Déclaration de M. Alain Griset, ministre chargé des petites et moyennes entreprises, sur l'entreprenariat des femmes dans les territoires ruraux, au Sénat le 25 mars 2021.

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  • Alain Griset - Ministre chargé des petites et moyennes entreprises

Circonstance : Table ronde au Sénat sur l'entreprenariat des femmes dans les territoires ruraux

Texte intégral

M. Alain Griset, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des petites et moyennes entreprises (PME). - Madame la présidente, Madame la vice-présidente, Mesdames et messieurs les sénateurs, Madame la présidente Marie Eloy, Mesdames, tout d'abord, je vous remercie de votre invitation. Je suis heureux d'être physiquement présent parmi vous, tout en respectant les consignes sanitaires aujourd'hui obligatoires. Intervenir devant votre délégation est un moment important. En effet, j'ai abordé la question de l'entreprenariat au féminin à plusieurs reprises depuis le mois de juillet 2020. Au moins quatre réunions ont eu lieu avec Marie Eloy sur ce thème. L'entreprenariat au féminin est un véritable enjeu, qui n'a pas toujours été abordé dans tous ses aspects. Lors de son élection, le Président de la République a très vite considéré que la France devait prendre un engagement à ce sujet. J'essaie donc d'établir un constat de la réalité et de comprendre comment nous pouvons améliorer la situation.

Vous avez souhaité concentrer votre table ronde sur l'entreprenariat au féminin dans le monde rural. Les difficultés y sont sans aucun doute encore plus fortes que dans les villes. Il est important de vous écouter et de trouver des solutions nous permettant d'avancer de façon significative.

Ces difficultés se manifestent dès l'éducation, en particulier au collège et au lycée. L'entreprenariat n'y est pas toujours abordé, encore moins du point de vue des jeunes filles. Ce travail devra sans aucun doute être mené sur le long terme, afin qu'il devienne un sujet d'étude et que la création d'entreprise constitue un véritable débouché pour les jeunes femmes. Utiliser les compétences de ces jeunes femmes pour créer des entreprises est une chance que la France n'a, pour le moment, pas suffisamment saisie.

À une échelle globale et plus particulièrement dans les territoires ruraux, se perpétue une certaine mentalité selon laquelle la création d'entreprise ne constituerait pas une bonne solution, et encore moins pour les jeunes femmes. Contrecarrer cette idée reçue nécessitera un travail de très long terme de notre part.

Nous sommes prêts à travailler sur quelques pistes.

Madame la présidente, vous avez évoqué les CCI. Pendant de nombreuses années, j'ai dirigé les Chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) de France. Au sein de ce réseau, des décisions ont permis aux femmes d'être officiellement représentées parmi les élus, avec un nombre obligatoire d'élues inscrit dans les textes. De la même façon, je ne suis pas opposé à ce que nous forcions le destin lorsque les femmes ne sont pas assez représentées dans les instances dirigeantes. Le progrès réalisé dans les chambres de métiers et de l'artisanat peut ainsi être reproduit dans les chambres de commerce et d'industrie.

En outre, une volonté collective d'information me semble nécessaire. Une information générale sur l'entreprenariat doit être diffusée, quel que soit le niveau du cursus scolaire.

Nous devons également travailler avec les collectivités locales. En effet, depuis la loi pour une nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), les régions et les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) jouent un rôle éminent sur le plan économique. Pourtant, les actions tournées vers l'entreprenariat au féminin sont très rares dans les programmes économiques des régions et des EPCI. Pour ma part, je ne vois que des avantages à mettre ce sujet au coeur des discussions entre l'État et les régions ou au sein des contrats de plan et à en faire une priorité au niveau local.

Le milieu rural connaît quelquefois un chômage plus important que les grandes métropoles. Pour autant, la création d'entreprise n'est pas toujours une piste envisagée, encore moins pour les femmes. Dès lors, nous pourrions trouver collectivement un intérêt à déterminer comment, dans ce domaine, nous pourrions orienter, sensibiliser et accompagner.

J'évoque l'accompagnement car la création d'entreprise demeure un véritable enjeu pour tous. Créer une entreprise relève toujours d'une démarche particulière, associée à un engagement et à une prise de risques. Je suis absolument favorable à la mise en place d'un accompagnement à la création d'entreprise. Tout d'abord, une information préalable doit permettre à chacun de connaître les engagements associés à cette démarche. Ensuite, la mise en place d'un accompagnement me paraît particulièrement justifiée tant on sait combien les trois premières années d'existence d'une entreprise sont importantes et décisives.

En 2009, le régime de l'autoentreprise a été créé. Ce régime a été « vendu » comme un statut alors qu'il n'en est pas un. Je rappelle que ceux ou celles qui créent une autoentreprise sont en réalité sous le statut d'entrepreneur individuel, avec toutes les conséquences qui y sont associées. Par conséquent, disposer d'une information solide en la matière relève de l'intérêt collectif.

Le Président de la République m'a demandé de préparer un plan pour les indépendants. Je suis totalement disposé à étudier de quelle manière nous pouvons intégrer un certain nombre de mesures afin d'améliorer la situation des femmes en particulier.

Dans mes fonctions précédentes, j'ai beaucoup travaillé sur la question des conjoints collaborateurs. Les femmes jouent souvent un rôle tout à fait déterminant dans les entreprises, en les créant elles-mêmes ou en participant à leur création avec leur conjoint. Depuis 1982, dans le secteur de l'artisanat, des mesures concourent à offrir aux femmes une vraie place, reconnue juridiquement et socialement, en particulier s'agissant de leurs droits à la retraite et à la formation.

Des progrès ont été réalisés dans ce domaine. Ainsi, la loi PACTE impose que toutes les femmes qui travaillent en tant que conjoints collaborateurs disposent désormais d'un véritable statut. Néanmoins, des progrès restent à accomplir. Dans le cadre de ce plan qui porte sur les indépendants, je proposerai au Président de la République et au Premier ministre un certain nombre de mesures, afin de régler de façon définitive cette question récurrente des droits à la retraite et à la formation des conjoints collaborateurs. Nous devons en effet trouver des solutions définitives.

Ce sujet ne peut pas être réglé si nous n'en avons pas une bonne connaissance. Je suis tout à fait favorable à la publication de statistiques genrées, régulièrement actualisées, qui permettraient de mesurer les progrès réalisés et d'identifier les points sur lesquels il convient de travailler davantage. Si vous considérez qu'il s'agit d'un élément important, je suis favorable à des outils fléchés pour les femmes, en particulier concernant les financements affectés à la création d'entreprises ou à leur reprise. J'ai déjà évoqué la création d'un fonds dédié à l'entreprenariat au féminin avec la banque publique d'investissement (Bpifrance). Un tel fonds permettrait de remédier aux difficultés de financement rencontrées par les femmes lors de la création d'entreprise. Notons qu'il existe déjà un grand nombre d'initiatives au sein de Bpifrance sur ce sujet.

Madame la présidente, vous avez indiqué que nous devons encore progresser. Nous y parviendrons. Disposer de beaucoup d'argent pour créer une entreprise n'est pas toujours un pré-requis. Néanmoins, il est absolument indispensable qu'un financement soit octroyé lorsque cela est nécessaire.

De nombreux enjeux sont déjà relativement bien identifiés et nombre d'entre eux sont communs à tous les territoires. Votre table ronde se concentre aujourd'hui sur les territoires ruraux. Je me tiens à votre disposition pour envisager, si nécessaire, au-delà de ce que nous souhaitons réaliser sur la totalité du territoire national, une ou des actions spécifiques aux territoires ruraux. Je suis heureux d'être aujourd'hui parmi vous afin de vous écouter et de déterminer comment nous pourrions prendre les mesures qui nous permettront collectivement de progresser sur ce sujet d'une grande importance.

Mme Annick Billon, présidente. - Monsieur le ministre, je vous remercie pour ces pistes de réflexion. Bien entendu, l'accès des femmes à l'entreprenariat et au monde de l'entreprise est parfois plus difficile dans les territoires ruraux. Depuis le début de nos travaux, nous avons relevé un certain nombre de difficultés, notamment concernant la mobilité, qui se révèle essentielle dans l'exercice professionnel.

(...)

Mme Annick Billon, présidente. - Merci, Madame la rapporteure. Si vous le permettez, je vais céder la parole à M. le ministre, qui aura peut-être quelques réponses à apporter à Marie-Pierre Monier et que je remercie d'avoir été parmi nous ce matin.

M. Alain Griset, ministre délégué. - Je vous remercie à nouveau de cette invitation. Il est pour moi fondamental d'être présent dans ces échanges. C'est en écoutant les représentantes des entreprises et les entrepreneures elles-mêmes que nous pouvons trouver des pistes. La volonté du Gouvernement est en tout cas d'essayer de répondre à ces demandes.

Certains éléments concernent le long terme : il s'agit des questions de mentalité et de pratiques, notamment éducatives. Certaines évolutions sont positives. Lorsque l'on examine le tissu entrepreneurial au fil des générations, la volonté des femmes d'entreprendre est plus forte. Nous pouvons sûrement améliorer cette progression. Il n'en demeure pas moins que les évolutions, notamment structurelles, sont nettes. Elles concernent l'école et les mentalités. Les mentalités des nouvelles générations ont évolué, à la fois chez les femmes et les hommes. Ce chemin doit être poursuivi, en montrant la réussite des unes et en combattant les préjugés des autres.

Par ailleurs, je suis à votre disposition pour travailler sur des mesures à plus court terme. Nous voyons bien que certains sujets sont récurrents, notamment la question du financement. J'ai indiqué ma volonté de créer des fonds fléchés, dédiés. J'ai bien entendu Marie Eloy lorsqu'elle affirmait que les femmes devaient faire partie des comités de crédit. Je suis tout à fait disposé à étudier comment nous pouvons trouver des solutions.

Cependant, je ne suis pas certain que la question de l'accompagnement pour les créateurs d'entreprise, qui est un sujet fondamental, concerne seulement les femmes. Ce sujet est transversal. Je pense que l'accompagnement dans la création d'entreprise, voire en amont, est un élément important pour tous les créateurs d'entreprise de notre pays.

Mme Jung observait que certaines personnes au chômage créent leur entreprise par défaut. C'est une bonne chose. Néanmoins, il est fondamental qu'un créateur d'entreprise connaisse bien l'engagement et les risques qu'il prend afin d'éviter les désillusions. Créer son entreprise nécessite une bonne connaissance en gestion des cotisations sociales, des impôts, ainsi que des notions financières en matière de chiffre d'affaires et de construction d'un business plan. Il n'y aurait rien de pire que de maintenir des personnes dans l'illusion que créer une entreprise est une tâche facile. Il est préférable de passer le temps nécessaire à leur transmettre toutes les informations utiles. Nous pouvons progresser rapidement afin de disposer des outils permettant de les accompagner.

S'agissant de la représentation des femmes, je suis tout à fait d'accord pour que nous étudiions ce sujet au niveau des chambres consulaires. Je suis beaucoup plus réservé concernant les organisations professionnelles. En revanche, nous pouvons envisager une « représentation fléchée » pour les femmes dans les grandes organisations interprofessionnelles, telles que le MEDEF, la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) et l'Union des entreprises de proximité (U2P). Concernant les métiers, la situation est plus délicate. Je vais volontairement le démontrer par l'excès : vous n'atteindrez jamais une égalité de représentation dans le secteur de l'esthétique car il existe peu d'hommes esthéticiens. A contrario, il sera difficile d'obtenir une représentation équilibrée dans le bâtiment. Il convient donc de se fixer des objectifs réalistes. S'il est possible d'agir sur l'interprofessionnel, rechercher une égalité de représentation par métier n'est pas un objectif atteignable. Je suis toutefois à votre disposition pour continuer d'échanger sur ce sujet.

Les propositions sur un plan destiné aux indépendants que je remettrais au Président de la République concernera des sujets tels que le statut juridique ou les cotisations. Je n'ai, naturellement, aucune difficulté pour examiner spécifiquement la question des conjoints collaborateurs, qui jouent un rôle tout à fait particulier dans l'entreprise. Les éléments que j'ai évoqués précédemment sur l'accompagnement et le financement font partie des points sur lesquels nous pouvons travailler.

Madame la présidente, Mesdames les sénatrices, Messieurs les sénateurs, je suis à votre disposition. Dites-moi si vous disposez déjà d'éléments que vous souhaitez voir intégrer dans ce plan qui comprendra beaucoup de dispositions réglementaires. Il s'accompagnera également de quelques mesures législatives dans le prochain projet de loi de finances. Peut-être un volet, certes modeste, du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) portera-t-il également sur ces questions.

Je suis naturellement preneur de vos propositions sur des éléments réglementaires. Mme Eloy sait qu'avec mes équipes, nous sommes disponibles et à l'écoute pour déterminer comment nous pouvons franchir un cap supplémentaire. Vous pouvez compter sur le Gouvernement et sur mon ministère pour examiner ces enjeux de façon très positive. Encore une fois, nous devons toutefois définir des objectifs réalistes, concrets, qui nous permettent d'avancer.

Je pense que nous devons mettre en avant un certain nombre d'exemples. Nous travaillons actuellement sur la question de la numérisation et de la digitalisation. Au ministère, nous avons réalisé des films diffusés sur les chaînes de télévision. Je suis absolument convaincu, d'expérience, que les réussites doivent être mises en avant afin de faire tomber les préjugés et les craintes.

Au-delà de personnes emblématiques que l'on peut valoriser, il me semble intéressant de montrer à une jeune fille qu'elle peut être cheffe d'entreprise et que d'autres, avant elle, y sont parvenues, tout en n'occultant pas les difficultés que ces femmes ont dû affronter. Je suis très ouvert à ce que nous réalisions au niveau du ministère des petits films spécifiques à l'entreprenariat au féminin. Une telle démarche ne peut évidemment pas tout résoudre mais pourra, peut-être, apporter une pierre à l'édifice que je souhaite nous voir construire ensemble.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci de votre participation à la table ronde. Nous étions ravis d'échanger avec vous. Vous avez raison : de nombreuses pistes s'offrent à nous pour répondre à cet enjeu de l'entreprenariat au féminin. La réponse ne sera pas nécessairement législative ; elle peut être réglementaire et également relever de bonnes pratiques. En Vendée, les présidentes de la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) et de la CPME sont des femmes. Ces femmes doivent évidemment être mises en avant pour montrer qu'un tel parcours est possible. De même, des prix sont décernés dans certains départements pour mettre en valeur cet entreprenariat féminin, ce qui permet d'offrir à ces femmes une visibilité dont elles ne disposent pas toujours.


source http://www.senat.fr, le 16 août 2021