Extraits d'un entretien de M. Clément Beaune, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec TV5 Monde le 4 décembre 2021, sur les défis et priorités de l'Union européenne.

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Média : TV5

Texte intégral

(...)

Q - Quatre chanteuses, un chanteur avec un point commun, Clément Beaune, est-ce que vous le connaissez ?

R - L'Eurovision !

Q - Voilà, ils ont tous remporté l'Eurovision, ces quatre Français ; vous suivez assidûment l'Eurovision chaque année, on peut le dire ?

R - Oui j'aime bien.

Q - Qu'est-ce que ça représente, cette compétition, pour vous et pour l'Europe ?

R - Je ne veux pas faire de grandes théories mais d'abord, c'est un moment que, depuis adolescent, je ne manque pas parce que je trouve ça amusant, et j'aime bien cet esprit de compétition amicale, parfois un peu kitch, mais ça fait partie du jeu assumé. Et puis, maintenant, dans mes fonctions politiques, je trouve que ça a aussi une vraie dimension européenne puisque moi j'essaie d'illustrer, de me battre pour montrer que l'Europe, ce n'est pas simplement des procédures diplomatiques, un sommet un peu long, même s'il en faut évidemment pour avancer mais voilà, ça peut être la Ligue des champions, ça peut être l'Eurovision, ce sont des événements sportifs, culturels, patrimoniaux qui nous réunissent, qui font que les Européens, s'ils aiment bien ça - il y en a, je crois 2 à 300 millions qui regardent l'Eurovision, chaque année, se sentent ensemble, dans une unité diversité comme on dit dans la devise européenne, qui les réunit. Donc voilà, ça fait partie de ces petits clins d'oeil européens qui font aussi notre Europe plus chaleureuse et plus amicale.

Q - Et qui contribuent peut-être aussi à l'appartenance des Européens à l'Union européenne ; l'appartenance est l'un des axes de la Présidence française de l'Union européenne, on va avoir l'occasion d'en reparler, au cours de cette émission. L'Europe, vous avez choisi en quelque sorte de la servir même si vous servez d'abord l'Etat français.

(...)

Q - Nous allons parler, Clément Beaune, de la Présidence française du Conseil de l'Union européenne, dans quelques instants. Avant cela, je voulais évoquer avec vous un sujet d'actualité : la crise migratoire. L'Union européenne a pris de nouvelles sanctions contre la Biélorussie, jeudi, parce qu'elle l'accuse d'organiser le passage de migrants sur le sol européen. Minsk a qualifié ces accusations d'absurdes. Que répondez-vous, aujourd'hui, aux dirigeants biélorusses ?

R - Le fait est établi. En Biélorussie, via la Biélorussie et par la Biélorussie, est organisé un trafic d'êtres humains qui consiste, parce que c'est comme ça que ça se passe malheureusement, très concrètement, à faire venir des gens à qui on promet sans doute d'aller vers l'Europe depuis le Proche-Orient essentiellement, l'Irak ou d'autres pays, de les acheminer par avion, de les conduire par bus jusqu'à la frontière et leur dire : "allez-y", voire de les pousser vers la frontière polonaise, lituanienne ou lettone, vers l'Union européenne. Et c'est un constat partagé puisque les 27 pays de l'Union européenne ont pris cinq trains de sanctions contre la Biélorussie depuis l'élection frauduleuse de l'été 2020.

Donc, je crois que nous avons là une preuve, une démonstration très concrète de la nécessité d'une réponse européenne parce que la Pologne le dit elle-même - j'étais en Lituanie aussi, tout début septembre, dès que cette crise s'est vraiment matérialisée - ne peut pas y arriver toute seule, ils ne peuvent pas y arriver seuls. Et les mesures que nous commençons à prendre, il y a les sanctions bien sûr mais il y a, j'allais dire, plus important et plus concret encore, par exemple le travail diplomatique qu'on fait pour suspendre les fameux vols qui permettent d'acheminer ces migrants pris au piège. Nous le faisons en Européens...

Q - La compagnie biélorusse d'ailleurs fait partie des cibles de ces sanctions...

R - Absolument. Mais plus largement, on fait un travail à l'égard de l'Irak, à l'égard de la Turquie, à l'égard d'autres pays pour leur dire : ne soyez pas de facto les facilitateurs ou les complices de ces trafics ; et ce travail fonctionne : il y a beaucoup de suspensions de vol qui se sont faites et qui permettent- je reste prudent évidemment - mais d'avoir résorbé, en quelques jours, cette crise et cette pression organisées par le régime de Minsk.

Q - La Biélorussie dit qu'elle va riposter ; elle veut prendre des mesures qu'elle qualifie de sévères et asymétriques. Est-ce que vous craignez qu'elle continue à ouvrir ses frontières à ces migrants ?

R - Ecoutez, je crois qu'on a montré notre capacité de fermeté et de réaction ; ça va faire réfléchir la Biélorussie ; on a aussi engagé un dialogue, même s'il est difficile, avec la Russie parce qu'on sait que la Biélorussie en est étroitement dépendante, notamment sur le plan économique aujourd'hui. Donc, nous n'aurons pas de faiblesse et de peur. La Biélorussie a montré qu'elle pouvait être capable des pires provocations - on pense à la crise migratoire, on pense au détournement d'un avion européen au-dessus de son sol, de l'attaque d'opposants, un peu partout -mais nous ne faiblirons pas, nous soutiendrons l'opposition, nous soutiendrons la démocratie, et quand nous sommes attaqués parce que c'est une attaque organisée contre l'Union européenne via la Pologne en particulier, nous répondrons ensemble.

Q - Quand vous voyez la réponse polonaise, justement, qui est quand même globalement de rejeter en partie ces migrants qui ont été poussés, effectivement, par le régime de Loukachenko, -disons qu'on a créé une sorte de zone de non-droit à la frontière biélorusse-, est-ce que vous pensez que c'est une bonne façon de défendre les valeurs européennes ?

R - Ecoutez, je veux être très clair : il faut, dans ces crises, puisqu'elles sont organisées délibérément pour tester les Européens, distinguer sans ambiguïté l'agresseur et l'agressé. L'agresseur, c'est la Biélorussie, l'agressée, c'est la Pologne et à travers elle, l'Union européenne et deux autres pays en particulier. Je n'ai aucun doute là-dessus. Je l'ai dit depuis le premier jour, notre solidarité à l'égard de la Pologne est totale. Maintenant, ça ne veut pas dire que tout est possible ; un des tests ou un des pièges qu'on nous tend dans cette affaire, c'est que la Biélorussie et peut-être d'autres rêveraient de voir les Européens renoncer à leurs valeurs pour tenir leurs frontières : construire des murs, mal se comporter à l'égard des migrants, basculer non pas dans le maintien de l'ordre mais dans la violence...

Q - Mais c'est ce qui se passe.

R - Alors, il y a des problèmes, effectivement, moi je le dis très clairement : je ne pense pas qu'on doive basculer de la tenue d'une frontière que j'assume complètement y compris en renforçant nos effectifs européens en soutien de polices aux frontières, en ayant le maintien de l'ordre à la frontière, c'est ainsi, pas d'aller jusqu'à une forme de barricade européenne définitive. Je n'aime pas cette Europe-là. Et nous l'avons dit aux Polonais ; nous avons dit qu'il fallait accueillir Frontex, l'agence européenne ; nous avons dit qu'il fallait que les médias qui, aujourd'hui, de par la loi, n'ont pas accès à cette zone ou de manière extrêmement rare et restrictive, doivent pouvoir le faire, de même que des ONG.

Je crois d'ailleurs, je le dis très sincèrement, que c'est dans l'intérêt de notre partenaire polonais, pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, qu'il n'y ait pas - si ce sont des mauvais procès - une quelconque crainte ou un malentendu et qu'on ne fasse pas le jeu, ainsi, de la Biélorussie. Donc, je crois que c'est dans l'intérêt de tous ; ce sont les messages que nous avons passés aux autorités polonaises. Cela ne veut pas dire - même si évidemment il y a un peu de complexité là-dedans - qu'on manque de solidarité à l'égard de la Pologne, au contraire. Et puis, on a par ailleurs d'autres débats avec les autorités polonaises sur l'Etat de droit et d'autres sujets sur lesquels nous reviendrons, mais je ne confonds pas les choses, dans le moment présent : solidarité, respect de nos valeurs et nous passons ce message à la Pologne.

Q - Clément Beaune, le Pape en visite à Chypre, depuis jeudi, rentre à Rome avec cinquante migrants. Hier, il a eu des mots particulièrement durs contre le traitement qui est réservé à certains de ces migrants, victimes, dit-il, d'esclavage, de torture. Il a comparé ce traitement aux actes qu'ont pu commettre dans l'histoire les nazis ou bien les soviétiques sous Staline. Quelle est votre réaction à ses propos ? Et est-ce que vous pensez que l'Union européenne doit se sentir visée par ces mots du Pape ?

R - Ecoutez, je ne veux pas tout confondre ; on n'est pas, évidemment, dans la situation, la façon dont les migrants sont traités par des régimes autoritaires, -on parlait de la Biélorussie, ou d'autres-, dans l'Union européenne, ce n'est pas le cas ; il faut être très clair là-dessus. Est-ce que ça veut dire que nous faisons tout parfaitement et est-ce que ça veut dire que nous avons été à la hauteur depuis 2015, 2016, quand a eu lieu à l'époque une grande crise migratoire avec des ressauts depuis, est-ce que nous avons été à la hauteur de cela en tant qu'Européens ? Je ne crois pas, il faut être honnête. Parce que nous avons d'abord manqué de solidarité entre nous. Quand l'Allemagne a été dans une situation d'accueillir - Mme Merkel a fait ce choix honnête, courageux, je le redis- il y a cinq ans d'accueillir des personnes qui étaient bloquées à la frontière, que les autres pays européens rejetaient, nous n'avons pas toujours été solidaires ; est-ce que nous avons été solidaires depuis Lampedusa, de l'Italie ou de la Grèce et de ces camps de réfugiés qu'elle essaie d'accueillir tant bien que mal ? Certainement pas. Et nous nous battons aujourd'hui - sous Présidence française, on essaiera d'y avancer - pour avoir des mécanismes de solidarité européenne dans l'accueil.

Mais il ne faut pas tout mélanger : je ne jetterais pas la pierre à la Grèce, à Chypre ou à l'Italie, qui parfois sont débordés, qui parfois sont victimes du manque de solidarité européenne ; la France a, je crois, beaucoup amélioré les choses, depuis quelques mois. Je rappelle que sur les sauvetages en Méditerranée, depuis 2018, c'est la France qui à chaque sauvetage, avec l'Allemagne, ou devant l'Allemagne, accueille le plus de personnes recueillies et sauvées. Donc, nos valeurs européennes sont là ; on n'est pas toujours à la hauteur de cette exigence ; on manque parfois de solidarité entre nous, mais je ne confonds pas ce que nous faisons, et le Pape a raison d'être dans une voie morale, humaniste et humanitaire, et ce que font d'autres régimes qui parfois sont les persécuteurs que les réfugiés cherchent à fuir.

Q - Est-ce que vous considérez, par exemple, que le camp qui a été construit par les Grecs à Leros pour rassembler les demandeurs d'asile, est un modèle, ou alors une prison à ciel ouvert, comme disent d'autres qui l'ont visité ?

R - Je vais être très honnête, je ne l'ai pas visité moi-même. Je suis allé en Grèce visiter un centre d'accueil de mineurs migrants, mais je n'ai pas visité ce centre. Donc, je ne me suis pas fait une idée personnelle. Je pense que la Grèce a beaucoup amélioré le traitement des personnes en difficulté, des migrants depuis quelques années, où elle a été prise de court par un afflux massif. Et c'est l'Europe qui n'a pas été assez solidaire, nous, collectivement, de la Grèce. Aujourd'hui, je ne sais pas, je ne dis pas que tout est parfait, loin de là ; nous avons des cas parfois de refoulement qui sont allégués, il faut investiguer chacun de ces cas - on a un débat en ce moment même à travers l'agence Frontex et les autorités grecques - mais là aussi, je ne veux pas remettre en cause une seconde nos valeurs. Tous ces cas, s'il y a dérapages, s'il y a mauvais traitements, s'il y a prison à ciel ouvert, je ne crois pas que ce soit le cas en l'espèce, doivent être sanctionnés et dénoncés.

Mais l'Europe est dans la position aujourd'hui d'un accueil ; d'un accueil qui est insuffisamment solidaire, insuffisamment partagé, parfois insuffisamment humain, mais nous sommes ceux qui accueillons un certain nombre de personnes qui fuient la misère ou les persécutions politiques. On doit pouvoir faire mieux, on doit pouvoir faire plus, ensemble, mais je ne jetterais pas, là non plus, la pierre à la Grèce.

Q - Vous disiez Clément Beaune il y a quelques instants qu'il avait été difficile de trouver un accord entre les membres de l'Union Européenne ; il est difficile aussi de trouver un accord avec des pays qui ne sont plus dans l'Union européenne, avec le Royaume-Uni particulièrement notamment après ce naufrage qui a fait 27 morts dans la Manche, des migrants qui voulaient se rendre en Grande-Bretagne. Discussions difficiles donc avec Londres. Nouvel exemple hier : la France a refusé une proposition britannique de créer des patrouilles de police communes sur le sol français. Le Premier ministre Jean Castex a dit non. Pourquoi ce dialogue est-il aussi difficile entre Paris et Londres ?

R - D'abord, si vous permettez, je vais prendre quand même un peu de recul parce qu'il y a l'actualité dramatique du naufrage que nous avons tous vu, la semaine dernière, les 27 morts, et malheureusement, il y a eu des naufrages précédents. Il y a une tension, une polémique politique que je regrette, j'y reviendrai, et puis, il y a la coopération qu'on a déjà avec le Royaume-Uni et qui en réalité, sur le terrain, en pratique, est assez bonne. Si on regarde ce qui se passe, en quelques mots, la raison pour laquelle ces "small boats", comme on dit, ces petites embarcations qui sont d'ailleurs de moins en moins petites et qui embarquent de plus en plus de migrants, prennent la mer, c'est parce que nous avons, par la coopération avec le Royaume-Uni, sécurisé et empêché essentiellement le passage, par exemple, par le tunnel. Ce qui montre bien que par rapport à ce qu'on avait vécu à Sangatte ou il y a dix ou quinze ans, là aujourd'hui, il y a quinze fois moins de migrants qu'à l'époque, moins de passages par le tunnel.

Maintenant, les réseaux de passeurs qui sont des trafiquants d'êtres humains, il n'y a pas d'autres mots, sont très organisés parce que c'est un business macabre, et ils se déploient sur d'autres fronts et d'autres voies de passage. Là-dessus, là aussi, on empêche beaucoup de passages : plus de 60% des passages sont empêchés parce que les forces de l'ordre françaises, qui sont plusieurs centaines déployées sur nos côtes, empêchent le passage vers le Royaume-Uni. Et quand il y a des drames, quand il y a des passages et parfois des naufrages, on sauve aussi des gens autant qu'on le peut - près de 8.000, depuis le début de l'année - grâce aux sauveteurs français. Donc, cette coopération, elle existe. Et je dis aux Britanniques qu'il ne sert à rien d'essayer de faire des écrans de fumée, des polémiques stériles bassement politiques. On a une coopération qui est la seule voie possible entre l'Union européenne et la France d'une part, le Royaume-Uni d'autre part. Et d'ailleurs, en pratique, cette coopération est bonne. Donc, essayons plutôt de la renforcer plutôt que de jeter de l'huile sur le feu ou de se renvoyer des polémiques parce que le discours du Brexit a consisté à dire...

Q - Ça veut dire que Boris Johnson n'est pas un bon partenaire ?

R - Ecoutez, ce n'est pas une question personnelle, je vais vous dire, malheureusement, d'une certaine façon, aujourd'hui, le problème est plus profond ; j'espère qu'il sera réglé, mais le Brexit est un destructeur de lien et de confiance. C'est un choix que je respecte - que je n'aime pas, mais que je respecte - de la part des Britanniques qui, je pense, n'est pas bon pour eux, mais c'est leur choix démocratique. Mais on voit bien, d'ailleurs, ce que c'est l'Europe en creux ou en négatif : c'est un club où on discute. Même quand on a des difficultés - on en parlait avec la Pologne, ou des débats, on en parlait avec la Grèce - c'est très important, on n'a plus, pas seulement entre la France et le Royaume-Uni, mais entre l'Union européenne et le Royaume-Uni, un canal de confiance, de discussions, j'allais dire de pacification, de socialisation, comme on l'avait dans le passé.

Et donc il y a cette tentation permanente surtout du côté britannique pour être tout à fait honnête, de dire : c'est la faute de l'Europe, si ça se passe mal, c'est à cause de l'Union européenne ; ou alors, quand ça se passe bien, ça arrive de temps en temps de leur côté, c'est mieux que dans l'Union européenne. Tout ça est un peu ridicule et essayons de passer à une autre phase de nos relations. Mais le Brexit, c'est fondamentalement moins de confiance et moins de coopération. On va le surmonter, mais c'est ça que ça veut dire et c'est aussi la valeur de l'Union européenne que ça montre en contrepoint.

Mais sur la crise migratoire, nous sommes tout à fait prêts à nous remettre autour de la table, nous sommes tout à fait prêts à discuter, et sur un point précis que vous avez évoqué pour répondre à cela parce que ça peut paraître étonnant, oui, on ne veut pas avoir des forces de l'ordre britanniques sur le sol français, parce que nous sommes un Etat souverain - pardon - le maintien de l'ordre, l'organisation de l'ordre public, la protection de nos frontières, c'est nous qui le faisons ; ce n'est pas les Britanniques sortis de l'Union européenne qui vont le faire chez nous. Ça ne veut pas dire qu'on ne coopère pas et qu'on fait un boulot - je le dis pour nos forces de l'ordre - extraordinaire pour empêcher l'immigration illégale, même s'il est incomplet. Et puis, on a aussi une assistance humanitaire qui est très forte pour les personnes qui sont sur place.

Q - Mais est-ce que c'est à la France de garder les frontières britanniques ? Parce que c'est en fait ce qui se passe...

R - Vous avez raison, c'est la question des fameux Accords du Touquet. Là aussi, parce qu'on parle de vies humaines, il faut être très responsable et très sérieux, je ne pense pas que dénoncer les Accords du Touquet serait une bonne chose. D'abord parce qu'avant les Accords du Touquet qui ont été conclus par Nicolas Sarkozy ministre de l'intérieur, il y avait une situation plus difficile encore. Et que fait-on avec les Accords du Touquet, on contrôle d'ailleurs les passages légaux, essentiellement, quand vous prenez l'Eurostar, et quand c'est organisé pour que vous soyez contrôlé à Paris et pas une deuxième fois à Londres, ce sont les Accords du Touquet.

Donc, c'est beaucoup plus vaste que cela. Si on faisait, comme le disent certains sous le coup de la colère ou de l'irresponsabilité "laissons passer", on ferait comme monsieur Erdogan qui organise la pression chez son voisin. Je pense qu'on mettrait en danger, c'est le premier impératif à respecter, on mettrait en danger les vies humaines, parce qu'il y aurait des gens qui traverseraient plus facilement, qui tenteraient leur chance, encore plus, à destination du Royaume-Uni ; il y aurait des drames dans le tunnel, il y aurait des drames en mer, beaucoup plus encore qu'aujourd'hui où on empêche un certain nombre de passages. Et puis, c'est mieux de gérer la frontière sur terre que dans la mer pour cette raison, mais à condition que ça soit équilibré et à condition que les Britanniques nous aident - il y a un effort financier qui est fait, qui devrait être encore accru à l'égard de la France - et puis, il y a un problème, il faut bien se poser la question : pourquoi les gens qui sont en difficulté, qui ont fui la misère, veulent aller au Royaume-Uni, c'est parce que c'est plus facile de trouver, souvent, du travail - en général pas déclaré - que dans beaucoup de pays de l'Union européenne et qu'en France. Une large partie, une large majorité des personnes qui sont aujourd'hui dans le Nord de la France sont éligibles à l'asile en France ; ils ne demandent pas l'asile en France parce qu'ils veulent aller au Royaume-Uni où ils pensent que c'est plus facile, même clandestinement, de rejoindre des communautés, des filières professionnelles etc.

Et nous disons aux Britannique aussi : un des moyens pour empêcher ces drames et cette immigration illégale, c'est de manière organisée, limitée, comme le fait chaque pays, d'avoir une voie de migration légale pour des gens qui ont le droit à l'asile ; ça leur évitera de prendre tous les risques, de nourrir les passeurs et les trafics, et parfois, malheureusement, de perdre la vie en mer.

Q - Clément Beaune, l'Union européenne vit des moments difficiles, depuis plusieurs années maintenant, notamment à cause de certains de ses membres qui ne respectent plus certaines règles européennes ; exemple avec la Pologne dirigée depuis quelques années maintenant par le PIS, un parti conservateur.

(...)

Q - La Pologne ne respecte pas les règles ; est-ce qu'elle doit quitter l'Europe ?

R - Non, je ne souhaite pas qu'elle quitte l'Europe. Je pense que d'abord pour tous ces gens qui manifestent, se battent, qui sont très nombreux, qui aux élections votent pour des forces pro-européennes, ce serait un drame de quitter l'Union européenne. D'ailleurs, une immense majorité des Polonais, même ceux qui votent pour le parti actuellement au pouvoir, ne veulent pas quitter l'Union européenne.

Maintenant, il faut comprendre que tout ça n'est pas technique, juridico-juridique ou anecdotique ; quand on parle, le mot est parfois un peu effrayant, de primauté du droit européen, ce n'est pas des querelles de juristes. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que quand vous avez des règles communes, que vous rentrez dans l'Union européenne et qu'ensuite, au quotidien, je le fais comme ministre, on le fait tous, on définit pour l'agriculture, pour le commerce des règles partagées, a fortiori pour nos valeurs politiques essentielles ; si maintenant, vous dites : on a défini des règles en commun, mais en fait moi, quand ça ne m'arrange pas, je ne l'applique pas ; là, il n'y a plus de facto de fonctionnement de l'Union européenne possible. Et ça, il faut l'expliquer ; ce n'est pas une contrainte bruxelloise de quelques fédéralistes ou technocrates qui auraient perdu leur boussole, c'est la nécessité même, la condition même d'existence du projet européen.

Et il faut défendre cela puisqu'on voit que même parfois en France, dans nos débats politiques, tout le monde dit : finalement, les Polonais défendent leur souveraineté etc. Leur souveraineté n'est pas en cause ; ils ont adhéré librement et massivement d'ailleurs par référendum à l'Union européenne ; ils peuvent la quitter, je ne le souhaite pas et je pense qu'ils ne le feront pas, mais quand on est dans le club, on contribue à ses décisions et on les respecte ; sinon, on ne peut pas être dans un club politique partagé.

Q - Mais depuis pratiquement dix ans, on voit que la Hongrie de Viktor Orban ne respecte pas ces règles ; maintenant, la Pologne, depuis un peu moins longtemps, mais depuis longtemps quand même aussi, ne respecte pas ces règles non plus. Est-ce qu'on peut rester en Europe quand on ne respecte pas les règles ?

R - Je pense, je ne veux pas être naïf, mais je suis optimiste, parce que le débat a beaucoup changé. D'abord, les mobilisations qu'on voit dans ces pays-mêmes - moi je suis allé rencontrer des partis d'opposition, des ONG en Pologne, en Hongrie sur différents sujets, l'indépendance de la justice, les droits LGBT ou les droits des femmes - il y a une mobilisation très forte. Et d'ailleurs c'est un signal aussi très fort qu'ils brandissent des drapeaux européens ; ils sont rentrés dans l'Union européenne avec l'histoire que l'on connaît dans les pays de l'Est de l'Europe ou du centre de l'Europe, avec l'idée que l'Europe les protégeait. Et d'ailleurs la justice européenne et les règles européennes les protègent contre les dérives de cette nature.

Donc, ce débat a changé de nature, on en est beaucoup plus conscients. Ce dont on parle aujourd'hui, je pense qu'on n'en aurait pas parlé il y a trois ou quatre ans, alors même qu'il y avait déjà un certain nombre de dérives, parce que tout le monde a pris conscience de la gravité de la chose et tout le monde a pris conscience d'ailleurs que ce n'est pas une façon pour les Français, les Espagnols ou autres, de stigmatiser la Pologne ou la Hongrie, comme sociétés ou comme peuples ; c'est un combat politique. Et ces forces-là, soyons honnêtes, elles existent chez nous : j'ai vu que M. Zemmour, il allait voir M. Orban, et puis, il rentrait avec les mêmes mots : la propagande LGBT ou je ne sais quoi, le problème des migrants qui seraient les boucs émissaires de tout. Et maintenant, en plus, on se dote de règles pour sanctionner, ce sera un des débats qu'on aura sous la présidence française. Si les règles élémentaires, les valeurs élémentaires ne sont pas de nouveau respectées, on a aujourd'hui - ce qui n'était pas le cas précédemment - des moyens de pression et de sanctions tout en gardant un dialogue ouvert, si in fine il y avait besoin de faire respecter cela.

Q - Vous parliez, Clément Beaune, de la visite d'Eric Zemmour, il y a quelques semaines à Viktor Orban ; Marine Le Pen, elle, candidate du Rassemblement national à la présidentielle française, est en Pologne aujourd'hui ; elle participe à un rassemblement de dirigeants nationalistes, à l'invitation du PIS, donc le parti au pouvoir en Pologne. Quel regard portez-vous sur ce rassemblement et cette visite ?

R - Ecoutez, c'est une internationale des populistes non seulement pas très sympathique mais pas très cohérente. La photo leur fera plaisir parce qu'ils diront : "on est ensemble, on est des alliés européens". Ce sera un moyen pour Mme Le Pen de cacher son revirement sur l'Europe parce qu'elle a compris que les Français n'étaient pas dupes de son discours sur la sortie de l'euro et sur la sortie de l'Union européenne qui serait une catastrophe. Donc, elle a déjà fait un revirement et maintenant, vous allez voir qu'elle va nous dire : j'ai fait un revirement parce que j'ai des amis en Europe, et donc je peux changer l'Europe.

Mais dans quel sens elle veut changer l'Europe avec ces amis-là ? D'abord demandez à un membre du PIS polonais s'il partage l'analyse de Mme Le Pen sur la Russie, sur sa sympathie historique pour M. Poutine ; vous verrez qu'il y a une assez grande incohérence et que ce n'est pas vraiment un club politique, au-delà de la photo. Et puis, demandez à Mme Le Pen - ça c'est plus intéressant parce que ça nous concerne, nous Français parce que je crois qu'elle est candidate à l'élection présidentielle - si son modèle, c'est de faire ce que fait M. Orban sur les droits LGBT, ce que fait le PIS sur le recul du droit à l'avortement qui a été annulé en Pologne, c'est ça son modèle, les partis avec lesquels elle veut travailler et dont elle veut exporter l'idéologie et les pratiques en France ? Si c'est ça, c'est très intéressant, qu'elle nous le dise, parce qu'elle a passé des années à essayer de faire croire qu'elle était banalisée, dédiabolisée, et elle va s'allier, s'acoquiner avec des gens qui ont les pires reculs des droits en Europe aujourd'hui.

Q - Vous avez mentionné la justice européenne ; est-ce que vous avez été surpris par les réactions non pas de l'extrême-droite, mais de la droite républicaine, sur la primauté du droit français sur le droit européen et la place que ça a pris dans le débat politique qu'on vient de voir, y compris par un de ses candidats qui est un Européen éminent, Michel Barnier, même si ça ne lui a pas vraiment réussi ?

R - D'abord, je crois que l'incohérence n'est jamais couronnée de succès. Mais plus largement, je suis... non pas surpris mais choqué par cette course à l'extrême droite et l'idée que pas seulement Michel Barnier, Valérie Pécresse par exemple - dont on n'a jamais entendu dans le discours avant que la primauté était la source de tous nos maux parce qu'elle n'avait jamais prononcé le mot de primauté du droit européen dans un quelconque discours et ça fait quelques années qu'elle est en politique ! -.

Bon. Donc cette idée qu'il faut aller reprendre les bons vieux réflexes, taper sur l'Europe quand ça va mal, suivre les souverainistes dans tous leurs délires, je pense d'abord que ça ne porte pas chance. Je pense que c'est au contraire de ce qui est prétendu, un profond désamour de notre pays parce que notre pays n'est fort que quand il est fidèle à ses valeurs - ce ne sont pas des mots, c'est la réalité de la protection de nos droits - et quand il est fort et engagé en Europe.

Vous savez, Emmanuel Macron, je l'ai accompagné dans sa campagne de 2016-2017 ; quand on mettait le drapeau européen dans les meetings à côté du drapeau français, quand on défendait l'engagement européen, tout le monde à l'époque nous disait qu'on était dingue parce qu'on était après le Brexit. Et finalement, aujourd'hui, on voit que le Brexit a fait reculer le scepticisme sur l'Europe et augmenter l'adhésion à l'Union européenne parce que les gens comprennent que l'Europe est loin d'être parfaite - moi je ne suis pas du tout un Européen qui dit aux gens "ne faisons rien, tout va bien" ; il y a plein de réformes à faire -, mais il vaut mieux que la France soit leader pour changer l'Europe plutôt que de partir dans un discours qu'on connaît historiquement qui consiste à dénoncer l'autre et l'Europe en fait partie.

Q - Venons-en Clément Beaune, à la présidence française de l'Union européenne : la France, je le disais en introduction, aurait dû la prendre en juillet 2022 après la présidentielle donc, mais comme le Royaume-Uni a passé son tour, elle va la prendre six mois plus tôt, dans trois semaines, donc. Or là ce sera pendant la campagne, pendant l'élection et puis il y aura aussi les législatives. Autrement dit la vie politique française va être anesthésiée pendant quelques mois ; il va falloir agir vite pendant trois mois. Pourquoi ne pas avoir cherché à décaler cette présidence française pour avoir pleinement six mois d'action ?

R - C'est une des conséquences, effectivement, peu connue du Brexit ; nous n'avons pas choisi ce calendrier, il était là quand le Président de la République Emmanuel Macron a été élu. On aurait pu demander à nos partenaires, gentiment, parce que c'est un lourd exercice à faire, d'anticiper ou de reculer la présidence. Cela aurait été bizarre, honnêtement, quand vous êtes comme Emmanuel Macron, comme moi à ses côtés, engagés pour l'Europe, de dire : la présidence, c'est une fois tous les quatorze ans, ça ne nous intéresse pas beaucoup, on la fera plus tard. Donc on l'assume. On la fait. Je note d'ailleurs que plusieurs pays européens, y compris la France, en 1995 certes, mais a déjà connu une période de présidence semestrielle avec une élection présidentielle et des élections législatives.

Q - C'est un atout ou un fardeau pour une campagne ?

R - Ecoutez, je vous avoue que j'ai arrêté de me poser cette question. C'est ainsi. Et ça suppose un certain nombre d'éléments d'organisation et de respect de nos règles démocratiques. Il y a une période de réserve, par exemple, dans l'élection présidentielle, ça veut dire que pendant ce temps - et c'est très bien d'ailleurs démocratiquement parlant - qu'il n'y ait pas de conférence de presse des ministres sur leurs réunions européennes, pendant ce moment-là. Donc, il y a des règles démocratiques qui s'imposent en France, qu'on respectera, évidemment ; personne ne manquera de nous les rappeler. Et puis, vous dites "ce sera concentré sur trois mois", d'abord, il y aura un après période d'élection présidentielle, je ne sais pas qui sera aux responsabilités...

Q - Les législatives...

R - Oui, mais il y aura un gouvernement en exercice qui peut pleinement exercer en actions, en communication, en initiative politique la plénitude de la présidence française. Donc il y a en gros deux mois après l'élection présidentielle d'actions concrètes aussi. Et puis, une présidence, c'est un semestre, c'est de toute façon très court mais ça se prépare.

Je dirais que cette présidence française a commencé le 26 septembre 2017, quand Emmanuel Macron a prononcé son discours de la Sorbonne sur l'Europe et des propositions concrètes. Et si on veut avancer sur la régulation du numérique, sur l'ambition climatique, c'est avec des textes concrets, c'est parce qu'on a commencé à proposer les idées, à les faire avancer avant. Donc, cette présidence est une forme d'accélérateur, mais je vous rassure, d'une certaine façon, sa préparation est déjà très engagée.

Q - Vous dites espérer qu'Emmanuel Macron sera de nouveau aux responsabilités après l'élection présidentielle ; ça veut dire qu'il sera candidat donc, et on est ravi que vous nous l'appreniez aujourd'hui !?

R - Non, je ne vous livre pas de scoop... C'est bien tenté... Non, je le souhaite, ça, ce n'est pas un grand secret. Je l'espère. Et c'est lui qui le décidera, ça n'a pas changé.

Q - Sur justement les axes de cette présidence française, vous avez défini trois axes : la relance, la puissance, l'appartenance ; commençons par la relance, la relance économique. Est-ce qu'elle ne risque pas d'être un peu contrariée par le variant Omicron qui arrive ?

R - Ecoutez, il faut toujours être évidemment prudent. Le variant Omicron et -plus encore, j'allais dire, puisque c'est lui que nous combattons aujourd'hui au quotidien- le variant Delta qui est encore parmi nous avec cette cinquième vague, font peser un certain nombre d'incertitudes.

Mais quand je regarde la vigueur de la reprise, le fait qu'on n'ait pas du tout la même situation sanitaire et économique, heureusement, que dans les vagues précédentes. Nous avons le passe sanitaire, le vaccin lui-même, la troisième dose aujourd'hui qui nous permettent d'avoir des vagues parfois fortes sans avoir les mêmes contraintes et les mêmes restrictions dans nos vies économiques et sociales et personnelles...

Bon tout ça rend confiant. Je ne suis pas moi-même expert mais quand on regarde les prévisions de croissance des grandes institutions internationales, de notre ministère des finances, de la Banque de France et d'autres, on voit que la reprise ne semble pas affectée, aujourd'hui ; et de toute façon, la nécessité de la relance sera toujours là, y compris pendant la présidence. On est en train de mettre en place un plan de relance national et européen qui est une sorte de miracle européen qu'on a réussi, en juillet 2020, et qui va se déployer sur les deux ou trois prochaines années pour faire redémarrer nos économies et investir davantage dans les transitions numérique ou écologique en particulier.

Q - Deuxième axe de la présidence française et Alain le donnait, il y a quelques instants, c'est la puissance ; la puissance de l'Europe qui passe notamment par la souveraineté numérique, vous venez de l'évoquer ; ça passe aussi par la défense, une défense commune. On en est loin, aujourd'hui, même s'il y a eu plusieurs tentatives ces dernières années, parfois à l'initiative de la France.

(...)

Q - La défense est l'un des dossiers, donc, de la présidence française. Quel est l'objectif ? C'est de construire une armée européenne ? Enfin une force d'intervention comme celle qui a pu manquer à Kaboul lors de l'évacuation des étrangers, des Français notamment, qui ont fui devant l'avancée des Talibans ?

R - Oui, à terme, oui, je crois que c'est un des objectifs mais je veux quand même être un peu plus positif, parce qu'il faut voir d'où on vient, et on parle d'un sujet qui touche aux compétences historiques essentielles de l'Etat, de l'Etat-Nation en particulier : les armées, la défense. La défense européenne, c'était une impossibilité absolue depuis les années 50. Et aujourd'hui, on met un certain nombre de pierres sur ce chemin qui sera encore long mais qui a progressé comme jamais dans les cinq dernières années on ne l'avait connu dans les décennies précédentes, jamais.

Donc, c'est encore imparfait mais le Fonds européen de défense, on disait que c'est une initiative parmi d'autres incohérente. C'est quoi ? C'est un budget européen de défense, c'était une des annonces de la Sorbonne... des propositions de la Sorbonne par le Président de la République...

Q - Le discours de la Sorbonne du Président Macron...

R - Exactement, en septembre 2017. Il avait dit : il faut un budget européen, il faut une force européenne, il faut une stratégie commune. Le budget européen, il est trop petit, mais ce fonds européen de défense, c'est un milliard d'euros par an qui va permettre de financer des projets de recherche ou d'équipements européens, ensemble pour la première fois... C'est un tabou qui est levé...

Q - Mais comment faites-vous quand des pays européens, membres de l'Union européenne, des pays de l'Est notamment qui sont très attachés à l'OTAN, n'ont pas très envie de cette Europe de la défense ?

R - Mais ça a déjà beaucoup bougé, je crois. Et une partie des débats, il faut le dire parce qu'on a des histoires différentes parce que quand vous êtes un pays balte ou un pays de l'Est de l'Europe, vous avez une angoisse profonde, de la Russie en particulier ou d'autres menaces, qui font que pour vous, la sécurité, c'est l'OTAN et les Etats-Unis.

Nous ne disons pas le contraire d'ailleurs, on en a besoin. Et les Etats-Unis le disent eux-mêmes, Joe Biden l'a dit dans son coup de fil avec le Président de la République et un communiqué commun après l'affaire des sous-marins : il faut renforcer la défense européenne, il faut investir plus. Et il faut le faire, je crois, de manière très concrète, parce que ces débats sont parfois pollués par des termes un peu religieux, si je puis dire. Quand vous allez en Estonie, comme je l'ai fait récemment, et que vous dites : est-ce que vous êtes pour la défense européenne ? Tout le monde plisse un peu les yeux et tord un peu du nez. Quand vous dites : est-ce que vous êtes d'accord pour qu'au Sahel par exemple, vous soyez avec la France et que nous ayons une mission européenne qu'on appelle Takuba, nos forces spéciales.

L'Estonie a été le premier pays européen, ce n'était pas évident d'aller quand on est en Estonie, en Afrique, aider la France dans des missions difficiles au Sahel. Ils l'ont fait ; aujourd'hui, vous avez une dizaine de pays européens, c'est très concret. Ils ne vous diraient peut-être pas qu'ils sont pour la défense européenne ou pour telle ou telle action de défense européenne, mais ils le font en pratique, parce que les Européens ont compris, les Allemands qui étaient réticents, beaucoup de pays de l'Est qui étaient réticents, qu'on avait besoin d'investir plus, qu'on avait besoin de faire des choses ensemble, qu'il y a des nouvelles menaces sur lesquelles ce sont les Européens d'abord qui doivent assurer leur propre sécurité.

Je pense à la cybersécurité, ou des régions du monde, dans lesquelles la responsabilité sécuritaire doit être prise d'abord par les Européens, le Sahel en est un bon exemple. Et puis, construire - j'insiste beaucoup là-dessus parce que je crois que c'est très important - une capacité, une industrie militaire européenne. C'était un des choix dont on ne parle pas souvent, mais à l'été 2017 quand Emmanuel Macron arrive aux responsabilités, avec Angela Merkel, une forme d'acte fondateur, c'est de dire : on va créer nos grands équipements militaires du futur, l'avion de combat du futur, le char du futur, ensemble. Quelques pays européens ont commencé d'ailleurs à nous rejoindre pour être complets sur l'ensemble des actions de défense. Donc, tout ça est mis en place. Maintenant, il faut donner peut-être un peu plus de cohérence, plus de visibilité et plus de force à toutes ces actions.

Q - Le secrétaire général de l'OTAN a dit que la défense européenne, c'était un concurrent de l'OTAN. Qu'est-ce que vous lui répondez ? Et d'ailleurs, est-ce que vous considérez que l'OTAN est toujours dans un très mauvais état ?

R - Vous faites sans doute référence à la phrase du Président de la République qui avait parlé de "mort cérébrale de l'OTAN". Il l'avait fait aussi pour secouer le débat en disant : on doit se reposer la question - c'est une alliance qui est toujours nécessaire mais qui date de la Guerre froide sous domination américaine - de ce qu'on veut lui donner comme missions et de ce qu'on veut faire aussi à côté.

Le débat sur la concurrence, honnêtement, on peut y passer des nuits de sommets européens - j'en ai vécu plusieurs - pour savoir si on dit qu'il faut une défense européenne complémentaire, une défense européenne supplémentaire... Franchement, ça, ce sont des mots diplomatiques qui n'ont pas grand sens ; cette vision de la concurrence, je crois qu'elle est dépassée. Ce dont tout le monde convient, les Américains eux-mêmes, et j'allais dire les Américains presque en premier, c'est que les Européens doivent investir plus dans la défense, faire plus pour eux-mêmes, prendre leurs responsabilités.

Ça ne veut pas dire casser l'OTAN ou quitter l'Alliance atlantique, personne ne le propose, nous ne l'avons jamais proposé. Mais en revanche, renforcer nos propres outils - manifestement, ils méritent encore un peu de publicité ou de visibilité pour être mieux compris, mieux connus et plus forts -. Ça, on doit le faire. Et après, l'étiquette sur le paquet cadeau, on s'en fiche un peu. L'important, c'est qu'on soit ensemble au Sahel, c'est qu'on renforce nos capacités de cybersécurité, c'est que face à des menaces de sécurité, parce que c'en sont aussi, c'est une forme de guerre hybride, avec la Biélorussie et nos frontières, on réagisse ensemble. Et là, ça a été un très bon exemple de réaction européenne coordonnée et efficace.

Q - Au programme de la présidence française, également, il y a l'environnement, Clément Beaune. Avant d'en parler avec vous, je voudrais vous faire écouter une jeune militante écologiste, une Ougandaise, Vanessa Nakate. Sa voix porte en Afrique et dans le monde entier ; elle fait partie, cette année, des 100 personnalités de l'année selon le magazine américain Time. La voici donc, c'était le mois dernier à Glasgow lors de la COP26.

(...)

Q - Une action radicale : elle est loin d'être la seule, Vanessa Nakate, à la demander. La France et l'Europe mènent des actions en faveur de l'environnement avec le pacte vert notamment au niveau européen. Pourquoi n'existe-t-il pas d'actions radicales comme le demande cette jeune militante ?

R - Vous savez, ce qui est difficile, c'est de faire des actions radicales ou résolues dans la vraie vie, dans la vraie pratique, si je puis dire. Je ne vais pas vous faire de promesse....

Q - Il y a urgence ! Tous les scientifiques du monde entier, quasiment tous, le disent.

R - Mais bien sûr et au niveau international on ne fait pas assez. Mais regardez ce que fait l'Europe - ce n'est peut-être pas assez encore mais nous sommes les plus ambitieux du monde -. Et je ne vous fais pas de promesses, je décris quelques actions prioritaires, ce fameux pacte vert que vous avez évoqué, c'est quoi ? C'est qu'on a fixé des objectifs. Ça ce sont des objectifs : 2050, être neutre en carbone, et dès 2030, moins 55% des émissions de gaz à effet de serre. Et là il y a une discussion - on l'aura notamment sous présidence française - de législation européenne, c'est un peu technique mais c'est très concret, justement, pour traduire secteur par secteur, pour l'automobile, pour la construction, pour le transport, en normes, en règles, en obligations, qui sont parfois très contraignantes, et je peux vous dire que c'est radical : quand on a un débat européen pour savoir quand est-ce qu'on va arrêter de vendre et de produire des véhicules thermiques, on parle d'un horizon qui est encore en débat, mais qui est autour de 2035, c'est demain et c'est radical. Alors peut-être qu'on peut faire encore plus vite, peut-être que dans la pratique, on fera encore plus vite d'ailleurs parce qu'on est parfois surpris par la vitesse du changement technologique et des engagements, même si ce n'est pas assez, mais c'est en Europe qu'on fait ça.

Et il faut aussi, c'est pour ça qu'on va se battre là-dessus, sous la présidence française de l'Union européenne, pour que nos efforts ne soient pas annulés par les autres dans le monde, si je puis dire. Tant mieux si les Américains se sont remis dans l'accord de Paris et nous rejoignent sur certaines ambitions ; la Chine a bougé aussi sur ce sujet. On va mettre en place, je l'espère, on va se battre pour ça sous la présidence française, ce qu'on appelle une taxe carbone aux frontières de l'Europe, pas celle qu'on a connue, pour dire que quand quelqu'un exporte vers l'Europe, il respecte les mêmes règles que nos propres industries à qui on demande tant d'efforts.

Sinon, on n'est pas efficace économiquement et on n'est pas efficace écologiquement parce que si l'Europe fait sa part, nous sommes moins de 10% des émissions de gaz à effet de serre mondiales. Et donc, il faut qu'on entraîne - c'est aussi notre responsabilité internationale, on a essayé de le faire à la COP, ce n'est pas parfait non plus, mais je crois qu'on a marqué des points - pour entraîner les autres à faire aussi les 90% de l'effort mondial à constituer et à mettre en place pour cette radicalité de la lutte contre le changement climatique.

Q - Le troisième axe de la présidence française, ce sera de tenter de renforcer le sentiment d'appartenance à l'Europe. L'Union européenne est composée de 27 pays, vous l'avez dit, de cultures parfois très différentes. Est-ce que ce n'est pas utopiste de penser qu'un sentiment d'appartenance à cet espace si différent puisse réellement exister ?

R - D'abord, je crois qu'il existe en grande partie, plus qu'on ne le croit. On a commencé en parlant de l'Eurovision, ça peut faire sourire et tant mieux, parce que c'est festif, mais ça, c'est un sentiment d'appartenance européen. Ce n'est pas les mêmes frontières que l'Union européenne, mais on a une culture européenne, on a des références communes. Il suffit, pour ceux qui ont eu cette chance, de quitter l'Europe, un moment donné, quand on est Européen, pour découvrir des choses merveilleuses, mais sentir qu'on n'est plus tout à fait dans le même espace culturel et politique au sens large du mot.

Vous savez, moi j'aime bien cette définition de George Steiner - j'ai organisé au Quai d'Orsay une exposition sur les cafés d'Europe - qui dit "la carte des cafés dessine la carte de l'Europe" ; parce que c'est un mode de vie qu'on ne retrouve pas ailleurs dans le monde. Elle n'a pas attendu les institutions européennes, cette culture européenne, pour exister, pour nous relier, par des grands scientifiques, des grands artistes, parfois des guerres aussi, malheureusement, des apports bénéfiques ou des tensions entre nous.

Et donc, il faut en quelque sorte le révéler, l'entretenir et l'approfondir. Pourquoi on parle souvent d'Erasmus, quand on fait référence à l'Europe ? Parce que c'est merveilleux pour un certain nombre de jeunes - trop peu encore aujourd'hui - qui en bénéficient, parce qu'ils vont en Lituanie, en Espagne, en Italie ou en Allemagne et ils se disent : ce n'est plus tout à fait la maison, mais je m'y sens un peu chez moi quand même !

Q - Mais comment la France compte-t-elle s'y prendre pour renforcer ce sentiment d'appartenance ? Qu'est-ce qui manque encore à l'Europe pour que ce sentiment soit encore plus fort ?

R - Je vais être très concret, je pense qu'il nous manque encore des symboles. Par exemple, on a, avec Jean-Michel Blanquer, créé avec certains partenaires européens, un observatoire de l'enseignement de l'histoire. Parce qu'il faut être fier de notre culture nationale, de notre récit, de nos gloires nationales, bien sûr ; mais ce n'est pas inintéressant, quand vous étudiez par exemple en France, Napoléon, sans rentrer dans un mauvais débat sur le mettre aux poubelles de l'histoire, pas du tout, mais se dire que quand vous êtes Espagnol, par exemple, vous n'avez sans doute pas la même perception. Que c'est intéressant de savoir qu'en Europe de l'Est, la perception de la Russie est ancrée dans l'histoire, et ça permet de comprendre notre débat sur la défense européenne.

Donc, s'ouvrir à tout ça, par l'enseignement, par les échanges universitaires ; j'aimerais que tout le monde ait la chance d'avoir fait un échange d'apprentissage universitaire avant l'âge de ses 25 ans. Je prends un symbole très concret qui me tient beaucoup à coeur : moi, je trouve ça très triste qu'en passant du franc à l'euro, on ait perdu une chose - pas la monnaie - mais les visages de femmes et d'hommes sur nos billets pour célébrer l'histoire. On a tellement de références communes et de grands hommes ou de grandes femmes en Europe qu'on doit quand même pouvoir les mettre sur nos billets ! Eh bien, il faut renforcer et assumer, nous avons une culture commune européenne qui n'effacera en rien, au contraire, nos cultures nationales.

Q - Et pourquoi cette culture européenne justement est un peu au fond la dernière roue du carrosse européen ; personne n'en parle. Le Commissaire européen à la culture, personne ne le connaît. Pourquoi ça ne marche pas, ça ?

R - Il y a une phrase apocryphe, parce que je crois qu'elle n'est pas vraie, qu'on prête à Jean Monnet, qui est : si c'était à refaire, je recommencerais par la culture. Mais elle dit quelque chose, c'est qu'en effet, l'Europe n'est pas un Etat ou une Fédération, je n'aime pas ces mots...

Q - Elle a commencé par le charbon...

R - Elle a commencé par le charbon et l'acier mais enfin sans ça, je pense qu'on n'en serait pas là, à parler de culture. Bon. Mais ça veut dire qu'on a besoin de ce socle d'appartenance. L'Europe, ce n'est pas un Etat mais c'est un projet politique ; il n'y a aucun projet politique qui tient dans la durée, s'il n'y a pas un sentiment d'appartenance minimum entre nous, au-delà du budget, au-delà des débats qu'on avait sur telle ou telle politique technique, on a besoin de ça.

Et encore une fois, je pense que tout est là : il faut qu'on ait une audace, et pas une timidité, à assumer que nous avons dans nos cafés, dans nos scientifiques, dans nos courants artistiques, religieux ou spirituels, une culture commune européenne qui est diverse - ce n'est pas pareil l'Italie et la France - mais on a des choses qui nous relient, qui nous relient plus entre nous qu'à l'égard du reste du monde. Mais ça, c'est dans l'enseignement, c'est dans les échanges, c'est dans le discours politique, c'est dans les symboles ; ça se construit comme les Etats ont construit d'ailleurs leur propre sentiment d'appartenance progressivement. Mais soyons indulgents : ça ne fait que 70 ans qu'on a un projet politique européen organisé. Donc, qu'on se pose déjà cette question est une bonne nouvelle !

Q - L'Europe se construit aussi grâce à ses citoyens, grâce à la démocratie, grâce au vote donc, à la participation citoyenne, même si le taux de participation pour les élections européennes, en France en tout cas, n'est pas très élevé, en tout cas pas pour les dernières élections...

R - Elle est remontée !

Q - D'autres initiatives naissent comme cette grande conférence pour l'avenir de l'Europe qui a été lancée cette année, conférence avec une dimension participative, des citoyens européens contribuent au débat, aux discussions. C'est une nécessité selon l'un des dirigeants de cette conférence, l'Eurodéputé belge Guy Verhofstadt. C'était dans cette émission, dans "Internationales", il y a quelques semaines.

(...)

Q - Telle qu'elle existe, l'Union Européenne ne survivra pas au XXIe siècle, dit Guy Verhofstadt. Est-ce que vous êtes d'accord avec lui, Clément Beaune : est-ce qu'il faut réformer l'Union, une réforme politique et de manière urgente ?

R - Bien sûr.

Q - C'est quoi ? C'est du fédéralisme ? Lui qui est fédéraliste et la coalition allemande qui arrive au pouvoir...

R - Guy Verhofstadt est défini comme fédéraliste, pas moi, mais on a beaucoup de convergences sur d'autres sujets.

Q - Cette coalition allemande qui arrive au pouvoir parle aussi de fédéralisme...

R - Oui. J'allais dire tant mieux dans la tonalité pro-européenne que ça donne au contrat de coalition allemand. Après, moi, je ne me reconnais pas dans un courant fédéraliste qui est beaucoup plus présent par ailleurs parce que c'est leur système politique en Belgique ou en Allemagne. Mais peu importe, l'important, c'est l'ambition européenne et les réformes concrètes qu'on porte.

Oui, l'Europe ne survivra pas - à 27, c'est déjà bien compliqué - si elle ne réforme pas ses institutions. Je pense qu'il faut une Commission européenne plus petite, je pense, comme le Président de la République l'a dit, lors de son hommage à Valéry Giscard d'Estaing, jeudi, des listes transnationales pour justement créer ce sentiment d'appartenance. Parce qu'aux élections européennes en fait, ce sont 27 élections nationales, soyons honnêtes. On envoie chacun de nos députés dans un Parlement où eux se retrouvent, mais le citoyen qui a voté ne sait pas forcément qui est le député belge, allemand ou espagnol, en France.

Donc ça, ce sont des choses concrètes pour renforcer la participation. Et puis, cette conférence sur l'avenir de l'Europe dont vous parlez, est très importante ; c'est un pari, c'est une tentative pour ouvrir un peu les portes et les fenêtres. Mais on en a besoin parce que les citoyens européens - j'ai été très frappé en participant à des panels régionaux de citoyens en France - ils disent : on n'est jamais informé sur l'Europe - merci d'en parler- on ne sait pas comment ça fonctionne, on n'a rien à dire... Ils ne savent parfois même pas qu'ils ont déjà des occasions comme les élections européennes.

Donc on parle d'un sentiment de dépossession qui existe malheureusement parfois dans beaucoup de nos démocraties mais qui sur l'Europe, parce que c'est récent, parce que ça paraît compliqué, parce qu'aussi on a tenu un discours politique - soyons honnêtes avec nous-mêmes - en tant que responsables politiques. Moi, je suis depuis peu de temps dans ce domaine - mais on a un peu... on en parlait sur la primauté, chargé la barque de l'Europe ou fait d'elle un bouc émissaire un peu facile : dès qu'il y avait un problème, c'était elle et puis quand il y a une bonne nouvelle, c'est nous !

Il vaut mieux dire que le plan de relance, c'est aussi l'Europe, ça fait un peu aimer cette Europe. Donc, c'est une éthique, en quelque sorte, de la participation européenne, du débat européen, de l'appartenance qu'il faut essayer de développer ; ça ne se fera pas par une seule initiative, mais il faut essayer d'y aller.

Q - Vous le savez peut-être, Clément Beaune, nous nous intéressons beaucoup ici à TV5 Monde à la langue française. Un sujet a retenu notre attention : une résolution adoptée il y a peu par quelques députés en France, un texte qui demande que le français devienne l'unique langue de travail de l'Union européenne. C'était après le Brexit, le départ officiel du Royaume-Uni en début d'année. Est-ce que vous êtes d'accord avec cette proposition ? Est-ce que c'est un combat également que vous menez ?

R - Oui, alors pas que le français soit l'unique langue de travail parce que si on veut défendre la diversité linguistique, parce que c'est ça le combat, et la richesse culturelle et la francophonie bien sûr, ce n'est pas en s'aliénant tous les autres Etats européens qu'on va y arriver ! Mais en revanche, il y a une domination de moins en moins partagée de l'anglais qui est très problématique, parce que les citoyens européens ont parlé de dépossession ; si les informations qu'ils entendent ou les documents qu'ils peuvent parfois lire ou que les journalistes peuvent lire pour eux, sont tous en anglais, on a un problème.

Q - Aujourd'hui 1% de la population européenne a pour langue maternelle l'anglais, depuis le départ du Royaume-Uni...

R - Exactement. Ne soyons pas naïfs, l'anglais est devenu à nouveau une langue internationale et dans les couloirs, je le vis aussi, quand je m'adresse à un de mes collègues, souvent on parle en anglais. Donc, c'est un travail de fond. Ça veut dire développer l'apprentissage du français dans nos instituts français, on a parfois désinvesti dans l'enseignement de notre langue dans les pays européens. Ça veut dire poser des règles aussi parce qu'il faut être ferme sur ses points, à la Commission européenne.

On a par exemple une proposition récente, intéressante d'un rapport qui a été remis à Jean-Baptiste Lemoyne et à moi-même sur la francophonie et la diversité linguistique qui est de dire : il faudra un maximum pour les documents européens dans une seule langue, que tous ne soient pas produits systématiquement en anglais. C'est par cette initiative défensive et offensive, donner envie d'apprendre le français, nous-mêmes nous astreindre à faire parler français, à parler français un peu plus, qu'on va y arriver. C'est difficile comme combat, mais c'est un combat pour la francophonie et la diversité linguistique, j'insiste.

Q - Très rapidement, on fait souvent le reproche à la France et aux Français d'être arrogants, de savoir mieux que tout le monde ce qu'il faut faire ; on vous a remis un rapport, cette semaine disant qu'il fallait pour cette présidence française être plus humble. Est-ce que vous allez suivre ce conseil ?

R - Oui, ça nous arrive parfois à nous Français, collectivement, d'avoir cette image qui est parfois peut-être la réalité ; je ne dis pas que tout a changé mais quand même : depuis 2017, dans les relations bilatérales, dans les déplacements à l'étranger, moi, je suis allé dans tous les pays de l'Union européenne, il m'en reste un à visiter en 15 mois de ministère ; le Président de la République aura visité bientôt tous les pays de l'Union européenne...

Q - Il va aller en Hongrie ?

R - C'est une possibilité ; c'est le dernier pays qu'il reste à visiter. Il a déjà visité 25 pays sur les 26 autres que la France ; ça n'avait jamais été fait. Moi, j'ai été surpris, pour prendre un exemple très concret de perception d'arrogance : quand le Président de la République, je l'accompagnais, est allé au Danemark en visite d'Etat, en 2018, le Danemark, ce n'est pas l'autre bout du monde -, il n'y avait pas eu de visite d'Etat d'un président français depuis 1982. On parle d'un pays qui est à deux heures d'avion, qui est dans l'Union européenne depuis les années 70 ! Donc, vous voyez, parfois, on n'a aussi pas donné le meilleur de nous-mêmes pour écouter, proposer, créer des compromis, il faut l'assumer, et essayer - cette présidence en sera l'occasion - de fédérer, de réunir.


Source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 décembre 2021