Interview de Mme Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement, à RCF le 11 octobre 2021, sur l'aide à la rénovation des logements, les expériences d'encadrement de loyers et son engagement en politique.

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Média : RCF Radios Chrétiennes Francophones

Texte intégral

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Emmanuelle WARGON est notre "Grand invité", ministre déléguée chargée du Logement, bonjour Emmanuelle WARGON.

EMMANUELLE WARGON
Bonjour.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Merci d'être avec nous sur RCF ce matin. Vous publiez "Bienvenue en politique, à ceux qui sont tentés de renoncer", c'est chez Calmann-Lévy, on va y revenir dans les prochaines minutes, avant cela est-ce que, Emmanuelle WARGON, on n'a pas une double épée de Damoclès au-dessus de la tête entre d'un côté pénurie de logements et puis un secteur de la construction qui souffre lui-même d'une pénurie de matériaux pour pouvoir avancer ?

EMMANUELLE WARGON
Ce qui est sûr c'est qu'on a besoin de plus de logements en France, plus de logements neufs et plus de logements remis sur le marché après rénovation parce qu'on a encore beaucoup de mal logés, on a 2 millions de personnes qui attendent un logement social, et donc moi mon combat c'est de faire en sorte que ces logements puissent être créés, puissent être construits, ça ne dépend pas que de l'État, ça dépend aussi beaucoup de maires, puisque ce sont eux qui signent les permis de construire. Sur la partie matériaux, on est tributaire des grands équilibres mondiaux, c'est vrai en particulier pour l'acier, c'est vrai aussi pour le bois, on surveille ça de très près avec le ministère des Finances avec l'espoir que ça s'arrange en début d'année, pour l'instant c'est, dans le bâtiment, autant des hausses des prix que des vraies pénuries des matériaux, mais c'est vrai que, du coup, ça tend un peu le marché de la construction.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Le coût de l'énergie il va avoir forcément un impact lui aussi sur le logement des Français, ça ne va pas être aussi l'occasion pour certains de se dire, s'ils le peuvent bien évidemment, qu'ils vont rénover leur maison pour tenter de maîtriser ces augmentations du coût de l'électricité ou du gaz, comment est-ce qu'on peut accompagner les Français face à ces travaux de rénovation, d'isolation, dont on sait qu'ils sont toujours coûteux ?

EMMANUELLE WARGON
Alors on a bien anticipé ce sujet en lançant une aide qui s'appelle MaPrimeRénov' l'année dernière, cette aide a trouvé son public, on espérait 400 000 primes demandées cette année, on va être à 800 000, donc deux fois notre objectif initial, ce sont des aides, enfin c'est une aide plus précisément, très concrète, qui se demande en ligne, qui peut aller jusqu'à 20 000 euros pour faire des travaux de rénovation énergétique chez soi, globalement isolation ou chauffage, principalement, et ça marche très bien. C'est vrai que la meilleure énergie c'est celle qu'on ne consomme pas, parce que les prix de l'énergie de toute façon augmentent, malgré les mesures du gouvernement, et vous savez qu'on a mis en place un bouclier sur les prix, mais sur longue période ça va être la tendance, et donc l'objectif c'est vraiment de rénover, parce que quand on rénove on baisse la consommation énergétique très significativement de 10, 15%, jusqu'à 60, 70%, et là, dans ce cas-là, c'est bon pour la planète, c'est bon pour le confort, parce que quand on rénove on est mieux chez soi, et c'est bon pour le pouvoir d'achat.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Beaucoup de Français sont aussi inquiets parce que quand on doit attaquer ce genre de rénovation il y a beaucoup d'arnaques qui sont présentes, on est beaucoup sollicité par moments en disant "oui, vous avez droit à des aides du gouvernement", comment est-ce qu'on arrive, Emmanuelle WARGON, à retrouver le vrai du faux ?

EMMANUELLE WARGON
Alors, on a beaucoup lutté contre ça, et d'ailleurs il y en a quand même moins des arnaques, il y a eu toute une période des aides à 1 euro, et dans les aides à 1 euro il y avait du bon et du moins bon, on va dire ça comme ça, ces aides sont finies maintenant. Je travaille avec la Répression des fraudes, avec le ministère, pour contrôler les opérations, mais la nouveauté de la loi climat-énergie, enfin la loi climat résilience, pardon, qui vient d'être adoptée cette année, c'est qu'au 1er janvier prochain, 1er janvier 2022, on va créer ce qu'on appelle "Mon Accompagnateur Rénov", c'est-à-dire un service public de professionnels qu'on va pouvoir consulter, qui vont pouvoir venir chez soi, chez vous, parce que c'est difficile de dire s'il faut isoler ou pas la maison tant qu'on n'est pas allé voir, et qui pourront donner des conseils qui seront neutres, parce que c'est ça l'important, eux seront un service public et donc ils n'auront pas vocation à privilégier une offre plutôt qu'une autre.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Parmi les débats qui sont en train aussi de monter on a celui autour de l'encadrement des loyers, les villes de Bordeaux, Montpellier, Lyon, vont bientôt franchir le pas, quel regard vous, vous portez, Emmanuelle WARGON, sur cet encadrement des loyers, est-ce que c'est la bonne réponse face à une flambée des prix parfois généralisée ?

EMMANUELLE WARGON
Alors moi j'y suis favorable et donc j'ai accompagné cette demande de Bordeaux, de Montpellier, de Lyon, d'entrer dans l'encadrement des loyers, et en même temps je pense que ce n'est pas la panacée, c'est-à-dire, si on ne fait que de l'encadrement des loyers on ne résoudra pas le problème qui est un déséquilibre entre l'offre et la demande, le fait qu'il n'y a pas assez d'offre et que du coup ça fait monter les prix, donc il faut travailler sur d'autres composantes du marché que l'encadrement des loyers, par exemple le prix des terrains, qui ne fait qu'augmenter. Mais en attendant qu'on arrive à développer l'offre et qu'on relance cette construction, comme je m'emploie à le faire avec beaucoup de mesures, y compris des mesures pour les maires, c'est utile cet encadrement des loyers parce que ça permet d'éviter un emballement des marchés.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Et qu'est-ce qu'on peut faire, je lisais encore un article ce week-end sur certaines régions françaises, le Covid-19 a poussé les Français, et c'est bien, à prendre le large, à aller autant que possible vers la campagne, mais dans certains coins de France, je pense là spontanément à Belle-Ile, de plus en plus d'habitants, de gens qui travaillent sur place, n'ont plus les moyens de se loger face à l'affluence des résidences secondaires qui occupent de plus en plus le parc immobilier, comment est-ce qu'on peut faire pour arriver à concilier sur le territoire français logement pour ceux qui travaillent sur place et logement pour ceux qui viennent pour le loisir ?

EMMANUELLE WARGON
C'est pour ça que le logement social c'est important, le logement social c'est pour les classes moyennes, notre objectif est d'en faire sortir de terre 250 000 en deux ans, on a aussi du logement conventionné dans le parc privé, on a un outil très intéressant qui s'appelle "le bail réel solidaire", qui permet d'acheter sans payer le terrain, en achetant juste la construction, qui sert typiquement aux travailleurs, j'en ai visité un programme comme ça dans le Pays Basque, qui est également soumis à ce genre de tensions, donc c'est tout le panel des outils de la politique du logement. Après, ce dont vous parlez, c'est cristallisé sur peu de territoires, c'est vrai en Bretagne, c'est vrai dans le Pays Basque, mais c'est vrai que là où ça se produit les tensions sont potentiellement fortes et il faut agir.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Emmanuelle WARGON vous publiez, je le disais tout et l'heure, un livre qui s'intitule "Bienvenue en politique, à ceux qui sont tentés de renoncer" chez Calmann-Lévy, à quel moment vous vous êtes dit que vous alliez coucher sur le papier vos impressions sur ce temps très particulier quand on devient ministre ?

EMMANUELLE WARGON
En fait je suis rentrée en politique vraiment au galop, d'une certaine manière, puisque je suis rentrée au gouvernement en octobre 2018 et qu'en novembre 2018 démarrait le mouvement des Gilets jaunes, j'étais en charge, beaucoup, du dialogue avec les Gilets jaunes, puis du Grand débat, et donc ça a été une expérience assez extraordinaire, et à ce moment-là j'avais pris pas mal de notes, mais pour moi, pour essayer de réfléchir à ce que ça voulait dire et comment je le percevais, et avec un peu de recul, avec la crise sanitaire, j'ai eu envie d'apporter ce témoignage. En fait ce témoignage c'est deux choses, le témoignage de quelqu'un qui est passé de l'autre côté, passé du technique au politique, qu'est-ce que ça veut dire, et avec un appel à l'engagement, parce que je crois que l'engagement c'est important, et puis, voilà, quelques idées pour la suite autour de l'aménagement du territoire et de la solidarité. Et avant la campagne présidentielle, ou au moment où elle n'a pas encore complètement démarré, même si on est au début, je trouvais utile de rappeler que l'engagement politique c'est une belle chose, utile pour ceux qui en font, et utile pour ceux qui ont peur de ne plus y croire, ou qui n'y croient déjà plus, parce que la politique ça permet de changer les choses. Là on parlait de MaPrimeRénov', c'est extrêmement concret, on parlait de mettre plus de logements sur le marché, c'est extrêmement concret, la volonté politique c'est ce qui permet de faire avancer les choses et d'améliorer la vie des Français, alors c'est long, c'est difficile, ce n'est pas une ligne droite, mais si on désespère de la politique, c'est quoi la contrario, qu'est-ce qui reste, la dictature, les régimes autoritaires, et donc à un moment il faut rappeler que c'est aussi un engagement personnel de gens qui y croient et qui se battent, et après trois ans j'ai eu envie de pousser ce cri d'une certaine manière.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Dans la première partie de livre on vous suit, notamment avec les Gilets jeunes, je rappelle que vous avez d'ailleurs fait partie des gens qui ont suivi le Grand débat national que vous avez organisé…

EMMANUELLE WARGON
Je l'ai même animé.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Voilà, et animé, lors de ce mouvement des Gilets jaunes. Comment ce mouvement, Emmanuelle WARGON, a peut-être modifié votre façon de voir les choses et votre ministère ?

EMMANUELLE WARGON
En fait le mouvement des Gilets jaunes ce n'était pas un mouvement social traditionnel, puisque dans les Gilets jaunes se retrouvaient des gens avec des profils sociaux très différents, des classes sociales différentes, c'était un mouvement plutôt territorial finalement, qui disait on veut pouvoir bien vivre partout en France et ce qui est important c'est ce qui nous reste à la fin du mois, le reste à vivre, ce qui est une notion un peu différente du pouvoir d'achat, et ça m'anime depuis, bien vivre partout en France. J'ai lancé une grande démarche de vision et de prospective qui s'appelle "Habiter la France de demain", pour essayer de répondre à cette question, comment est-ce qu'on peut vivre bien, tout en répondant aux enjeux de société qui sont les nôtres, à commencer par les enjeux écologiques, comment est-ce qu'on peut vivre bien dans les métropoles, en banlieue, dans les villes moyennes, dans la ruralité, comment dépasser les contradictions et comment proposer un projet pour la France ? Et je crois que c'est ce que nous ont dit les Gilets jaunes, arrêtez de poser des contraintes, arrêtez de nous faire la morale et aidez-nous, travaillons ensemble à un nouveau projet. Le deuxième sujet, je pense que c'est important, c'est la démocratie participative, je vais porter ça avec Territoires de progrès, qui est le mouvement de centre-gauche dans la majorité présidentielle que je co-anime avec Olivier DUSSOPT, c'est important de tirer cette leçon qui est entre deux grandes élections nationales, entre deux grandes échéances de la présidentielle et des législatives, il faut trouver une manière d'associer mieux les Français au débat politique, c'est ce qu'on a tenté de faire avec la Convention citoyenne pour le climat, qui finalement est une expérience positive, après beaucoup d'aléas, et je propose par exemple qu'une fois par un il y ait une niche parlementaire, donc du temps à l'Assemblée et au Sénat, issue d'une proposition citoyenne et pas seulement des groupes parlementaires, donc là c'est très concret.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
D'ailleurs, quand vous parliez tout à l'heure de reste à vivre, c'est amusant, parce que vous racontez que lors d'une rencontre un soir vous tombez sur un père de famille qui vous explique qu'il a du mal à s'en sortir, qu'il gagne 3000 euros, et sur le coup vous vous dites… la réaction, "on a du mal à imaginer que…"

EMMANUELLE WARGON
Je dis ça interroge, parce que vous savez que c'est difficile de s'en sortir pour quelqu'un qui gagne le SMIC, en particulier pour les familles monoparentales, et il y en a beaucoup, ces femmes qui élèvent seules leurs enfants c'était aussi l'un des sujets politiques qui est sorti du Grand débat, donc vous savez que c'est difficile pour ces familles-là, quelqu'un qui vous dit je gagne 3000 euros et je ne m'en sors pas, ce n'est pas légitime de le questionner, c'est-à-dire que si cette personne vous le dit c'est que c'est vrai, c'est que c'est ça qu'il ressent, en l'occurrence c'était un homme, simplement la réponse de politique publique ça ne peut pas être je vais augmenter les aides parce que là on est au-dessus du salaire médian. Donc, ça veut dire quoi pas s'en sortir ? Je trouve que c'est ça en fait qui est intéressant dans la réflexion.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Au final, quand vous reprenez un petit peu tout ce que vous avez couché sur le papier, ces rencontres, ces réflexions que vous avez pu avoir, quel bilan vous tirez de votre participation au gouvernement et comment est-ce que vous vous projetez sur la suite, comment est-ce que vous aimeriez influencer la suite s'il y avait une suite ?

EMMANUELLE WARGON
Pour la participation au gouvernement, moi, ce qui m'anime, c'est la possibilité réelle d'améliorer les choses, c'est ce que j'ai tenté de faire à l'écologie, par exemple avec l'accompagnement de la fermeture des centrales électriques à charbon, parce qu'on sait qu'il faut les fermer ces centrales, mais quand vous allez dire aux salariés il va falloir fermer ce site industriel, évidemment c'est difficile, aussi avec des contrats de transition écologique territoriaux, où là c'était vraiment de belles histoires dans lesquelles vous travaillez avec des élus locaux en grande proximité pour savoir comment est-ce que l'écologie peut les aider à développer leur territoire, et maintenant au logement, à la fois sur la rénovation énergétique, sur le développement de l'offre de logements et aussi sur l'hébergement d'urgence, donc moi j'en tire une grande motivation pour essayer de répondre aux enjeux du pays, et après je pense que ces enjeux ils sont très autour des questions de solidarité et d'aménagement du territoire, et donc je souhaite pouvoir contribuer à la plateforme présidentielle, quand ce sera le moment, pour que ces sujets soient bien portés, par le président de la République, par le gouvernement, pour la suite.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Dans les 40 secondes qu'il nous reste pour terminer Emmanuelle WARGON, la jeunesse, c'est vraiment la prochaine priorité qu'il faut ne pas lâcher ?

EMMANUELLE WARGON
Oui, parce qu'on fait tout ça pour la jeunesse et la jeunesse a du mal à se projeter dans la vie de demain et d'après-demain, son insertion professionnelle, sa place dans la société, le monde qu'on lui laisse, je crois que quand on fait de la politique on la fait forcément à la fois pour les Français d'aujourd'hui et puis pour les générations futures.

JEAN-BAPTISTE COCAGNE
Emmanuelle WARGON, ministre déléguée chargée du Logement, vous publiez "Bienvenue en politique, à ceux qui sont tentés de renoncer", c'est aux éditions Calmann-Lévy, merci d'avoir été avec nous au micro de "La matinale" RCF ce matin.

EMMANUELLE WARGON
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 octobre 2021