Interview de Mme Sophie Cluzel, secrétaire d'État chargée des personnes handicapées, à RFI le 15 novembre 2021, sur l'emploi des personnes handicapées.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Sophie Cluzel - Secrétaire d'État chargée des personnes handicapées

Circonstance : 25ème édition de la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées (SEEPH) du 15 au 21 novembre 2021

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

ARNAUD PONTUS
Bonjour Sophie CLUZEL.

SOPHIE CLUZEL
Bonjour.

ARNAUD PONTUS
Merci d'être avec nous ce matin. C'est la Semaine européenne pour l'emploi des personnes handicapées, qui s'ouvre ce lundi. Aujourd'hui, en France, le taux de chômage des handicapés, est deux fois plus élevé que celui de la population générale. Qu'est-ce que cette semaine va ou peut y changer ?

SOPHIE CLUZEL
Alors, c'est une semaine importante, c'est la 25ème, donc c'est un rendez-vous important pour les employeurs, privés, publics, pour les personnes en situation de handicap, et pour tous les partenaires qui gravitent autour de l'emploi de personnes handicapées. Depuis 4 ans et demi, je m'efforce de remettre dans le droit commun cette politique de travail et de l'emploi des personnes handicapées, de ne plus en faire une politique de spécialistes. Donc, ce que l'on veut, c'est que tout simplement on simplifie "la porte" des employeurs, les employeurs doivent aller là où ils vont chercher une personne qui n'est pas handicapée, c'est-à-dire Pôle emploi, service public de l'emploi, l'APEC. Et puis derrière on pousse une porte, et puis on a une gradation de propositions, de solutions, et pareil pour les personnes handicapées, une seule porte. Pendant trop longtemps on en a fait une politique à part. Donc, cette semaine, elle est très importante pour mettre justement à connaissance tous les dispositifs de droit commun qui existent. Une très grosse mobilisation des employeurs. Oui, bien sûr, le taux de chômage est encore important, mais il baisse. Il baisse depuis trois ans, régulièrement, - 2,2% entre deux trimestres cette année. Le taux de chômage est encore important, mais c'est surtout mon problème majeur, c'est la qualification des personnes handicapées qui sont au chômage…

ARNAUD PONTUS
Donc c'est l'avant, c'est toute la formation, c'est tout l'apprentissage. Mais comment convaincre les employeurs qu'une personne handicapée peut être un atout et pas un poids pour leurs entreprises ?

SOPHIE CLUZEL
Alors, beaucoup de préjugés d'abord. On a une représentation du handicap qui est encore majoritairement sur fauteuil roulant et canne blanche. Non. Nous avons…

ARNAUD PONTUS
Et ça c'est une minorité et personnes handicapées en France.

SOPHIE CLUZEL
Exactement. Enfin, c'est une partie importante, certes, mais…

ARNAUD PONTUS
Bien sûr.

SOPHIE CLUZEL
Mais une minorité.

ARNAUD PONTUS
Qui ont des difficultés peut-être plus grandes encore que d'autres.

SOPHIE CLUZEL
Oui et non. Ça sera des difficultés d'adaptation physique, mais pour autant elles seront aussi performantes que les autres. Mais je voudrais rappeler quand même qu'il y a 12 millions de personnes en situation de handicap, avec 80% des handicaps qui sont invisibles. Alors, qu'est-ce que c'est ces handicaps invisibles ? C'est par exemple une déficience intellectuelle, un handicap psychique, des troubles de fonctions cognitives, mais ça peut être aussi des maladies invalidantes chroniques, qui sont invisibles. Donc une variété très importante. Non, ce qu'il faut c'est faire tomber les préjugés, c'est pour ça que cette semaine est si importante. Libérer la parole, oser dire que l'on est en situation de handicap aussi, parce qu'il y a une censure des personnes handicapées à l'annoncer. Pourquoi, parce que bien souvent on a une peur tout simplement, on n'ose pas encore avouer son handicap. Mais on est en 2021. Donc moi je dis : nul n'est inemployable quand il est bien accompagné. Il faut faire cette rencontre si importante entre l'employeur et la personne handicapée, ouvrir les portes de l'entreprise pour permettre cet entretien de recrutement où la personne handicapée va pouvoir exprimer ses compétences, et puis accompagner si besoin.

ARNAUD PONTUS
Alors, au cœur de cette semaine il y a ce qu'on appelle le DuoDay, c'est jeudi, c'est-à-dire des personnes handicapées accueillies dans les entreprises, enfin qui forment un duo avec un employé de l'entreprise. Combien de duos seront formés cette année en France ?

SOPHIE CLUZEL
Alors, nous avons plus de 25 000 offres de duos. Pareil du côté des personnes qui veulent faire ce duo. Aujourd'hui on est à peu près à 15 000 duos qui ont été formés, on a encore 3 jours pour pouvoir justement matcher tous ces duos. Peut-être dire que l'année dernière nous avons eu près de 12 000 duos, et nous avons 10% de duos qui ont abouti sur une insertion professionnelle. Ça c'est nouveau.

ARNAUD PONTUS
C'est-à-dire que cette journée qui ressemble un petit peu à un stage d'observation, parfois, de ce qu'est…

SOPHIE CLUZEL
De rencontres.

ARNAUD PONTUS
De rencontres, de la vie en entreprise et de la vie avec un employé et un employeur, peut déboucher sur un authentique emploi derrière.

SOPHIE CLUZEL
Eh oui. Parce qu'en fait les employeurs me disent toujours : ils sont extrêmement démunis. Ils ne sont pas malveillants, ils sont démunis les employeurs. Et cette rencontre possible a débouché pour 10% l'année dernière sur un emploi, sur un stage, sur une insertion professionnelle. Donc cette rencontre elle est aussi extrêmement bénéfique, pour du sourcing, mais ce n'était pas l'objet premier. Donc ce qui est très intéressant, c'est que cette 4e édition du DuoDay, elle va aussi nous apprendre beaucoup de choses.

ARNAUD PONTUS
Mais, Madame la Ministre, est-ce que les ministères jouent le jeu ?

SOPHIE CLUZEL
Bien sûr.

ARNAUD PONTUS
Est-ce qu'il y a des DuoDay dans les ministères ?

SOPHIE CLUZEL
Bien sûr, le président de la République fait son duo, 4e fois, le Premier ministre, l'ensemble des ministères, et employeurs privés et publics, les administrations aussi, parce qu'il y a aussi une appétence, Fonction publique, Fonction privée, entreprises privées. On voit bien que ce duo va nous permettre aussi de libérer la parole. Je le redis, parce que c'est très important. Nous avons eu un sondage récemment, seuls 35% des jeunes font part de leur handicap lors de l'entretien, et pourtant…

ARNAUD PONTUS
Oui, on le cache.

SOPHIE CLUZEL
On le cache encore, et pourtant 60% d'entre eux, quand on les interroge une fois qu'ils sont en entreprise, disent : eh bien j'aurais dû en parler, parce que j'ai besoin d'adaptation, j'ai besoin qu'on s'occupe vraiment de l'adaptation de mon poste, qui est peut-être aussi tout simplement l'adaptation de mon temps de travail. Donc il faut qu'on libère cette parole.

ARNAUD PONTUS
Et selon la même enquête, vous avez aussi 63% des jeunes qui disent avoir été discriminés au long de leur scolarité.

SOPHIE CLUZEL
Alors oui, le handicap est encore une des premières causes de discrimination à l'embauche. C'est pour ça que cette semaine est si importante, c'est pour ça que le DuoDay est si important. Ça nous permet en même temps de libérer la parole, mais surtout de mettre en place tout simplement ce qu'il faut pour que la personne soit la plus performante possible.

ARNAUD PONTUS
Alors, elles ne sont pas, tous les handicapés, mais les personnes à mobilité réduite ont des difficultés peut-être plus importantes que d'autres, c'est ce que je disais tout à l'heure. Problèmes de mobilité, si on parle d'elles, on vit dans des villes qui les oublient, des trottoirs éventrés, des pentes douces absentes, des transports inadaptés, ça complique encore l'accès au travail, parce que ça complique tout simplement l'accès au lieu de travail.

SOPHIE CLUZEL
Ça complique leur autonomie, en effet, dans la mobilité, donc il nous faut travailler partout, sur les adaptations dans les transports…

ARNAUD PONTUS
Mais on a assez avancé ? Parce que j'ai le souvenir du Premier ministre Edouard PHILIPPE en 2017, disant que l'inclusion des personnes en situation de handicap serait une des priorités du quinquennat. Très honnêtement, sans vivre au quotidien ces problèmes, je n'en ai pas l'impression.

SOPHIE CLUZEL
Si, c'est une priorité du quinquennat. Ça je l'affirme haut et fort, que ce soit en termes de pouvoir d'achat, de scolarisation, d'Insertion professionnelle, nous avons énormément progressé, on n'a jamais autant parlé du handicap, nous avons une grande campagne de communication, de sensibilisation. Maintenant oui, on est en retard sur l'accessibilité physique des bâtis, de l'accessibilité physique…

ARNAUD PONTUS
Mais alors, comment fait-on, parce que c'est quand même le problème quotidien le plus évident ?

SOPHIE CLUZEL
C'est vrai, pour 3% des personnes en situation de handicap c'est important, c'est pour ça que nous y travaillons nuit et jour, nous accompagnons les collectivités locales, parce qu'elles sont en responsabilité sur l'aménagement des voiries, nous accompagnons sur le transport, tous les bus maintenant sont accessibles, donc il y a des avancées, mais ça ne va pas assez vite, c'est certain. Mais je voudrais dire aussi qu'il y a une énorme avancée sur d'autres types de handicap. Par exemple, le métro il est totalement accessible pour tous les autres handicaps, psychiques, mental, il y a eu des formations, il y a eu de la signalétique…

ARNAUD PONTUS
Ah oui, pour tous les autres, pour le métro parisien, mais pour une personne en fauteuil roulant, une ligne, la ligne 14.

SOPHIE CLUZEL
Les tramways sont totalement accessibles. Quand on a un tramway…

ARNAUD PONTUS
Une ligne sur 14 lignes à Paris, vous en convenez, que c'est peu satisfaisant, d'autant qu'il faut à ce moment-là habiter sur la ligne et aller travailler sur la ligne.

SOPHIE CLUZEL
Mais bien sûr que c'est un problème pour les personnes à mobilité réduite, je ne le nie pas. Nous avançons, nous travaillons, et l'État peut beaucoup, mais ne pourra pas tout, tout seul, donc il faut qu'on fasse des choix si vous voulez, d'accessibilité, de certains nœuds de communication, et les Jeux olympiques et paralympiques sont un accélérateur. Et j'ai mandaté vraiment le préfet de région de pouvoir travailler avec toutes les autorités, c'est complexe, toutes les autorités, pour améliorer le quotidien des personnes handicapée à mobilité réduite.

ARNAUD PONTUS
Vous avez sûrement lu hier dans le Journal du Dimanche le président du Collectif handicap qui regroupe 47 associations, écrire que les droits fondamentaux des personnes handicapées sont bafoués.

SOPHIE CLUZEL
Eh bien je pense que nous avons beaucoup avancé sur les droits. Nous avons des droits à vie, premier gouvernement à avoir donné des droits à vie pour les personnes handicapées, plus besoin de dire que vous êtes handicapé tous les 3 ans, l'allocation adulte handicapé est donnée à vie pour les personnes qui ont un handicap important. Ces droits à vie sont…

ARNAUD PONTUS
Alors, allocation adulte handicapé, il y a une vraie polémique aujourd'hui.

SOPHIE CLUZEL
Alors, attendez, je finis sur les droits. Sur les droits nous avons aussi ouvert des nouveaux droits, quand vous êtes handicapé et parent, vous avez un droit à la parentalité, c'est-à-dire une allocation qui peut vous être attribuée tout de suite. Nous avons redonné le droit de vote aux personnes majeures protégées sous tutelle, 30 ans que les associations attendaient cela. Nous sommes le gouvernement qui l'a fait. Donc oui, nous avons aussi augmenté le pouvoir d'achat, et je tiens à redire, parce que vous me parlez de l'allocation adulte handicapé, qu'elle a été augmentée à 900 €, 25% de plus, de 2 milliards d'investissements, sur le quinquennat, parce que c'était une promesse du candidat MACRON. Elle a été tenue.

ARNAUD PONTUS
La question se pose sur le problème d'accès à cette allocation. On parle de déconjugalisation, c'est-à-dire qu'une personne handicapée qui est mariée à une personne qui a des revenus, peut ne plus avoir son allocation.

SOPHIE CLUZEL
Quand le revenu est important dans le couple, c'est ainsi que toutes nos allocations sont…

ARNAUD PONTUS
Donc, cette personne devient dépendante de son époux ou de son épouse.

SOPHIE CLUZEL
Comme tout un chacun. Comme tout un chacun, comme les personnes âgées, comme les personnes qui subissent aussi la pauvreté, comme le RSA, c'est ainsi que se sont calculées toutes nos allocations, mais en revanche la dépendance, elle est tout simplement compensée, par ce qu'on appelle la prestation de compensation du handicap, qui est individualisée, et celle-ci aussi a été augmentée. Donc si vous voulez, bien sûr que nous pouvons nous améliorer, mais je voudrais signaler vraiment les avancées qui ont été faites pendant ce quinquennat.

ARNAUD PONTUS
Sophie CLUZEL, on a bien entendu votre message, ça n'est pas parfait, mais ça va mieux. Merci à vous, bonne journée.

SOPHIE CLUZEL
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement , le 18 novembre 2021