Interview de M. Julien Denormandie, ministre de l'agriculture et de l'alimentation, à Public Sénat le 16 décembre 2021, sur l'interview télévisée du président de la République le 15 décembre, l'épidémie de Covid-19, le bien-être animal et le recensement agricole.

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Média : Public Sénat

Texte intégral

ORIANE MANCINI
Notre invité politique ce matin, c'est donc Julien DENORMANDIE. Bonjour Monsieur le ministre.

JULIEN DENORMANDIE
Bonjour.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup d'être avec nous. Ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation. On est ensemble pendant un petit peu plus de vingt minutes pour une interview en partenariat avec la presse quotidienne régionale représentée par Julien LECUYER qui dirige le bureau parisien de La Voix du Nord. Bonjour Julien.

JULIEN LECUYER
Bonjour Oriane. Bonjour Monsieur le ministre.

ORIANE MANCINI
On va évidemment parler de vos dossiers et ils sont nombreux, Julien DENORMANDIE, mais d'abord cette intervention d'Emmanuel MACRON. Deux heures hier soir sur TF1 et LCI. On a eu le bilan, on a eu le mea culpa, on a eu l'esquisse d'un programme aussi. Est-ce que vous admettez qu'hier soir pendant deux heures, on a écouté le futur candidat à la présidentielle plus que le président de la République ?

JULIEN DENORMANDIE
D'abord je crois que c'était un exercice très intéressant, très utile et j'ai été – on en parlait à l'instant – très surpris par le nombre de message que j'ai pu recevoir disant tout simplement : " Il n'y a pas à dire, on a quand même un président de la République qui est au-dessus du lot ". Et j'ai été très surpris parce que j'ai reçu vraiment…

ORIANE MANCINI
C'est des messages de qui ? Des gens de La République en Marche !

JULIEN DENORMANDIE
De tout horizon, mais vraiment de tout horizon, de toute sensibilité politique et je crois que c'est tout à fait juste. Je ne vois pas qui aujourd'hui a sa carrure, qui a cette énergie, qui a cette volonté d'action, qui a eu également cette humilité hier dans…

JULIEN LECUYER
Qui a sa carrure pour reprendre cette…

JULIEN DENORMANDIE
Et je voudrais juste terminer sur un point, et on parlera de moi après, je pense qu'hier, au-delà du contenu de l'émission, je pense également qu'a été mis en avant le courage, le courage d'Emmanuel MACRON. Le courage de ne pas fermer les écoles et de les rouvrir. Le courage de prendre des décisions incroyablement difficiles dans une période qui l'était tout autant. Et je ne sais pas objectivement, sincèrement, dans quel état serait la France aujourd'hui, au moment où on se parle, si Emmanuel MACRON n'avait pas eu le courage d'affronter la crise comme il l'a fait. Et donc cette émission pour moi était très importante pour pouvoir expliquer aussi, revenir sur le passé, la genèse des décisions, le pourquoi du comment, la vision qui est la sienne. Et je crois qu'à cet égard, c'était fort utile.

JULIEN LECUYER
Il a eu raison de faire quelques mea culpa. Il en a fait sur ses formules blessantes. Il était temps qu'il revoie son image auprès des Français ?

JULIEN DENORMANDIE
En tout état de cause, il le dit très bien et à très juste titre : au moment où il est élu en 2017, il est peu connu des Français.

JULIEN LECUYER
Il est tout jeune politique.

JULIEN DENORMANDIE
Ça ne fait que quelques années qu'il est ministre de l'Economie.

JULIEN LECUYER
2014, son entrée.

JULIEN DENORMANDIE
Et donc il est peu connu des Français. Je pense que c'est très important que cette proximité entre le président de la République et les Français puisse se faire, puisse être explicitée, puisse être comprise. Et hier, il a mis en avant avec beaucoup d'humilité les erreurs qu'il a pu faire, que ce soit dans des phrases ou que ce soit dans des actions de tous les jours. On en commet tous des erreurs. Je pense que c'est important de le reconnaître. C'est aussi ça de faire de la politique différemment. Jamais se dire qu'on est pétri de convictions, qui fait qu'on aurait tout bien fait et toujours de la bonne manière.

ORIANE MANCINI
C'est différemment ou c'est faire un peu de Nicolas SARKOZY finalement ? Lui répétait en boucle " j'ai changé, j'ai changé " ; hier Emmanuel MACRON c'est " j'ai appris, j'ai appris ". Ce n'est pas vraiment différent de Nicolas SARKOZY par exemple.

JULIEN DENORMANDIE
Si Emmanuel MACRON et Nicolas SARKOZY sont différents, si, ça je vous le confirme. Hier on a un président de la République qui a mêlé une hauteur de vue en tout point exceptionnelle, singulière. Le courage d'un dirigeant, d'un chef d'Etat. Les Français veulent un chef d'Etat, quelqu'un en capacité de décider et en capacité de tenir la barre, et en même temps quelqu'un de profondément humain, s'adressant aux Français en leur disant toute l'affection qu'il a pour eux, toute la volonté qu'il a à la fois de changer la France et d'accompagner les Français, et je crois qui plus est… Vous savez, pendant longtemps on nous a demandé : " mais c'est quoi en fait la ligne politique voulue par le président de la République ? Le fameux libérer, protéger, unir " ?

JULIEN LECUYER
Oui, c'est le problème du en même temps.

JULIEN DENORMANDIE
Ce fameux libérer, protéger, je crois qu'hier on a eu une belle explication de ce qu'est le libérer, protéger qui a pris aussi toute sa substance avec le libérer les énergies, l'économie, la possibilité qu'on a eue aujourd'hui d'avoir un taux de chômage jamais vu dans notre pays, et en même temps le protéger dans les moments durs, ne jamais laisser tomber quiconque.

JULIEN LECUYER
Alors même s'il a beaucoup évoqué son bilan, il a quand même laissé transparaître certaines choses notamment sur la crise sanitaire et sur la vaccination obligatoire. Alors il ne le dit pas comme ça mais il dit quand même qu'il y a une possibilité pour qu'on en vienne, comme pour la diphtérie et le tétanos, vers une vaccination, une vaccination obligatoire. On y va tout droit selon vous ?

JULIEN DENORMANDIE
Objectivement, moi en tant que ministre de l'Agriculture et de l'Alimentation, je ne sais pas me prononcer sur quel est le bon chemin vaccinal ou quelles sont les prochaines décisions sanitaires.

JULIEN LECUYER
Vous l'avez reçu comme ça, comme nous.

JULIEN DENORMANDIE
Non. Je l'ai reçu quand même message très clair, c'est : la seule solution, c'est la vaccination à n'en pas douter. Et je crois d'ailleurs qu'hier, on a pu voir cette cohérence dans l'ensemble des décisions qu'on a prises. Et j'insiste dessus, sur cette cohérence, parce qu'on peut parler aussi des oppositions. Vous receviez sénatrice à l'instant que j'apprécie beaucoup.

ORIANE MANCINI
On va en parler mais juste un mot…

JULIEN DENORMANDIE
Mais juste sur la vaccination. Vous savez, moi il y a quelque chose qui m'a profondément choqué - mais alors vraiment profondément choqué - et dont on a très peu parlé. Avez-vous vu cette proposition de Valérie PECRESSE consistant à dire : il faut absolument rendre gratuits tous les tests avant Noël ? Ça fait 2 fois, 3 fois qu'elle fait cette proposition. Est-ce qu'on se rend compte de la chose ? Aujourd'hui les tests sont gratuits pour toute personne vaccinée. Toute personne vaccinée. Toute personne avec une ordonnance où tous les jeunes. Dire " on rend les tests gratuits " est en fait de dire à tous ceux qui ne sont pas vaccinés : " Ne vous inquiétez pas, on va vous rendre les tests gratuits. " Mais elle est où la cohérence ? Hier le message du président de la République…

JULIEN LECUYER
On peut comprendre qu'avant les vacances de Noël, ce soit aussi un moyen même pour les non-vaccinés. Finalement la première des priorités, c'est quand même que les gens même non-vaccinées n'aillent pas contaminer d'autres.

JULIEN DENORMANDIE
Mais où est la cohérence politique quand aujourd'hui on sait tous – mais tous - que la seule arme dont on dispose, c'est le vaccin. Aller expliquer à nos concitoyens quelles que soient les raisons, en fait on va lâcher prise sur ce vaccin en ouvrant d'autres possibilités, est à mes yeux totalement irresponsable. Hier sur la politique sanitaire, pour répondre à votre question, moi j'ai vu cette cohérence. Cette cohérence d'une politique sanitaire tournée vers la vaccination, vers la protection et permettant de prendre aussi ces mesures courageuses comme celle sur les écoles.

ORIANE MANCINI
Un dernier mot sur la crise sanitaire, puisque on le voit, la cinquième vague est très forte. Il y a une inquiétude sur le variant Omicron dans les prochaines semaines. Il y a le Salon de l'agriculture qui doit se tenir fin février-début mars. Est-ce qu'il ne pourra se tenir de manière normale ?

JULIEN DENORMANDIE
Au moment où je vous parle, on fait tout pour. Au moment où je vous parle, oui. Après, je suis obligé de vous dire…

ORIANE MANCINI
Donc de manière normale avec les 700 000, 800 000 visiteurs habituels ?

JULIEN DENORMANDIE
Au moment où je vous parle, on fait tout pour et au moment où je vous parle, oui. Après, nous sommes le 16 décembre et le Salon de l'agriculture est fin février. Ce qui est sûr, c'est que plus on aura vacciné, plus on se sera collectivement battus contre ce virus ou ces variants, plus la chance qu'on aura de pouvoir tenir le Salon de l'agriculture, mais plus globalement de pouvoir retrouver une vie la plus normale possible, sera fort.

ORIANE MANCINI
Ça sera décidé quand ? C'est quand la limite pour dire " là on peut le tenir, là on ne peut pas le tenir ? "

JULIEN DENORMANDIE
C'est très compliqué parce que la limite pour tenir ces salons, elle est, elle est en réalité déjà passée. Après vous avez différentes étapes et vous avez d'autres étapes au mois de janvier, et puis de facto début février avec l'installation. Mais encore une fois au moment où je vous parle, oui…

ORIANE MANCINI
Avec pass sanitaire pour y rentrer ?

JULIEN DENORMANDIE
À l'évidence. C'est une grande fête, à la fois pour le monde agricole mais pour les Français. C'est la première ferme de France donc on va tout faire pour. Mais évidemment, je suis obligé de vous dire au moment où je vous parle, et deuxièmement redire que plus nous arriverons à nous faire vacciner et plus nous arriverons à nous protéger et à lui collégialement contre cette épidémie, plus la chance de se retrouver lors de ce salon de l'agriculture ou à d'autres moments sera forte.

JULIEN LECUYER
On parlait encore une fois de l'intervention présidentielle. Beaucoup ont critiqué ce qu'ils ont appelé le braquage médiatique d'un président qui est candidat putatif mais néanmoins quasiment avéré. Est-ce que vous comprenez l'opposition qui réclame que ce temps de parole soit décompté au titre du président-candidat ?

JULIEN DENORMANDIE
Vous savez, c'est une forme de faire de la polémique partout et surtout jamais de regarder ce qu'ils avaient pu faire avant. Enfin, je crois plusieurs l'ont mis en avant, certains de vos collègues expliquant les prises de parole à la fois du président SARKOZY mais même du président MITTERRAND en son temps quelques semaines avant.

JULIEN LECUYER
Le temps de parole avait été décompté à ce moment-là.

JULIEN DENORMANDIE
Et deuxièmement sur le temps de parole, les règles sont très claire. Il s'avère que ce n'est pas le gouvernement que les établit, c'est le CSA.

JULIEN LECUYER
Donc le temps de parole doit être décompté.

JULIEN DENORMANDIE
Le CSA établit les règles, le CSA fait respecter les règles et je ne suis personne pour dire ce que doit faire le CSA. C'est le CSA qui fait. C'est quand même au demeurant très bien que dans une République, il y ait un Conseil supérieur de l'audiovisuel qui a ces règles qui sont fixées et qui se charge de les faire appliquer.

ORIANE MANCINI
Un dernier mot sur cette interview puisqu'hier le chef de l'Etat a taclé notamment Valérie PECRESSE sur sa proposition de supprimer près de 200 000 postes de fonctionnaires. Il a dit : " Il faut du sérieux, il faut être précis. " Il a attaqué le rigorisme budgétaire aussi de Valérie PECRESSE, il a parlé Père Fouettard. Elle vous inquiète tant que ça la candidate de la droite ?

JULIEN DENORMANDIE
Moi, vous savez, je ne suis pas de ceux qui tournent leur regard vers les oppositions. Je suis surtout de ceux qui a le regard fixé aujourd'hui sur qu'est-ce qu'on doit faire encore dans les quatre mois utiles. Après, je souhaite profondément que le président de la République se représente. Et qu'est-ce qu'on doit faire pour ensuite conduire le pays jusqu'à 2030. Et donc je suis vraiment de ceux qui a la conviction, et c'est d'ailleurs aussi ça ce qu'on fait depuis 2017, de tourner le regard vers le devant plutôt que sur les côtés avec les oppositions. Maintenant une fois que j'ai dit ça, la question hier posée est en réalité assez saine et je pense que c'est important que tous les Français le sachent. On veut supprimer des postes, on veut faire des coupes budgétaires, eh bien simplement où ? Où ?

ORIANE MANCINI
On nous dit dans la fonction administrante, pas dans les postes régaliens.

JULIEN DENORMANDIE
Mais ça ne veut rien dire, ça ne veut rien dire. Dans quels secteurs d'activité ? Et pourquoi je dis ça ? Parce que, vous savez, en France comme on dit ‘chat échaudé craint l'eau froide'. Quand Valérie PECRESSE était ministre du Budget, c'est le même moment où il y a 12 000 fonctionnaires de police de moins. Au même moment ! Au même moment ! C'est au même moment où, avant elle était ministre de la Recherche et des universités, on n'ouvre pas le numerus clausus. Il pouvait être ouvert à cette époque, il n'a pas été ouvert. Elle en avait le pouvoir. Et au même moment où on augmente la TVA et où on augmente les impôts. Je termine juste sur un point. Ce que je trouve le plus important en politique, c'est la cohérence.

JULIEN LECUYER
Emmanuel MACRON aussi n'a pas vraiment défini ce qu'il comptait faire par la suite. Est-ce que ce n'est pas, encore une fois, une difficulté d'arriver devant les Français, d'exposer qu'il veut faire une réforme des retraites, la composer de trois régimes et supprimer les 42 régimes spéciaux, dire qu'il va moderniser la vie publique, l'administration publique y compris - il le dit - y compris peut-être en supprimant des postes mais il n'en fait pas l'alpha et l'oméga à juste titre peut-être ; mais en fait ; il reste dans le vague. Pourquoi ne pas exposer plus clairement ces sujets ?

JULIEN DENORMANDIE
Sur ces deux exemples, je ne peux pas vous laisser dire qu'il reste dans le vague. La réforme des retraites : la réforme des retraites, elle a été votée une première fois à l'Assemblée nationale, d'ailleurs en utilisant le 49-3. Qu'est-ce que dit le président de la République ? Hier comme d'ailleurs quelques semaines avant, il dit : " Il faut absolument faire la réforme des retraites. " Il a expliqué pourquoi il n'avait pas pu la faire il y a un an, et il dit : " Cette réforme des retraites, en revanche, il faudra la faire différemment de celle qui avait été adoptée. "

JULIEN LECUYER
Oui, mais différemment comment ?

JULIEN DENORMANDIE
Et il dit : " Ce débat devra être porté, qui dans la campagne présidentielle ou qui après. " Mais on ne peut pas dire que la vision de la réforme des retraites du président MACRON n'est pas connue. Dans ses modalités, elle doit être évidemment précisée mais elle repose…

JULIEN LECUYER
C'est ses modalités qui sont importantes.

JULIEN DENORMANDIE
D'accord, mais hier il n'allait pas annoncer le déroulé de toute une réforme des retraites. Sa vision en disant : " Il faut faire en sorte qu'on puisse arrêter les régimes spéciaux, rendre le système plus juste, faire en sorte que les pensions de retraites puissent être revalorisées ", on en a parlé pendant des mois.

ORIANE MANCINI
On va passer au reste.

JULIEN DENORMANDIE
Quant à la Fonction publique, la Fonction publique, excusez-moi mais la Fonction publique - et je salue son travail - ça fait des mois et des mois et des mois qu'Amélie de MONTCHALIN a mis en oeuvre une réforme profonde de la Fonction publique et je crois que là aussi elle a été explicitée. Elle n'est pas terminée, ç'a été explicité mais le chemin il est très clair. Très clair.

ORIANE MANCINI
On va passer au reste de l'actualité. Vos dossiers sont nombreux, Julien DENORMANDIE. Certains maires écologistes ont banni le foie gras des réceptions officielles de leurs mairies. Qu'est-ce que vous pensez de leur choix ?

JULIEN DENORMANDIE
Je pense que… Vous savez, j'avais un de mes prédécesseurs qui disait - Edgard PISANI que j'admire beaucoup - qui disait : " Le drame en politique, c'est de sombrer dans le détail et d'oublier l'essentiel. " Et je pense qu'une politique, une vision politique qui repose sur ici la suppression des sapins ou là, la suppression du foie gras, parfois l'arrêt du Tour de France est un très bon exemple de ce qu'Edgar PISANI voulait dire. On sombre dans le détail. Ce n'est pas une vision politique que de dire : " Moi mon projet, c'est supprimer le foie gras, Moi mon projet, c'est de supprimer les sapins ". Qui plus est personnellement, comme beaucoup de Français, j'ai la chance d'avoir un sapin chez moi et je suis très content de pouvoir en profiter avec mes quatre enfants et je compte bien manger de foie gras à Noël.

JULIEN LECUYER
Est-ce qu'être français, c'est manger du foie gras ?

JULIEN DENORMANDIE
Est-ce que le foie gras est une partie de notre identité ? Oui. Oui, et on en a beaucoup dans nos territoires.

JULIEN LECUYER
Est-ce qu'on peut être favorable au foie gras et être favorable au bien-être animal ?

JULIEN DENORMANDIE
Mais où est-ce qu'il s'arrête le bien-être animal ? Vous savez, quand vous allez…

JULIEN LECUYER
Aux oies.

JULIEN DENORMANDIE
C'est quoi l'étape d'après ? Vous allez dans un abattoir, on va dire – et c'est d'ailleurs très intéressant votre question, parce que je vais vous faire un scoop : pour manger de la viande, il faut tuer un animal. Ça fait que la fin de l'animal, elle est potentiellement assez tragique. Et vous voyez le débat qu'on a aujourd'hui dans la société ?

JULIEN LECUYER
Non mais le débat, il est sur le gavage des oies, pas sur le fait de tuer un animal.

JULIEN DENORMANDIE
Ce que je veux dire par-là, c'est qu'aujourd'hui on tombe dans une société où, au titre du bien-être animal ou d'autres, on va en arriver à se dire : " Demain on arrête le foie gras " et puis l'étape d'après c'est : " On va arrêter de tuer des animaux... " Est-ce qu'il faut améliorer des pratiques ? À l'évidence oui.

JULIEN LECUYER
C'est le débat.

JULIEN DENORMANDIE
Est-ce qu'on investit dans les élevages ? À l'évidence oui. Est-ce qu'on prend des mesures protection sanitaire comme on le fait d'ailleurs en ce moment à cause de l'influenza aviaire ? À l'évidence oui. Mais est-ce que le débat se résume en disant : au titre du bien-être animal, on va arrêter beaucoup, beaucoup, beaucoup de nos traditions, nos traditions du territoire et à la fin de remettre en cause y compris des éléments élémentaires de ce qui fait notre composition de femmes et d'hommes, c'est-à-dire y compris manger de la viande. Eh bien ça, moi je m'inscris totalement en faux. Et ça vient parfois sur la place publique, je ne sais pas si vous avez vu, aujourd'hui il y a tout un débat en disant : est-il possible de faire de la viande de synthèse ? Ce qu'on appelle la viande cellulaire. Donc c'est-à-dire qu'aujourd'hui dans notre société, on est en train de créer du gigot d'agneau sans agneau, du blanc de poulet sans poulet. Pourquoi ? Parce qu'on se dit qu'en fait, l'acte de tuer l'animal n'est plus acceptable à moi en tant qu'homme ou en tant que femme. Moi je pense que ça pose une vraie question d'anthropologie, une vraie question. Je pense qu'il faut assumer qu'on a des traditions, on est un peuple qui aime bien le foie gras.

JULIEN LECUYER
Il y aura du foie gras sur la table du Monsieur le ministre.

JULIEN DENORMANDIE
Exactement. À côté d'un beau sapin.

ORIANE MANCINI
Sur la grippe aviaire, on en est où aujourd'hui de la grippe aviaire ? Combien de foyers en France ?

JULIEN DENORMANDIE
Aujourd'hui on a sept cas dans des élevages principalement dans le nord de notre pays, mais on a de l'influenza aviaire qui est à peu près partout autour de nous. En Belgique, en Italie beaucoup, en Allemagne et donc on est…

ORIANE MANCINI
Il y a une flambée des cas ?

JULIEN DENORMANDIE
On a cette vigilance extrême, mais vraiment extrême, qui nous a conduits d'ailleurs à prendre des décisions très dures pour nos éleveurs et je voudrais vraiment les saluer, parce qu'on a mis des mesures de protection pour éviter ou retarder au maximum l'arrivée de ce virus et avoir à éviter des décisions que, l'année dernière à la même époque j'étais déjà en train de prendre, c'est-à-dire opérer l'abattage de centaines de milliers puis de millions de volailles, de palmipède sou de gallinacés. Et donc, on a pris des mesures de protection très dures et ces mesures de protection n'empêchent jamais le risque 0, et donc on a une vigilance totale là-dessus. Je redis, le virus de l'influenza aviaire n'empêche en rien - mais en rien - de manger du foie gras, de manger des oeufs, de manger ces belles volailles. Ce n'est pas transmissible par les aliments donc aucun problème là-dessus. Bref, il faut manger du foie gras, vous m'aurez compris.

JULIEN LECUYER
Alors question qui concerne les gallinacés, en l'occurrence c'est les poules en cage. Après deux ans d'attente, le décret interdisant toute nouvelle installation d'élevage de poules en cage a été publié. Alors deux ans, deux ans.

JULIEN DENORMANDIE
Pardon de vous couper. Pourquoi ? Parce qu'en fait, on a mis en place…

JULIEN LECUYER
Oui, c'était la question que j'allais vous poser Monsieur DENORMANDIE. C'est justement parce qu'il a fallu quand même attendre la saisine du Conseil d'Etat par une association de défense des animaux d'élevage. Pourquoi ?

JULIEN DENORMANDIE
Parce qu'en fait, on l'a fait à titre - on appelle ça des circulaires. C'est-à-dire qu'on a donné le cadre et le Conseil d'Etat a dit : il ne faut pas que ce soit juste un cadre donné, il faut que ça ait une valeur réglementaire avec un texte réglementaire. Donc on est venu préciser par un texte réglementaire. Mais l'esprit de la loi qui précédait donc ce texte réglementaire est bien appliqué depuis déjà deux ans. Et d'ailleurs, c'est très intéressant, parce que c'est quoi ? En gros il y a quelques années dans la loi EGalim, la première, a été décidé de faire en sorte que tout nouveau bâtiment d'élevage puisse avoir ses accès en plein air. Une demande du citoyen très légitime. Mais ce qui très intéressant de voir, c'est aujourd'hui le nombre de poulaillers de plein air qui fait l'objet de recours, parce que tous autour de la table en tant que citoyen on dit : « Nous, on veut bien et on préfère que les poules elles soient dehors, que les cochons ils soient dehors » mais disons que c'est assez facile quand ici les studios sont au Jardin du Luxembourg, la probabilité que dans le jardin du Luxembourg vous ayez des milliers de volailles ou des milliers de porcs est somme toute assez limitée. Par contre quand vous êtes dans d'autres territoires et que c'est à côté de chez vous, à ce moment-là vous avez beaucoup de voisins qui posent le recours. Ce que je veux dire par là, c'est qu'on a une bonne intention, une bonne intention collégiale avec cette demande citoyenne de dire : « Mettons les poules dehors, mettons les cochons dehors »

JULIEN LECUYER
Mais il faut assumer.

JULIEN DENORMANDIE
Et dans la réalité, quand les agriculteurs et les éleveurs font leur projet, qu'est-ce qu'on voit ? Recours sur recours sur recours, ça bloque les projets. C'est très intéressant parce que, vous voyez, c'est cette forme de cohabitation des contraires dans laquelle on est tous plongé. On en a tous dans nos for intérieurs des cohabitations des contraires mais on y est tous plongé. Et parfois il faut arrêter du blanc ou du noir, c'est parfois très compliqué y compris dans l'acceptation sociale.

ORIANE MANCINI
Un mot sur la loi EGalim puisque vous venez d'en parler, la loi EGalim 2 qui a donc été votée. On en est où de son application aujourd'hui ? Est-ce que la grande distribution joue enfin le jeu j'allais dire ?

JULIEN DENORMANDIE
Ça va vous faire plaisir, les textes d'application sont déjà pris.

JULIEN LECUYER
Vous me voyez rassuré.

JULIEN DENORMANDIE
Modulo un ou deux qui sont en ce moment au Conseil d'Etat pour publication ensuite. On a ce matin même d'ailleurs le comité de suivi des relations commerciales, où on réunit toute la grande distribution, tous les industriels et tout l'amont de la chaîne. EGalim 2 a changé la donne, a changé la nature des relations à l'évidence. Maintenant on est dans une situation où vous avez une telle augmentation des prix de production, une telle augmentation, qu'il faut que l'effort consenti et par la grande distribution et par les industriels soit significatif voire très significatif. Les relations commerciales, c'est une relation de tension mais c'est surtout une bataille entre les uns et les autres. C'est un rapport de force. Avec cette loi EGalim 2, on a permis de réarmer le monde agricole dans ce rapport de force, et donc on aura à nouveau cette réunion ce matin pour mettre la pression et faire en sorte qu'elle soit pleinement appliquée. C'est essentiel à mes yeux parce qu'évidemment, on ne peut pas faire d'agriculture sans agriculteurs et on ne peut pas avoir d'agriculteurs s'ils ne sont pas rémunérés.

JULIEN LECUYER
Ça me permet peut-être de faire une transition vers le recensement agricole, ce document assez énorme, assez vaste qui permet de faire une sorte de dessin assez précis du paysage à l'heure actuelle. Est-ce que vous pourriez nous éclairer un peu ? Puisque c'est vrai que selon ce dernier recensement, il y a 100 000 exploitations supplémentaires qui qu'ont disparu en dix ans. Je cite les chiffres, vous les connaissez par coeur mais il n'en reste plus que 390 contre 490 en 2010, 663 000 en 2000. Est-ce qu'il n'y a pas péril pour l'agriculture française ?

JULIEN DENORMANDIE
Il y a un enjeu qui est majeur mais vous prêchez un convaincu. Je veux dire, je me bats, je me lève tous les matins pour lutter contre cela, lutter contre ce risque. Quelle est la plus grande de nos souverainetés ? C'est quand même la capacité qu'on a de se nourrir et de se nourrir avec nos produits et avec nos produits de qualité. Parce que c'est quand même fabuleux : toutes les études à travers le monde vantent la qualité de l'agriculture française. Tous. Et alors ce recensement, il dit quoi ? Il dit effectivement qu'il y a une diminution du nombre d'exploitants, d'exploitations précisément. Du nombre d'exploitations. Il dit aussi des choses très intéressantes. Il dit qu'on a un modèle agricole qui reste profondément à taille humaine. La moyenne, c'est 69 hectares.

JULIEN LECUYER
Oui. C'est trois fois moins qu'aux Etats-Unis je crois.

JULIEN DENORMANDIE
Exactement. Il dit aussi qu'on a des exploitations agricoles tournées vers la qualité. Et ce dernier recensement montre que plus d'un tiers des exploitations pardon produit des produits sous label très intéressants. Et puis surtout quand on rentre dans le détail, ce qu'on voit, et pour moi je ne savais pas quel serait le résultat, et c'était pour moi un des éléments que j'attendais avec le plus d'anxiété si je puis dire, c'est qu'on voit en fait que la part des moins de 40 ans n'a pas diminué. Ce recensement on le fait tous les dix ans, donc on a l'image 2010-2020 par rapport à l'image 2000-2010. Et on voit que la part des 40 ans, des moins de 40 ans n'a pas diminué. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'en fait, on un secteur qui reste attractif. Et d'ailleurs le nombre d'installations de jeunes chaque année reste à peu près stable.

JULIEN LECUYER
Mais il y a un vieillissement général de la population.

JULIEN DENORMANDIE
Exactement. Mais en revanche, on voit un vieillissement très important, ce qui fait que même si on a un secteur qui reste attractif, on n'est pas en capacité au moment où je vous parle à répondre à l'ensemble des départs à la retraite. Ce qui veut dire que la politique qu'on a fondée sur l'installation des jeunes, d'abord la vision politique est la bonne mais il faut amplifier, amplifier, amplifier. Aujourd'hui on doit être à 14 000 installations par an, il faudrait passer à 20 000.

JULIEN LECUYER
C'est ça.

ORIANE MANCINI
Merci beaucoup. Merci Julien DENORMANDIE d'avoir été notre invité ce matin.

JULIEN DENORMANDIE
Merci à vous.

ORIANE MANCINI
Bonnes fêtes avec du foie gras sur la table. On l'a compris. Merci d'avoir été notre invité.

JULIEN DENORMANDIE
Merci beaucoup.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 décembre 2021