Interview de Mme Élisabeth Borne, ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, à CNews le 22 juillet 2021, sur le projet de loi relatif à la gestion de la crise sanitaire.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

ELIOT DEVAL
Bonjour Elisabeth BORNE.

ELISABETH BORNE
Bonjour.

ELIOT DEVAL
Vous êtes ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, on va revenir évidemment sur ce projet de loi sanitaire, le projet de loi devait être voté cette nuit à l'Assemblée, finalement c'est reporté, nouvelle journée d'examen, on est certain que le texte sera voté d'ici à la fin de la semaine ?

ELISABETH BORNE
Oui, oui, je pense qu'on prendra le temps qu'il faut, la journée peut être consacrée au débat à l'Assemblée nationale, c'est bien qu'il y ait du débat, c'est un sujet important, mais à la fin, effectivement, le texte sera voté.

ELIOT DEVAL
Et si ça prend trop de temps, imaginons qu'il ne soit pas voté cette semaine, il y a une arme, le 49.3, vous y pensez ?

ELISABETH BORNE
Non, non, je pense que ce n'est pas le sujet, il faut prendre le temps de ces débats, sur des sujets importants, supposer que le texte sera voté à l'Assemblée nationale aujourd'hui, qui pourra poursuivre l'examen au Sénat demain.

ELIOT DEVAL
En mai dernier plusieurs membres du gouvernement expliquaient qu'il n'y aurait jamais de pass sanitaire pour les bars et les restaurants. Pourquoi ? Parce qu'on ne voulait pas créer une France à deux vitesses, c'est ce que vous faites actuellement ?

ELISABETH BORNE
D'abord je rappelle qu'en mai ils étaient fermés les restaurants, donc c'est aussi une autre solution à laquelle on a voulu échapper, de devoir refermer des activités, et puis, par ailleurs, aujourd'hui on peut proposer un vaccin à tous les Français, donc on peut de toute façon continuer à accéder à ces activités avec un pass sanitaire, c'est-à-dire soit un vaccin, mais ça peut aussi être un test, donc on a la possibilité de poursuivre son activité. Et vraiment, le choix qu'on a fait face à une épidémie qui connaît une recrudescence très vive, c'est de se dire qu'on ne voulait pas refaire ce qu'on a fait lors des précédentes vagues, de fermer des activités, tous les Français, les près de 40 millions de Français qui ont déjà reçu une première dose, ne comprendraient pas qu'on reprenne les mêmes mesures, donc on a choisi effectivement cette voie d'accélérer la vaccination, 5 millions de rendez-vous de plus dans les 15 jours, et puis de permettre de continuer à aller au restaurant, au cinéma, dans les musées, avec un pass sanitaire, et je pense que c'est important pour tous ceux qui ont fait la démarche de se faire vacciner.

ELIOT DEVAL
Justement, parlons de ce pass sanitaire pour ces salariés. A compter du 30 août, un barman, un salarié de musée, de cinéma, de TGV, devra présenter un pass sanitaire avant de travailler, est-ce que ce n'est pas une obligation vaccinale déguisée ?

ELISABETH BORNE
En fait, peut-être on a deux situations, une obligation vaccinale pour ceux qui sont en contact avec les personnes les plus vulnérables, et puis, pour certains, ceux qui sont dans les établissements dans lesquels on demande aux clients un pass sanitaire, effectivement ils devront aussi avoir un pass sanitaire valide. Je pense que personne ne comprendrait qu'on crée cette sorte de bulle sanitaire dans ces établissements, où on demande aux clients d'avoir un pass sanitaire, et qu'en même temps les salariés n'aient pas ce pass sanitaire. La logique elle est vraiment de faire preuve de pédagogie et d'accompagner les salariés, c'est bien pour ça qu'on facilite la vaccination, dans le projet de loi qui est en débat à l'Assemblée nationale il y a notamment une autorisation d'absence pour permettre aux salariés de se faire vacciner sur leur temps de travail en gardant leur rémunération. On a aussi prévu un entretien entre l'employeur et le salarié, qui n'a pas pu présenter un pass sanitaire valide, pour voir comment il peut, effectivement, se remettre en conformité avec ses obligations, et puis ensuite il doit produire un pass sanitaire, s'il n'a pas le pass sanitaire, il ne peut pas rester sur son lieu de travail.

ELIOT DEVAL
Justement, si pas de pass sanitaire, ça va jusqu'à une suspension du contrat de travail, voire un licenciement, est-ce que ça ne va pas trop loin finalement ?

ELISABETH BORNE
Peut-être il faut revenir sur ce qu'est le droit commun. Aujourd'hui, quand vous avez une obligation vaccinale, que vous ne la respectez pas, vous êtes dans des sanctions disciplinaires pouvant aller jusqu'au licenciement, le projet de loi prévoit justement de créer une nouvelle procédure pour permettre une suspension du contrat de travail, sans rémunération, pour laisser le temps au salarié de réfléchir à la façon dont il veut s'organiser pour pouvoir avoir son pass sanitaire, ça peut être de faire des tests et ça peut être, évidemment, de se faire vacciner, et on peut avoir cette suspension du contrat de travail pour laisser ce temps au salarié avant d'engager des sanctions disciplinaires.

ELIOT DEVAL
Que répondez-vous à ces Français qu'on a pu entendre ce week-end ou lors des mobilisations, qu'on est on en « dictature sanitaire » ?

ELISABETH BORNE
Enfin, je pense que les mots ont un sens, voyez ! on a une écrasante majorité des Français qui souhaite se faire vacciner, qui souhaite continuer à vivre normalement, on a une partie des Français qui ont encore des craintes, des doutes sur la vaccination, il faut prendre le temps de la pédagogie, et puis vous avez une petite minorité de gens qui sont dans une position idéologique, qui peuvent même arriver à des actes violents, et là, avec ceux-là, le Premier ministre l'a dit très clairement hier, on sera intraitable.

ELIOT DEVAL
On parlait de la situation sanitaire qui est inquiétante, un peu plus de 21.000 cas recensés en une journée, une hausse de 140 %, c'était du jamais vu depuis le début de la pandémie, alors c'est quoi, c'est soit le pass sanitaire, soit un nouveau confinement à la rentrée ?

ELISABETH BORNE
Ah mais je pense que c'est clairement le choix qu'on a devant nous, on ne peut pas laisser le virus se diffuser à la vitesse actuelle. Vouloir continuer à vivre normalement, très clairement on sait très bien que ça se traduira dans quelques semaines par à nouveau une augmentation des hospitalisations, des personnes en réanimation, donc le choix il est simple, c'est soit reprendre des mesures sanitaires, des restrictions sanitaires, très fortes, comme on l'a connu ces derniers mois, soit s'appuyer massivement sur la vaccination et permettre à ceux qui peuvent produire un pass sanitaire de continuer à vivre normalement, c'est clairement la deuxième voie qu'on choisit, et moi je le redis, il y a beaucoup de Français désormais qui ont eu une première dose, on va accélérer la vaccination pour que encore plus de Français aient pu se faire vacciner, et on veut, pour ces Français qui se font vacciner, ou qui sont prêts à produire un test PCR ou antigénique, leur permettre de continuer à vivre normalement.

ELIOT DEVAL
Je veux qu'on revienne une dernière fois sur ce pass sanitaire et notamment ce pass sanitaire obligatoire valide pour les salariés. Ils ont, ces salariés, je prends un cas pratique, un barman, il a jusqu'au 30 août pour avoir son pass sanitaire valide, de fait, de se faire vacciner, il doit être vacciné avant le 30 août, or un soignant c'est le 15 septembre, cette obligation vaccinale, un soignant a beaucoup plus de facilité de se faire vacciner, pourquoi ?

ELISABETH BORNE
Alors, un soignant, au 15 septembre, il devra impérativement avoir reçu sa deuxième dose, ou sa dose unique, entre temps il devra faire des tests pour montrer qu'effectivement il n'a pas le virus, pour les salariés, ils ont donc jusqu'au 30 septembre, ce n'est qu'au-delà du 30 septembre qu'on leur demandera d'avoir un pass sanitaire, ça sera toujours possible d'avoir fait des tests…

ELIOT DEVAL
30 août ou 30 septembre, pardon ?

ELISABETH BORNE
Pardon, du 30 août, du 30 août ; ça sera toujours possible de faire un test bien de se faire vacciner, et puis, évidemment, on regardera, on fera preuve de souplesse aussi pour les salariés qui sont engagés dans un parcours vaccinal.

ELIOT DEVAL
Madame la ministre, c'était un lapsus le 30 septembre, ou c'est une information que vous donnez aujourd'hui ?

ELISABETH BORNE
Non, non, non, c'est le 30 août.

ELIOT DEVAL
C'est le 30 août.

ELISABETH BORNE
C'est le 30 août, mais je vous dis, on est pragmatique aussi, l'objectif c'est vraiment que les activités puissent se poursuivre le plus normalement possible, dans les restaurants, dans les théâtres, dans les musées, et ça suppose que les clients, les usagers, aient un pass sanitaire, on laisse du temps aux salariés pour pouvoir aussi produire ce pass sanitaire, mais après le 30 août il faudra qu'ils aient ce pass sanitaire.

ELIOT DEVAL
Parce que, honnêtement, c'est injouable de se faire dépister tous les jours pour aller travailler.

ELISABETH BORNE
Non, mais c'est clair que c'est très contraignant, la bonne solution c'est de se faire vacciner, et on a du temps pour de la pédagogie, enfin c'est en tout cas le temps qu'on veut prendre pour, avec la possibilité non pas de rentrer dans des sanctions disciplinaires, mais de permettre effectivement une suspension du contrat de travail, donc sans rupture du contrat de travail, pour que les salariés choisissent la bonne voie pour pouvoir produire ce pass sanitaire.

ELIOT DEVAL
Autre réforme et autre projet, qui risque de mettre énormément de monde dans la rue, c'est la réforme des retraites, elle est mise en suspens à cause de la crise sanitaire, la dernière allocution du président de la République, Emmanuel MACRON expliquait que tant que la situation épidémique n'était pas sous contrôle on ne reviendrait pas sur ce projet, il faut comprendre qu'avant l'élection présidentielle il n'y aura pas de réforme des retraites ?

ELISABETH BORNE
Vous savez, les problèmes de notre système de retraite qui existaient avant la crise sanitaire ils sont toujours là, le fait qu'on a un système qui est assez illisible, avec 42 régimes de retraite, ce qui est de moins en moins adapté à des parcours professionnels où une exerce de plus en plus plusieurs métiers au long de sa vie, et puis en plus on a des injustices, puisqu'évidemment les règles ne sont pas les mêmes, le fait qu'on pénalise beaucoup tous ceux qui ont des carrières hachées, ceux qui sont dans un temps partiel, qui est souvent subi, et c'est beaucoup des femmes, et puis, aussi, on a la question de l'équilibre de notre système de retraite qui n'est pas assuré aujourd'hui, donc c'est la question de la pérennité de notre protection sociale qui est posée. Le président de la République a souhaité qu'on puisse reprendre des concertations à la rentrée, et donc on va préparer ces concertations, et puis on verra en fonction de l'évolution de la situation épidémique comment on pourra avancer sur ce sujet précis.

ELIOT DEVAL
Préparer pour le prochain quinquennat.

ELISABETH BORNE
On verra, je vous dis, en fonction de la situation sanitaire. Je pense que c'est très important qu'on puisse parler de tous ces sujets, voyez, par exemple, le président de la République l'a dit, il faudra travailler plus longtemps, il faut aussi s'occuper du maintien dans l'emploi des seniors, on a beaucoup de personnes en fin de carrière pour lesquelles, soit on dit « ses compétences ne sont plus adaptées », donc on propose un départ volontaire, une rupture de contrat, on a aussi des gens qui ont des métiers pénibles, sur lesquels il faut aussi s'occuper de la façon dont ils peuvent éventuellement changer de métier au cours de leur vie, eh bien c'est tous ces sujets dont on veut parler, avec les organisations patronales et syndicales, à la rentrée.

ELIOT DEVAL
Autre annonce, le revenu d'engagement pour les jeunes. Vous lancez ce matin un comité, en quoi consiste-t-il ?

ELISABETH BORNE
Alors, peut-être revenir sur le revenu d'engagement qui a été annoncé par le président de la République. Le président de la République l'a redit, la jeunesse doit plus que jamais être notre priorité, on leur a demandé beaucoup de sacrifices, il faut absolument qu'on leur donne le meilleur accompagnement pour trouver un emploi, une formation, un apprentissage, ou pour ceux qui sont plus éloignés de l'emploi, qu'on les aide à aller vers l'emploi, c'est tout le sens du plan « 1 Jeune, 1 Solution » qu'on a lancé il y a maintenant un an, justement pour permettre à chaque jeune de trouver une solution, et voyez, en un an c'est plus de 2 millions de jeunes qui ont pu trouver leur solution grâce à ce plan. On veut amplifier, accélérer encore, en faveur de la jeunesse, c'est le sens du revenu d'engagement, sur lequel moi je travaille depuis plusieurs mois avec les associations de jeunesse, avec les associations qui accompagnent les jeunes en difficulté, avec les associations de collectivités locales, bien sûr avec les missions locales, qui sont au coeur de ce dispositif, le principe, il est simple, c'est que chaque jeune, qui n'est ni en emploi, ni en formation, ou qui est dans des jobs précaires, doit pouvoir bénéficier d'un accompagnement, quand il s'engage à suivre cet accompagnement, alors il a une allocation, jusqu'à 500 euros par mois. Donc, on va discuter avec tous ces partenaires, avec lesquels on travaille depuis plusieurs mois, de la finalisation du dispositif que le président de la République veut lancer à la rentrée.

ELIOT DEVAL
Parlons de l'emploi justement, cette crise sanitaire aux conséquences économiques dramatiques. Est-ce que cette quatrième vague épidémique elle peut mettre à mal, bousculer vos prévisions pour le nouveau trimestre ?

ELISABETH BORNE
Alors, tout l'enjeu, et c'est bien aussi le sens du pass sanitaire, c'est de permettre à l'activité économique de se poursuivre, de ne pas devoir reprendre des restrictions, qui pénaliseraient l'activité économique, et bien sûr l'emploi. Aujourd'hui on a une reprise qui est extrêmement dynamique, on bat tous les records sur les embauches, on a eu des chiffres du mois de juin, on bat les records depuis 15 ans, on a eu plus de 400.000 embauches en CDI au mois de juin, c'est là encore un chiffre historique, et on veut tout faire pour ne pas casser cette reprise économique, cette bonne dynamique des embauches…

ELIOT DEVAL
Taux de chômage qui reste stable…

ELISABETH BORNE
Alors, le taux de chômage qui a baissé… vous savez, je pense qu'il faut quand même avoir en tête que les mesures d'urgence, le plan de relance, a permis de contenir la hausse du chômage à moins de 6 %, je voudrais que chacun se rappelle que, après la crise de 2008-2009 c'était +25 % en un an, donc ces mesures elles sont efficaces et on est vraiment déterminé à tout faire pour que notre activité économique soit la plus dynamique possible, pour qu'on ait un maximum d'embauches, et c'est bien le sens des mesures qu'on prend pour éviter de devoir à nouveau arrêter certains secteurs de notre économie, avec le pass sanitaire.

ELIOT DEVAL
On recense presqu'1 million d'offres d'emploi sur Pôle emploi, comment expliquer qu'elles ne soient pas pourvues ?

ELISABETH BORNE
Alors, je peux vous assurer que c'est un sujet qui me tient à coeur. Il y a effectivement, avec cette très forte reprise des embauches, beaucoup de secteurs qui sont en tension, qui ont du mal à recruter, on ne reste pas les bras croisés depuis ces derniers mois, moi j'ai demandé à Pôle emploi de regarder parmi les demandeurs d'emploi ceux qui peuvent travailler dans ces secteurs qui cherchent à recruter, que ce soit l'hôtellerie, les cafés-restaurants, que ce soit le bâtiment, que ce soit les métiers du soin, l'industrie, de proposer des formations à ces demandeurs d'emploi, de permettre aussi aux entreprises de venir présenter les emplois, et on est vraiment déterminé à permettre à ces entreprises de trouver les personnes dont elles ont besoin, qu'on ne soit pas freiné dans notre reprise économique parce qu'on ne trouve pas les compétences dont on a besoin.

ELIOT DEVAL
Une dernière question Madame la Ministre. Depuis 2017 vous avez été ministre chargée des Transports, vous avez ensuite été ministre de la Transition écologique, ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Insertion, Matignon ce n'est peut-être pas demain, mais peut-être en mai 2022 ?

ELISABETH BORNE
Ecoutez, ce n'est pas du tout les questions que je me pose, là j'ai une feuille de route qui est quand même bien nourrie, avec la réforme de l'assurance chômage, avec la gestion de la crise sanitaire, avec le revenu d'engagement pour les jeunes, je peux vous assurer qu'on a beaucoup de travail, que c'est des enjeux qui sont essentiels pour les Français et que ça me mobilise à 100 %.

ELIOT DEVAL
Vous n'y pensez jamais ?

ELISABETH BORNE
Je pense à tous ces sujets dont je viens de vous parler et je peux vous assurer que ça m'occupe bien.

ELIOT DEVAL
Merci beaucoup Elisabeth BORNE.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 26 juillet 2021