convention d'Istanbul, ne confortent pas notre idée d'un dialogue politique apaisé et constructif.
Nous aborderons de nouveau ce sujet lors de ce sommet européen, durant lequel nous défendrons le maintien d'une ligne de fermeté européenne sans laquelle le dialogue est vain : si l'Europe apparaît faible, il ne se réengagera sur aucune base crédible.
Nous aborderons aussi le dossier russe, qui, nous le savons, ne s'est pas amélioré ces dernières semaines. Nous sommes confrontés à un pouvoir russe frappé par un très net complexe obsidional. Il convient de rediscuter de notre approche stratégique, sans casser l'unité européenne et sans naïveté aucune.
Le Président de la République l'a exprimé lors d'une rapide discussion au cours du sommet européen du mois de mai, notre approche est souvent à la fois trop faible et insuffisamment engagée. Le dialogue politique est limité au niveau européen ; nos mesures de fermeté, celles que nous avons prises en matière de sanctions et que nous devons maintenir, car il n'y a aucune justification à les lever, n'ont pas produit d'effet de pression suffisant, il faut le constater.
La fin de la redéfinition de notre stratégie n'interviendra sans doute pas dès ce sommet européen, mais nous mènerons une discussion profonde, informelle, pour trouver l'équilibre entre le dialogue et les mesures de fermeté, notamment les sanctions. Faut-il les revoir ou les durcir tout en engageant un dialogue politique plus ferme, mais aussi plus constant ? C'est une option, qui correspond à la stratégie bilatérale que la France défend depuis plus de deux ans. Nous aurons cette discussion au niveau européen.
Comme ce sommet européen se tient dans un peu plus de deux semaines et que notre débat intervient plus tôt que d'habitude, je ne peux pas exclure que d'autres sujets s'invitent, en fonction de l'actualité, au menu des discussions internationales en particulier. Si tel devait être le cas, je serais ravi de prolonger nos échanges devant la commission des affaires européennes.
En l'état, voilà ce que je pouvais vous dire quant à la préparation de ce sommet européen du mois de juin, à moins de six mois de la présidence française de l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Clément Beaune, secrétaire d'État. J'essaierai de répondre aussi complètement que possible sans être trop long, contrairement à mes mauvaises habitudes. Si nécessaire, madame la présidente, vous me rappellerez à l'ordre… J'aborderai les différents sujets dans l'ordre dans lequel ils ont été évoqués, en croisant les thèmes qui se sont « entrechoqués » dans les différentes interventions.
La question du Brexit a été soulevée à plusieurs reprises, notamment par M. le vice-président Allizard. Oui, nous sommes prêts à envisager des mesures de rétorsion, ce qu'on appelle pudiquement des mesures de compensation ! Elles sont prévues par l'accord. Le vice-président de la Commission chargé du dossier de manière transversale, qui a succédé à Michel Barnier dans le suivi de cette négociation après la mise en place de l'accord, Maros Sefcovic, échange en ce moment même avec le ministre britannique David Frost ; il lui fera part, conformément au sens des messages que nous avons fait passer, de cette option.
Il est fort utile, j'y insiste, que cet accord de commerce et de coopération ait été ratifié par le Parlement européen voilà quelques semaines. Auparavant, étant seulement provisoirement applicable, il ne nous était pas permis juridiquement de réagir en adoptant des mesures de rétorsion, possibilité qui nous est désormais offerte, non pas directement, mais selon des procédures définies. Dès lors qu'un contentieux est engagé, comme c'est le cas, nous pouvons dans l'intervalle mettre en place ce type de mesure. Si nous devions constater une mauvaise volonté du côté britannique dans certains domaines – on l'a vu avec la question de la pêche, on tend à le constater sur le protocole nord-irlandais –, nous pourrions activer cette option, prévue, avec d'autres, par l'accord pour nous protéger. Certes, nous n'agirons pas à la légère, mais nous ne l'excluons certainement pas.
M. le rapporteur général, avec d'autres, a évoqué le plan de relance, la révision des règles budgétaires et d'autres questions qui sont intrinsèquement liées.
Il a fallu dix mois – cela a été rappelé – pour mettre complètement en oeuvre le plan de relance. Je le redis, le moment du décaissement arrive, puisque l'émission de dettes, étape très importante, commence ce mois-ci, les premiers versements, pour la France comme pour les autres pays, intervenant à compter du mois de juillet. Auditionné en commission, j'avais dit espérer une ratification complète pour la fin du mois de mai. Nous y sommes.
Je dirai quelques mots des prochaines étapes.
Le plan national de relance et de résilience français, comme ceux de la plupart des États membres, a déjà été soumis à nos partenaires et à la Commission européenne pour échanges. C'est probablement entre le 15 et le 20 juin que celle-ci donnera un avis – favorable, je l'escompte bien – sur ce plan pour que, une fois les opérations d'émission de dettes réalisées, nous puissions commencer à percevoir ces fonds.
L'urgence est de réaliser le plus rapidement possible ces opérations de décaissement. Ce plan est d'ampleur : 750 milliards d'euros, 400 milliards d'euros de subventions, dont plus de 40 milliards d'euros pour la France.
Pour être très clair – le ministre de l'économie a eu l'occasion de le dire également –, ce n'est pas le plan de relance lui-même qu'il faut rediscuter : le cas échéant, nous rouvririons de longues et complexes négociations, cependant que nous avons encore plusieurs centaines de milliards d'euros à dépenser et à investir. En revanche, comme vous l'avez indiqué, madame la sénatrice Lavarde, c'est sur ce point précis que l'Europe pourrait décrocher par rapport aux États-Unis, et non pas au regard des mesures de soutien d'urgence que nous avons mises en place depuis 2020 – et que le Parlement a approuvées –, telles que le chômage partiel, le fonds de solidarité, etc., non plus qu'au regard de la phase de relance immédiate de cette année et des deux prochaines années – le plan de relance européen s'étale sur trois ans. De fait, sans un effort supplémentaire de l'Europe, nos investissements dans les nouvelles technologies d'avenir, les semi-conducteurs, les microprocesseurs, le spatial et, probablement, la recherche médicale pourraient être inférieurs à ceux des États-Unis.
Ce débat, qui sera sans doute ouvert à la fin de l'année, sera en partie traité au cours de la présidence française de l'Union européenne. Un accord devra être conclu entre la France et les autorités allemandes issues des élections du mois de septembre. C'est aussi cela qu'a évoqué le commissaire Paolo Gentiloni.
Ce débat ne doit pas être déconnecté du débat relatif aux règles budgétaires, dont l'intérêt en soi, si je puis dire, n'est pas de savoir ce que doit être « la boîte à outils ». La question est de savoir comment on encadre nos finances publiques dans une zone monétaire commune, comment on dégage des capacités d'investissement dans les technologies d'avenir sans mettre en danger la soutenabilité de nos dettes, comment on révise le pacte de stabilité à cette aune. Par conséquent, le débat sur une capacité commune d'investissement et le débat sur les règles budgétaires sont un seul et même débat. L'aborder seulement sous l'un ou l'autre de ces deux angles serait sans doute une erreur politique et économique : nous devons traiter ensemble à la fois la question de notre capacité d'investissement, au-delà du plan de relance, probablement sur une décennie, et la question des règles budgétaires communes.
S'agissant des ressources propres, sujet abordé à plusieurs reprises en lien avec celui de la relance, des propositions législatives seront formulées dès cet été par la Commission européenne, conformément à la feuille de route définie à la fin de l'année dernière : d'une part, sur ce qu'on appelle parfois la taxe carbone aux frontières ou le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières – ce n'est pas à proprement parler une taxe – ; d'autre part, sur la fameuse taxe numérique.
En lien avec les questions évoquées ce week-end lors du G7, je veux dire un mot de la taxe numérique.
Le débat sur la taxation des seuls GAFA – les grandes entreprises du numérique – devra sans doute être d'une nature nouvelle puisque, pour le dire d'un mot, il s'est élargi autour des deux fameux piliers négociés au sein de l'OCDE. Si c'est finalement la négociation sur l'imposition minimale qui a progressé le plus rapidement, monsieur le sénateur Laurent, ce n'est pas parce que les Américains ont été leaders, mais parce qu'ils s'y sont ralliés. L'accord du G7 n'est qu'un point de départ ; il devra aboutir cet été à l'OCDE, sans doute au mois de juillet. Par la suite, il faudra transposer ces principes internationaux fixés dans ce cadre dans des textes législatifs européens et nationaux. L'Europe devra alors sans doute élargir ses propositions législatives pour traduire ces principes d'imposition minimale, sans se limiter aux entreprises du numérique, même si les GAFA en font partie.
Pour le dire clairement, si accord international il y a – ce que nous souhaitons –, la proposition européenne devra en traduire les principes dans les faits, sans être contradictoire avec celui-ci ou passer à côté. C'est ce à quoi nous veillerons, et nous sommes en discussion à ce sujet avec la Commission européenne.
Ce qui prendra sans doute la forme d'une proposition fiscale de ressources budgétaires supplémentaires propres affectées au remboursement du plan de relance dépassera – je le souhaite – le seul secteur du numérique. C'est ce à quoi doit travailler l'Europe pour être en ligne avec ces négociations internationales.
Je veux dire quelques mots sur la conditionnalité imposée par le plan de relance pour le versement des fonds européens au respect de l'État de droit – et c'est tant mieux –, règle que, avec d'autres, vous avez rappelée, monsieur le président Rapin. Il faut en effet que la Commission accélère dans la finalisation de ses lignes directrices, mais, sans attendre la décision de la Cour de justice de l'Union européenne sur la conformité de ce règlement aux traités européens, celle-ci a commencé à instruire la façon dont seront dépensés les premiers euros du budget européen 2021-2027 et, bientôt, ceux du plan de relance. Il n'y a pas eu de temps perdu dans la procédure.
De même, pour éviter tout risque de confusion, j'indique que, depuis le 1er janvier 2021, l'emploi des fonds issus du nouveau budget européen est soumis à ce mécanisme de vérification du respect de l'État de droit, qui peut donc s'appliquer de manière rétroactive. Par conséquent, l'impunité ne sera pas la règle pendant ces six mois d'instruction administrative et judiciaire.
La question de la covid et les brevets ont été évoqués à plusieurs reprises. Là aussi, soyons concrets et dépassons les polémiques : l'objectif de faire du vaccin un bien public mondial est, me semble-t-il, très largement partagé. En la matière, nous devons faire preuve de fierté en tant qu'Européens et en tant que Français – même si je dissocie le débat partisan français du débat plus large que nous devons avoir sur cette question. En effet, c'est bien l'Europe, notamment grâce à la France, mais pas seulement, qui, par différentes initiatives, a oeuvré pour concrétiser depuis un an cette notion de bien public mondial. Cela nous oblige à court terme – et ce n'est pas de la charité ; c'est de la solidarité – à donner aux pays qui en ont besoin des doses de vaccin.
Il faudra certainement en venir à lever les brevets et développer les capacités de production, j'y reviendrai dans un instant, mais, aujourd'hui – je maintiens ce que j'ai dit à plusieurs reprises –, la solution n'est pas là : si nous voulons cibler notamment les publics prioritaires, par exemple les soignants, tout particulièrement en Afrique, nous n'y parviendrons pas en procédant à des dons de vaccin, même s'il n'y a là rien de honteux, mais en levant les interdictions à l'export. Voilà la première mesure à mettre en place ! Nous espérons bien que les Américains le feront, ainsi que nous le leur demandons.
On a reproché à l'Europe une forme de naïveté lorsqu'elle a décidé, dans le cadre de l'initiative solidarité Covax, d'exporter – majoritairement sous forme de dons – des doses de vaccin. Or elle a ainsi amorcé la pompe de la solidarité internationale.
Première étape, donc : donnons des doses de vaccin et levons les interdictions d'export.
Deuxième étape : recourons à des solutions pragmatiques. Ce point fait l'objet, en ce moment, de discussions entre l'OMC et l'OMS en particulier. Le Président de la République a été très clair à ce sujet lors de son déplacement en Afrique du Sud : nous sommes ouverts à toutes les options – transfert de technologies, augmentation des capacités de production. D'ailleurs, la France et l'Europe soutiennent financièrement des initiatives en Afrique du Sud, au Sénégal, en faveur de cette montée en puissance de la production de vaccins.
Ces solutions très concrètes doivent s'inspirer de celles qui ont été mises en place dans la lutte contre le VIH. Par exemple, le mécanisme des licences obligatoires – qui ne s'apparente pas exactement à une levée des brevets – oblige les laboratoires à donner ou à vendre une licence d'exploitation à tout pays qui en ferait la demande, sans qu'ils puissent y faire obstacle.
Troisième étape, qui prendra plus de temps, il faut le dire : la possible levée des brevets. En l'espèce, je n'emploierai qu'une formule, celle qu'a utilisée le Président de la République : aucun élément ni aucune règle de propriété intellectuelle ne sera un obstacle au développement des vaccins. Comme l'a elle-même déclaré la secrétaire au commerce américaine, la discussion que le Président Biden a voulu engager sur cette levée des brevets prendra au moins six mois. Dans cette attente, on ne peut exclure les autres mesures de solidarité : levée des interdictions d'export, licences obligatoires, le cas échéant, puis, possiblement, si cela est utile, levée des brevets.
Certains pays européens y sont encore hostiles – tel n'est pas le cas de la France. Nous pousserons dans cette direction, tout en lançant d'autres initiatives entre-temps.
Je m'aperçois que je suis déjà trop long. Je vais donc dire brièvement un mot sur la politique agricole commune, évoquée par MM. les sénateurs Menonville et Duplomb, sujet sur lequel le ministre de l'agriculture aura l'occasion de revenir.
D'abord, je ne peux pas laisser dire qu'on a laissé sacrifier le budget de la PAC. Certes, on peut débattre de son montant en euros courants et en euros constants, mais ce que perçoit chaque agriculteur doit être apprécié en euros courants – c'est ce qui se retrouve sur son compte en banque ou dans sa poche. Évidemment, il faut prendre en compte l'inflation et l'évolution du pouvoir d'achat. Le taux d'inflation qu'avait retenu la Commission dans ses hypothèses s'est révélé au final bien supérieur à ce qu'il a été en réalité ; par conséquent, le fameux chiffre de 9 % de baisse du budget de la PAC doit être relativisé. En dépit de quelques « sursauts » de l'inflation, celle-ci est aujourd'hui quasi nulle. Donc, bien malin celui qui peut chiffrer exactement l'évolution du budget de la PAC en tenant compte de l'inflation.
C'est toujours ainsi que nous avons raisonné. Peut-être aurait-il été possible d'aller encore plus loin, mais voyons ce qui a été fait : la Commission européenne avait proposé de réduire le budget de la PAC de 15 milliards d'euros sonnants et trébuchants. Or, en euros courants, nous avons remonté la pente et dépassé, en prenant en compte les fonds du plan de relance relevant du deuxième pilier, en euros courants, son niveau de 2014-2020. Cet effort doit être souligné. C'est non pas à la suite des déclarations de la France que la Commission avait proposé de baisser le budget de la PAC ; au contraire, c'est grâce aux efforts de notre pays qu'elle a pu être préservée, notamment les paiements directs à nos agriculteurs.
Ensuite, même si je ne vais pas revenir en détail sur les flexibilités qui sont offertes, je veux tout de même en dire un mot. Tout n'est pas parfait probablement, et le ministre de l'agriculture y travaille, mais, s'agissant des fameux écorégimes, l'idée est de fixer des règles européennes communes, afin que, in fine, le Parlement européen et Conseil s'entendent sur un seuil probable de 25%. Il est important de souligner leur caractère obligatoire, ce qui est un progrès significatif même si tous les problèmes de concurrence interne ne s'en trouveront pas réglés : ainsi, les règles environnementales applicables en France devront être respectées par tous.
Malheureusement, je ne dispose pas du temps nécessaire pour entrer dans le détail de ces éléments, mais je voulais rappeler ces deux aspects très importants de la nouvelle PAC.
Monsieur le sénateur Fernique, vous avez évoqué un changement de logiciel. Sans entrer dans la polémique, je ne peux pas laisser dire que l'Europe, la France en particulier, est restée à la traîne au sujet de la fiscalité internationale. Les deux piliers OCDE – imposition minimale et taxation des multinationales, notamment du numérique – ont été introduits dans la négociation par la France et l'Allemagne, d'abord, mais aussi par l'Italie et l'Espagne. À cet égard, je vous renvoie aux tribunes publiées par Olaf Scholz et Bruno Le Maire en particulier.
Les Américains, certes à l'époque de l'administration précédente, étaient contre ! C'est toujours celui qui déverrouille la porte qu'il a lui-même verrouillée qui donne l'impression d'ouvrir celle-ci ! Mais enfin, ce n'est tout de même pas nous qui avons posé le verrou au départ ! Au-delà de nos appartenances partisanes, reconnaissons collectivement que ces sujets ont été portés par l'Europe. Or, à l'époque de l'ancienne administration américaine, il était chimérique d'imaginer un consensus international sur un taux de taxation minimum de 12,5 %.
Alors que le taux d'imposition de la France va s'établir à 25%, on comprend bien qu'il n'est pas dans notre intérêt de pousser en faveur d'un taux harmonisé minimum trop bas. Au contraire, il est de notre intérêt à la fois moral et pour des raisons de compétitivité que ce taux soit fixé à un niveau aussi haut que possible.
Il ne doit y avoir aucun doute sur la détermination de la France et de l'Europe en la matière.
Monsieur le sénateur Gattolin, je crois avoir répondu sur la question d'un second plan de relance et sur la question des investissements.
S'agissant du pass sanitaire, évoqué à plusieurs reprises, je veux tordre le cou à une idée : il n'existe pas deux pass. En revanche, le pass français et le pass européen reposent sur des bases juridiques différentes.
Le premier, selon les règles votées au Parlement, est encadré légalement, a une durée de vie limitée, jusqu'au 30 septembre, et est exigible pour certaines activités seulement, tout autre usage étant illégal. C'est clair ! Et il ne pourra être prolongé ou voir son champ étendu sans approbation parlementaire !
La base juridique du second, le pass européen, procède d'un règlement européen d'application directe.
Dans un souci de simplicité, ces deux pass sont dotés d'un même QR code, qu'il soit dématérialisé ou imprimé sur une feuille de papier. Dès le 21 juin, d'ailleurs, le format français, que certains ont déjà dans leur application TousAntiCovid, sera converti en un format européen pour des questions de reconnaissance et d'interopérabilité.
Pour être très précis, madame la sénatrice Lavarde, le pass européen repose sur une base juridique valable jusqu'à l'été 2022. Je partage votre avis : il ne faut pas le tuer par avance, peut-être sera-t-il encore utile pour circuler ou pour harmoniser un certain nombre d'activités à l'échelle de l'Europe indépendamment de nos activités sociales chez nous, voyages ou autres. Sa durée de vie est limitée, parce que le Parlement européen et le Parlement français ont voulu qu'il soit encadré ; si sa durée de validité devait être prolongée, il faudrait alors une autorisation parlementaire.
Madame la sénatrice Harribey, vous avez évoqué l'urgence sociale. Effectivement, les plans nationaux de résilience et de relance excluent toute mesure de ciblage social stricto sensu – ils contiennent des mesures de ciblage environnemental et numérique. Néanmoins, le plan français contient une part sociale très importante. Ainsi, c'est grâce à celui-ci qu'est financé en partie le plan " 1 jeune, 1 solution ".
De même, je ne veux pas qu'on oublie cet outil européen moins connu, mais très important, qu'est le mécanisme SURE, destiné à soutenir financièrement les assurances chômage des pays européens et qui a déjà décaissé plus de 100 milliards d'euros. Dix-neuf pays ont déjà bénéficié de ce complément des plans de relance – peut-être la France y recourra-t-elle à terme.
Je conclurai mon propos en évoquant les questions migratoires, dont différents aspects ont été abordés.
Il ne faut pas qu'il y ait d'ambiguïté : Frontex est une réponse européenne parmi d'autres – même si toutes n'en sont pas au même stade d'avancement – face à la crise migratoire. Je le dis sans scrupule et sans état d'âme : c'est un instrument de protection commune de nos frontières. Les effectifs de cette agence croissent. Certes, elle est confrontée à des difficultés, à des tensions, des remarques ou des critiques sont formulées sur son management, sur l'exécution de son mandat, sur quelques opérations, mais ne confondons pas tout : que le management de Frontex doive être exemplaire, que le Parlement européen en particulier contrôle son conseil administration, où les États membres sont représentés, son action et vérifie que les opérations de police aux frontières sont conformes aux règles internationales et respectent les droits humains, c'est une évidence. Si des manquements étaient constatés, nous les condamnerions.
Partant, il ne faudrait pas que ce débat dérive vers la remise en cause du rôle même de Frontex, à savoir la police aux frontières. Oui, Frontex doit assurer cette fonction de police européenne aux frontières ! Ce n'est pas une association, ce n'est pas une organisation non gouvernementale – lesquelles exercent d'autres missions – : c'est une organisation de police européenne aux frontières, mission nécessaire. Nous vérifions évidemment chaque fois que celle-ci s'exerce dans le respect des règles juridiques et des personnes.
Quant au pacte sur la migration et l'asile, monsieur le sénateur Pellevat, je n'exclus pas l'idée qu'il en soit débattu sous la présidence française. Nous ferons le point à l'issue de la présidence slovène. Néanmoins, et sans qu'il y ait là contradiction, nous devrons trouver pour l'été des solutions qui passeront sans doute par une rediscussion de l'accord de La Valette, conclu avec un certain nombre de pays méditerranéens – pas seulement, puisque l'Allemagne y est associée –, le but étant de venir en aide à des pays de première entrée tels que l'Italie.
Je rappelle que, depuis 2018, la France est le pays qui a accueilli dans ce cadre le plus grand nombre de migrants réfugiés ou pouvant prétendre à un tel statut aux termes des règles de répartition fixées par l'Europe. Pour autant, par le biais de Frontex ou au moyen d'autres dispositifs de contrôle aux frontières, nos partenaires doivent assumer leurs responsabilités et obligations minimales, en particulier l'enregistrement des personnes qui ont été secourues.
La France apportera son concours en matière de solidarité et de responsabilité.
Cet accord de La Valette, auquel seuls quelques pays sont parties prenantes, ne peut être qu'une forme de rustine provisoire, j'en conviens. Mais, je le répète, l'urgence, avant l'été, c'est de le rediscuter avant de reprendre les négociations du pacte sur la migration et l'asile dans son ensemble.
Monsieur le sénateur Pellevat, vous avez également abordé la situation des frontaliers au regard des tests. C'est une question importante sur laquelle il ne doit y avoir aucune ambiguïté : les mesures que l'Allemagne avait mises en oeuvre à l'égard des Mosellans – je cite ce cas, même s'il ne concerne pas le département que vous évoquiez – sont aujourd'hui levées. Dès demain, et c'est une nouveauté, nous allons reconnaître les tests antigéniques pour tous les frontaliers amenés à se déplacer entre nos pays. Pour les déplacements frontaliers du quotidien – travail, courses, rendez-vous médicaux ou familiaux, etc. –, les dérogations existantes demeurent, à savoir l'exception des trente kilomètres et des vingt-quatre heures. Si la situation sanitaire s'améliore encore, nous pourrons – c'est notre souhait – assouplir encore ces dérogations : nous devons faciliter la vie des frontaliers de la Suisse, du Luxembourg et de l'Allemagne en particulier.
S'agissant de la gratuité des tests, que nous pratiquons, il n'existe pas malheureusement de principe général européen en la matière, aucune règle juridique ne permettant de l'imposer aux différents États membres. Lors de la mise en place du certificat sanitaire européen, il a été demandé que ces tests soient d'un « prix abordable » – je reprends les termes utilisés par le Parlement européen. À ce jour, la France compte parmi les deux pays européens où ils sont gratuits. C'est généreux, il faut le reconnaître et le souligner ; c'est aussi une question de sécurité sanitaire, car personne ne doit s'interdire de pratiquer un test pour des raisons financières. Cela irait à l'encontre de notre objectif de protection collective de la société. C'est pour cette raison que nous maintenons ce principe de gratuité.
Madame la sénatrice Lavarde, la situation au Liban n'est pas à l'ordre du jour du Conseil européen, mais elle le sera à celui du conseil Affaires étrangères, auquel participera Jean-Yves Le Drian, le 21 juin. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
source http://www.senat.fr, le 15 juin 2021