Texte intégral
Mme la présidente.
L'ordre du jour appelle le débat sur le thème « Légalisation du cannabis : évolutions européennes, blocages français ».
Ce débat a été demandé par le groupe Libertés et territoires. À la demande de ce dernier, il se tient en salle Lamartine afin que des personnalités extérieures puissent être interrogées.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Nous commencerons par une table ronde en présence de personnalités invitées, d'une durée d'une heure, puis nous procéderons, après avoir entendu une intervention liminaire du Gouvernement, à une nouvelle séquence de questions-réponses, d'une durée d'une heure également. La durée des questions et des réponses sera limitée à deux minutes, sans droit de réplique.
Pour la première phase du débat, je souhaite la bienvenue à Mme Emmanuelle Auriol, économiste, à M. Jean-Pierre Couteron, psychologue clinicien, et à M. Bruno Laforestrie, directeur de la radio Mouv' et auteur de l'ouvrage Hasch, la honte de la République .
Je vais à présent donner la parole à chacun de nos invités pour une intervention d'environ cinq minutes chacun.
(...)
M. le président.
La séance est reprise.
Je suis heureux d'accueillir Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement, qui nous rejoint pour la deuxième partie de ce débat et à qui je cède la parole.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.
Avant d'entamer mon propos, je tiens à remercier le groupe Libertés et territoires d'avoir proposé la tenue de ce débat nécessaire et utile, dans un cadre très apaisé, ainsi que la qualité du travail mené depuis maintenant près de deux ans par plusieurs parlementaires. Je pense évidemment à Jean-Baptiste Moreau ou à Robin Reda, mais aussi à tous les membres de la mission d'information, qui ont procédé à près d'une centaine d'auditions et ont produit un rapport dont la qualité et la densité font un document clé, de nature à alimenter nos débats.
Nous sommes réunis aujourd'hui pour évoquer la légalisation du cannabis. Au-delà d'être une question de société majeure, il s'agit d'un thème sur lequel il est difficile de ne pas avoir une opinion, voire une conviction. Malheureusement, il s'accommode parfois mal de nuances, même si la qualité des travaux parlementaires permet en partie de remédier à cet état de fait.
Au-delà des opinions parfois vagues ou des convictions tranchées, il y a des faits et surtout un constat : celui que la consommation du cannabis représente un véritable problème de santé publique. Les chiffres évoqués à l'appui de la légalisation du cannabis sont, je le crois, connus de tous. Ils ont été rappelés au cours de la première partie de cette table ronde, qui fut de qualité. S'agissant par exemple de la prévalence de la consommation de cannabis en population générale, particulièrement élevée dans notre pays, la France comptait en 2019 plus de 5 millions de consommateurs, 1,5 million de consommateurs réguliers et plus de 900 000 consommateurs quotidiens. Ces derniers sont considérés comme susceptibles d'avoir un usage problématique de ce produit.
Des résultats récents contredisent toutefois l'idée installée et largement répandue selon laquelle le niveau de consommation de cannabis ne cesse d'augmenter. En réalité, la répartition entre les fréquences d'usage au cours de l'année n'a pas varié depuis 2014 et la proportion d'usages réguliers apparaît même en léger recul, étant passée de 3,6 % en 2017 à 3,2 % en 2020. Les observations sont par ailleurs très contrastées en fonction des tranches d'âge considérées : si l'usage progresse légèrement parmi les adultes de plus de 35 ans, la baisse amorcée depuis 2014 chez les jeunes de 18 à 25 ans se confirme. Le cannabis est donc de moins en moins populaire au fil des générations, et ce depuis le milieu des années 1980. C'est aussi pourquoi, en tant que secrétaire d'État chargée de la jeunesse, je porte un regard très particulier sur cette question : les échanges précédents ont mis en évidence la nécessité, sur ce thème, d'avoir une vision, de formuler des propositions et surtout d'agir.
L'Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT) a montré que si la consommation des jeunes de 16 ans en France restait, en 2019, une des plus élevées d'Europe, elle a connu la plus forte baisse du continent entre 1999 et 2019. Nous devons donc définir clairement ce dont nous parlons. Le cannabis est une drogue dont le caractère nocif pour la santé humaine est clairement établi par l'ensemble de la littérature scientifique internationale. Sa dangerosité est accrue pour les adolescents et les jeunes adultes, parce que leur cerveau, dont la maturation n'est pas achevée avant l'âge de 25 ans, est particulièrement susceptible d'être affecté par la consommation de ce produit.
Face à cet enjeu de santé publique, aussi important du point de vue de l'éducation que de l'insertion sociale et professionnelle, nous visons tous le même objectif : réduire les risques et prévenir le plus tôt possible l'entrée dans la consommation. Notre volonté assumée est que ce produit soit le moins consommé possible en France et que son usage ne soit pas banalisé.
Il faut également s'attaquer aux différents réseaux criminels qui se cachent derrière ce qu'on appelle communément le petit trafic. Cet enjeu est indissociable de la politique de prévention volontaire que nous menons. Le Gouvernement agit à la fois sur l'offre et sur la demande, en même temps et avec les mêmes efforts.
Dans cette perspective, le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 comporte différentes mesures, certaines étant particulièrement fortes. L'ensemble des leviers sont mobilisés, notamment le renforcement de la prévention, une prise en charge à la fois sanitaire et sociale – deux aspects que l'on ne peut pas séparer –, le développement de la recherche multidisciplinaire ou encore la lutte contre les trafics. Ces mesures vont de pair avec le maintien de l'interdit.
Certains députés, notamment les membres du groupe Libertés et territoires qui sont à l'origine de ce débat, préconisent un contrôle par l'État de la vente de cannabis à des fins non thérapeutiques – pour ne pas dire récréatives. Mais une telle proposition peut avoir selon nous un effet contre-productif.
Il a également été question, dans les travaux réalisés en amont ou dans les différents rapports qui ont été remis, des retours d'expériences étrangères.
S'agissant de l'exemple américain, étudié par l'Observatoire français des drogues et des tendances addictives, les résultats, contrastés, ne permettent pas de conclure à l'efficacité d'un changement de statut légal, que ce soit pour diminuer le niveau de consommation ou pour réduire la criminalité. On y observe une hausse de la prévalence de l'usage parmi les adultes voire l'émergence de nouveaux problèmes sanitaires, notamment des intoxications liées à une consommation mal maîtrisée de produits comestibles ou de plus en plus concentrés en THC.
Concernant plus spécifiquement l'impact sur les jeunes, on constate certes une diminution réelle de l'usage dans les pays concernés mais celle-ci reste à confirmer dans un contexte de forte normalisation du produit, induite entre autres par sa légalisation. La part des mineurs qui jugent que l'usage du cannabis présente peu de risques a augmenté après la légalisation dans des États tels que le Colorado ou Washington.
Concernant l'impact sur l'ordre public, la légalisation a certes permis un redéploiement plus marqué de l'action de la police et de la justice vers des opérations de contrôle, et une partie des consommateurs se fournit désormais auprès d'un réseau officiel. Cependant les répercussions sur la criminalité apparaissent encore marginales.
Le Gouvernement suit avec une attention particulière l'expérience canadienne, d'ailleurs souvent citée par les tenants d'une légalisation en Europe ou en France. Les autorités québécoises ont elles-mêmes publié un rapport sur les premières années de la mise en œuvre de la légalisation. On peut y lire que les usages sont en baisse chez les adolescents, lesquels, je le précise, ne sont pas concernés par l'accès légal au produit. J'ajoute que la légalisation s'est accompagnée là-bas d'une politique de prévention très volontariste en direction des plus jeunes. Nous menons également une telle politique, qui donne des résultats, comme le démontrent les chiffres.
Toutefois, on constate également au Québec une augmentation particulièrement significative de la consommation chez les adultes, dès 18 ans, alors que l'accès au produit légal n'est autorisé qu'à partir de 21 ans. L'acceptabilité sociale beaucoup plus forte atténue donc la perception des risques, une conséquence qui nous semble inquiétante.
Vous savez par ailleurs que l'exclusion des mineurs de l'accès au cannabis légal risquerait d'être mal acceptée, à l'instar de l'interdiction de la vente de tabac et d'alcool aux mineurs, à laquelle le Gouvernement reste particulièrement attaché.
Le Gouvernement n'a pas fait le choix de la légalisation du cannabis en France mais celui, assez clair et constant, de la prévention des usages, de la restauration de la crédibilité d'un interdit pénal protecteur et de la lutte contre les trafics. Notre objectif est la prévention, c'est-à-dire le fait d'empêcher une personne de s'installer dans des usages répétés et problématiques mais aussi de repérer au plus tôt ces usages pour orienter efficacement le consommateur vers la prise en charge la plus adaptée possible.
Le plan Priorité prévention et le plan national de mobilisation contre les addictions 2018-2022 prévoient d'ailleurs des actions visant à soutenir ce choix. La France dispose d'outils puissants permettant de financer la prévention des addictions, l'exemple le plus éclatant étant le fonds de lutte contre le tabac, devenu, fin 2019, le fonds de lutte contre les addictions, doté d'un budget très important de plus de 120 millions d'euros.
Ces actions de prévention passent en priorité par les écoles, par les universités et par tous les acteurs de proximité en lien avec les jeunes, indissociables de la politique de prévention.
Une stratégie de déploiement à très grande échelle des programmes de renforcement des compétences psychosociales est également en cours d'élaboration. Ces programmes, qui ont fait l'objet d'une évaluation, permettent d'obtenir des résultats majeurs en matière de consommation, de climat scolaire ou encore de réussite éducative des élèves. On sait que les addictions, quelles qu'elles soient, risquent notamment de mener au décrochage scolaire et peuvent avoir des conséquences sociales dramatiques.
Vous l'avez vu, nous avons aussi engagé au second semestre 2021 une grande campagne de communication en trois volets afin d'informer sur les risques. Nous sensibilisons également les professionnels qui sont au contact des jeunes, en premier lieu les professionnels de santé, dont l'action auprès des patients est particulièrement efficace parce qu'elle s'appuie sur un lien de confiance précieux.
La diffusion des stratégies d'intervention précoce permet à d'autres professionnels au contact des jeunes de repérer les usages problématiques et d'en tenir compte dans l'accompagnement et, le cas échéant, l'orientation vers des structures plus spécialisées, qui constituent un environnement protecteur pour les jeunes en mettant à distance les incitations à consommer des substances psychoactives.
Aussi faut-il mieux promouvoir les dispositifs d'aide et d'accompagnement proposés aux jeunes car ils sont encore trop peu ou trop mal connus de leur entourage mais aussi, plus largement, du grand public qui peut y avoir recours pour toute question ou difficulté liée à la consommation de produits addictifs ou de drogue.
En France, la consommation chez les jeunes, même si elle reste extrêmement élevée, connaît depuis une vingtaine d'années une baisse continue, preuve que l'action publique, notamment en matière de prévention, peut être efficace pour réduire les usages chez les plus jeunes, sans qu'il soit nécessaire de revenir sur l'interdit protecteur.
Rien n'indique d'ailleurs, à ce stade, que la légalisation de l'usage récréatif entraînerait des avancées sur le plan de la santé publique, notamment une baisse de la consommation, ni sur celui de la sécurité publique.
Par ailleurs, une telle décision pourrait – nous le craignons – banaliser davantage ce produit, renforcer son accessibilité et susciter une perception positive du cannabis par les jeunes. Or il est connu que ce type de représentation a un impact important sur la consommation. En rendant une drogue acceptable, cool, pittoresque ou poétique, on risque de perdre de vue que c'est bien une drogue, qu'elle présente donc un risque d'addiction et que ce phénomène reste malheureusement un fléau social contre lequel il faut lutter.
M. le président.
Nous en venons aux questions. Je rappelle que la durée des questions, ainsi que celle des réponses, est limitée à deux minutes et qu'il n'y a pas de droit de réplique. La parole est à M. François-Michel Lambert.
M. François-Michel Lambert (LT).
En préambule, je vous remercie de votre présence, madame la secrétaire d'État, même si nous attendions le ministre de l'intérieur, qui n'a pas souhaité répondre aux questions de la représentation nationale à propos de ses propres responsabilités, notamment dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Sur la question du cannabis, nous connaissons les postures martiales de M. Darmanin, ses outrances et ses mensonges, par exemple lorsqu'il explique que les pays ayant légalisé reviennent sur leur décision, ce qui est totalement faux.
De nombreux gouvernements en Europe constatent que la France adopte une position politique qui va à l'encontre de la leur. Cette position, unique dans l'Union européenne, emmerde – comme on dit en ce moment – d'abord le consommateur concernant ses choix personnels et restreint les libertés fondamentales sans répondre du tout au besoin de protection de nos concitoyens. Voilà la réalité.
La prohibition ne semble pas suffire au Gouvernement. Gagné par la paranoïa, il a fallu qu'il y ajoute, le 30 décembre dernier, l'interdiction de la fleur de chanvre CBD, insultant ainsi la jurisprudence européenne et des millions de consommateurs. Voilà la réalité.
Les postures répressives sont incompréhensibles, hypocrites et ne tiennent pas compte de l'avis des spécialistes – nous les avons encore entendus tout à l'heure. Vous saluez les conclusions de la mission parlementaire sur les usages du cannabis, votées à l'unanimité de ses membres, y compris ceux de votre majorité. Toutefois, le Gouvernement ne semble pas du tout lest trouver utiles.
En Europe, la politique prohibitionniste et moraliste de la France constitue une exception. Portugal, Espagne, Italie, Suisse, Allemagne, Belgique et Pays-Bas : tous nos pays frontaliers adoptent la seule voie qui compte, la légalisation. Notre pays s'isole quand notre Président de la République traite les partisans de la légalisation d'irresponsables et de bien-pensants. Irresponsables, Olaf Scholz et sa coalition en Allemagne ?
Madame la secrétaire d'État, réussirez-vous à convaincre, un par un, l'ensemble de vos homologues de revenir sur leur choix politique vis-à-vis du cannabis ? Imposerez-vous à tous les autres pays européens une ligne dure ultrarépressive, à contre-courant ?
Concrètement, demain, quand l'Allemagne aura légalisé, que se passera-t-il si une famille allemande, partie en vacances, traverse notre pays pour se rendre en Espagne avec, dans ses bagages, des fleurs de CBD interdites en France et quelques grammes de résine de cannabis ? Cette famille pourra-t-elle traverser notre pays sans être inquiétée ? Sera-t-elle arrêtée ? Y aura-t-il une différence avec la législation appliquée vis-à-vis de nos ressortissants ? Bref, je vous rappelle que nous faisons partie de l'Union européenne.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
Monsieur le député, je sais que votre attachement à la question de la légalisation du cannabis n'est pas une posture ni une position dogmatique car je me souviens que la proposition de loi que vous aviez déposée avait été cosignée par des députés de plusieurs groupes parlementaires. Ceci prouve que cette question nécessite un débat apaisé qui, c'est certain, ne peut passer uniquement par des postures ou des points de vue dogmatiques.
La position du gouvernement français contre la légalisation du cannabis est bien connue de nos partenaires européens. Tous les États membres sont d'ailleurs liés par les mêmes traités internationaux – je pense évidemment à la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes. Ils sont soumis au même droit communautaire, aucun n'y déroge. À la différence d'autres pays, que vous avez cités, qui ont dépénalisé ou légalisé le cannabis, nous avons fait le choix de ne pas nous écarter de ces textes.
S'agissant de la nouvelle réglementation applicable à la plante de chanvre en France, notamment l'exploitation du CBD que vous avez mentionnée, nous présenterons, dès la semaine prochaine, un nouveau cadre réglementaire au sein du groupe chargé de diriger et de gérer les travaux du Conseil européen en matière de drogue, le groupe horizontal « drogue » (GHD). Cela apportera un éclairage complémentaire.
M. le président.
La parole est à Mme Nicole Dubré-Chirat.
Mme Nicole Dubré-Chirat (LaREM).
L'usage du cannabis médical, pratique courante dans vingt pays d'Europe, fait l'objet, depuis mars 2021, d'une expérimentation d'une durée de deux ans en France, où de nombreux professionnels de santé et patients la réclamaient.
Le lancement de cette expérimentation, qui représente un premier pas important, était très attendu par les acteurs du monde agricole qui y voient la possibilité d'établir une filière française de production et de transformation du chanvre destiné au cannabis thérapeutique. Les productions utilisées sont aujourd'hui importées puisqu'elles sont interdites en France malgré la réglementation européenne.
Dans la perspective d'une généralisation de l'expérimentation et pour faciliter l'installation d'une chaîne de production française, l'ANSM, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, a créé un comité scientifique temporaire qui devait se prononcer fin 2021 concernant la traçabilité, les contrôles nécessaires liés à la culture des plantes et les critères de qualité pharmaceutique.
En juillet 2021, la France a présenté à la Commission européenne un projet d'arrêté autorisant la production et la commercialisation du cannabidiol, un décret devant suivre. Les industriels français concernés attendent cette officialisation pour produire du chanvre thérapeutique et ainsi éviter son importation alors que nous avons les compétences et le savoir-faire nécessaires. Cela permettrait de surcroît un contrôle plus poussé de la qualité de la production et de la transformation. L'entreprise DelleD, située dans ma circonscription, propose de participer à cette production et à sa transformation en cannabis thérapeutique ; elle a déjà lancé la construction d'un site de 10 000 mètres carrés à cet effet, avec pour ambition de faire d'Angers la capitale du végétal spécialisé, en association avec l'INRAE – l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement –, Angers Technopole et Agrocampus Ouest. Une autre entreprise que vous connaissez, madame la secrétaire d'État, la société Boiron, située dans les Pays-de-la-Loire et spécialisée dans l'homéopathie, est prête à mobiliser son savoir-faire en tant que laboratoire pharmaceutique et son réseau bien établi pour assurer la distribution, dans le cadre de la diversification de ses activités.
Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous me dire quels sont les plans du Gouvernement concernant la généralisation du cannabis thérapeutique après la phase d'expérimentation ? Avez-vous reçu les propositions du comité mis en place par l'ANSM ? Enfin, pouvez-vous préciser la date de publication du décret qui permettra l'émergence d'une filière agrosanté innovante ?
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
Je crois que cette expérimentation représente une vraie avancée et qu'elle est nécessaire. Elle permet aux acteurs concernés, qui ont énormément d'attentes en cette matière, de se projeter dans l'avenir. Le cadre de l'expérimentation est défini par le ministère de la santé ; sa mise en œuvre et son pilotage opérationnel sont assurés, vous l'avez rappelé, par l'ANSM. Cette phase permettra bien sûr de juger de l'opportunité de généraliser l'usage des médicaments à base de cannabis en France. L'évaluation sera effectuée en fonction des résultats attendus en septembre 2023, conformément à l'article 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2020.
Le 6 décembre dernier, donc très récemment, a été effectué un bilan de la montée en charge de l'expérimentation : plus de 1 150 patients y sont inclus et plus de 840 sont suivis très précisément en fonction d'indicateurs, les patients se répartissant entre ceux souffrant de douleurs neuropathiques, ceux souffrant de spasticités douloureuses liées entre autres à la sclérose en plaques, d'autres relevant de l'épilepsie, de l'oncologie ou encore de situations palliatives dont on sait à quel point elles sont douloureuses à vivre.
Pour répondre encore plus précisément à votre question, je vous informe que le comité scientifique temporaire n'a pas encore remis ses propositions, et que le décret qui doit permettre de créer la filière de culture et de production du cannabis à usage médical en France est actuellement retenu au Conseil d'État dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel, dans le cadre de la procédure de question prioritaire de constitutionnalité (QPC) sur la base légale du classement des substances vénéneuses. Cette décision est attendue ce mois-ci. Elle permettra évidemment d'y voir plus clair. L'objectif est d'envisager, au terme de l'expérimentation et en cas de décision de généraliser l'usage de médicaments à base de cannabis, la fourniture de médicaments fabriqués sur le territoire national. Si, pour une raison ou une autre, cette généralisation n'était pas décidée, les producteurs de la plante de cannabis à usage médical auront la possibilité d'exporter cette matière première à l'étranger.
M. le président.
La parole est à M. Moetai Brotherson.
M. Moetai Brotherson (GDR).
En Europe, on a un peu l'impression que la France représente le village des Gaulois réfractaires : en effet, comme l'a souligné mon collègue François-Michel Lambert, partout ailleurs on légalise, sauf ici. Les politiques comme les scientifiques soulignent quasi unanimement que ce qui compte en matière de cannabis, c'est de ne pas oublier qu'il s'agit d'une problématique de santé publique. Dès lors, n'est-il pas temps de changer de paradigme en France et de confier la gestion de l'addiction et du cannabis en général au ministère de la santé au lieu d'en faire une problématique de justice ? Le Portugal, qui a fait ce choix il y a vingt ans, a désormais suffisamment de recul.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
Je crois qu'il faut d'abord et avant tout lutter contre les addictions, quelles qu'elles soient, parce qu'on connaît leurs conséquences sociales. Dans leur gestion, on ne peut se limiter ni au seul aspect répressif ni au seul versant santé publique. Aujourd'hui, c'est bien le ministère de la santé qui a la charge de la gestion et de la lutte contre les conséquences de l'addiction au cannabis à travers différentes mesures – je pense à Drogues Info Service et aux campagnes de sensibilisation. Cette problématique est au coeur de toutes les actions interministérielles. Ainsi, quand je traite des sujets liés à la jeunesse, c'est évidemment en collaboration avec le ministère des solidarités et de la santé, qui travaille avec nous à la sensibilisation aux addictions au sein des établissements scolaires.
Vous avez cité le cas du Portugal. Or il se trouve que la hausse de la consommation y est réelle et qu'il n'y a pas de baisse de la délinquance associée. Je ne crois pas qu'à la sortie de ce débat il faille opposer lutte contre le trafic, prévention et gestion des conséquences de l'addiction. Il s'agit au contraire de s'appuyer sur des travaux tels que le rapport parlementaire qui fait une distinction entre différents usages – thérapeutiques ou récréatifs – du cannabis et de ses dérivés. C'est en ayant un débat le plus nuancé possible que nous permettrons de vrais progrès, en particulier pour les jeunes. Pour l'heure, les drames restent bien trop nombreux : ainsi, l'année dernière, il y a eu plus de 500 morts sur la route dues à une consommation de produits stupéfiants. C'est en luttant contre leurs conséquences que nous lutterons plus largement contre les addictions.
M. le président.
La parole est à Mme Isabelle Santiago.
Mme Isabelle Santiago (SOC).
Ma question aborde un point majeur du débat : le cannabis thérapeutique. C'est un sujet de politique publique de santé qui renvoie, pour les patients, à une attente extrêmement forte. Votée à l'unanimité par la représentation nationale il y a plus de deux ans, l'expérimentation du cannabis thérapeutique devait intégrer 3 000 patients. Huit mois après son lancement, les chiffres ne sont pas bons : vous avez parlé, madame la secrétaire d'État, de quelque 1 000 personnes seulement – j'ai pour ma part le chiffre de 870 –, parce que de nombreuses maladies ont été exclues de l'expérimentation. Celle-ci nous offrait pourtant l'occasion de rattraper notre retard sur les autres pays européens, beaucoup de mes collègues l'ont rappelé : je pense à l'Espagne, au Portugal, à la Suisse, au Luxembourg ou encore à l'Allemagne. Mais la France se braque sur la question du cannabis, qu'il soit récréatif ou non.
Alors que le cannabis thérapeutique est attendu par de très nombreux patients, les conditions d'inclusion des malades dans l'expérimentation sont trop restrictives, de nombreux éléments les encouragent à bouder ce produit, et les médecins ne se pressent pas pour le proposer, n'étant pas formés en France pour en prescrire. Les responsables passent leur temps à en déconstruire l'image alors qu'à l'échelle mondiale, le cannabis thérapeutique est reconnu et qu'en Europe, il a permis des avancées majeures. Vous avez, comme le ministre des solidarités et de la santé, rencontré les malades concernés ; moi-même, j'ai rencontré Bertrand Rambaud, fondateur de l'Union francophone des cannabinoïdes en médecine. Je le répète, les attentes sont fortes. En désespoir de cause, certains malades obtiennent bien évidemment des traitements ailleurs et se retrouvent confrontés à la sanction de la loi française. Comme le disait mon collègue François-Michel Lambert, que va-t-on faire quand les Allemands vont voyager à travers la France pour aller en Espagne ou ailleurs en transportant avec eux du cannabis récréatif ou thérapeutique ?
Pour nous, au groupe Socialistes et apparentés, le constat est clair : il faut avancer sur le sujet, les malades l'attendent, c'est urgent. Mais on tarde beaucoup trop pour que la France puisse être leader en ce domaine.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
Madame la députée, le Gouvernement partage votre constat. Le ministère des solidarités et de la santé souhaite que l'expérimentation sur le cannabis thérapeutique soit la plus large possible. Mais il a été plus difficile d'atteindre les objectifs prévus parce que la crise sanitaire a ralenti le déploiement du dispositif. L'attente des patients est réelle, nous le savons, et pour accélérer la montée en charge du dispositif, un certain nombre de professionnels de santé – 427 médecins, mais aussi des pharmaciens hospitaliers ou d'officine – ont été formés grâce à des actions ambitieuses. Le plus important est de répondre aux besoins et aux attentes des patients en s'appuyant sur la volonté du ministère de tirer les conclusions de l'expérimentation. Il ne faut pas se laisser décourager par le fait que le nombre des patients intégrés dans le dispositif soit plus faible que prévu : je le répète, ce chiffre est dû à une situation sanitaire qui a ralenti le déploiement de l'expérimentation. Mais j'ai la conviction, parce que c'est la volonté du ministère des solidarités et de la santé, que le retard sera rattrapé aussi vite que possible.
M. le président.
La parole est à Mme Annie Chapelier.
Mme Annie Chapelier (Agir ens).
Tout d'abord, je souhaite préciser que le groupe Agir ensemble, dont je suis membre, a une position partagée sur le sujet. Je parlerai donc uniquement au nom de ceux de mes collègues qui, comme moi, sont favorables à la légalisation du cannabis. À nos yeux, c'est une décision non seulement de santé publique mais également d'ordre public. Je n'ai pas participé à la mission d'information plusieurs fois citée et dont on a loué la qualité, et je n'ai pas une connaissance fine du sujet qu'ont beaucoup de collègues. Je n'ai donc malheureusement que l'approche d'une simple citoyenne qui voit les dégâts causés par l'usage du cannabis, en particulier dans certaines cités. Mais moi qui suis en ruralité, je peux vous dire que nos petits villages sont, eux aussi, des lieux de trafic et d'économie souterraine dans ce domaine.
Les intervenants dans la première partie du débat ont apporté des éclairages utiles, même si ceux-ci ont le défaut de ne pas aboutir à un débat contradictoire. Mais c'est peut-être parce qu'on trouve de moins en moins de contradicteurs sur ce sujet. Un consensus semble apparaître en France et, on l'a plusieurs fois répété, beaucoup de pays européens ont déjà choisi la voie de la légalisation. On ne peut pas résumer le fait d'être favorable à la légalisation du cannabis à une position affective : ainsi, les trois intervenants étaient purement rationnels. On peut donc adhérer à la légalisation progressive du cannabis de façon tout à fait rationnelle.
Les intervenants ont beaucoup insisté sur la prévention et sur l'éducation. Vous-même, madame la secrétaire d'État, avez cité le Québec, qui a réussi à diminuer la consommation grâce à des mesures de prévention efficaces. Aussi, je souhaiterais savoir quelle place le Gouvernement compte donner à une véritable politique de prévention, sachant qu'en France, elle est peu développée dans le système de santé et devrait l'être beaucoup plus.
Par ailleurs, comment organiser l'approche par paliers, que nous ont suggérée les intervenants, pour que la France procède à une transition, sans passer directement de l'illégalité à la légalité de l'usage du cannabis, pour tendre vers un modèle plus européen ?
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État chargée de la jeunesse et de l'engagement.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
La prévention et la prise en charge des risques des usages du cannabis sont une nécessité, et pour y parvenir, il faut déjà libérer la parole. C'est pourquoi sont organisés des débats de qualité et apaisés qui permettent, sans faux-semblants, d'évoquer les conséquences des usages du cannabis – conséquences qui sont très différentes chez un adolescent et chez un adulte de 45 ans, dont la consommation n'est pas la même, ce qui a été rappelé dans la première partie du débat.
Concernant l'éducation à la destination des consommateurs, il y a d'abord et avant tout l'école, car c'est le lieu où les jeunes peuvent avoir accès aux informations sur tous les risques connus, notamment sanitaires. Cette information doit être déployée à différents niveaux. C'est pourquoi les travaux que nous menons s'appuient sur la connaissance et l'expertise du ministère des solidarités et de la santé, mais aussi sur celles de plusieurs structures associatives au plus proche des jeunes. Il s'agit de sortir des faux-semblants pour libérer la parole sur les situations d'addiction, car quand on en parle, on peut lutter contre. Tout cela relève de la prévention, qui doit être mise en œuvre dès le plus jeune âge et à l'intérieur des familles, grâce aux acteurs de santé qui constituent le premier cercle de confiance des jeunes.
Dans ce cadre, nous déployons des dispositifs de sensibilisation très divers sous des formes simples, comme l'affichage dans les lieux fréquentés par les jeunes, ou plus complexes, comme les actions et les campagnes menées avec des associations, en particulier au cours de temps festifs. Il existe en effet plusieurs types de consommation : elle peut notamment être régulière ou ponctuelle.
Ces démarches font partie de la lutte plus globale contre l'ensemble des produits addictifs qui peuvent faire mal à une partie de la jeunesse – je rappelle qu'il s'agit principalement de cibler les adolescents et certains enfants puisque la consommation peut commencer très tôt.
Le rapport déjà évoqué propose une vision assez large. Il pose bien sûr la question de la légalisation, mais il traite aussi de l'encadrement de la production, de la distribution et des priorités de santé publique. La qualité des travaux menés est bien réelle, et nous vivons une étape clé du débat : le fait que la priorité de santé publique en constitue un élément majeur nous lie dans une démarche commune, quel que soit l'objectif ou le chemin à prendre.
M. le président.
La parole est à M. Jean-Baptiste Moreau.
M. Jean-Baptiste Moreau (LaREM).
Même si c'est un plaisir sans cesse renouvelé d'être en votre compagnie, madame la secrétaire d'État, je regrette d'autant plus l'absence du ministre de l'intérieur que nous aurions eu l'occasion de lui parler de notre rapport d'information, dont il n'a visiblement pas pris connaissance. Avec mes deux corapporteurs, Mme Caroline Janvier et M. Ludovic Mendes, nous avons eu la possibilité de le présenter au ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, mais pas au ministre de l'intérieur. Cela aurait sans doute évité que soit rédigé un décret sur le CBD qui n'est absolument pas conforme au droit européen car, non seulement il interdit la vente de la fleur, mais il empêchera aussi toute création d'une filière française – ce qui était pourtant le souhait initial du Président de la République.
Ce décret est pour moi nul et non avenu. Tout cela est dommage car il comporte un certain nombre d'avancées : il permet en particulier d'exploiter la fleur, contrairement aux textes précédents ; il fixe un taux maximal de THC à 0,3 %, ce qui rend possible le développement de certains produits. Il reste que l'interdiction de la vente de la fleur et de la feuille empêchera la création d'une filière française. Des recours ont cependant été déposés – je pense que leurs auteurs auront gain de cause, car le décret n'est pas conforme au droit européen.
Plus généralement, contrairement à ce qui est répété sur les plateaux de télévision ou dans de nombreuses interviews, notre rapport ne préconise ni une légalisation pour tous ni des campagnes de publicité sur des panneaux de quatre mètres sur trois dans toutes les rues de France. Il s'agit de légaliser de façon encadrée et, évidemment, de prévoir une interdiction pour les mineurs, puisque nous connaissons les dangers sur les cerveaux en formation.
Comme vous l'avez dit, madame la secrétaire d'État, les exemples comme celui du Canada, montrent qu'une légalisation encadrée par l'État, que ce soit en matière de prix ou de nature des produits, permet de diminuer la consommation des mineurs, qu'elle ne fait pas exploser celle des majeurs et qu'elle permet de réduire un certain nombre de problèmes de sécurité et de santé publiques en provoquant le démantèlement de réseaux qui sont privés d'une bonne partie de leurs ressources. Grâce à la légalisation, l'État peut donc reprendre la main pour affronter un problème de sécurité publique et de santé publique, alors que la prohibition, qui se pratique dans tous les pays depuis trente ans, échoue partout. J'ai l'esprit scientifique : les mêmes causes produisant les mêmes effets, la politique qui échoue partout continuera d'échouer quels que soient les paramètres que vous modifierez.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
J'ai lu avec énormément d'intérêt le rapport que vous avez remis. Vous avez évoqué en particulier la position du ministère de l'intérieur : je sais que votre rapport comporte un certain nombre de propositions et de préconisations pour mettre fin au trafic et favoriser l'inclusion des anciens trafiquants. J'ai conscience que vous avez eu une approche écosystémique, si je puis dire, allant de la lutte en faveur de la santé publique aux préoccupations relatives aux différents acteurs.
Le décret dont vous avez parlé a été présenté à la Commission européenne le 20 juillet dernier. Il n'a pas fait l'objet de retours, ou plutôt nous n'avons eu aucune information particulière, concernant la vente de la fleur ou de la feuille en vrac. L'interdiction est prononcée en référence à des motifs de santé publique de divers ordres. Il y a d'abord la volonté de ne pas laisser les consommateurs intégrer les fleurs ou les feuilles de cannabis dans des cigarettes à fumer car cela serait contraire aux politiques actuelles de lutte contre le tabagisme. Il y a ensuite la volonté de ne pas favoriser la vente de fleurs ou de feuilles sous forme de tisanes, vente qui serait propice à l'utilisation d'allégations de santé inadaptées.
Les autorités françaises ont cependant souhaité ouvrir le marché en autorisant l'utilisation, vous l'avez rappelé, de la fleur et de la feuille par extraction des principes actifs intégrés dans la composition des différents produits autorisés, sans permettre toutefois que les consommateurs accèdent facilement à des parties de la plante pouvant être utilisées de façon contraire aux intérêts de santé publique.
Cette interdiction est principalement justifiée par des motifs d'ordre public dans la mesure où, pour préserver la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure dans la lutte contre les stupéfiants, il faut pouvoir discriminer simplement les produits afin de déterminer s'ils relèvent ou non de la politique pénale menée dans ce cadre.
M. le président.
La parole est à M. Jacques Maire.
M. Jacques Maire (LaREM).
À l'origine, je n'avais pas de convictions sur le sujet. Disons que mon hérédité culturelle en la matière était à la fois ouverte et un peu conservatrice en raison de la peur que ce sujet suscite pour les jeunes générations.
Je suis élu d'une circonscription assez bourgeoise, voire très bourgeoise par certains endroits. J'ai été frappé de constater que ceux qui m'ont interpellé à plusieurs reprises sur le sujet, dans cette circonscription, n'étaient pas les parents ou les jeunes souhaitant disposer d'un accès plus libre à des activités récréatives renouvelées, mais des parents qui pensaient être protégés dans leur quartier, dans les établissements scolaires privés ou publics, ceux qui pensaient pouvoir résister à la pression en mettant leurs enfants à distance et à l'abri. Ils sont venus me voir pour me dire : en fait, c'est partout, c'est tout le temps, et on n'y arrive pas. Il y a des vendeurs commissionnés à la porte de chaque établissement, en particulier les plus protégés. Personne ne peut résister à un réseau Tupperware présent dans chaque cuisine. Ces parents m'ont donc demandé de pousser l'idée d'une approche régulée avec la capacité pour l'État d'intervenir de façon plus efficace.
J'ai considéré que les travaux de mes collègues parlementaires constituaient un apport considérable à une meilleure compréhension du sujet. Je vois l'hostilité immédiate dans l'opinion ; je vois la difficulté d'appropriation du sujet, mais je ne vois pas de plan B. Quand je parle de plan B, je ne pense pas simplement à la répression mais, au plus près des collèges et des lycées, à la capacité de l'État à mettre fin à cette vente d'enfant à enfant, de jeune à jeune. Dans les conditions actuelles, je ne vois pas comment on peut y arriver.
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
Je vous rejoins totalement sur le fait qu'aujourd'hui la vente de cannabis est partout, dans les territoires urbains comme ruraux, dans les classes populaires ou les classes plus bourgeoises. Il ne s'agit pas d'un phénomène réservé à une classe sociale et qui poserait des problèmes dans les seuls quartiers populaires, comme ce que l'on pourrait imaginer. Pas du tout ! On le rencontre partout, et il touche en particulier une tranche d'âge assez jeune.
La vente à proximité des établissements scolaires est désormais un véritable fléau. Le pire, c'est qu'elle se fait entre camarades, entre jeunes qui appartiennent, quasiment, au même écosystème. Il existe un programme spécifique au sein du ministère de l'éducation nationale et de son carré régalien qui bénéficie de la présence et du soutien du ministère des solidarités et de la santé, et du ministère de l'intérieur. Il vise à conjuguer la sécurisation des abords des établissements, et la prévention et la sensibilisation des élèves dès le plus jeune âge – dès le collège puisque cela est nécessaire.
Au-delà de ces questions de prévention et d'ordre public autour des établissements scolaires, lieux qu'il est extrêmement important de protéger, se pose le problème de la lutte contre un nouveau fléau – en tout cas, à mes yeux : l'utilisation dans ces circonstances des réseaux sociaux. Aujourd'hui, avec Instagram, on a accès à un Uber Eats de la vente de produits stupéfiants. Cette évolution transforme la manière de lutter contre la diffusion du cannabis, d'où la nécessité de protéger d'abord et avant tout les jeunes, parce que le cannabis a des conséquences sur leur santé – je crois que cette nécessité est ressentie par tous, le rapport d'information en fait état comme les travaux du groupe Libertés et territoires.
Pour protéger les jeunes, les maîtres-mots sont la prévention, la sensibilisation et l'information maximale. Je comprends aussi la nécessité de déployer des formes nouvelles en la matière, parce que, même si la baisse de la consommation est réelle pour les adolescents, elle est encore beaucoup trop élevée, chez les adolescents comme chez les enfants.
M. le président.
Pour une dernière question, la parole est à Mme Fabienne Colboc.
Mme Fabienne Colboc (LaREM).
Je souhaite vous interroger sur la commercialisation du Sativex, médicament à base de dérivés de cannabis, destiné à soulager les contractures sévères de patients atteints de la sclérose en plaques. Il a obtenu son autorisation de mise sur le marché français en 2014. Au mois d'octobre de cette même année, la Haute Autorité de santé (HAS) a préconisé son remboursement par la sécurité sociale à hauteur de 15 %. Toutefois le Comité économique des produits de santé (CEPS) et le laboratoire ne parviennent pas à se mettre d'accord sur le prix de vente. En conséquence, ce médicament n'est toujours pas disponible en pharmacie alors qu'il est déjà commercialisé dans dix-sept pays européens.
Cette situation est préjudiciable pour nos concitoyens atteints de la sclérose en plaques, dont les souffrances pourraient être apaisées grâce au Sativex. Madame la secrétaire d'État, pourriez-vous nous indiquer où en sont les négociations relatives à la mise sur le marché de ce médicament ?
M. le président.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Sarah El Haïry, secrétaire d'État.
Afin que je puisse répondre de la façon la plus exhaustive possible à votre question très technique, madame la députée, vous me permettrez de lire la réponse transmise par le ministère des solidarités et de la santé.
L'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a mis en place un comité scientifique temporaire pour le suivi de l'expérimentation française de l'usage médical du cannabis, lancée le 26 mars dernier pour une durée de deux ans. Le comité se réunit tous les mois depuis le lancement de l'expérimentation ; mais, s'agissant du Sativex, les négociations, vous l'avez souligné, n'ont pas encore abouti. Dans un premier temps, le prix n'a pas pu être fixé entre le CEPS et le laboratoire, et ce dernier n'est pas revenu vers le comité pour une négociation. Cela prive les patients d'un médicament dont ils ont besoin ; nous le déplorons. J'espère que la mobilisation du ministère et des différents acteurs permettra que la négociation rouvre. L'objectif reste évidemment de soulager le plus possible les patients et les familles qui les accompagnent.
M. le président.
Chers collègues, le débat est clos.
Source https://www.assemblee-nationale.fr, le 13 janvier 2022