Texte intégral
NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons deux invitées dans "Le Grand entretien du 7/9", la première est une secrétaire d'État, chargée des Personnes handicapées, qui sort de son rôle strict pour se muer en intervieweuse dans un livre sur le handicap, la seconde est une femme que l'on connaît tous, mais qui parle très rarement, conseillère départementale de Corrèze et fille de Jacques CHIRAC. Sophie CLUZEL, Claude CHIRAC, bonjour.
CLAUDE CHIRAC
Bonjour.
SOPHIE CLUZEL
Bonjour.
NICOLAS DEMORAND
Et bienvenues sur Inter. "La force des différents : Changer de regard sur le handicap" aux éditions JC LATTES, est un livre fort, un livre qui bouscule, qui dit des choses sur le handicap, qu'on n'entend pas, ou qu'on préfère ni voir, ni savoir, il prend la forme d'une série d'entretiens avec vous Claude CHIRAC, mais aussi avec le grand chef Yannick ALLENO, le philosophe Alexandre JOLLIEN, le producteur Dominique FARRUGIA, le chanteur Gilbert MONTAGNE, l'athlète Marie-Amélie LE FUR, et bien d'autres. Alors pourquoi…
LEA SALAME
Et le rappeur Gringe.
NICOLAS DEMORAND
Oui…
LEA SALAME
Non mais c'est vrai, parce que…
NICOLAS DEMORAND
Qui est formidable.
LEA SALAME
Qui est formidable.
NICOLAS DEMORAND
Formidable entretien. Alors pourquoi avoir troqué, Sophie CLUZEL, votre casquette de secrétaire d'État pour celle d'intervieweuse, quel est le message de ce livre ?
SOPHIE CLUZEL
En fait j'ai voulu partager, justement avec les lecteurs, toutes mes rencontres que j'ai fait depuis 4,5 ans, 5 ans presque maintenant, avec des personnalités, pour éclairer en fait le regard que l'on porte sur la différence au sens large du terme, et faire comprendre que cette différence elle impacte beaucoup beaucoup de personnes, que ce soit à travers les aidants, rappelons qu'ils sont 11 millions, les personnes elles-mêmes, 12 millions de personnes en situation de handicap, mais bien au-delà, c'est pour faire monter le degré d'acceptation de la différence dans notre société. Cette société que l'on veut toujours inclusive, qui veut dire peut-être pas grand-chose, moi je dis plus la participation de tous à tout, ce vivre ensemble il est une réalité, et j'avais envie justement, à travers ces entretiens, qui vont toucher un regard différent, quel est l'impact sur la famille, quel est l'impact sur la fratrie, quel est l'impact dans les médias, puisque j'ai aussi un entretien avec Marc-Olivier FOGIEL, assez…
NICOLAS DEMORAND
Rude.
SOPHIE CLUZEL
Assez rude, mais très réaliste…
LEA SALAME
Où vous lui rentrez dedans sur le nombre d'handicapés dans les médias, et il vous répond de manière assez cash aussi.
SOPHIE CLUZEL
Exactement. L'impact aussi sur la relation père-fils avec Tahar BEN JELLOUN, aussi l'impact de l'engagement des personnes différentes, avec Eléonore LALOUX, première jeune femme trisomique qui est conseillère municipale, voilà. Ce que je voulais vous dire, tous, à tout le monde, ce que je voulais dire c'était que cette différence elle est parmi nous, il faut qu'on l'accepte, qu'on aille au-delà du préjugé, au-delà de la première apparence que l'on peut avoir, quelle que soit la différence, parce que tout le monde est concerné et qu'on peut changer la donne de façon assez rapide en changeant notre regard.
(…)
NICOLAS DEMORAND
Sophie CLUZEL, vous rappelez au début du livre que votre fille Julia est atteinte de trisomie, détectée à la naissance, vous racontez la solitude de cette situation de parents d'enfants handicapés, une solitude particulière dites-vous… de regard trop doux et de paroles maladroites. Cette maladresse, ce regard de peine, de pitié, ce regard, au fond, gêné, revient dans chacun des entretiens, le philosophe Alexandre JOLLIEN le qualifie ainsi, "ce regard oscille de la pitié à la peur, du paternalisme à l'indifférence." Ce regard gêné, n'est-ce pas le cœur du problème ?
SOPHIE CLUZEL
Mais bien sûr, mais pourquoi ce regard ? parce que je pense que nous ne sommes pas habitués à la différence, parce que pendant bien longtemps on a fait une politique à part, en s'occupant très bien des personnes handicapées, mais pas dans le courant classique de l'école, à l'insertion professionnelle, au vivre ensemble, donc c'est pour ça que le regard, encore, est extrêmement perturbé par la différence, sachant qu'il y a 80% de handicaps invisibles, et là aussi justement mon entretien avec Gringe était très important, parce que par exemple le handicap psychique est un handicap invisible et pourtant il a une implication sur le quotidien des gens, de leur entourage, des difficultés d'insertion professionnelle, donc voilà, ce regard il faut que "on le normalise", et Alexandre JOLLIEN, dans son entretien, il demande presque le droit à l'anonymat, pas à l'indifférence, mais à l'anonymat, et là on n'y est pas encore.
(…)
NICOLAS DEMORAND
Sophie CLUZEL, c'est important de raconter aussi la colère, parfois la honte, des sentiments qui peuvent choquer quand on les éprouve, quand on les lit, est-ce que vous les avez éprouvés vous ces sentiments ?
SOPHIE CLUZEL
Mais bien sûr et je pense que le témoignage de Claude CHIRAC permet aussi de rassurer les personnes, les familles, les aidants, on a tous, à un moment donné, un ras-le-bol, parfois une honte, parfois envie d'avoir une vie beaucoup plus naturelle et normale parce que ça perturbe la vie une personne handicapée, que ce soit un accident, ou une arrivée de naissance…
LEA SALAME
Vous parlez notamment du regard des médecins, vous concernant vous, au moment de votre accouchement, quand les médecins…
SOPHIE CLUZEL
Ça c'est la formation, formation, formation, il faut absolument qu'on forme toutes…
LEA SALAME
Quand le médecin vous regarde…mais quel regard, comment vous le qualifiez ce regard quand il voit que l'enfant qui va naître est trisomique ?
SOPHIE CLUZEL
Gêné, très gêné, parce qu'il ne sait pas exprimer le possible. Brusquement la normalité "cesse", c'est-à-dire le chemin normal qu'un parent peut se fixer, c'est-à-dire se projeter.
LEA SALAME
Et vous vous ressentez quoi à ce moment-là, parce que Claude CHIRAC parle de sa honte, mais vous, d'avoir un enfant ?
SOPHIE CLUZEL
Eh bien moi, colère immédiatement de se dire "mais pourquoi est-ce qu'on ne m'a pas expliqué tous les possibles", et c'est ce sur lequel je me bats, tout peut redevenir possible, et c'est ça que je veux porter aussi comme message, ce n'est pas parce qu'il y a une différence très forte, un accident, une naissance, qu'on ne peut pas aussi cheminer sur les possibles et les souhaitables, et c'est ça qui est important de dire comme message, oui, le chemin traditionnel ne sera peut-être pas le même, mais c'est ce que dit très bien Marie-Amélie LE FUR aussi, quand elle a son accident et qu'elle dit "moi on m'a dit que je ne ferai pas de sport, je veux refaire du sport", donc c'est ça que je veux donner comme message. Ça sera différent, votre vie sera différente, mais on sera là pour vous accompagner et pour vous redonner du possible, se re-projeter dans l'avenir, c'est ça qui est important.
(…)
LEA SALAME
Vous dites "c'est ma mère qui a porté" le cas de votre sœur, plus que votre père, et plus que vous d'ailleurs, vous dites "moi je n'ai pas été aidante de ma sœur Laurence", en revanche vous acceptez le terme d'aidante pour vos parents, Jacques et Bernadette CHIRAC, dans leur vieillesse, et c'est votre livre en fait, les deux messages de votre livre Sophie CLUZEL, d'abord c'est changer le regard, et l'autre c'est la question des aidants, qui est très importante dans ce livre, où vous parlez de la difficulté pour les aidants de, de, de… de la difficulté au quotidien, la difficulté psychologique, la difficulté concrète, Claude CHIRAC dit "c'est devenir un patron de TPE au fond, c'est de faire tourner les kinés, les infirmiers, les aides-soignants", c'est ça aussi d'être aidant.
SOPHIE CLUZEL
D'abord il y a aussi beaucoup de personnes qui ne se reconnaissent pas comme aidants, qui disent "moi je suis parent avant tout", mais l'implication au quotidien est beaucoup plus forte qu'un enfant classique, ou qu'un adulte classique, donc oui il faut les accompagner ces aidants, ils sont 10 millions, ils sont 10 millions en France, personnes âgées, personnes handicapées, personnes malades, et c'est tout l'impact de la politique que l'on porte, c'est comment accompagner les aidants, comment leur donner le répit si important, et Claude CHIRAC en parle très bien de ce besoin de répit, se ressourcer pour repartir, c'est comment aussi concilier sa vie professionnelle et sa vie personnelle, parce qu'il y a des aidants qui travaillent, donc on a mis les congés professionnels, etc., donc c'est tout cela, cette stratégie, pouvoir dire, libérer la parole, et pour dire dites-nous ce dont vous avez besoin pour vous accompagner mieux.
(…)
NICOLAS DEMORAND
On se souvient du film coup de poing "Debout les femmes" de François RUFFIN, qui était venu à ce micro sur France Inter, consacré à ces femmes, car ce sont surtout des femmes qui travaillent très durement et gagnent moins que le SMIC, n'est-ce pas un problème que ces métiers du soin, dont vous parlez Claude CHIRAC, soient si peu valorisés, si peu rémunérés aujourd'hui Sophie CLUZEL ?
SOPHIE CLUZEL
En fait Claude CHIRAC parlait de l'engagement d'aidant, qui est donc auprès des personnes, mais ces aidants ils ont aussi un service d'accompagnement, pour les soins, pour le quotidien, et c'est tous ces métiers dit du care, du prendre soin, que nous sommes justement en train de revaloriser, de reconnaître, il nous faut absolument travailler sur cette reconnaissance, leur permettre d'évoluer professionnellement, Claude CHIRAC en parle très bien, comment j'évolue moi quand j'ai justement une famille, que j'ai un engagement professionnel, et que je peux évoluer, donc c'est tout ce travail que nous faisons pour accompagner les professionnels, parce que c'est l'engagement de demain, la population vieillit, les personnes handicapées vieillissent, et tant mieux, nous allons avoir besoin de ces métiers d'accompagnement qui sont les métiers du futur, vraiment, pour accompagner les personnes dans leur différence, quelle qu'elle soit.
CLAUDE CHIRAC
Ceci dit l'aidant devient un professionnel, enfin je pense qu'on est amené, c'est parfois difficile, à poser des actes ou à prendre des décisions qui relèvent en réalité de professionnels.
SOPHIE CLUZEL
C'est pour ça qu'il faut travailler sur leur reconversion s'ils ont envie après de retravailler…
LEA SALAME
Il faut aussi parler de la question de la rémunération de ces soignants, de ces aidants, pardon, de ces accompagnants notamment, il y a beaucoup de questions sur l'appli Inter, je vous les livre. Marie-Christine, "je suis accompagnante d'élèves en situation de handicap en école maternelle, Madame CLUZEL comment est-ce possible de confier l'accompagnement des enfants sans former le personnel, j'ai vraiment l'impression d'être un pansement sur une plaie béante, d'autre part comment pouvez-vous nous payer aussi mal ?" Jean aussi, "Madame CLUZEL il faudrait payer décemment tous les professionnels du médicosocial, éducateurs spécialisés, accompagnants d'enfants handicapés, le Ségur a oublié tout un secteur, les personnes en situation de handicap."
SOPHIE CLUZEL
C'est tout l'enjeu, comme je le disais très bien, le président de la République l'a réaffirmé, sur la conférence sociale, nous travaillons à la revalorisation de ces métiers, sur les accompagnants d'élèves en situation de handicap. Bien sûr qu'aujourd'hui, maintenant, nous pourrons proposer, le ministre de l'Education nationale s'y est engagé, de porter vraiment ces professions dans le dialogue social puisque elles font partie justement d'une communauté éducative, elles sont reconnues, elles sont maintenant majoritairement en CDD, et 10% d'entre elles, je dis "elles", parce que c'est majoritairement des femmes, en CDI, donc il y a une vraie prise en considération de leur statut, qui est beaucoup moins précaire qu'avant. Bien sûr il y a encore un cheminement à faire pour améliorer, on ne le nie pas…
LEA SALAME
Mais sur la rémunération, beaucoup ne touchent même pas le SMIC.
SOPHIE CLUZEL
Alors, elles sont payées au SMIC horaire, mais elles ne font pas du temple, c'est ça la difficulté…
LEA SALAME
Elles font des horaires hachés, parfois 4h le matin, puis le soir, etc., vous avez vu le reportage de François RUFFIN, le documentaire…
SOPHIE CLUZEL
C'est un sujet que je connais bien puisque mon association l'a porté avant que je rentre au gouvernement.
LEA SALAME
Pourquoi elles ne touchent pas plus tout simplement ?
SOPHIE CLUZEL
Parce que le temps école c'est 24 heures, donc elles sont souvent sur un temps école, c'est-à-dire un contrat de 24 heures, donc près de 700 euros nets par mois, quand on est à 24 heures, celles qui travaillent en collège, en lycée, gagnent plus, et c'est sur lequel nous tendons, c'est-à-dire améliorer en effet le nombre d'heures rémunérées, et c'est tout l'enjeu du Grenelle de l'éducation que Jean-Michel BLANQUER a porté et sur lequel nous travaillons.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 13 janvier 2022